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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 46

  • Colin Niel : Les Hamacs De Carton. La Série Guyanaise.

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.10.32.pngIngénieur agronome et en génie rural des eaux et forêts, Colin Niel a séjourné durant plusieurs années en Guyane française en participant notamment à la création du parc amazonien de la Guyane en tant que chef de mission. De ce territoire méconnu, multiculturel, abritant une biodiversité à nulle autre pareille l’homme s’est mis en tête de raconter les dérives qui en découle telles que l’immigration clandestine, l’orpaillage abusif par des garimperos sans scrupule et cette drogue qui ravage la jeunesse de la région. Tout un registre de dérives sociales qu’il décline par le biais du polar en mettant en scène, dans ce que l’on appelle désormais la Série Guyanaise, le capitaine de gendarmerie André Anato, un noir-marron en quête de ses origines. Edité depuis 2012 chez Rouerge Noir, la maison d’éditions a eu la bonne idée de composer un recueil des trois premiers romans de la série qui en compte désormais quatre et qu’il convient de lire dans l’ordre sans que cela ne soit vraiment
    indispensable. Néanmoins il faut prendre conscience que la quête du capitaine Anato quant à ses origines et aux événements tragiques qui ont frappé ses parents devient une espèce d’arche narrative qui relie l’ensemble des ouvrages ce qui explique que les trois premiers d’entre eux sont désormais publiés sous la forme de ce superbe recueil débutant avec Les Hamacs De Carton.

     

    Capture d’écran 2020-08-08 à 22.15.49.pngEn Guyane, les habitants d’un village niché sur les rives françaises du fleuve Maroni sont bouleversés en découvrant les corps sans vie d’une femme et de ses deux enfants qui semblent endormis dans leurs hamacs. Débutent alors les rites funéraires de ce peuple noir marron, tandis que le capitaine de gendarmerie André Anato, un « originaire », guyanais de naissance, doit composer avec les procédures policières qui se heurtent aux traditions que le chef du village doit faire perdurer afin de laisser la parole aux défunts. L’enquête entraîne le capitaine et son équipe de Cayenne au Suriname sur un territoire où les ethnies et les communautés se brassent en quête de leurs origines et d’un destin meilleurs qui passe peut-être par l’obtention de papiers d’identité permettant d’accéder à leurs rêves les plus fous, comme cette métropole lointaine qui devient l’eldorado tant convoité. Mais le parcours est semé d’embuches et de désillusions comme en témoigne ces dossiers suspendus s'accumulant depuis des années dans les tiroirs de l’administration française et que les fonctionnaires surnomment les hamacs de carton.Quand la folie des rêves devient meurtrière.

     

    Avec ce premier roman de la série, le lecteur va donc faire connaissance avec le capitaine de gendarmerie André Anato, premier officier « originaire » de Guyane qui ne connaît pourtant absolument rien de la région puisqu’il a toujours vécu dans la banlieue parisienne. Ayant perdu ses parents qui ont péri deux ans plus tôt dans un accident de voiture, il lui importe donc de renouer les liens avec les membres d’une famille qu’il n’a jamais connue. Ainsi se pose au travers de ce personnage central la question des origines qui devient l’un des thèmes du récit se déroulant au coeur d’un territoire où le brassage des ethnies et l’absence d’une frontière bien déterminée entre le Suriname et le Brésil jouxtant ce département d’outre-mer recouvert à 96 % d’une forêt équatoriale extrêmement dense, favorise une immigration clandestine assez intense. Le capitaine Anato est secondé dans ses enquêtes de deux officiers au profil diamétralement opposé que sont les lieutenants Pierre Vacaresse et Stéphane Girbal. Si le premier peine à s’acclimater, le second a fait de la Guyane une espèce de terrain de jeu qu’il apprécie et c’est sur cet antagonisme que se déroule les enquêtes de la Série Guyanais en mettant en scène ces trois enquêteurs aux profils si différents qui vont pourtant se compléter en fonction des affaires dont ils ont la charge. Il faut dire que Colin Niel développe ses intrigues de manière déconcertante en déroutant le lecteur avec des faits divers en apparence disparates qui vont pourtant révéler des liens parfois singuliers comme c’est le cas avec ce premier opus où les trois gendarmes semblent enquêter sur des affaires bien différentes comme la mort de cette famille dans un petit village reculé, niché au bord du fleuve Maroni, le décès accidentelle d’une joggeuse du côté de Cayenne et le meurtre crapuleux d'une jeune fille détroussée de son téléphone portable.

