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  • NICOLAS FEUZ : LE MIROIR DES ÂMES. CHERCHER L’ERREUR.

    Capture d’écran 2018-09-02 à 19.29.15.pngService de presse.

    Ce retour de lecture dévoile des éléments importants de l’intrigue.

     

    C’est avec un tweet ironique que Frank Thilliez s’est érigé en défenseur de la littérature dite populaire en haranguant ses fans afin qu’ils s’en prennent à la journaliste de Telerama qui a osé évoquer son dernier roman avec tant de dédain. Il n’est pas le seul à utiliser un tel stratagème et si l’on peut juger le procédé minable, à l’image de ses écrits d’ailleurs, il se révèle pourtant extrêmement efficace puisque l’on a pu lire toute une kyrielle de messages hostiles émanant d’une horde d’aficionados fort remontés à l’encontre du magazine et de la journaliste. Pour Joël Dicker, l’explication est simple, lorsque l’on s’en prend à ses romans. Le critique, par essence, n’aime pas le succès. Et Nicolas Feuz va même plus loin en expliquant qu’il s’agit purement et simplement d’un phénomène de jalousie. Le dénominateur commun entre ces trois auteurs, c’est de déplacer le débat sur un autre curseur pour faire en sorte que l’on ne se focalise pas trop sur leurs textes révélant des carences que ce soit au niveau d’une écriture limitée et insipide mais également au niveau des failles d’une intrigue bancale. De cette manière, il n’est donc question que d’élitisme, de mépris et de jalousie. De plus, ces hommes de lettre opposent bien souvent à leurs détracteurs les chiffres de vente, les classements et désormais le nombre de rencontres avec leur public à l’instar de Nicolas Feuz affichant fièrement ses soixante-quatre séances de dédicaces dans toute la Suisse romande à l’occasion de la double sortie de Horrora Boréalis, que Le Livre de Poche a réédité en remaniant un texte qui conserve tout de même toutes ses incohérences (marque de fabrique de l’auteur), et de son nouveau roman Le Miroir Des Âmes qui est édité par Slatkine & Cie. Une sortie retentissante sur fond de Carmina Burana. Il n’en fallait pas moins pour l’annonce d’un tel événement. Nous voilà prévenus.

     

    A Neuchâtel, une bombe a dévasté la place des Halles en faisant des dizaines de morts. Qui est le commanditaire ? Qui était visé ? Le procureur Jemsen n’en a pas la moindre idée lui qui figure parmi les survivants et qui tente vainement de rassembler ses souvenirs. Mais c’est peine perdue car toute une partie de sa mémoire s’est volatilisée dans le fracas de l’explosion. Il va devoir compter sur l’assistance de sa greffière car la police à fort à faire, ceci d’autant plus qu’un serial killer que l’on surnomme Le Vénitien, sévit dans la région. Et que vient donc faire Alba Dervishaj, cette mystérieuse prostituée albanaise qui semble très bien connaître le procureur Jemsen ? Sur fond d’assassinats sanglants, de complots d’état et de trafics d’êtres humains, le magistrat va mettre à jour les éléments troublants d’une enquête qui risque bien d’être la dernière de sa carrière.

     

    Outre le fait d’avoir enfin trouvé un éditeur, Nicolas Feuz a pour ambition de s’extirper de sa région et de s’attaquer au marché francophone. Et il faut bien admettre qu’il a démarré très fort avec ce portrait de six pages rédigé par Elise Lépine pour la revue Sang Froid. Spécialiste du polar, Elise Lépine fait partie de l’équipe de François Angelier qui anime sur France Culture, l’émission Mauvais Genre que je vous recommande. De plus, elle collabore, entre autre, à la revue 813 qui fait partie des références dans le domaine des magazines consacrés à la littérature noire que Nicolas Feuz serait bien inspiré de parcourir afin de cesser de nous livrer comme références Le Club Des Cinq et Le Vol Des Cigognes de Jean-Christophe Grangé qu’il cite dans chacun de ses entretiens. Mais pour revenir au portrait de Nicolas Feuz, nous allons découvrir que ce procureur travaille très bien et tient à jour tous ses dossiers (quelqu’un en douterait-il ?), qu’il a un physique avenant et un parcours littéraire atypique dans le monde de l’auto édition. On apprend également qu’entre sa vie de couple et la littérature, Nicolas Feuz a choisi. Tant pis pour la littérature. Mais au terme de la lecture, je n’ai pas eu l’impression que la journaliste avait lu l’œuvre de Nicolas Feuz. Cela doit être pourtant le cas, puisque sur le bandeau ornant Horrora Borealis, Elise Lépine affirme qu’il s’agit de « la nouvelle grande plume du thriller francophone ». Adoubé, encensé, voici une belle consécration qui ne manquera pas d’attirer de très nombreux lecteurs.

