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06. Thriller - Page 9

  • Jean-Christophe Grangé : Kaïken. Le seppuku d’un auteur consumé.

    grangé,kaïken,japonRien de plus affligeant que la rentrée littéraire. Outre l’écho médiatique outrancier, c’est cette marée d’ouvrages que les éditeurs nous balancent à une période donnée qui rend l’événement insupportable. Un dictat désolant qui fleure bon le marketing avec sa flopée de prix littéraires à venir. L’ennui dans tout cela, c’est que ces contraintes éditoriales imposent aux auteurs de rendre leur copie à une échéance précise s’ils souhaitent faire du chiffre. Car dans tout ce cirque, c’est bien souvent le nombre d’exemplaires vendus qui prime au détriment de la qualité.

     

    Cela peut s’illustrer avec les trois stars du thriller français que sont Jean-Christophe Grangé, Frank Thilliez et Maxime Chattam. Les trois auteurs présentent le même style d’écriture emprunté d’ailleurs à la littérature des thrillers anglo-saxon : Phrases aussi courtes que les chapitres. Descriptions détaillées et précises des scènes de crimes et des lieux où se déroulent les évènements. C’est d’ailleurs Grangé qui en a été le précurseur avec son fameux Le Vol des Cigognes édité en 1984. Maxime Chattam s’est fait connaître avec l’Ame du Mal, qui était le premier opus d’une trilogie consacrée aux tueurs en série. On a découvert Frank Thilliez avec la Chambre des Morts, bien qu’il ait précédemment écrit Train d’Enfer pour Ange Rouge, couronné du prix SNCF. Tous ces ouvrages ont eu comme point commun d’apporter une certaine fraicheur et une certaine originalité dans ce genre littéraire trusté par les auteurs anglo-saxon. Mais voilà à force de vouloir devenir le « Grand Maître du Thriller » et le n° 1 des ventes il semble que ces auteurs soient passés à une certaine démesure avec cette surenchère d’horreur qui frise le grand guignol et ces intrigues tarabiscotées qui peinent à tenir debout.

     

    C’est donc dans un contexte de déceptions successives que j’avais perdu de vue Jean-Christophe Grangé (particulièrement avec La ligne Noire) jusqu’à ce que je me heurte à la muraille de son dernier opus qui se trouvait au beau milieu d’une librairie incitant le pauvre consommateur compulsif que je suis à consulter la couverture qui d’ailleurs n’avait rien d’engageant. Mais avec une intrigue se déroulant au Japon, je me suis laissé tenté.

     

    Avec Kaïken nous suivons l’enquête d’Olivier Passant flic borderline (pour ne pas dire complètement cinglé) lancé à la poursuite d’un tueur sanguinaire qui s’est mis en tête d’éventrer des femmes enceintes avant de les brûler. Heureusement, il est secondé d’un flic punk et piercé de partout, grand consommateur de coke, héroïne et haschich qui ne crache pas dans son verre (rien que ça). Grand amateur du Japon, notre héros est marié à Naoko dont il a eu deux enfants. Un couple à la dérive en pleine procédure de divorce. Olivier Passant parviendra-t-il à appréhender ce meurtrier psychopathe tout en préservant le peu qu’il reste de sa vie de famille.

     

    Bien évidemment, le livre se lit rapidement ce qui est d’un côté assez salutaire pour le pauvre lecteur. Au risque de dévoiler l’histoire, je ne vais pas m’étendre sur les incohérences du récit avec ce flic prétendument intuitif et intelligent qui ne serait pas capable de percevoir ce qu’il se passe dans son entourage direct. Pour le reste vous découvrirez une série de clichés sur le Japon avec le code d’honneur du Bushido, l’art de positionner son lit, de composer un jardin et de sélectionner un thé. Vous découvrirez également toute une série d’information extraite de Wikipédia comme par exemple l’arme de service d’Olivier Passant, un Beretta PX4, qui a été celle utilisée par Leonardo Di Caprio dans Inception. Très peu de suspense dans ce récit puisque nous connaissons l’identité et les motivations du tueur dès les premiers chapitres et outre le fait que les deux tiers de l’histoire se déroulent dans la région parisienne, c’est la fin bâclée qui se situe au Japon qui plongeront le lecteur dans la plus grande des consternations. Un peu comme si Grangé, pressé par son éditeur avait été contraint de rendre sa copie sans avoir pu lui donner plus de maturité. Kaïken est donc une histoire froide à l’image de ce petit couteau japonais dont on aurait oublié d’aiguiser la lame devenue finalement aussi émoussée que l’intrigue.