     

    Outre les investigations des gendarmes, Colin Niel développe avec Les Hamacs De Carton tout l’aspect des us et coutumes du peuple noir-marron en s’attardant particulièrement sur ce qui a trait aux funérailles d’une femme et de ses deux enfants que l’on a retrouvé morts dans leur carbet. On découvre ces rites par le biais du lieutenant Vacaresse contraint de rester dans ce village reculé de la Guyane, ceci pour les besoins de l’enquête afin d’interroger les habitants de la petite communauté qui semblaient marquer une distance à l’égard de cette famille. Loin d’être anecdotiques, ces éléments vont s’intégrer parfaitement dans le développement de l’intrigue tout comme le parcours de ce couple guyanais qui fait écho à l’enquête des gendarmes à mesure qu’ils avancent dans leurs investigations, nous permettant de prendre la mesure du casse-tête administratif pour l’obtention de papier d’identité qui devient ainsi l’enjeu central du récit. Et puis il y a cette nature luxuriante, cette atmosphère indéfinissable d’un pays hors norme que Colin Neil dépeint à la perfection ceci sans ostentation puisque ces paysages exotiques et cette ambiance métissée d’une Guyane lointaine qui devient pourtant si proche du lecteur, se suffisent à eux-mêmes.

     

    Premier roman à la fois rythmé et très émouvant d’une série prometteuse, Les Hamacs De Carton ne manquera pas d’époustoufler le lecteur avec ce cadre exceptionnel dont l’auteur sait tirer le meilleur parti pour nous immerger dans le contexte méconnu de cette région d’outre-mer dont il décline les travers par le prisme d’une intrigue policière singulière. Une réussite.

     

     

    Colin Niel : Les Hamacs De Carton. Recueil La Série Guyanaise. Editions du Rouergue Noir 2018.


    A lire en écoutant : Depois Dos Temporais de Ivan Lins. Album : Depois Dos Temporais. 1983 Universal Music Ltda.

     

     

     

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LA CITE DES REVES. PULP FICTION.

    Capture d’écran 2020-08-06 à 13.31.10.pngIl importe désormais d'avoir une certaine attention pour les romans policiers en provenance des pays de l’est et plus particulièrement à la littérature noire issue de la Pologne avec ce que l’on peut considérer comme de grandes figures du genre comme Zygmunt Miloszewski qui s’est tourné vers la littérature blanche ou Wojciech Chmielarz qui devient la nouvelle référence dans le domaine du polar polonais avec sa série mettant en scène l’inspecteur Jakub Mortka surnommé Le Kub. Publiée chez Agullo, on découvrait cette nouvelle série policière avec Pyromane en suivant l’enquête de ce policier revêche affecté  à la brigade criminelle de Varsovie qui tournait autour d’une série d’incendies meurtriers. Avec La Ferme Aux Poupées Le Kub nous entrainait dans son exil dans les Carpates où il mettait à jour un trafic de traite de femmes destinées à la prostitution. Avec La Colombienne on assistait au retour en grâce de cet inspecteur opiniâtre réaffecté à Varsovie afin de s’atteler à une enquête périlleuse portant sur un trafic international de stupéfiant. Davantage focalisé sur le domaine de la politique et du trafic d’influence qui peut en résulter, Wojciech Chmielarz nous invite à retrouver, avec La Cité Des Rêves, son policier fétiche dont les investigations tournent autour d'un meurtre commis au sein d'une résidence cossue de la capitale polonaise.

     

    Les habitants de La Cité des Rêves sont en émoi lorsqu’ils apprennent que le gardien de cette résidence protégée a découvert le cadavre d’une jeune femme dans la cour de ces immeubles modernes, tout confort. C’est l’inspecteur Jakub Mortka qui est en charge de l’enquête secondé de la lieutenante Suchoka, surnommée La Seiche. Rapidement leurs soupçons portent sur une femme de ménage ukrainienne qui a pris la fuite le matin même du meurtre. Mais au fil de leurs investigations, les deux policiers vont mettre à jour les étranges comportements de certains habitants dont un ancien jeune député ambitieux tombé en disgrâce qui affiche la volonté d'effectuer un retour en force dans les affaires politiques du pays. Mais quels sont les atouts de cet individu qui semble bénéficier de l’appui de quelques personnalités louches de la pègre polonaise auquel Jakub Mortka a déjà dû côtoyer pour son plus grand déplaisir.

