GWENAËL BULTEAU : MALHEUR AUX VAINCUS. AU TEMPS BENI DES COLONIES.
Service de presse.
Il en est déjà à son troisième roman qui tous s'inscrivent dans un registre historique en adoptant les codes du roman policier pour nous livrer des intrigues sombres se déroulant durant la période du début du XXème siècle tout en mettant en exergue le contexte social de l'époque. Professeur des écoles où il enseigne dans une classe de CP en Vendée, Gwenaël Bulteau débute sa carrière de romancier en rédigeant des nouvelles avant de se lancer dans l'écriture d'un premier roman, La Républiques Des Faibles (La Manufacture de livres 2021) qui obtient le prix Landerneau Polar en 2021 récompensant ce récit prenant pour cadre la ville de Lyon en 1898 tandis que sur fond d'élections, les nationalistes donnent de la voix en affichant un antisémitisme décomplexé alors que l'affaire Dreyfus explose au même moment avec le fameux article "J'accuse" rédigé par Emile Zola et qui paraît dans L'Aurore. Le Grand Soir (La Manufacture de livres 2023), second roman de l'auteur, fait référence à cette grande manifestation historique du 1er mai 1906 à Paris, sur fond de révoltes ouvrières, tandis que les femmes aspirent à faire valoir leurs droits et que Lucie Desroselles arpente les rues de la capitale, à la recherche de sa cousine disparue. Si les deux premiers ouvrages se penchaient sur la lutte des classes de l'époque et dont les thèmes rejaillissent dans notre actualité récente, il en est encore question avec Malheur Aux Vaincus, nouveau roman de Gwenaël Bulteau qui s'intéresse plus particulièrement aux atrocités de la colonisation en Algérie.
En 1900, l'émotion secoue la communauté d'Alger lorsque l'on découvre un massacre dans l’enceinte de la somptueuse propriété de la famille Wandell. On soupçonne immédiatement deux forçats, détachés du bagne pour effectuer des travaux dans le jardin, d'avoir perpétré ces six meurtres, dont les maîtres de maison, avant de prendre la fuite. Malgré le fait qu'il soit un officier de l'armée, c'est pourtant le lieutenant Julien Koestler qui est en charge de l'affaire en traquant les criminels dans les rues grouillantes d'Alger, tandis que les citoyens expriment avec de plus en plus de véhémence leurs positions antisémites qu'ils affichent ostensiblement, encouragés par quelques notables importants de la cité. La ville est d'autant plus sous pression, qu'une série d'employés de banque se font agresser violemment avant que l'on ne s'empare de la collecte des dettes impayées qu'ils transportent dans leur sacoche. Dans cet environnement sans pitié, au gré de ses investigations, le lieutenant Koestler va prendre connaissance de cette effroyable expédition en Afrique noire à laquelle la famille Wandell a pris part et qui pourrait bien avoir un lien avec ces meurtres sanglants sur lesquels il enquête.
Où il est question de vengeance trouvant ses fondements dans un passé que le lecteur va découvrir peu à peu, c'est sur une trame narrative extrêmement classique que s'articule cette intrigue policière solide nous permettant de prendre la mesure de l'horreur institutionnalisée, et le terme n'est pas galvaudé, régnant au sein du système d'exploitation colonial français que Gwenaël Bulteau entend dénoncer en se focalisant plus particulièrement sur la terrifiante et véridique expédition Voulet-Chanoine, dirigée par ces deux capitaines de l'armée française partant à la conquête du Tchad en semant le chaos au gré de tueries qui s'enchaînent à mesure qu'ils progressent dans le pays. S'affranchissant de toute autorité, le capitaine Voutet en vient même à tuer le lieutenant-colonel Klobb chargé de mettre fin aux exactions de cette cohorte infernale. Et l'on doit bien avouer que l'on est complètement tétanisé à la lecture captivante de cette mission cauchemardesque que l'auteur restitue au gré d'une écriture sobre ne faisant que renforcer ce sentiment d'horreur et d'abjection qui imprègne le texte, ce d'autant plus qu'au-delà de cette barbarie, on découvre l'amour qui unit l'un des sous-officiers de l'expédition avec une princesse autochtone que son père a cédée en signe d'allégeance à cette armée fantoche. Dans ce contexte de barbarie et de déshumanisation que l'auteur restitue avec une impressionnante intensité, on pensera au fameux roman de Joseph Conrad, Au Cœur Des Ténèbres (Flammarion 1993) et dans une moindre mesure à Apocalypse Now, son adaptation cinématographique dantesque. Cette densité, on la retrouve également dès les premières pages du texte en suivant la trajectoire du jeune René Josse incorporé de force aux bataillons