     

    Par rapport aux précédents romans de Nicolas Feuz, Le Miroir Des Âmes présente la particularité salutaire d’être extrêmement court avec cette sensation que l'éditeur a taillé le texte à la hache donnant l'impression qu’il manque tout de même une centaine de pages. C’est ainsi que le profil des personnages paraît à peine esquissé et que le rythme de l’intrigue certes rapide, parfois effréné souffre de quelques ruptures gênantes qui nuisent à la fluidité de l’ensemble. Phrases courtes, retour à la ligne, chapitres ridiculement brefs, pas de doute nous voici confronté aux standards du thriller insipide et parfois extrêmement ennuyeux à l’exemple de cet épilogue rébarbatif où l’auteur est contraint de caser précipitamment toutes les explications confuses en lien avec l’identité des protagonistes.

     

    Au niveau des incohérences on peine à croire à cet attentat qui a secoué la ville de Neuchâtel et qui a fait des dizaines de morts mais qui ne semble aucunement perturber les forces de l’ordre et les autorités politiques qui poursuivent leurs activités comme si de rien n’était. Ainsi la hiérarchie policière ne supprime les congés de leur personnel qu’après les débordements d’un match qui a tout même lieu malgré la gravité de l’événement (p. 85) tandis que l’un des hauts dignitaires du canton quitte la ville pour se rendre à Zürich (p. 63). Et on ne parle pas de la grande fête annuelle des Vendanges tout de même maintenue dans cette ville qui ne donne tout simplement pas l’impression d’être endeuillée.  Au terme du récit, pour ce qui est de l’appréhension d’un dangereux serial killer, alors qu’ils bénéficient du gros avantage de la surprise et qu’ils pourraient interpeller l’homme à son domicile, les protagonistes préfèrent la cohue de la sortie de la salle du Grand Conseil, et ceci sans même l’appui du groupe d’intervention. Prises d’otage, série de suicides, les interpellations tournent bien évidemment à la catastrophe à l’image du récit qui prend l'allure d'un véritable naufrage.

    L’autre problème de ce page-turner, c’est qu’arrivé au terme des rebondissements et des retournements de situation, le lecteur, un tant soit peu curieux sera tout de même contraint de revenir sur quelques chapitres qui deviennent complètement fantaisistes à la lumière des explications fournies au cours de l’épilogue. Ainsi le chapitre 53 décrivant le périple de Luc Autier, enlevé puis traqué par ce serial killer surnommé Le Vénitien, est complètement surréaliste puisqu’il s’avère que Luc Autier est justement Le Vénitien Dans le même registre, on s’étonne qu’Alba Dervishaj puisse penser qu’elle s’est jetée dans les bras de son souteneur par dépit amoureux (p. 31) alors qu’il s’avère qu’elle est une policière fédérale, opérant en tant qu’agent infiltré afin de démanteler cette filière de prostitution. Aurait-elle subitement oublié sa véritable identité et le sens de sa mission ? On le voit, à force de vouloir tout nous dissimuler afin de mieux nous surprendre, Nicolas Feuz se fourvoie  dans une mise en scène alambiquée qui perd tout sens commun.

