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  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.

  • NINA PELLEGRINO : CHARLOOSE. LE BATEAU IVRE.

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheService de presse.

    Pas bien certain qu’il s’agisse d’un roman noir ce qui importe finalement assez peu pour ce premier roman inclassable d’une jeune valaisanne qui semble déjà trimbaler un parcours de vie intense dont elle a eu le bon goût d’en restituer certains aspects non pas dans une énième autofiction, ce qui nous changera, mais dans ce qui apparaît comme l'éblouissante fiction d’un voyage de dingue et de paumé comme le dit si justement Hubert-Félix Thiéfaine qui s’est d’ailleurs invité dans l’une des épigraphes de l’ouvrage. Née en 1998 à Sion, Nina Pellegrino nous livre donc Charloose, contraction de la loose de ce duo improbable que forment cet homme et cette femme, tous deux patients d’un hôpital psychiatrique genevois, et de Charleville où ils s'y rendent à pied afin de découvrir la ville natale de Rimbaud qui y est enterré. Et pour les esprits chagrins jugeant ce point de départ quelque peu fantaisiste, la romancière se confiait auprès des journalistes en expliquant qu’elle s’inspirait de son propre vécu et notamment de ses troubles alimentaires, de ses addictions, de ses séjours en hôpital psychiatrique et de son obsession pour le poète maudit qui l’ont poussée à se rendre à pied sur sa tombe. Autant dire que Nina Pellegrino, ayant déjà exercé mille et un boulots, fait figure de baroudeuse qui en connaît un rayon sur la loose en abordant de manière frontale et sans fard des thèmes comme les troubles psychiatriques, l’alcoolisme, les dérives suicidaires dont elle soulève le couvercle de merde, comme elle le dit si bien, pour nous projeter dans ce superbe périple complètement déjanté au gré d’un texte parfois très drôle, ponctué d’envolées poétiques d’une force brutale et de scènes à la beauté singulière tandis que l’on parcourt ces friches industrielles de la Lorraine en quête de cette figure légendaire de la littérature que Nina Pellegrino démystifie avec aplomb.      

     

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheEn Suisse, à l’hôpital psychiatrique, il suffit de contempler une boule à neige avec la mention « Ardenne » gravée sur le socle pour définir la destination de cette randonnée thérapeutique qui lui permettra de surmonter son addiction à l’alcool. Avec Bertha, sa camarade d’infortune souffrant de troubles alimentaires, ils se rendront donc à Charleville parce qu’elle vénère le poète Arthur Rimbaud dont elle veut découvrir la ville, le fleuve et bien évidemment la sépulture où elle pourra se recueillir. Ils ont assez de médocs pour deux mois et sont donc parés pour l’aventure. Mais quand on est dans la déprime, c’est toujours difficile de marcher droit. Et voilà nos deux loosers embarqués dans un périple fait de détours chaotiques et de rencontres improbables tandis qu’ils progressent tant bien que mal dans cette région du Grand Est de la France où s’élèvent, telles des cathédrales, les immenses silhouettes décharnées de ces usines désaffectées. Mais à force de détours, c’est bientôt la déche, ce d’autant plus que les thérapeutes mécontents ont fait savoir qu’ils ne s’associaient plus à cette démarche foireuse. Alors que peut-on faire dans les Ardennes quand on est deux expats suisses en rade et bientôt sans le sou ? 

     