     

    L’intérêt d’une intrigue telle que La Cité Des Rêves repose sur la multitudes de personnages qui entrent en ligne de compte dans un récit où chacun d’entre eux prend autant d’importance, si ce n’est plus, que les protagonistes principaux du livre qui semblent davantage en retrait, en particulier pour ce qui concerne Jakub Mortka devenant le centre névralgique des interactions entre les différents individus intervenant dans le cours de cette histoire complexe. On apprécie ainsi cette rigueur dans la construction narrative où chaque chapitre met en exergue à un intervalle régulier les différentes actions des nombreux personnages du roman qui nous fait penser au rythme d’un film tel que Pulp Fiction auquel l’auteur fait d’ailleurs référence. Plus que Le Kub ou La Seiche, les deux policiers chargés de l’enquête, on s’intéressera davantage à des individus tels que Piort Celtycki nous donnant une vision peu glorieuse du système politique polonais ou à un malfrat comme Mieszko qui se révèle moins balourd qu’il n’y paraît. Trafics d’influence, chantages, extorsions, le monde polonais tel que présenté par Wojciech Chmielarz est assez sombre ceci d’autant plus lorsqu’il dépeint le milieu politique mais également le milieu journalistique auquel il appartient. Tout cela nous donne une vision lugubre d’un pays qui n’a pas encore totalement rompu avec les anciennes pratiques d’un régime communiste corrompu et qui s'engouffre dans une logique capitaliste ne présentant pas ses meilleurs atours comme le démontre des jeunes polonais tels que Aleksandr Chelmonski et ses camarades d’infortune en quête d’argent pour financer leurs concepts informatiques les entraînant vers des dérives qu’ils ne peuvent plus maitriser. Victimes intègres ou personnes vulnérables, on s’intéressera également aux femmes qui interviennent dans le récit à l’instar de la courageuse étudiante journaliste Suzanna Latkowska ou de Svitlana, cette femme de ménage ukrainienne contrainte d’endosser un meurtre qu’elle se défend d’avoir commis. C’est d’ailleurs autour de ce personnage ambivalent que l’on appréciera le coup de génie Wojciech Chmielarz qui parvient toujours à nous surprendre avec quelques éléments ou détails qui révéleront toute leur importance au terme d’un épilogue qui laisse sans nul doute place à une suite. Outre ces nouveaux intervenants on prend également plaisir à revoir quelques personnages récurrents comme Dariusz Kochan, ancien adjoint du Kub qui est relégué aux archives pour déterrer quelques « cold case » lui permettant d’obtenir un certain succès, ceci presque à son corps défendant dont une affaire tournant autour du caïd Borzestowski que l’on avait croisé dans les romans précédents de la série.

     

    Complexe, mais extrêmement bien mené, La Cité Des Rèves révèle tout le talent de Wojciech Chmielarz qui, dans la précision du détail, parvient à nous surprendre jusqu’à la toute dernière ligne d’un texte plaisant et abouti.

     

     

    Wojciech Chmielarz : La Cité Des Rêves (Osiedle Marzen). Editions Agullo Noir 2020. Traduit du polonais par Erik Veaux.

     

    A lire en écoutant : Eden de Talk Talk. Album : Spirit of Eden. 1997 Parlophone Records Ltd.

     

     

  • Joe R. Lansdale : Sur La Ligne Noire. Le Sang Du Bayou.

     