     

    Il faudrait parler de Florent Jemsen et de ses motivations qui le conduisent à conserver l’identité et la fonction de son frère. Il faudrait évoquer les providentielles falsifications de dossiers pénitentiaires et autres substitutions d’ADN effectuées par  Dan Garcia, un personnage sorti de nulle part. Mais gageons que nous obtiendrons toutes les explications à la lecture des prochaines aventures du procureur Jemsen, de sa greffière Flavie Keller et de la policière fédérale Tanja Stojkaj, reine du Krav Maga (p. 193). Une belle partie de rigolade en perspective.

     

    Nicolas Feuz : Le Miroir Des Âmes. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Star Treatment de Arctic Monkeys. Album Tranquility Base Hotel & Casino. 2018 Domino Recording Compagny Ltd.

  • LOUISE ANNE BOUCHARD : NORA. LA DISPARUE.

    Capture d’écran 2018-02-16 à 16.28.35.pngC’est officiel, La Scène du Crime du salon du livre à Genève passe à la trappe et très honnêtement que pouvait-on attendre d’autre de la part d’organisateurs qui mettent en avant des auteurs citant comme références les films de James Bond ou les ouvrages de Camilla Läckberg, limitant ainsi fortement les propos qu’ils pourraient tenir durant une animation littéraire dédiée aux romans policiers, ceci d’autant plus que leurs interventions se rapportent de manière quasiment exclusive à leurs écrits. On cantonnera donc ces stars du polar romand à ce qu’ils savent faire de mieux, à savoir vendre, dédicacer et surtout se taire pour notre plus grand plaisir. Et tant pis pour les écrivains qui n’entreraient pas dans cette catégorie ou qui ne seraient pas adeptes de cette fameuse écriture formatée, faisandée de petites phrases courtes mal rédigées que les médias affectionnent et encensent avec un enthousiasme consternant. Isolés, quand ils ne sont pas tout bonnement ignorés, ces auteurs souhaitant évoquer autre chose que les thrillers à la mode seront priés d’aller voir ailleurs. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas que Nora de Louise Anne Bouchard, un troublant polar se rapportant à la disparition d’une jeune fille donnant son titre au roman, ne fasse l’objet que d’une maigre couverture médiatique régionale. On considérera ce silence des critiques comme un signe de bon augure pour cet unique polar romand publié en ce début d’année et qu’il faut d’ores et déjà compter parmi les excellents ouvrages de la littérature noire helvétique, capable de capter l’atmosphère du pays, ceci d’autant plus qu’il se déroule à Lucerne, au cœur même des contrées alémaniques, où cette auteure canado-suisse séjourna plusieurs années.

     

    La jeune journaliste Helen Weber déambule dans la moiteur de son studio avant d’arpenter les rues tranquilles de la ville de Lucerne, en quête d’un scoop qui devrait confirmer son engagement au sein du Luzerner Press. Mais dans la torpeur de cette nuit estivale, il est difficile de dégotter un sujet pertinent à même de contenter son rédacteur en chef qui devient de plus en plus pressant. Il suffit pourtant d’une transaction qui tourne mal pour qu’elle s’intéresse à la mort de Paul Mutter, un escroc minable dont tout le monde se moque. Dans sa quête du meurtrier, Helen Weber va croiser la route de Jackson, un flic zurichois démis de ses fonctions qui demeure l’une des rares personnes à s’intéresser aux circonstances du décès de celui qui fut son ami. S’ensuit une enquête étrange qui va conduire ce duo bancal dans l’entourage des von Pfyffer, une famille de notables dont le patriarche reste encore marqué par le souvenir de la disparition tragique de son unique enfant. Une jeune fille qui se prénommait Nora.

     

    Avec ce bref roman d’à peine 150 pages, on est tout d’abord surpris par l’équilibre d’un texte dense, fourmillant de détails, contenu dans de courts chapitres cinglants qui rythment cette intrigue déroutante avec cette sensation tenace de traverser la fulgurance d’un songe qui s’enliserait dans la langueur de cette chaleur estivale. Car tout est flou, imprécis dans ce récit prenant pour cadre une ville de Lucerne plutôt déroutante où le meurtre de Paul Mutter résonne comme un lointain écho, ou plutôt comme un prétexte pour découvrir de singuliers personnages arpentant les rues de cette cité alémanique à mille lieues des clichés usuels. Ainsi, que ce soit l’ombre inquiétante du Pilate qui masque l’horizon ou les messages funestes des fresques qui ornent la voûte du fameux Kapellbrücke, l’ensemble du décor distille une ambiance déplaisante pour nourrir la sensation de malaise qui pèse sur l’ensemble du récit.