d'Afrique, suite à un délit mineur, avant d'être incarcérer dans les colonies pénitentiaires d'Afrique du Nord. Plus que le parcours criminel de ces bagnards, c'est l'exploitation de cette main-d'œuvre bon marché au profit de riches entrepreneurs que l'on découvre tout au long de l'intrigue en nous offrant une vision peu reluisante d'un système colonial qui broie les plus faibles qu'ils soient autochtones bien évidemment ou en provenance, parfois sous la contrainte, de la Métropole. On en prend d'ailleurs pleine conscience avec toute la partie du récit se déroulant à Alger où l'on suit les investigations du lieutenant Koestler tombant sous le charme de Catherine Hoffmann, cette commerçante dont le nom aux consonances juives vont lui valoir quelques ennuis au sein d'une communauté affichant ostensiblement son antisémitisme allant de pair avec l'affaire Dreyfus qui défraie l'actualité judiciaire du pays. Une hostilité d'autant plus prégnante que la jeune femme s'emploie à protéger quelques orphelins qui mendient dans le périmètre du port ce qui lui vaut quelques inimitiés de sa clientèle et de ses collègues. Tout cela, Gwenaël Bulteau le met en scène avec beaucoup de soin et d'habileté au rythme d'une intrigue chargée de tension tout en restituant cette ensorcelante atmosphère méditerranéenne si caractéristique que l'on découvre en côtoyant ce couple en devenir sans que leur relation ne sombre dans la romance mièvre. On arpentera ainsi en leur compagnie, les rues de cette fameuse ville blanche dont on perçoit les aspects sombres et pesants touchant plus particulièrement la population indigène sous le joug brutal d'une communauté de colons s'arrogeant tous les droits avec l'appui des autorités de la Métropole qui entend bien exploiter les richesses des territoires conquis. Et si l'on ne manquera pas d'apprécier la force de ce polar historique d'exception, Malheur Aux Vaincus nous révèle également cette mécanique insidieuse qui ronge l'homme peu à peu lorsqu'il se défait de toute règle et de toute norme pour atteindre le seuil de la barbarie qu'il finit par franchir sans jamais se retourner. Un ouvrage qui vous permettra de vous distancer à tout jamais de ces propos ineptes sur les "bienfaits" des colonies. Indispensable.
Gwenaël Bulteau : Malheur Aux Vaincus. Editions La Manufacture de livres 2024.
A lire en écoutant : Doubt de Ibrahim Maalouf. Album : Wind. 2012 Mi'ster.
Avec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande.
toujours pour l'auteur de
Dans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017),
Nouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.
Et puisque l'on parle du FIRN, vous y croiserez peut-être la silhouette massive d'Yves Ours Koskas en quête d'auteurs et de romancières à ramener dans le giron de sa maisonnette d'éditions Ours Editions qui publie des textes courts sous forme de livres fait maison, cousu-main, avec une impression en reprographie et dont les cahiers sont pliés et repliés soigneusement à la main. L'autre particularité d'Ours Editions est de privilégier les écrivains qui conservent la propriété de leur texte dès la publication, tout en obtenant la moitié du montant de la vente de leur ouvrage. Dernier point important, et non des moindres, les récits qu'Ours publie sont tous formidables et vous pouvez les découvrir sur son site
Au sein de la maison d'éditions vous trouverez Les Fatals En Concert, le récit Tête-Bêche de Stéphanie Glassey, romancière du remarquable
Avec En Campagne, sublime récit surréaliste de Séverine Chevalier, la romancière nous donne la sensation de survoler cette fameuse "ruralité" que l'on semble affectionner mais qui disparaît peu à peu, par vague, tandis que dans les rayons d'un supermarché Marie-Line et ses amies remplacent les produits des rayons par des pierres incarnant peut-être le poids de cette absurdité qui régit le monde, notre monde qui s'efface. Il y a toujours cette musique harmonieuse chez Séverine Chevalier ponctuée de ces grincements perturbant des intrigues d'une rare intensité telles que
Il baigne dans le polar depuis toujours avec des récits âpres se déroulant, pour la plupart, dans un environnement rural et qu'il publie auprès de petites maison d'éditions indépendantes comme in8, Caïrn et Caïmans pour son dernier roman Bad Run. A la lecture, de Tu M'As Bien Vu ! texte court, aussi rude que cinglant qui vous percute dès la première ligne et vous achève sur une dernière phrase à l'impact mortel, il y a cette interrogation qui flotte dans l'air : Qu'est-ce que j'attends pour lire les autres romans noirs de Jérémy Bouquin ?