    Capture d’écran 2020-08-02 à 14.53.15.pngDernier roman composant le recueil Le Sang Du Bayou consacré aux ouvrages de Joe R. Lansdale, Sur La Ligne Noire supporte difficilement la comparaison après avoir lu Les Marécages qui constitue sans nul doute le point d’orgue de l’oeuvre prolifique de l’auteur. Pourtant on aurait tord de s’arrêter à cette comparaison futile, ceci d’autant plus que l’intrigue restitue à la perfection l’époque dorée des années cinquantes et son côté clinquant d’un pays dont on devine le revers de la médaille, notamment au travers d’une ségrégation institutionnalisée qui devient, tout comme Les Marécages, le thème central d’un récit se révélant finalement beaucoup plus abouti que son illustre prédécesseur. Avec en point commun l’East Texas traversé par la rivière Sabine bordée de marécages infestés de mocassins, ce recueil rassemble donc trois récits prenant pour cadre cette région pauvre de l’état du Texas dont l’auteur est originaire et qui constitue le décor d’un bon nombre de ses ouvrages dont Un Froid D’Enfer qui s’apparente à un roman noir avec la fuite en avant d’un individu à la fois paumé et sans scrupule, tandis que Les Marécages et Sur La Ligne Noire prennent la forme de thrillers solides s’articulant autour de la famille idéale américaine aux conditions modestes, constituée d’un mari et d’une épouse aimants ainsi que de deux enfants (toujours une fille et un garçon) qui deviennent les personnages centraux de ces intrigues s’achevant toutes deux sur une note optimiste imprégnée de nostalgie.

     

    Eté 1956, Stanley a treize ans et se balade derrière le drive-in que son père vient d’acquérir dans un petit bled de l’Est Texas. A proximité des lieux, il découvre une ruine calcinée partiellement disloquée par la végétation qui a repoussé et trébuche sur le rebord d’une boite métallique qu’il déterre pour mettre à jour son contenu constitué de lettres d’amour évoquant également un drame survenu 10 ans plus tôt avec la mort, durant la même nuit, de deux jeunes filles dont l’une d’entre elle a été décapitée sans que l’on retrouve sa tête. Dans cette région où circulent les légendes le plus terribles, il n’en faut pas plus à Stanley pour enflammer son imaginaire, tout en se mettant en tête de faire la lumière sur les circonstances de drame. Accompagné de sa grande soeur Callie ainsi que de son meilleur ami Richard, le jeune garçon va arpenter la région en quête d’indices pouvant le mener sur la bonne piste. Rapidement, il va comprendre que Buster, le vieux projectionniste noir du drive-in, en connaît un rayon sur les affaires qui ont secoué cette petite communauté. Intrigué par son comportement étrange, Stanley aura bien du mal à se faire un allié de ce vieillard lunatique qui en sait davantage qu’il ne veut bien le dire.

     

    On est avant tout surpris et séduit par le nombre de références culturelles qui émaillent un texte se révélant au final bien plus surprenant qu’il n’y paraît en passant par les films projetés dans le drive-in et le cinéma de la localité dont La Soif Du Mal d’Orson Welles, par les ouvrages que recommandent Buster à l’instar des romans de Conan Doyle et bien évidemment par toute une gamme de comics que Stanley va acheter au drugstore en nous rappelant que Joe R. Lansdale, amateur de comics, est, entre autre, scénariste pour le fameux comic book The Tale From The Crypt. Tout cela nous permet de nous immerger dans cette période des années cinquantes dans cette localité perdue de l’Est Texas et de percevoir cette atmosphère à la fois clinquante mais parfois inquiétante qui émane du texte. Une atmosphère d’autant plus inquiétante que Rosy Mae, la femme de ménage noire, et Buster Abbot Lighthorse Smith, le vieux projectionniste du drive-in aux origines similaires, ne cessent d’intervenir dans le récit en contant quelques légendes ou histoires terrifiantes qui ont marqué la communauté. Baigné dans un tel contexte, on comprend dès lors la fascination du jeune Stanley pour ce type d’histoire et sa volonté de découvrir les entournures d’un drame dont il devine les contours à la lecture de lettres qu’il a trouvées dans une boite enterrée à proximité d’une maison en ruine. On n’apprécie donc la dynamique de cette intrigue avec cette relation qui se noue entre le jeune garçon et le vieux projectionniste qui va faire office de mentor en transmettant tout son savoir. Avec un tel relation, Joe R. Lansdale met une fois encore en exergue toute la thématique violente de cette ségrégation qui semble bien implémentée dans cette communauté à l’instar du quartier noir que l’on découvre en accompagnant Stanley se rendant au domicile de son vieil ami. Que ce soit au niveau du cimetière ou des rapports avec la police, on se rend très rapidement compte que l’ensemble de la société est régie sur ces principes de discrimination qui touche même le père de Stanley utilisant quelques termes racistes pour désigner les membres de la communauté noire, ceci presque à son corps défendant. C’est tout le talent de Lansdale que de diluer tous ces aspects d’un thème auquel il est extrêmement sensible sans pour autant devenir pontifiant tout en nous permettant de nous immerger dans l’ensemble des quartiers composant la petite localité de Dewmont.

