Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecosse

  • ABIR MUKHERJEE : LE SOLEIL ROUGE DE L'ASSAM. CONDUCTEUR ELECTRIQUE

    abir mukherjee, le soleil rouge de l'Assam, éditions liana leviS'il est né à Londres, Abir Mukherjee a grandi en Ecosse, plus particulièrement du côté de Glascow au sein d'une famille aux origines indiennes en provenance de la région de Calcutta où certains membres continuent d'ailleurs à séjourner de manière occasionnelle. Il n'y a donc pas de hasard pour cet auteur écossais, que l'on affilie désormais sous l'appellation du "tartan noir", de prendre pour cadre cette capitale du Bengale-Occidental dans laquelle évoluent le capitaine Sam Wyndham et le sergent Satyendra Barnejee au gré d'une série policière se déroulant durant la période historique de l'empire et du régime colonial britannique. Débutant en 1919 avec L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling (Liana-levi 2019), Abir Mukherjee s'est focalisé sur les débuts du mouvement pour l'indépendance qui vont bien évidemment avoir une influence sur l'ensemble de ses intrigues policières au style mordant, voire même parfois cynique, afin de mettre en relief le racisme ordinaire qui prévaut au sein du Raj britannique, comme le démontre Les Princes De Sambalpur (Liana Levi 2020) se déroulant dans le petit royaume de l'Orissa gouverné par un vieux maharadjah ou Avec La Permission De Gandhi (Liana Levi 2022) nous permettant revivre, à Calcutta en 1921, la visite chahutée du prince de Galles. Outre l'aspect des énigmes policières qui sont d'ailleurs extrêmement bien construites, l'arche narrative de l'ensemble de la série se concentre également sur les rapports qu'entretient le capitaine Sam Wyndham, issu des rangs de Scotland Yard à Londres, avec son camarade Satyendra Banerjee, natif de Calcutta. Des relations qui vont évoluer et prendre une tournure singulière avec Le Soleil Rouge De L'Assam, nouvel opus de la série nous entraînant dans une région de l'est de l'Inde, notamment connue pour sa propre variété de thé mais également pour ce phénomène étrange et récurrent d’une multitude d'oiseaux trouvant la mort dans d'étranges circonstances.

     

    Ce n'est pas une sinécure que de se débarrasser de son addiction à l'opium. Le capitaine Sam Wyndham en sait quelque chose lui qui s'est réfugié dans un ashram au coeur de l'Assam pour ingurgiter quelques tisanes infectes lui donnant la nausée comme pour extirper le mal qui l'habite. Mais en ce mois février 1922, ce n'est pas seulement sa démarche pour se désintoxiquer qui le trouble alors qu'il vient de croiser cette silhouette entraperçue sur le quai de la gare de Lumding lui rappelant un fantôme du passé au temps où il officiait en 1905 comme jeune policer de Scotland Yard, dans le quartier populaire de Whitechapel, à l'est de Londres. Sam Wyndham se remémore ainsi cette première enquête délicate où le meurtre d'une jeune femme défraie la chronique, ce d'autant plus que le principal suspect est d'origine juive alors que l'antisémitisme est monnaie courante au sein de toutes les couches de la population londonienne qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée de cette communauté ostracisée. Mais outre le passé, Sam Wyndham doit également affronter le présent avec la mort suspecte d'un des pensionnaires de l'ashram. Deux enquêtes croisées qui mettent en exergue les affres de l'exclusion et de l'injustice sociale. 

     

    C'est une atmosphère étrange, presque maléfique qui pèse sur l'ensemble du récit et plus particulièrement sur la partie se déroulant dans cette province reculée de l'Assam où l'on assiste notamment à cette étrange pluie d'oiseaux trouvant la mort dans des circonstances inexpliquées qui ne fait que renforcer le sentiment de malédiction qui plane sur la région. Et puis il y a ce fantôme de passé qui croise la route du capitaine Sam Wyndham nous permettant de nous immerger dans le quartier populaire de Whitechapel où l'on distingue encore l'ombre de Jack l'Eventreur sévissant autrefois dans le secteur. Entre 1905 à Londres et 1922 dans l'est de l'Inde, Le Soleil Rouge De L'Assam nous entraîne donc sur deux intrigues en parallèle autour desquels l'auteur bâtit une double énigme de meurtres dans une chambre close avec l'ingéniosité qui le caractérise désormais. Tout cela nous permet d'entrevoir la discrimination et plus particulièrement l'antisémitisme qui sévit en Angleterre et plus particulièrement dans les quartiers populaires de Londres en nous renvoyant ainsi à ce racisme ordinaire qui prévaut dans les colonies de l'Empire et plus spécifiquement en Inde avec toute la clairvoyance d'un romancier qui sait manier cet humour cinglant pour mettre en exergue les injustices sociales d'un royaume qui court forcément à sa perte. Même s'il ne semble pas toujours en avoir conscience, que ce soit en Angleterre ou en Inde, le capitaine Sam Wyndham assiste donc à cette lutte des classes qui touche aussi bien la caste modeste des ouvriers de Whitechapel que celle encore plus miséreuse des paysans de l'Assam, victimes toutes deux d'une classe dirigeante sans scrupule. Dans un tel contexte, on assistera à une certaine tension entre Wyndham et Banerjee qui, au-delà de l'amitié qui les unit, nous ramène à leurs conditions respectives qui vont forcément les opposer au gré d'événements historiques qu'Abir Mukherjee sait dépeindre à la perfection, comme il l'a déjà mainte fois prouvé, et que l'on se réjouit d'ores et déjà de découvrir dans les romans à venir d’une série policière qui n’a pas fini de nous surprendre.