     

    Nora nécessitera une lecture attentive pour appréhender les détails qui se nichent au cœur d’un texte se dispensant d’explications ou de précisions superflues. Ce sont, par exemple, quelques éléments anodins comme les télégrammes ou le crépitement des télescripteurs qui font que l’on se rend subitement compte que le roman se déroule au début des années 90, durant la période des scènes ouvertes de la drogues qui fleurissaient dans les cantons suisses alémaniques, notamment au Letten à Zürich. Sans qu’elle l’évoque ouvertement, Louise Anne Bouchard installe ces éléments dramatiques dans le cours de l’intrigue où l’on distingue les silhouettes des toxicomanes qui hantent les bords de la Reuss. C’est également avec la mort de l’épouse de Jackson Clark, cet ex-flic zurichois, que l’on peut prendre la mesure du phénomène qui touchait toutes les couches de la population. Mais loin d’être des moteurs essentiels, tous ces éléments épars ne servent qu’à contextualiser une époque trouble et ambivalente à l’image de cette intrigue déroutante.

     

    Avec Helen Weber, étrange héroïne déjantée qui dissimule ses traits sous une multitude de perruques différentes, avec un thème se rapportant à la disparition de cette mystérieuse Nora on pense aux romans de Boileau-Narcejac ou à l’ambiguïté des personnages de Marc Behm avec tout de même beaucoup plus de mesure, caractéristique toute helvétique. Il n’empêche, par petites touches subtiles, Louise Anne Bouchard décline toute une série de portraits équivoques avec le savoir-faire d’une écriture éclairée, saupoudrée d’une ironie parfois mordante. L’intrigue tourne donc autour de tous ces protagonistes aux personnalités fortes et ambivalentes, qui dissimulent leurs fêlures dans un ensemble de non-dits les vouant immanquablement à leur perte avec la surprise d’une scène finale quelque peu alambiquée mais qui trouve finalement parfaitement sa place dans ce polar aux tonalités résolument décalées.

     

    Nora constitue donc une excellente surprise pour un récit parfaitement orchestré dans sa brièveté et dans son ambiance trouble où l’émotion et les souvenirs de l’auteure affleurent à chacune des pages de ce roman policier singulier. Une belle découverte helvétique.

     

    Louise Anne Bouchard : Nora. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Laura interprété par Eric Dolphy. Album : Eric Dolphy in Europe vol 2. Original Jazz Classics 1990.

  • Marc Voltenauer : Qui A Tué Heidi ? La Littérature est un business.

    Capture d’écran 2017-09-07 à 21.12.20.pngEn préambule, je souhaitais tout d’abord vous présenter Hans Rosenfeldt, un scénariste suédois que Marc Voltenauer n'a jamais cité comme référence lorsqu’il parle des auteurs nordiques qui l’ont inspiré. En parcourant l’impressionnante revue de presse, que notre roi du polar suisse affiche fièrement sur son site, Camilla Läckberg, Stieg Larsson et Jo Nesbø trônent en bonne place, mais nulle trace de ce concepteur qui n'est autre que le créateur de Broen (Le Pont), la célèbre série suédo-danoise qui a été adaptée en France et aux Etats-Unis. Mais outre ses activités de scénariste, Hans Rosenfeldt écrit également des thrillers en collaboration avec Michael Hjorth, un autre écrivain suédois. Publié en 2010, leur premier volume, intitulé Dark Secrets (éditions Prisma 2013 pour la version française), relate les aventures d’un profileur qui travaille pour la police suédoise en traquant un serial killer que l’on désigne comme « l’homme qui n’était pas un meurtrier » une phrase plutôt atypique que l’on retrouve, au mot près, dans Le Dragon Du Muveran (Plaisir de lire 2015) et qui avait charmé de nombreux critiques louant la créativité et l’originalité de Marc Voltenauer. La coïncidence est d’autant plus troublante que cette expression originale est utilisée, dans les deux ouvrages, comme formule d’introduction pour tous les chapitres relatifs au point de vue du meurtrier. Peut-on parler de plagiat, d'un hommage trop discret ou tout simplement d'une succession de coïncidences malencontreuses ? Chacun se fera une opinion, mais en tout état de cause on décèle avec Qui A Tué Heidi ? nouvel épisode des aventures de l’inspecteur Auer, le manque de créativité d’un auteur qui peine également à se renouveler.