     

    Clic, clic, clic (titre de la troisième partie du roman) à l'instar du bruit des engrenages d’un rouage bien huilé, l’intrigue se met en place au gré des suppositions et des interprétations de Stanley et de Buster qui s’alimentent l’un l’autre alors que se dessinent les contours des événements qu’ils déterrent d’un passé dont personne ne souhaite plus se remémorer les aléas. Mais de fausses pistes en fourvoiements, on voit bien que ces deux enquêteurs en herbe ne sont pas prêt de trouver les réponses au drame qui ont couté la vie à deux jeunes filles. Et c’est peut-être bien là que réside tout la talent de Joe R. Lansdale qui fait que les suppositions les plus sophistiquées se heurtent à une logique hasardeuse qui fonctionne assez bien pour un épilogue qui ne manquera pas de surprendre le lecteur et qui font de Sur La Ligne Noire un roman plaisant que l’on apprécie jusqu’à la toute dernière ligne en concluant d’une belle manière ce recueil qu'il faut absolument découvrir pour appréhender une partie de l’oeuvre d’un auteur emblématique de la littérature noire.

     


    Joe R. Lansdale : Sur La Ligne Noire (A Fine Dark Line). Le Sang Du Bayou (recueil) Folio Policier 2015. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc.


    A lire en écoutant : Blue Suede Shoes d’Elvis Presley. Album : Elvis Presley. 1956 Sony Music Entertainment.

  • JAMES LEE BURKE : NEW IBERIA BLUES. FANTOMES DU BAYOU.

    James Lee Burke, New Iberia blues, éditions rivagesImpossible de tirer la prise et de dire adieu à une série emblématique de la littérature noire qui a débuté en 1991 avec Prisonnier Du Ciel mettant en scène la première enquête de Dave Robicheaux, alias Belle-Mèche. On découvrait ainsi, par l’entremise des éditions Rivages et des traductions du regretté Freddy Michalsky, l’oeuvre de James Lee Burke avec son écriture grandiloquente et hypnotique submergeant le lecteur d’émotions et de sensations qui ne sont pas sans lien avec cette région de la Louisiane qu’il sait dépeindre à la perfection. Avec La Pluie De Néon, préquel des aventures de Robicheaux, la série ne compte pas moins de 22 ouvrages qui nous ont accompagnés pendant trois décennies en suivant les péripéties de cet inspecteur hors-norme pouvant toujours compter sur ses partenaires comme Helen Soileau et l’inénarrable Clete Purcel ainsi que sur sa fille Alafair (prénom de la fille dur romancier) qui a grandi avec nous. Il faut admettre que James Lee Burke a su créer, avec tout un ensemble de paramètres subtils, une ambiance et une atmosphère attachante dont on ne peut se débarrasser d’un haussement d’épaule. J’ai ainsi marché dans les traces de Belle-Mèche à un point tel que je me suis rendu du côté de New Iberia pour voir si je ne le croiserais pas dans les rues de la paroisse. Véritables guides touristiques, les romans ne peuvent que vous inciter à découvrir cette Louisiane ensorcelante en dégustant quelques spécialités culinaires dans les restaurants de la Nouvelle-Orléans avant de s’égarer dans quelques bars éloignés du Vieux-Carré en se remémorant quelques scènes emblématiques d’une série policière qui nous marquera à jamais, même si l’on a pu éprouver quelques lassitudes voire même quelques déceptions à la lecture des derniers romans qui sentent tout de même le réchauffé comme c'est malheureusement le cas avec New Iberia Blues, dernier opus traduit de la série.

     

    Ce ne sont pas moins de trois appels pour des cris de femme provenant de la baie de New Iberia qui poussent Dave Robicheaux et sa nouvelle équipière à se rendre à proximité de la propriété de Desmond Cormier, grand réalisateur d’Hollywood qui est revenu dans sa Louisiane natale afin de réaliser son nouveau film. Robicheaux qui a bien connu l’homme dans sa jeunesse en profite pour lui rendre visite afin d’avoir un meilleurs point du vue pour retrouver une éventuelle victime. Et c’est en regardant la mer avec un télescope que l’inspecteur de New Iberia distingue une femme noire ligotée sur une croix flottant au gré du mouvement des vagues. Débute ainsi une série de crimes où l’assassin dispose ses victimes en fonction des représentations des suites du tarot. Déconcerté par ces meurtres d’un genre nouveau, Dave Robicheaux continue d’affronter ses démons tout en tentant de discerner si l’auteur ne pourrait pas être un des individus douteux qui compose l’entourage de Desmond Cormier.