    On dira de Charloose qu’il s’agit d’une fiction de voyage, une sorte d’Usage Du Monde sous Temesta en compagnie de deux paumés auxquels on s’attache incontestablement sans pour autant tomber dans un registre émotionnel lourdingue pour ce qui a trait aux difficultés qu’ils doivent surmonter que ce soit l’alcoolisme du narrateur dont on ignorera tout de l’identité et l’anorexie de Bertha « sa petite fée déglinguée » qui l’accompagne dans ce périple improbable. Il faut dire que l'on se laisse emporter dans le rythme de cette écriture saillante, au gré des réflexions d'un narrateur remettant en question chaque instant de ce voyage chaotique, que ce soit la mythologie construite autour de la personnalité de Rimbaud, les affres d'un sevrage qui va prendre l'eau de toute part ainsi que les étapes dans des bleds perdus au charme incertain. Le tout est entrecoupé de ces engueulades mémorables avec Bertha s'accommodant tant bien que mal des galères qui surviennent sur un chemin fait de détours surprenants et de rencontres d'hommes et de femmes aux profils ordinaires mais d'où émerge cette lueur d'une amitié qui se conjugue parfois dans des instants à la fois simples et déconcertants que Nina Pellegrino sublime dans l'âpreté de ces élans poétiques nous rappelant, à certains égards, les poèmes de William Carlos Williams bien éloigné du lyrisme d'un poète comme Rimbaud. Et c'est bien ce dont il est question en côtoyant ce couple bancal que forme le narrateur et sa camarade d'infortune en mettant à mal les illusions et les idoles qui jalonnent leur existence respective, sans jamais s'épargner ou s'apitoyer sur leur sort et sans pour autant se morfondre dans un désespoir latent, bien au contraire, puisque l'optimisme réside peut-être dans la tôle de ce van décati, incarnation de la source d'un devenir chargé d'espérance. Ainsi, Charloose se révèle donc être l’intense  déflagration d’un style inclassable mettant en évidence la superbe nouvelle voix de Nina Pellegrino, une romancière qui s'inscrit, avec ses tonalités décalées, dans le sillage d'un certain Joseph Incardona à qui elle n'a rien à envier.  

     

    Nina Pellegrino : Charloose. Editions Cousu Mouche 2025.

    A lire en écoutant : Aucun express d’Alain Bashung. Album : Fantaisie Militaire. 2014 Barclay.

  • Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Samedi soir à Beyrouth.

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agullo

    Service de presse.

    On ne sait plus trop quoi dire à son sujet, tant l'on a décliné de superlatifs élogieux pour encenser cette seconde trilogie trouvant sa conclusion dans la fusion des couvertures des deux précédents ouvrages où la sublime mosaïque orientale se décline désormais sur la palette des trois couleurs du drapeau du Liban tandis que le silhouette emblématique du cèdre s'imprègne d'une teinte sanguinolente lourde de sens. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, Frédéric Paulin achève donc de manière magistrale, cette fresque de la guerre civile du Liban qu'il entamait il y a de cela une année avec Nul Autre Ennemi Que Mon Frère (Agullo 2024) s'articulant autour des origines de ce conflit fratricide tandis que l'on en découvrait toute son ampleur dans Rares Ceux Qui Echappèrent A La Guerre (Agullo 2025) où les attentats et les prises d'otage se succèdent en prenant une dimension internationale. Pour les frileux qui n'oseraient aborder cet ensemble de textes magistrales, tant pour des raison pécuniaires que pour des motifs plus abscons de thèmes obscurs et peu compréhensibles, on signalera tout d'abord que le premier volume est désormais disponible en version poche chez Folio policier et que loin d'être ardue, Frédéric Paulin déploie une intrigue solide où les faits historiques s'entremêlent à une fiction dynamique qui nous éclaire d'une manière à la fois sobre et convaincante sur les entournures d'un conflit aux ramifications complexes. Ainsi, au terme de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on prendra la mesure des différents enjeux qui animent l'ensemble de cette région du Moyen-Orient et des conflits qui perdurent en s'inscrivant désormais dans la terrible actualité d'une autre guerre qui déciment les populations. Autant dire que la trilogie libanaise de Frédéric Paulin a valeur de document dans ce qui apparaît comme une guerre civile où seule l'amertume subsiste en résonnant comme une tragique défaite s'inscrivant dans le parcours de chacun des personnages d'un récit éblouissant.

     

    frédéric paulin,que s’obscurcissent les soleil et la terre,éditions agulloA la fin de l'année 1986, ce sont les attentats ravageant Paris qui rythment la vie du commissaire Nicolas Caillaux et de sa femme la juge d'instruction Sandra Gagliaco qui découvrent peu à peu que s'il faut retrouver rapidement les coupables pour calmer l'opinion publique, c'est désormais la raison d'état qui prévaudra sur la vérité en privilégiant l'improbable piste Abdallah afin de ménager les susceptibilités du gouvernement iranien se livrant désormais à une guerre ouverte des ambassades à laquelle la France ne compte pas céder. De son côté, le député Michel Nada ä fort à faire dans les négociations obscures pour la libération des otages français détenus depuis plusieurs années au Liban alors que Chirac et Mitterand se livrent à une course cynique pour s'en attribuer le mérite en vue des élections présidentielles de 1988. A Beyrouth, l'ancien attaché d'ambassade Philippe Kellermann constate avec amertume que la guerre reprend de plus belle avec des luttes fratricides au sein des milices chrétiennes mais également au sein des factions chiites conduisant à la formation de deux gouvernements que tout oppose. De toute manière pour Kellerman, seul compte le devenir de Zia, cette femme Chiite affiliée au Hezbollah, qui l'ensorcelle. Il n'y a donc plus d'avenir dans ce pays à feu et à sang où Dixneuf, ancien agent des service secrets, va régler ses comptes en comptant sur l'appui d'un allié inattendu. Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir en finir avec toute cette folie dans une ultime déflagration de violence destructrice.