     

    Capture d’écran 2017-09-07 à 21.21.19.pngA l’Opéra de Berlin, alors qu’il assiste à une représentation de La Walkirie, un couple est froidement exécuté par un mystérieux tueur à gage déterminé. Une fois son forfait accompli, l’assassin apprend qu’il doit se rendre en Suisse afin de poursuivre sa mission. Tout d’abord Genève, puis un petit village vaudois dont il n’a jamais entendu parler : Gryon où l’inspecteur Auer à fort à faire suite à un règlement de compte rural qui vire au drame. Et puis il y a cet individu étrange, l’homme qui s’enivrait du parfum de sa mère, qui doit accomplir des actes terribles pour assouvir ses phantasmes. Des femmes qui disparaissent, des cadavres qui s’amoncellent et le temps qui presse pour démêler ce terrible imbroglio d’événements sanguinolents. Tourmenté et acculé dans ses derniers retranchements, Andreas Auer devra compter sur son compagnon Mickaël et sur son équipe d’enquêteurs chevronnés qui l’aideront à surmonter les terribles épreuves qui l’attendent. Mais au cœur du mal et de la folie rien ne lui sera épargné.

     

    Avec ce second roman, Marc Voltenauer a donc tenté de se renouveler en opérant une révolution puisque de l’homme qui n’était pas un meurtrier du Dragon du Muveran, nous passons à l’homme qui s’enivrait du parfum de sa mère. Une variation « audacieuse » que les auteurs suédois de la série Dark Secrets n’ont pas osé commettre, sachant que ce type d’artifice ne fait que souligner la faible capacité d’un auteur à se réinventer. Ainsi, sur fond de magouilles immobilières et de rivalités entre éleveurs, Marc Voltenauer déroule, avec toute la maladresse dont il est capable, un récit cousu de fil blanc qui reprend les principes éculés de la traque d'un serial killer, qui a la particularité de porter un superbe prénom, conjuguée à celle d'un tueur à gage qui cumule tous les poncifs du genre.

     

    Quand il est bien maîtrisé, un page-turner peut se révéler efficace. Mais à force de vouloir surprendre le lecteur à tout prix avec des artifices narratifs qu’il ne maîtrise pas, Marc Voltenauer se perd dans une intrigue bancale en passant complètement à côté des thèmes abordés. On regrettera par exemple le côté idyllique du milieu rural alors que l’actualité ne cesse d’évoquer une profession en crise, avec des fermetures d'exploitations et des paysans à bout de force mettant fin à leurs jours. Pareil pour les scandales immobiliers que l’auteur développe dans de longues explications laborieuses qui donnent l’impression de lire les notes du conseiller technique qu’il a sollicité. L’ensemble se décline sur un décor helvétique aux allures de carte postale ultra kitsch et sur une somme de clichés qui, même s’ils sont très sympathiques, nous éloignent de la véritable identité d’un pays qui ne saurait se résumer à une série de "name dropping" et quelques expressions typiques.

     

    Au niveau du style, on oscille entre le guide de voyage et la plaquette publicitaire avec cette propension à s’égarer dans une foule d’explications répétitives et de longues digressions ennuyeuses qui cassent le rythme du récit. Ne reculant devant aucun sacrifice pour étayer mes propos, je vous livre un exemple parmi d’autres, extrait du chapitre 67  :