     

    Bien ancré dans la paroisse de New Iberia, le récit fluctue au gré de meurtres qui s’enchainent à un rythme soutenu en reprenant d’une manière plutôt macabre les représentations des personnages emblématiques d’une suite de tarot. Dans ce contexte, Dave Robicheaux continue à porter sur ses épaules toute la douleur du monde et d’un passé qu’il n’a toujours pas exorcisé. Fidéle à lui-même Robicheaux fait du Robicheaux en affrontant les nantis représentés cette fois-ci par Desmond Cormier et son entourage hollywoodien tout en tentant de protéger les personnes de conditions modestes, proies de flics tripoux qui paient parfois le prix fort. On n'en attend pas moins de ses acolytes qui semblent plus en retrait comme Helen Soileau qui continue de veiller sur son vieux pops qu’elle ne ménage pourtant pas surtout lorsqu’il se tourne vers Clete Purcel personnage ingérable de la série qui reste pourtant dans cet opus extrêmement raisonnable. Comme à l’accoutumée on appréciera la dynamique entre ses protagonistes récurrents qui restent toujours bien dans leurs rôles respectifs avec des échanges incisifs qui sont la marque de fabrique de James Lee Burke. Si la dynamique entre ces individus semblent inscrite dans une dimension narrative éprouvée, on espère toujours que le changement viendra de personnages tels que Desmond Cormier ou Bailey Ribbons, nouvelle partenaire de notre détective qui semble tomber sous son charme en dépit d’une différence d’âge importante qui ne fait qu’accentuer sa culpabilité. Mais on savourera surtout le retour de Smiley Wimple, cet énigmatique tueur à gage qui va à nouveau semer le chaos tout autour de lui, ceci pour notre plus grand plaisir. A partir de là on continue à suivre Belle-Mèche dans ses pérégrinations du côté des bars mal famés à écouter du blues en sirotant du Dr Pepper ou du côté des bayous et des quartiers pauvres où il rencontre toujours une galerie de personnages atypiques comme Bella, cette chanteuse de blues aux charmes troubles qui va séduire notre héros. 

     

    Une nouvelle fois l'ennui d'une intrigue convenue est compensé par cette ambiance poisseuse et cette atmosphère à la fois chaleureuse et troublante qui font de New Iberia Blues un récit solide qui reste malheureusement sans surprise mais dont on sort tout de même étrangement charmé.

     

     

    James Lee Burke : New Iberia Blues (The New Iberia Blues). Éditions Rivages/Noir 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

     

    A lire en écoutant : Sweet Blood Call de Lousiana Red. Album : Sweet Blood Call. 2011 Fat Possum Records.

  • Joe R. Lansdale : Les Marécages. Le Sang Du Bayou.

    Capture d’écran 2020-07-25 à 16.47.54.pngDécouvert dans une librairie au rayon des occasions, il y a de cela environ une année, j’avais évoqué Le Sang Du Bayou, un recueil composé de trois romans emblématiques de Joe R. Lansdale que l’on connaît davantage pour sa série de polars déjantés mettant en scène Hap Collins et Léonard Pine, deux enquêteurs atypiques qui se retrouvent embringués dans des affaires pour le moins détonantes et parfois hilarantes avec cet humour grinçant qui caractérise la série. Auteur prolifique, Joe R. Lansdale a également marqué son lectorat avec des récits beaucoup plus sombres à l’instar de ceux qui composent ce recueil débutant avec Un Froid d’Enfer, se poursuivant avec Les Marécages pour s’achever avec Sur La Ligne Noire. Se déroulant dans les années 30 en empruntant les codes du thrillers avec cette série de prostituées noires sauvagement assassinées, un bon nombre d’aficionados de Lansdale considère Les Marécages comme l’un des chefs-d’oeuvre de l’auteur qui a d’ailleurs obtenu le prix Edgar Allan Poe avec cet ouvrage se déroulant comme les deux autres du côté de la Sabine, une rivière située dans la région de l'East Texas et qui fait office de frontière naturelle avec l'état de la Louisiane.