Il vaut mieux en rire qu'en pleurer, ou peut-être faire les deux lorsque l'on lit les romans de Sébastien Gendron où le côté déjanté de ses intrigues ne fait que mettre en exergue l'absurdité de notre société à l'instar de Fin De Siècle (Série Noire 2022) dystopie sanglante et cruelle, de Camping Paradis (Série Noire 2022) aux allures de western rural ou de son dernier roman
Si cela ne suffit pas, vous trouverez également chez Ours Editions un texte de Michèle Pedinielli revisitant brillamment Kafka d'une manière singulière avec A L'Envers où un cafard se rend compte de bon matin, à son grand désarroi, qu'il a intégré le corps de Gregor Samsa, propriétaire de la chambre. Critique sociale par excellence, le récit vire au fait divers sanguinolent avec un ultime clin d'oeil à un autre ouvrage du romancier austro-hongrois. Comme toujours, il y a cette tonalité mordante que l'on retrouve dans l'ensemble des romans de Michèle Pedinielli, se déclinant autour des enquêtes de l'emblématique détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera avec laquelle on fait connaissance dans
Et puis il y a Marion Brunet qui nous saisit avec des textes ciselés d'une intensité peu commune en interpellant tout d'abord les adolescents sur les thèmes de l'homophobie avec un roman comme Frangines édité chez Sarbacane tout comme ses livres destinés aux jeunes enfants en abordant notamment le sujet de l'exclusion avec une série mettant en scène un ogre et deux jeunes orphelins. La justesse des récits trouve peut-être son origine dans le fait que la romancière a tout d'abord travaillé dans différentes structures sociales et médicales en lien avec la jeunesse avant de se lancer dans l'écriture et qu'elle s'est sans nul doute imprégnée de cette sensibilité si particulière. Mais cette expérience professionnelle ne saurait occulter le travail et le soin apporté à cette écriture sublime pour mettre en scène de manière si subtile les thèmes sociaux qu'elle aborde sur un registre beaucoup plus sombre avec un premier roman destiné aux adultes tel que L'Eté Circulaire (Albin-Michel 2017) qui obtient le Grand Prix De La Littérature Policière en 2018 pour ce récit s'articulant autour de deux adolescentes évoluant dans la zone périurbaine sans charme d'une localité quelconque du Midi jusqu'à ce qu'un drame survienne en bouleversant leur existence. Même s'il n'est pas estampillé comme tel, il s'agit de l'essence même du roman noir avec un récit dérangeant, suscitant le trouble tout en nous interrogeant sur ces dysfonctionnements d'une société de la classe moyenne dont certains membres vont déverser leur rage et leur frustration sur des individus en situation beaucoup plus précaire ne répondant pas aux canons de leurs normes sociales. Dans cette chaleur omniprésente, avec cette sensation de tourner en rond, comme enfermé dans une cage sociale inextricable, il émane cette sorte de déterminisme qui nous rappelle d'ailleurs les grands romans de Camus comme L'Etranger (Gallimard 1972). Peut-il en être autrement avec Vanda (Albin-Michel 2020) où l'on observe le parcours de cette jeune mère un peu paumée qui élève seul son petit garçon tandis que son compagnon d'autrefois apprend incidemment son statut de père ? La tragédie sociale est une nouvelle fois sous-jacente au sein de cette cellule familiale chancelante dont la romancière dissèque les ressentis de chacun avec cette remarquable acuité qui rejaillit tout au long de l'intrigue. On retrouve tout cela dans Nos Armes, nouveau roman de Marion Brunet qui prend l’allure d’une fresque contemporaine s’étalant sur près de trois décennies en évoquant cette révolte de jeunes adultes et plus particulièrement de deux femmes refusant cet ordre mondial qu'on leur impose et des conséquences résultant de leur lutte armée dans laquelle elles se sont engagées.
Service de presse.