     

    Immanquablement, au terme de cette série de trois romans aux titres évocateurs, se pose la question de savoir sur quel sujet Frédéric Paulin va-t-il se pencher et sur sa capacité à faire aussi bien, si ce n'est mieux que la trilogie Benlazar et cette trilogie libanaise s'achevant dans ce qui apparaît comme un récit magistral qui vous coupe le souffle. Il faut dire que l'on a accompagné durant une année cette galerie de personnages déchirés par les événements tragiques de ce conflit qui marquent leurs vies respectives et auxquels l'on s'est attaché en dépit de cette vertigineuse perte de repère les entraînant, pour la plupart d'entre eux, dans une spirale de violence incontrôlable. Avec Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, on découvre donc les enjeux politiques autour des otages français détenus au Liban ainsi que les soubassements de  cette guerre des ambassades entre la France et l'Iran en lien avec l'affaire Wahid Gordji mettant en perspective les entrelacs d'un pouvoir judiciaire malmené par la raison d'état qui s'invite au sein d'une procédure complexe visant ä faire la lumière sur les véritables commanditaires de la série d'attentats à Paris, dont celui de la rue de Rennes, durant la période entre 1985 et 1986. Et c'est autour de chacun de ses personnages fictifs, qu'il soit juge, policier, diplomate ou membre des milices libanaises, que Frédéric Paulin projette ce contexte historique dans ce qui apparaît comme un agrégat vertigineux de réalité et de fiction nous permettant de saisir toute la complexité des enjeux géopolitique de cette guerre du Liban dont il nous livre toutes les bassesses en compromissions au terme d'une intrigue extrêmement sombre, chargée d'amertume. Mais l'autre enjeu de Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière, consiste bien évidemment à connaitre le devenir de ces individus marquants et tourmentés que sont la juge Sandra Gagliaco et son compagnon le commissaire Nicolas Caillaux, l'attaché d'ambassade Phillipe Kellermann, le commandant Dixneuf, la milicienne chiite Zia al-Faqîh et son chef Abdul Rasool al-Amine ainsi que le député Michel Nada dont les destinées se fracassent dans un entrelacs de confrontations saisissantes. Tout cela se décline au gré d'un texte à la fois sobre et rythmé permettant de digérer la chaos de cette guerre du Liban que Frédéric Paulin restitue à la hauteur de ces femmes et de ces hommes qui nous marqueront à tout jamais. Un roman prodigieux.

     

    Frédéric Paulin : Que S'Obscurcissent Le Soleil Et La Lumière. Editions Agullo 2025.

    A lire en écoutant : Samedi soir à Beyrouth de Bernard Lavillier. Album : Samedi soir à Beyrouth. 2008 Barclay.

  • MICHAEL PERRUCHOUD : LA FIN DU WEEK-END. MEURTRE A DOMICILE.

    michaël perruchoud,la fin du week-end,éditions okama

    Service de presse.

