JAMES ELLROY : PERFIDIA. LA CINQUIEME COLONNE.
Désormais pour lire l’œuvre d’Ellroy, il faut prendre la peine de se débarrasser de l’emballage outrancier que l’écrivain déploie depuis un certain temps pour la promotion de ses romans. Une composition flamboyante, faite d’excès et de provocations, aussi criarde et consternante que les chemises hawaïennes dont il s’affuble. Il faut se souvenir de l’aura mystérieuse qui entourait l’auteur à l’époque où paraissait le fameux Dahlia Noir roman fondateur du premier quatuor de Los Angeles. Dans un paysage médiatique plus austère, dépourvu de web et de portables, l’emballement littéraire se concentrait principalement sur l’œuvre au détriment de l’auteur que l’on considérait comme une espèce de monstre raciste et fasciste au fur et à mesure de sa notoriété grandissante. Perfidia doit donc être abordé comme Le Dahlia Noir, en dehors du tumulte des interviews superficielles que l’on nous assène depuis quelques semaines et qui ressassent les mêmes assertions que l’auteur s’amuse à mettre en valeur dans un show parfois grotesque. Car que pourrait dire Ellroy de plus qui ne figure pas dans ses romans ? Encore faudrait-il que certains chroniqueurs qui l’abordent aient au moins pris le temps de lire ses romans ce qui est loin d’être garanti. Un selfie, une dédicace et un bon mot, c’est désormais tout ce qu’il faut pour certains d’entre eux. Et Ellroy, plus que tout autre s’en amuse en faisant sa tournée promotionnelle.
C’est à la veille de Pearl Harbour que l’on découvre dans leur villa de Los Angeles, les quatre cadavres de la famille Watanabe, sauvagement assassinés à coups de poignards dans ce qui ressemble vaguement à un scène du rituel seppuku. Le sergent Dudley Smith du LAPD est chargé de l’enquête avec la recommandation expresse de faire en sorte que le coupable soit japonais car le pays, sur le point d’entrer en guerre, est désormais en proie à une hystérie collective sans précédent. La communauté américaine d’origine japonaise en est la première victime en subissant une série de rafles aussi massives qu’abusives en vue d’une déportation vers des camps d’internement. Dans ce contexte de manipulation et de paranoïa, le criminologue Hideo Ashida va tenter de ramener la vérité au premier plan tout en éprouvant des sentiments troubles à l’égard du machiavélique sergent. L’enquête est supervisée par le capitaine Parker, jeune officier de police ambitieux, aussi croyant qu’alcoolique, d’avantage préoccupé par la menace communiste. Afin d’infiltrer les milieux bourgeois à tendance gauchiste, il fera appel à la sulfureuse Kay Lake, brillante jeune femme qui entretient une relation complexe avec le détective Lee Blanchard. Ce quatuor trouble va se mouvoir au cœur d’une troublante machination où la trahison et la compromission semblent être les règles majeures permettant de survivre dans le marigot sordide de cette cité corrompue.
Avec Perfidia, James Ellroy rassemble les personnages qui ont hanté les romans du quatuor de Los Angeles et de la trilogie Underworld USA afin d’entamer une seconde tétralogie se situant à nouveau à Los Angeles, mais durant la période de la seconde guerre mondiale. Une espèce de préquel destiné à faire le lien avec les évènements relatés dans Le Dahlia Noir. Je laisserai à d’autre le soin de compter le nombre de pages ou de dénombrer la myriade de personnages que le roman contient. Ce qui importe c’est que l’écriture aux phrases concises et incisives est toujours bien présente, mais que l’on dénote, en plus, une certaine fluidité qui n’est pas du tout coutumière chez un auteur comme James Ellroy. Cela provient probablement du fait que l’auteur a choisi, pour la première fois, une narration en temps réel, sur une durée précise égrenant chaque journée située entre le 6 et le 29 décembre 1941. Avec cette rapidité dans le déroulement de l’histoire, on perçoit ainsi l’atmosphère frénétique qui émane de chacune des pages du livre. Car outre l’aspect journalier, le fil de l’histoire s’égrène au rythme des points de vue des quatre personnages principaux que sont Dudley Smith, Hideo Ashida, William Parker et Kay Lake. De cette manière, l’auteur nous entraine au cœur d’un maelstrom de rage, de haine et de turpitude beaucoup plus intense que ce que l’on avait l’habitude de lire notamment dans le premier quatuor de Los Angeles. Les intrigues et sous intrigues s’entremêlent dans une confusion savante que l’auteur maîtrise avec le talent qui lui est coutumier. Sur fond d’émeutes raciales, de cinquième colonne perfide, d’enquêtes sabordées et de trahisons en tout genre, le tout dilué dans une crainte de bombardements destructeurs et d’invasions imminentes, vous allez découvrir une ville de Los Angeles détonante où les personnages les plus abjects monnaient déjà l’expulsion, l’expropriation et même l’internement des ressortissants américains d’origine japonaise. Car même s’il ne l’aborde pas de manière frontale, c’est ce pan méconnu et peu reluisant de l’histoire américaine que l’auteur évoque tout au long du récit (Outre Ellroy, Alan Parker avec son film Bienvenue au Paradis et David Gustavson avec son livre La Neige Tombait sur les Cèdres sont, à ma connaissance, les rares auteurs à relater ces tristes évènements). Avec ces déportations, ces internements et ces projets d’eugénisme que l’auteur expose par l’entremise d’hommes de loi, de médecins et de promoteurs véreux on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les desseins funestes du régime nazi, même si les conséquences n’ont pas été aussi tragiques.
