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nina pellegrino

  • NINA PELLEGRINO : CHARLOOSE. LE BATEAU IVRE.

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheService de presse.

    Pas bien certain qu’il s’agisse d’un roman noir ce qui importe finalement assez peu pour ce premier roman inclassable d’une jeune valaisanne qui semble déjà trimbaler un parcours de vie intense dont elle a eu le bon goût d’en restituer certains aspects non pas dans une énième autofiction, ce qui nous changera, mais dans ce qui apparaît comme l'éblouissante fiction d’un voyage de dingue et de paumé comme le dit si justement Hubert-Félix Thiéfaine qui s’est d’ailleurs invité dans l’une des épigraphes de l’ouvrage. Née en 1998 à Sion, Nina Pellegrino nous livre donc Charloose, contraction de la loose de ce duo improbable que forment cet homme et cette femme, tous deux patients d’un hôpital psychiatrique genevois, et de Charleville où ils s'y rendent à pied afin de découvrir la ville natale de Rimbaud qui y est enterré. Et pour les esprits chagrins jugeant ce point de départ quelque peu fantaisiste, la romancière se confiait auprès des journalistes en expliquant qu’elle s’inspirait de son propre vécu et notamment de ses troubles alimentaires, de ses addictions, de ses séjours en hôpital psychiatrique et de son obsession pour le poète maudit qui l’ont poussée à se rendre à pied sur sa tombe. Autant dire que Nina Pellegrino, ayant déjà exercé mille et un boulots, fait figure de baroudeuse qui en connaît un rayon sur la loose en abordant de manière frontale et sans fard des thèmes comme les troubles psychiatriques, l’alcoolisme, les dérives suicidaires dont elle soulève le couvercle de merde, comme elle le dit si bien, pour nous projeter dans ce superbe périple complètement déjanté au gré d’un texte parfois très drôle, ponctué d’envolées poétiques d’une force brutale et de scènes à la beauté singulière tandis que l’on parcourt ces friches industrielles de la Lorraine en quête de cette figure légendaire de la littérature que Nina Pellegrino démystifie avec aplomb.      

     

    nina pellegrino,charloose,editions cousu moucheEn Suisse, à l’hôpital psychiatrique, il suffit de contempler une boule à neige avec la mention « Ardenne » gravée sur le socle pour définir la destination de cette randonnée thérapeutique qui lui permettra de surmonter son addiction à l’alcool. Avec Bertha, sa camarade d’infortune souffrant de troubles alimentaires, ils se rendront donc à Charleville parce qu’elle vénère le poète Arthur Rimbaud dont elle veut découvrir la ville, le fleuve et bien évidemment la sépulture où elle pourra se recueillir. Ils ont assez de médocs pour deux mois et sont donc parés pour l’aventure. Mais quand on est dans la déprime, c’est toujours difficile de marcher droit. Et voilà nos deux loosers embarqués dans un périple fait de détours chaotiques et de rencontres improbables tandis qu’ils progressent tant bien que mal dans cette région du Grand Est de la France où s’élèvent, telles des cathédrales, les immenses silhouettes décharnées de ces usines désaffectées. Mais à force de détours, c’est bientôt la déche, ce d’autant plus que les thérapeutes mécontents ont fait savoir qu’ils ne s’associaient plus à cette démarche foireuse. Alors que peut-on faire dans les Ardennes quand on est deux expats suisses en rade et bientôt sans le sou ? 

     

    On dira de Charloose qu’il s’agit d’une fiction de voyage, une sorte d’Usage Du Monde sous Temesta en compagnie de deux paumés auxquels on s’attache incontestablement sans pour autant tomber dans un registre émotionnel lourdingue pour ce qui a trait aux difficultés qu’ils doivent surmonter que ce soit l’alcoolisme du narrateur dont on ignorera tout de l’identité et l’anorexie de Bertha « sa petite fée déglinguée » qui l’accompagne dans ce périple improbable. Il faut dire que l'on se laisse emporter dans le rythme de cette écriture saillante, au gré des réflexions d'un narrateur remettant en question chaque instant de ce voyage chaotique, que ce soit la mythologie construite autour de la personnalité de Rimbaud, les affres d'un sevrage qui va prendre l'eau de toute part ainsi que les étapes dans des bleds perdus au charme incertain. Le tout est entrecoupé de ces engueulades mémorables avec Bertha s'accommodant tant bien que mal des galères qui surviennent sur un chemin fait de détours surprenants et de rencontres d'hommes et de femmes aux profils ordinaires mais d'où émerge cette lueur d'une amitié qui se conjugue parfois dans des instants à la fois simples et déconcertants que Nina Pellegrino sublime dans l'âpreté de ces élans poétiques nous rappelant, à certains égards, les poèmes de William Carlos Williams bien éloigné du lyrisme d'un poète comme Rimbaud. Et c'est bien ce dont il est question en côtoyant ce couple bancal que forme le narrateur et sa camarade d'infortune en mettant à mal les illusions et les idoles qui jalonnent leur existence respective, sans jamais s'épargner ou s'apitoyer sur leur sort et sans pour autant se morfondre dans un désespoir latent, bien au contraire, puisque l'optimisme réside peut-être dans la tôle de ce van décati, incarnation de la source d'un devenir chargé d'espérance. Ainsi, Charloose se révèle donc être l’intense  déflagration d’un style inclassable mettant en évidence la superbe nouvelle voix de Nina Pellegrino, une romancière qui s'inscrit, avec ses tonalités décalées, dans le sillage d'un certain Joseph Incardona à qui elle n'a rien à envier.  

     

    Nina Pellegrino : Charloose. Editions Cousu Mouche 2025.

    A lire en écoutant : Aucun express d’Alain Bashung. Album : Fantaisie Militaire. 2014 Barclay.