    A la fin de la période estivale, la rentrée littéraire se fait également sentir en Suisse, plus particulièrement du côté de la ville de Morges accueillant annuellement, lors de chaque premier week-end de septembre, le festival Le Livre Sur Les Quais, se déroulant, comme son nom le laisse présager, sur les bords du lac Léman, ceci pour le plus grand bonheur de la multitude d’auteurs invités qui apprécient le cadre, tout comme le public d’ailleurs, toujours présent en grand nombre à l’occasion de cet événement majeur de la littérature helvétique. A l’occasion de ce grand raout rassemblant les romanciers érigés au rang de stars côtoyant des auteurs au statut plus confidentiel, on notera l’effort consenti pour mettre en valeur un certain nombre d’auteurs romands, d’outre-Sarine et du Tessin afin de célébrer le multilinguisme propre au pays même si le dialecte romanche ne semblait pas être représenté. On pouvait donc croiser Emmanuel Carrère, Joseph Incardona, Giuliano da Empoli, Natacha Appanah, Martin Suter ainsi que le genevois Michaël Perruchoud présentant son dernier roman policier, La Fin Du Week-End, publié aux éditions Okama. Outre son activité de romancier de longue date et de chansonnier, Michaël Perruchoud est bien connu du petit milieu de la littérature romande puisqu’il officie comme directeur artistique au sein michaël perruchoud,la fin du week-end,éditions okamade la maison d’éditions Cousu Mouche, une petite structure indépendante publiant des fictions aux tonalités décalées dont quelques romans noirs comme Une Balle Dans Le Bide (Cousu Mouche 2023) ou En Eau Salée (Cousu Mouche 2015) transposé à l’écran pour la Radiomichaël perruchoud,la fin du week-end,éditions okama Télévision Suisse dans le cadre d'une mini-série, sous le titre En Haute Mer, qui nous entraîne dans l'univers de la marine marchande Suisse en laissant apparaître au générique le nom de Joseph Incardona parmi les scénaristes chargés de l’adaptation. Et cette ligne éditoriale singulière qui fait la réputation de Cousu Mouche et dont on peut découvrir le catalogue en ligne que je vous recommande de consulter, on en retrouve certains aspects dans les textes de Michaël Perruchoud à l’instar de ce nouveau roman policier mettant en scène un inspecteur de la police genevoise, un brin désinvolte, se retrouvant à échafauder des théories audacieuses autour d'une série de crimes sans aucun lien entre eux. 

     

    michaël perruchoud,la fin du week-end,éditions okamaPlacé par un membre influent de sa famille, Jocelyn Mervelet que tout le monde surnomme Joss, a donc intégré les rangs de la police judiciaire genevoise où il officie au service des statistiques ce qui lui permet de traîner sur le web en lui évitant ainsi de prendre le moindre risque. Un flic par défaut en quelque sorte se retrouvant à poursuivre une nuit, à la suite de circonstances rocambolesques, un individu prenant la fuite dans les rues de son quartier des Eaux-Vives après s'en être pris à une retraitée sans histoire. Mais il faut bien admettre que Joss n'a rien d'un flic de terrain ce qui fait que le fugitif parvient à s'en débarrasser, dans une ruelle obscure, en l'assommant avec une planche. Hospitalisé, ses collègues vont lui apprendre que la vieille dame a été sauvagement égorgée et que l'identité de l'agresseur demeure un mystère. Malgré ses maladresses, Jocelyn Mervelet bénéficie d'un regain de considération de ses collègues dont Darbelley Michel un ancien lutteur suisse et Pernilla Wiberg, une inspectrice scientifique d'origine suédoise et dotée d'un appétit phénoménal, qui vont le soutenir en dépit de ses théories farfelues. En effet, le policier a découvert, en consultant les mains courantes des autres polices cantonales, une série de crimes sans lien, hormis le fait qu'ils se sont produits le week-end tout comme celui sur lequel il enquête. Il n'en faut pas plus pour Joss d'être persuadé d'avoir à faire à un tueur en série sévissant à travers toute la Romandie. Il ne reste plus qu'à le prouver. 

     