Si Ellroy a pour habitude d’inclure dans ses romans des personnages réels, c’est la première fois qu’il met en scène l’un d’entre eux, parmi les protagonistes principaux. C’est ainsi qu’il romance la vie de William Parker, l’un des plus célèbres directeurs du LAPD dont le quartier général porte, aujourd’hui encore, son nom. Comme bon nombre de ses héros, Ellroy dresse un portrait sombre et ambivalent d’un homme d’une grande intelligence et d’une clairvoyance extrême le contraignant, presque à son corps défendant, à mettre en place de sombres machinations afin de satisfaire sa soif d’ambition que l’alcool n'arrive pas à étancher. Un personnage torturé qui ne parvient pas à s’aimer tout comme son alter égo féminin, Kay Lake.
Avec Perfidia, on ne peut s’empêcher de frissonner à l’idée de recroiser le destin de l’un des personnages les plus emblématiques de l’œuvre d’Ellroy à savoir le sergent Dudley Smith. On retrouve un flic plus jeune, mais tout aussi dangereux et violent qui effectue avec son équipe les basses œuvres du LAPD pour le compte de cadres corrompus. Séduisant, machiavélique, on décèle chez cet homme quelques fêlures qui rendent le monstre plus présentable. En évoquant certains pans de sa jeunesse en Irlande, on peut deviner l’origine du mal qui a façonné un personnage qui recèle encore quelques brides d’humanité.
Le principal défaut de Perfidia est qu’il s’agit d’un préquel et que, de ce fait, le lecteur connaît déjà la destinée de la plupart des personnages qui hantent cette histoire ce qui dessert parfois la tension narrative de certaines péripéties du roman. D’autre part, on peine à comprendre le sens de l’apparition d’Elisabeth Short accompagnée de son véritable géniteur, dont je tairai l’identité afin de vous en laisser la surprise. Néanmoins cette surprise s’avère plutôt embarrassante. En effet, il est difficile désormais de croire que ce personnage soit absent du fameux roman Le Dahlia Noir. Le fait de découvrir le point de vue de Kay Lake sous la forme d’un journal consigné au musée du LAPD reste également très déconcertant et peu crédible dans la forme où il est rédigé. Là aussi on peine à comprendre l’utilité d’un tel style de narration. Il faudra peut-être attendre la suite de cette tétralogie pour entrevoir le sens de ce qui apparaît à ce jour comme des défauts mineurs.
Parce qu’il ne faut pas se leurrer, Perfidia considéré par l’auteur lui-même comme son meilleur roman prouve sans l’ombre d’un doute qu’Ellroy reste l’immense écrivain qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé d’être n’en déplaise à ses détracteurs. Perfidia c’est un livre d’une force brute dégageant une telle intensité dramatique qu’il mettra à terre le plus blasé des lecteurs. Un véritable KO littéraire.
James Ellroy : Perdifia. Editions Rivages/Thriller 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.
A lire en écoutant : Sayonara Blues de The Bronx Horns. Album : Silver in the Horns. Savoy Jazz 1998.

Mais finalement il faut bien avouer que Shibumi n’est qu’une facette d’un lustre qui met en lumière le monde machiste dans lequel baignent bien trop couramment le polar et le roman noir. Certes ce qui était considéré comme une exception, devient de plus en plus courant avec des personnages féminins qui occupent le devant de la scène de manière intelligente. Enquêtrices hors pair ou psychopathes furieuses et sanguinaires, les femmes prennent d’avantage de terrain sans toutefois l’occuper complètement à l’instar des écrivaines de polar qui restent encore minoritaires dans un domaine trusté par la gent masculine. Mais c’est peut-être au travers de séries éblouissantes comme Broadchurch, The Fall et surtout Top of the Lake de Jane Campion que l’héroïne de polar connaîtra une évolution encore plus radical si cela est encore possible.



Ceci n'est pas un livre, mais une litanie qui se déroule à l'ombre d'une cité à l'agonie. Après avoir déversé sa plume malsaine dans la région de son Yorkshire natal, David Peace a quitté la Grande Bretagne pour trouver refuge au Japon où il a désormais entamé une trilogie décrivant les affres d'un pays alors à l'aube de sa renaissance. Tokyo Année Zéro débute au moment où l'Empereur annonce à la radio, la capitulation de son pays. Année Zéro où les bourreaux d'hier deviennent les victimes des Vainqueurs. Année zéro où un peuple déshonoré tente de survivre dans une cité dévastée. Les marchés sont en main des mafias locales. La police fonctionne au ralenti, victime des remaniements et des purges imposées par les Vainqueurs et les femmes vendent leurs charmes dans les parcs en friche. Deux d'entre elles sont découvertes dans les jardins désolés d'un temple de Tokyo. Même modus operandi, l'inspecteur Minami va donc enquêter sur un tueur en série qui sévit depuis plusieurs années. Basé sur un fait divers réel, David Peace ne s'attarde pas vraiment sur ces crimes en série mais s'attache à nous décrire une société en pleine décomposition où personne n'est ce qu'il prétend être. L'humiliation de la défaite, la folie d'une guerre sanglante, nous suivons les traces d'un policier possédé par les images d'un passé dont il ne peut se défaire. Nous suivons ses errances dans une ville faite de décombres et de charniers où la population tente de survivre comme elle le peut.