    Capture d’écran 2017-09-07 à 22.13.30.png« Andreas prit dans sa cave à cigares un modèle nommé the five.sixty – 5.60 – de la marque El Sueno, que son marchand habituel lui avait conseillé. Bien qu’il se fut mis en tête de ne fumer que des havanes, il s’était laissé persuader qu’il serait déçu en bien, comme on dit dans le canton de Vaud. Il lui avait expliqué que les feuilles de tabac provenaient des endroits les plus reculés de Saint Domingue et du Nicaragua, là où – sous entendu, contrairement à Cuba – les traditions étaient restées fidèles aux méthodes issues d’une culture ancestrale. Le 5.60 était un modèle trapu. Le cinq indiquant sa taille, 12,7 cm et le soixante son cepo, son diamètre, 60/64 de pouces, soit 2,4 cm. Il était donc plus épais que le module Robusto qu’il affectionnait particulièrement. Une grosse cylindrée …

    Andréas laissa de côté ces considérations techniques et observa la vitole tout en coupant la tête. Ce qui frappait en premier lieu était sa bague inhabituellement large qui présentait, sous la partie avec le logo et le nom, un damier en noir et blanc. Décidément ce cigare détonnait. Il sortit sur la terrasse. Malgré la fraîcheur de l’air, les quelques rayons de soleil avait déjà réchauffé les dalles. Il s’installa confortablement dans son fauteuil. Il observa à nouveau la vitole. La cape du cigare était Colorado, foncée, dans les tons bruns moyens à rouge. Au toucher, elle était bien grasse, comme il l’aimait. Il l’alluma en espérant que cela soit un rêve – comme son nom l’indiquait -, et pas une chimère …

    Son démarrage facile et sa fumée généreuse n’étaient pas pour déplaire. Peu à peu, les arômes s’immiscèrent subtilement. Des fruits secs et une touche de boisé. Du cèdre. Le cigare évoluait doucement, mais dès le deuxième tiers, la palette gustative devint plus complexe. Des saveurs fongiques de sous-bois ainsi que des notes animales se développèrent sans une once de brutalité malgré la puissance finale. Il était conquis. »

     

    Et tout y passe : rhum, opéra, cuisine suédoise et autres interludes culinaires ; Marc Voltenauer est capable de vous imposer ses digressions sur les deux tiers d’un chapitre au détriment de l’élément important de l’intrigue qu’il doit développer, ce qui provoque une sensation de déséquilibre plutôt désagréable. Et il en va de même pour l’ensemble de personnages stéréotypés, plutôt superficiels, qui font l’objet de descriptifs sans intérêt, tantôt mièvres, tantôt grotesques, comme on peut le constater avec cet extrait du chapitre 81 qui a la particularité de concentrer bon nombre des défauts que j’ai évoqués et qui débute ainsi :

     


    Capture d’écran 2017-09-07 à 22.11.29.png"Les yeux cernés de fatigue, Karine se concentrait tant bien que mal sur les virages en épingles qui s’enchaînaient. Son portable avait sonné alors qu’elle faisait l’amour, pour la troisième fois de la nuit, avec son amant, chez lui.