    C'est assez rare pour le souligner, mais voici un roman policier suisse d'apparence classique qui s'inscrit en dehors de tout particularisme helvétique pour se concentrer sur l'essentiel, à savoir une intrigue extrêmement maligne prenant pour cadre cette ville de Genève, bien éloignée des clichés de cette richesse opulente qui fait sa réputation, pour se concentrer sur les quartiers populaire d'une cité de Calvin se révélant bien plus chaleureuse qu'elle ne le laisse paraître. A partir de là, Michaël Perruchoud déroule un récit prenant où l'on arpente, en compagnie d'un homme, somme toute ordinaire, les rues des quartiers des Eaux-Vives, de Plainpalais et des Pâquis tout en fréquentant quelques estaminets animés où il a ses habitudes. Cela étant dit, l'inspecteur Jocelyn Mervelet n'a rien du flic alcoolique ou dépressif ni du justicier investi, bien au contraire même, puisque sa particularité réside dans le désintérêt assez marqué pour son métier de policier qu'il exerce dans son bureau, à l'abri de tout danger, en mettant à jour les statistiques que sa hiérarchie lui réclame. On ne parlera même pas d'ennui, puisque Jocelyn Mervelet y trouve son compte afin de se consacrer davantage à l'éducation de son beau-fils et à tenter d'entretenir une relation plus ou moins stable avec sa compagne totalement investie dans son travail. Dès lors, on relèvera que le texte de Michaël Perruchoud est imprégné d'une ironie pétillante qui dynamise cette narration toute en tension où l'enjeu consiste à déterminer si la théorie d'un tueur en série sévissant le week-end que cet inspecteur plutôt malhabile veut imposer envers et contre tous ses collègues plutôt dubitatifs. Outre le canton de Genève, Michaël Perruchoud nous entraîne donc dans la diversité des autres régions de la Romandie et notamment celle de la campagne fribourgeoise qui tranche avec le côté urbain de la ville du bout du lac Léman. Avec Jocelyn Mervelet, on appréciera forcément ce regard décalé, plein d'humanité, qu'il porte sur les parties prenantes d'une enquête qui apparaît sans queue ni tête jusqu'au terme d'une conclusion singulière se déclinant sur un bel équilibre de suspense et de critique sociale où l'on prend plaisir à évoluer dans une atmosphère chaleureuse en côtoyant toute une galerie de personnages pittoresques et attachants qui font de La Fin Du Week-End un roman policier solide et sobre, dont on espère qu'il y aura une suite.

     

    Michaël Perruchoud : La Fin Du Week-End. Editions OKAMA/Collection TENEBRIS 2025.


    A lire en écoutant : Decency de Balthazar. Album : Thin Walls. 2015 Balthazar.

  • Víctor Del Árbol : Personne Sur Cette Terre.

    personne sur cette terre,victor del arbol,actes sud,actes noirsAvec son premier roman traduit en français, il entrait tout de suite dans la cours des grands en se hissant au côtés d'auteurs monumentaux tels que Manuel Vazquez Montalban, Arturo Pérez-Reverte et, dans une moindre mesure, dans le sillage de romanciers comme Carlos Ruiz Zafón et Javier Cercas en s'interrogeant sur le poids du passé, notamment la guerre civile et la dictature franquiste qui plomba l'Espagne. Et c'est bien ce dont il était question lorsque découvrait La Tristesse Du Samouraï de Víctor Del Árbol (Actes Noirs 2012), titre aux connotations mélancoliques donnant sa tonalité à un texte puissant évoquant les fantômes de la Division Azul et autres bourreaux issus des rangs de la Phalange espagnole de l'époque. On retrouve d'ailleurs cette thématique du passé dans l'ensemble de l'oeuvre du romancier qui s'applique à mettre en scène des intrigues sombres, toutes en nuances, se déclinant autour de la personnalité complexe de ses personnages qu'il dépeint de manière subtile. Cette sensibilité à la douleur des autres qui émerge de ses intrigues, serait-elle issue de son expérience de policier au sein de la brigade des mineurs dans laquelle il a exercé durant plusieurs années en Catalogne ? Sans pouvoir répondre avec certitude à la question, il ne fait aucun doute que les nombreux lecteurs ont sans doute été touchés par cette propension à décliner cette souffrance émanant tant des victimes mais également des bourreaux en offrant une vision toute en ambiguïté de cette dualité entre le bien et le mal. S'inscrivant à la lisière des genres, mais tout de même dans une trame résolument noire, on notera que Víctor Del Árbol a été récompensé par quelques prix prestigieux de la littérature noire dont le Prix du polar européen des Quais du Polar et le Grand prix de la littérature policière mais également du prix Nadal, la plus ancienne récompense littéraire espagnole s'affranchissant de tout clivage. C'est donc avec une certaine fébrilité que l'on retrouve le romancier revenant sur le devant de la scène littéraire avec Personne Sur Cette Terre et que l'on pourra croiser notamment au festival Toulouse Polar du Sud en compagnie d'autres auteurs espagnols tels que Marto Pariente et Aro Sáinz de la Mara.