     

    Jean-Christophe Grangé : Kaïken. Editions Albin Michel 2012.

    A lire en écoutant : Weather Storm de Massiv Attack. Album Protection. Circa/Virgin.

  • Thomas H. Cook : Mémoire Assassine, au delà du fait divers.

    "Les cœurs déchiquetés qui parlent aux fantômes"

                                                                            Léo Ferré

     

     

    thomas h cook,memoire assassine,faits diversLes drames familiaux finissent désormais immanquablement sous la rubrique « faits divers » ou sous la rubrique « société » dans les colonnes des quotidiens. Un entrefilet ou une première page tout est désormais une question de distance. Plus la tragédie est proche du lieu de rédaction plus elle prendra de l’importance. La trivialité de cette règle peut être balayée par des éléments suscitant auprès des lecteurs une émotion particulière encore que l’émotion est bien souvent absente de ces articles, le journaliste se bornant à relater les faits et rien que les faits. Une famille balayée et tout cela finit dans une rubrique « divers » comme si la monstruosité de l’événement se révélait tout bonnement impossible à classifier. Aucun reproche vis à vis des médias, je m’en garderai bien à la lecture de nos rapports de police tout aussi glaciaux qui consignent les faits que nous avons constaté sur ces scènes de crime atroces. Dans un contexte pareil l’émotion serait comme une tâche d’encre qui brouillerait le contenu du texte relatant l’événement. Cette tâche d’encre indélébile nous la portons en nous à tout jamais avec la certitude que rien, pas même le temps, ne pourra l’atténuer. Elle peut ressurgir à tout moment au gré du flux et reflux inexplicable de la marée de nos souvenirs et les reliquats de ces sombres réminiscences rejaillissent en permanence sur les flots agités de l’océan de notre mémoire.

     

    Avec Mémoire Assassine de Thomas H. Cook c’est justement le thème de la résurgence qui est abordé avec Steve Farris, père de famille ordinaire à la vie bien rangée. Pourtant derrière cette façade de normalité l’homme à la particularité d’avoir été, à l’âge de 9 ans, le seul rescapé de sa famille décimée par son propre père qui prit la fuite une fois son sinistre forfait accompli. C’est lors d’entretiens avec une jeune journaliste qui se consacre à l’écriture d’un ouvrage sur ce type de tragédie  que Steve Farris va entamer un long et périlleux travail de mémoire qui ne va pas le laisser indemne.

     

    Au fil des chapitres et des souvenirs évoqués par le personnage principal, nous pénétrons au cœur d’une famille dont chaque membre est décrit avec une sensibilité et une force d’émotions qui ne peut laisser insensible le lecteur le plus averti. Il y a cette écriture classique et cette subtile construction qui nous permet d’appréhender comme cela l’air de rien les nombreux évènements qui vont émailler la vie des différents protagonistes en provoquant de petites interférences qui vont se télescoper au point de former une onde choc dont l’écho se répercutera encore bien des années plus tard. Malgré la violence du thème principal, il ne faut pas s’attendre à une succession de descriptions sordides ou à une multitude de scènes d’action époustouflantes car Mémoires Assassine est surtout un hommage à la mémoire de ces victimes emportées par la folie d’hommes désemparés qui ne peuvent plus faire face.

     

    Mémoire Assassine a été écrit en 1993, mais curieusement (peut-être la noirceur du thème y est pour quelque chose) il est resté inédit en français jusqu’en 2011. C’est finalement l’édition Point2 qui l’a édité dans ce format particulier de « mini-poche ». Une collection particulière qui fait que  l’ouvrage se lit à la verticale pour s’adapter à cette dimension compacte qui nous permet de l’emporter dans nos bagages sans être encombré. Peut-être s’agit-il là d’une alternative à la lecture numérique qui pourrait être vouée à l’échec du fait de son prix élevé. En dépit de ce bémol, cela ne doit pas vous dissuader d’acquérir Mémoire Assassine qui, après sa lecture, restera profondément ancré dans vos souvenirs.

     

    Thomas H. Cook : Mémoire Assassine. Editions Point2 2011. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Loubat-Delranc.

    A lire en écoutant : Even in the Quietest Moment de Supertramp. Album : Even in the Quietest Moment. Universal Music Diffusion 1977.