    Depuis sa rupture, elle ne sortait jamais et consacrait tout son temps à son travail et à son art martial, le jiu-jitsu. Elle s’était donc résolue à s’inscrire sur un site de rencontres. Elle s’était vite rendue compte qu’elle avait l’embarras du choix. Elle préféra éviter swissinfidelity et adultery. Elle avait eu son lot de déceptions par le passé, et avait plutôt opté pour parship.ch. Un site qui affichait des photos de personnes aux sourires bienveillants et faisait miroiter des promesses avec son slogan : Pour vivre votre vie à deux. Une vie à deux ? Elle ne voulait rien précipiter, mais après plusieurs mois de rencontres d’un soir, elle avait à nouveau envie de séduction et de romantisme. Elle avait reçu de nombreux messages, mais le bilan avait été plutôt négatif. Un premier rendez-vous avait avorté avant même d’avoir lieu. Elle avait aperçu l’individu à travers la vitre, l’avait reconnu grâce au signe qu’ils avaient convenu, le dernier polar de Camilla Läckberg, repérable de loin à sa couverture rouge et noire. Immédiatement rebutée par le physique de son propriétaire, elle avait fait demi-tour sans demander son reste. Un deuxième rendez-vous, avec un beau ténébreux, avait tourné court quand il s’était avéré être d’un machisme d’un autre âge. Cet échec sonna le glas de son expérience en ligne. Au bout du compte la bonne vieille méthode avait fonctionné. Son amant était le sosie aux yeux de braise du docteur Mamour, celui qui l’avait troublée à l’hôpital. Elle avait pris le semi-prétexte de chercher à avoir des nouvelles de la santé de Séverine Pellet pour le recontacter. Ils s’étaient retrouvés à la fin de sa journée de travail et ils avaient passé la soirée à discuter, sans que cela ne se soit terminé au lit. Elle avait été un peu frustrée sur le moment, mais elle avait passé une agréable soirée et la deuxième, le lendemain avait été encore plus extraordinaire. Une invitation chez lui. Un repas succulent. Du vin. Et pour finir, du sexe. Ce ne fut pas la partie de jambe en l’air la plus excitante qu’elle ait connue, mais, au moment de s’endormir dans ses bras, elle s’était sentie bien. Elle n’avait pas l’habitude des hommes plus jeunes qu’elle, mais il était intelligent, charmant et terriblement séduisant. Si de cette aventure naissait une histoire, elle ne manquerait pas de lui donner des conseils avisés pour combler son manque d’expérience qu’elle mettait sur le compte d’un travail très prenant. Elle espérait néanmoins, pour le bien de ses patients, qu’il était meilleur médecin qu’amant.

    Au moment où elle avait entendu son téléphone, elle n’avait pas eu d’autre choix que de répondre et laisser Luca sur sa faim.

    Un corps avait été retrouvé à Gryon.

    Une femme 

    .… »


    Capture d’écran 2017-09-07 à 22.10.32.png

    Ce n'est qu'au dernier tiers du chapitre que l'auteur daigne enfin évoquer la scène de crime. Mais il paraît que ces parenthèses superflues plaisent aux lecteurs et il faut admettre que Marc Voltenauer ne ménage pas sa peine pour ratisser le plus large possible. Pour ce qui est des dialogues, on passe de la morne inconsistance d'échanges convenus à l'éclat de rire avec quelques répliques déconcertantes à l'instar de ce tueur à gage pointant une arme à feu sur sa victime tout en tentant de la rassurer en lui demandant : Détends-toi cher ami. Tu veux que je te mette la chaîne des films pornos ? Et si les réparties pertinentes viennent à manquer, cela n'a pas d'importance car Marc Voltenauer, en génie inspiré, dupliquera une réplique d’un film, comme L’inspecteur Harry, pour pimenter un échange entre son héros et un collègue raciste. C’est d’ailleurs l’une des marques de fabrique de l’auteur qui, sous forme d’hommages déguisés, utilise le travail des autres pour l’adapter à son récit. Ainsi nous aurons droit à de multiples scènes du Silence des Agneaux qui permettront à l’inspecteur Auer de progresser dans son enquête tout en comblant le déficit d’imagination de l’écrivain. Au moins a-t-il la correction de citer ses sources pour éviter toute ambiguïté. Mais n’est pas Thomas Harris ou Jonathan Demme qui veut et malgré l’appui de ces illustres modèles, les incohérences qui jalonnent le récit restent nombreuses à l’exemple de ce tueur professionnel russe qui prend le risque insensé de voyager en avion en transportant armes et munitions dissimulées dans sa valise ou qui estime, lorsqu’il parvient à s’enfuir de l’aéroport de Genève, qu’il est plus judicieux de revenir à Gryon pour prendre une voiture plutôt que de franchir la frontière pourtant si proche ce qui permet à Marc Voltenauer de mettre en place une confrontation finale qui se déroule au terme d’une succession de hasards circonstanciés plutôt douteux. Il faut dire que l’intrigue fourmille de ces coïncidences salutaires, comme ces conversations surprises au bon moment dans les cafés en permettant de relancer l’enquête ou de mettre en œuvre de machiavéliques projets. Difficile donc d'extraire un élément positif de ce texte fade et boiteux qui donne l'impression d'avoir été rédigé par une personne atteinte de schyzophrénie au vu des variations du style en fonction de l'intervention des nombreux contributeurs qui ont tenté de sauver ce roman du naufrage. Un défi de taille, il faut bien l'admettre, qui était voué à l'échec.