     

    Durant la Grande Dépression des années 30, à Marvel Creek, un petit comté de l’East Texas, le jeune Harry et sa soeur Tom découvrent, au bord de la rivière Sabine, le corps affreusement mutilé d’une femme noire. Les deux enfants pensent qu’il s’agit de la victime de l’Homme-Chèvre, une entité maléfique qui rôde dans les marécages de la région. Pour le père de Harry, constable du comté, ce serait plutôt l’oeuvre d’un rôdeur que la pauvreté a jeté sur les routes. Mais lorsque l’on découvre un second cadavre dénudé, accroché à un arbre et portant les mêmes stigmates, les esprits des habitants s’échauffent ce qui les poussent à s’en prendre à un homme noire qu’ils lynchent sans autre forme de procès. Harry tout comme son père sont persuadés qu’il ne s’agit pas du meurtrier et chacun va enquêter de son côté pour découvrir l’identité de cet étrange assassin qui fait sans nul doute partie de la communauté.

     

    D’entrée de jeu, on salue les qualités d’un narrateur talentueux qui joue avec nos nerfs au gré des trois premiers chapitres avec cette poursuite de nuit dans les travées d’un églantier géant, jouxtant les marécages de la Sabine où deux enfants, après avoir découvert un cadavre mutilé, tentent d’échapper à une présence inquiétante qui entreprend de les traquer. Entité maléfique, rôdeur ou tueur en série, Joe R. Lansdale instaure le doute avec les codes du thriller pour nous livrer un récit à la fois solide et original puisqu’il adopte le point de vue du jeune Harry qui s’est mis en tête de faire la lumière sur cette succession de meurtres qui secoue cette petite communauté de l’East Texas. Avec l’atrocité des exactions qui sont commises et ce point de vue enfantin, le texte oscille entre le fantastique incarné par cet Homme-Chèvre, sorte de légende rurale qui fait frissonner les enfants, et l’enquête policière initiée par le père de Harry qui tente laborieusement, avec le peu de moyen dont il dispose, d’identifier l’auteur de ce qui apparait au fil de l’intrigue comme une série de meurtres sauvages dont les victimes sont principalement des prostituées noires. D’ailleurs la typologie des victimes n’a rien d’anodin puisqu’elle permet à Joe R. Lansdale d’aborder le thème de la discrimination raciale avec toute l’horreur et la violence qui en découle à l’instar de cette scène de lynchage atroce qui n’a rien à envier aux exactions commises par un meurtrier qui a au moins le mérite d’avoir perdu la raison. Mais dans cette logique de ségrégation, ce sont ces vexations quotidiennes que l’on perçoit tout au long d’un récit où l’on distingue la terreur qui anime la communauté noire de Pearl Creek vis à vis de la communauté blanche de Marvel Creek. Se distançant de ces pratiques ségrégationnistes, la famille Crane apparaît comme une exception ce qui permet à Harry tout comme Jacob d’évoluer dans ces deux diasporas afin de mener à bien leurs investigations respectives. C’est l’occasion de rencontrer des personnages comme la vieille Miss Maggie qui en connaît un rayon sur les légendes de la région ou le docteur Tinn possédant quelques notions de médecine légale au grand dam de son homologue blanc qui n’a cesse de le fustiger et de l’humilier. Toute cette colère, cette haine et cette rancoeur apparaissent donc au rythme d’une intrigue riche en tensions et en rebondissements avec cette atmosphère lourde, presque vénéneuse qui enrobe un texte passionnant, restituant à la perfection ce climat poisseux des années 30 qui prévalait dans le sud des Etats-Unis.

     

    Outre la ségrégation, Joe R. Lansdale évoque cette triste période de la Grande Dépression ainsi que ces vétérans de la première guerre mondiale pour tisser avec Les Marécages, un grand récit d'aventure qui va flirter avec le thriller dans tout ce qu'il a de plus brillant. Un roman saisissant.

     

    Joe R. Lansdale : Les Marécages (The Bottoms). Le Sang Du Bayou (recueil) Folio Policier 2015. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Blanc.

    A lire en écoutant : Red Right Hand de Nick Cave. Album : Let Love In. 1994 Mute Records Ltd, a BMG Compagny.