     

    personne sur cette terre,victor del arbol,actes sud,actes noirsAlors qu'il n'est qu'un enfant Julián Leal assiste à l'exécution de son père par quatre individus cagoulés qui incendient sa maison. Mais en 1975, dans ce petit village côtier de Galice, tout le monde connaît les auteurs de ce terrible règlement de compte en se gardant bien de les dénoncer. Trente ans plus tard, devenu inspecteur chevronné au sein de la police à Barcelone, Julián a perdu tous ses moyens en frappant un entrepreneur qu'il laisse dans le coma sans plus d'explication, pas même à sa partenaire avec qui il travaille depuis des années. Et alors qu'il souffre d'un cancer incurable, dans l'attente de son procès après sa mise à pied, il revient sur ses terres natales pour retrouver celles et ceux avec qui il a partagé son enfance. Ainsi, ce sont des histoires d'amitiés mais aussi de rancœurs qui refont surface autour de ce région côtière où la contrebande d'alcool a laissé la place à des trafics plus dangereux dirigé par des cartels mexicains sans pitié qui vont faire voler en éclat tous les serments d'autrefois. Et partout où passe Julian, ce sont des éclats de violence qui surviennent tandis qu'un mystérieux individu aux yeux noirs rôde dans les parages en quête d'informations qu'il va obtenir par tous les moyens, même les plus extrêmes. Et entre la résurgence du passé et les intérêts du présent que l'on souhaite préserver, émerge les intérêts d'hommes puissants qui s'en prennent aux enfants en se dissimulant derrière des masques de loup. 

     

    Tout comme ses personnages, Víctor Del Árbol construit des intrigues denses et complexes qui se déclinent dans un présent entrecoupé de longues analepses nous permettant d’en savoir encore davantage sur ce qui anime l’ensemble des protagonistes de Personne Sur Cette Terre, que ce soit l’inspecteur Julián Leal, un homme en bout de course ou Clara, une ancienne journaliste photographe séjournant depuis plusieurs années dans une clinique de désintoxication afin de se sevrer. Il s’agit donc d’un récit nécessitant une attention certaine afin d’appréhender toute une galerie d’hommes et de femmes gravitant autour de ce policier torturé de retour dans son village natal où vont émerger, à son corps défendant, quelques lueurs d’un passé trouble en lien avec la forte personnalité d’un père, ancien combattant des forces nationalistes de Franco, que l’on a exécuté devant lui pour d’obscurs règlements de compte. Mais l’ensemble du roman se décline sur le registre du présent en s’articulant sur cette évolution de la contrebande qui s’inscrit désormais dans le contexte d’un trafic de stupéfiants aux dimensions internationales dont on perçoit, en toile de fond, l’influence violente des cartels mexicains, mais également dans un environnement beaucoup plus trouble d’un trafic d’enfants destinés à assouvir les fantasmes de pervers sexuels, dissimulant leur visage derrière un masque de loup. Autant dire que la multiplicité des sous-intrigues nécessite une attention soutenue qui sera récompensée au terme d’un roman recelant quelques révélations auxquelles on ne s’attendait vraiment pas et que Víctor Del Árbol met en scène au gré d’une narration qu’il maîtrise de bout en bout avec une impressionnante aisance. Et puis il y a toujours cette ambivalence qui habite l’ensemble des personnages soumis à des dilemmes qui les conduisent parfois à commettre des actions qui leurs déplaisent, quant ce n’est pas tout simplement le dégout qui les consume. Et c’est bien dans ce domaine que le romancier excelle en déclinant ce déchirement que l’on perçoit parfois au travers du regard de ce tueur à gage observant son entourage avec cette humanité détachée qui n’est pas dénuée d’un certain égard pour les cibles qu’il doit exécuter sans jamais se bercer d’illusion quant au devenir de celles et ceux qui frayent dans un environnement dénué de compassion et de pitié car « personne sur cette terre n’est innocent, personne n’oublie, personne ne pardonne ». Et c’est bien autour de cette phrase terrible que Víctor Del Árbol fait la démonstration de son immense talent pour nous immerger dans le cours d’un roman virtuose où l’humanité de chacun des protagonistes se dilue dans la terrible nécessité de survivre en dépit de tout. 


    Víctor Del Árbol : Personne Sur Cette Terre (Nadie En Esta Terra). Editions Actes Sud/Actes Noirs 2025. Traduit de l'espagnol par Alexandra Carrasco.

    A lire en écoutant : Somewhere Only We Know de Keane. Album : Hopes and Fears. 2004 Universal Island Records.