     


    marc voltenauer,qui a tué heidi,éditions slatkine,polar suisse romandMais finalement peu importe la qualité du texte. Ce qui compte c'est la vente. Et de ce côté-là il n'y a rien à redire car Marc Voltenauer possède des capacités exceptionnelles dans le domaine, ce qui lui a permis de mettre en place un plan marketing d'une redoutable efficacité. Ainsi, pour la promotion de Qui A Tué Heidi ? tout le petit monde du livre a répondu présent et l'on a rarement vu un tel battage médiatique avec une presse unanime louant le talent de Marc Voltenauer tout comme les animateurs radio et chroniqueurs pour la télévision. Comme quoi la diversité des médias romands, en matière de critiques littéraires, est un concept un peu surfait. Reste à déterminer si les journalistes ont salué les bonnes dispositions du vendeur ou le talent de l’écrivain car, comme pour l’ouvrage précédent, la plupart des articles ne font que mentionner les particularités helvétiques du roman, le parcours de l’écrivain et ce fameux chiffre de vente vertigineux que l’on dit un peu surfait. Tout juste si l'on relève, dans ce beau concert de louanges, quelques petites notes discordantes avec Isabelle Falconnier qui parle d’une légère déception au niveau du style (Bon pour la tête 19.08.2017) tandis que Mireille Descombes signale quelques pêchés de jeunesse (Le Temps 19.08.2017). Mais rien de bien méchant. Et qu’à cela ne tienne, Marc Voltenauer pourra toujours compter sur son réseau de blogueurs passionnés qu’il a patiemment constitué et qui est désormais totalement acquis à sa cause à grand coup de SP dédicacés et autres opérations visant à séduire son lectorat.

     

    On le voit, le concept promotionnel de ce manager avisé est parfaitement rôdé et les écrivains aigris par leurs faibles chiffres de vente devraient s’inspirer du modèle. Bien sûr il ne faudra pas être trop rebuté par les aspects narcissiques et égocentriques de cette démarche plutôt simple qui consiste à utiliser les réseaux sociaux à outrance en nous abreuvant, au quotidien, de messages évoquant le classement du livre, les dates de dédicaces, les articles des médias et autres photos et concours ainsi que le sacro-saint et opaque chiffre de vente. Et pas d’inquiétude pour un éventuel effet de lassitude, au contraire les fans adorent ça. Marc Voltenauer l’a bien compris, la littérature c’est avant tout un business, une affaire de communication et un réseau qu’il convient d’exploiter à fond afin, par exemple, de pouvoir être sélectionné pour la première édition du prix du polar romand à l’occasion du festival Lausan’noir, ceci deux mois avant la sortie officielle de son chef-d’œuvre. On dit que l’encre n’était pas encore sèche quand les jurés ont reçu l’ouvrage.

     

    Tragique événement littéraire de la rentrée romande, Qui A Tué Heidi ? peut devenir un agréable moment de lecture si l’on a envie de se payer une bonne tranche de rigolade entre copains en lisant à voix haute quelques extraits de cette tartufferie du polar helvétique qui fera l’objet d’une suite puisque notre manager avisé a pris soin de laisser quelques éléments de l’intrigue en suspens afin de pouvoir écouler un troisième roman en cours d'élaboration (au secours !). Peut-être y décélera-t-on une once d'amélioration lorsque Marc Voltenauer daignera enfin prendre la peine de nous raconter une histoire originale plutôt que de concevoir un produit destiné à être vendu au plus grand nombre (Les deux concepts n'étant pas forcément incompatibles). On peut toujours rêver.

     

    Marc Voltenauer : Qui A Tué Heidi. Editions Slatkine 2017.

    Hans Rosenfeldt & Michael Hjorth : Dark Secrets (Det Fördolda). Editions Prisma 2013. Traduit du suédois par Max Stadler.

    A lire en écoutant : Crime of Century de Supertramp. Album : Crime of Century. A&M 1974.