     

    Abir Mukherjee : Le Soleil Rouge de lAssam (Death In The East). Editions Liana Levi  2023. Traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez Battle.

    A lire en écoutant : Sitara de DIVINE et Jonita Gandhi. Album : Gunehgar. 2022 Gully Gang / Mass Appeal India.

  • WILLIAM MCILVANNEY : LAIDLAW. LE SENS DE LA MISSION.

    Capture d’écran 2015-07-14 à 17.49.14.pngLes éditions Rivages poursuivent leur magnifique travail de réédition en s’attaquant cette fois-ci à l’œuvre de William McIlvanney, considéré, à juste titre, comme l’un de grands auteurs du roman noir écossais. Il s’agissait de remettre au goût du jour un romancier injustement oublié auquel pourtant bon nombre d’écrivains comme Ian Rankin ou Val MacDermid rendent régulièrement hommage. C’est avec Docherty, roman social sur les mineurs de Glascow, que William McIlvanney débute sa carrière, avant d’entamer une quatuor de romans noirs mettant en scène l’inspecteur Jack Laidlaw. Il sied de prêter une attention soutenue en ce qui concerne l’ordre de la quadrilogie qui débute avec le roman éponyme Laidlaw, suivi de Les Papiers de Tony Veich et qui s’achève avec Big Man et Etranges Loyautés. Voilà pour les recommandations.

     

    Le jeune Tommy Bryson court dans les rues de Glascow, sans trop savoir où aller. Il a de quoi paniquer car il vient d’assassiner une jeune fille et ne sait plus trop vers qui se tourner. Peut-être trouvera-t-il de l’aide auprès de son amant Harry Redburn, acoquiné au milieu de la pègre. Mais la nouvelle du meurtre suscite une grande émotion et il n’y a guère de personnes compatissantes pour soutenir un assassin de cet acabit. Surtout lorsque le père de la victime souhaite faire justice lui-même et demandant le soutient du caïd de la ville qui prône la justice impitoyable de la rue. L’inspecteur Laidlaw devra donc interpeller le jeune fugitif le premier, s’il veut éviter un bain de sang. D’autant plus que ses collègues ne seraient vraiment pas contre une justice expéditive.

     

    Datant de 1977, Laidlaw met en scène tout d’abord un Glascow qui n’existe plus avec ses grands ensembles de quartiers ouvriers et une pègre atypique essentiellement basée dans les quartiers périphériques de la ville en fonction de la confession religieuse des habitants. La conglomération protestante est dirigée d’une main de fer par John Rhodes. L’homme incarne une espèce de patriarche aussi impitoyable qu’inquiétant  auprès duquel les ouvriers peuvent demander de l’aide comme le fera le père de la victime qui a toujours été incapable de développer le moindre sentiment d’affection vis à vis de sa fille. La perte de son enfant ne chagrine pas ce père désormais dépouillé de son sujet d’animosité. Pour compenser cette colère et cette dureté qu’il ne peut plus faire valoir, il devra canaliser sa haine et la diriger vers le jeune meurtrier. Le tout est de savoir si cet homme aussi dur qu’honnête parviendra à franchir le pas en devenant un meurtrier à son tour.

     

    Pègre, policiers, meurtriers, on est pourtant bien loin avec Laidlaw du roman policier au sens classique du terme. Avec maestria William McIlvanney dresse le sombre portrait social d’une ville dont il maîtrise tous les aspects. Glascow devient une terrible scène dramatique sur laquelle l’auteur déploie une mécanique insidieuse de colère et de haine. Plutôt que de s’intéresser au meurtrier, l’auteur s’emploie à décrire le ressentiment et la détresse des gens face à un acte aussi abjecte. Il parvient à mettre en perspective ce désarroi terrible qui pousse les différents protagonistes vers leurs derniers retranchements.

     

    Et puis il y a bien évidemment le personnage principal qui sort tout de même de l’ordinaire. Oui il y ce schéma classique du policier atypique, peu apprécié de ses collègues. Mais Jack Laidlaw est un personnage qui transcende les clichés. Il personnifie ces flics lucides et humanistes tout à la fois qui se dressent contre les a priori et les schémas simplistes de leurs collègues. Paradoxalement cela ne fait pas de Jack Laidlaw quelqu’un de meilleur, bien au contraire. Dépressif, solitaire, Jack Laidlaw est un personnage parfaitement antipathique que seul le jeune Harckness est en mesure d’apprécier, même s’il est parfois tenté de suivre les opinions tranchées et brutales de l’inspecteur Milligan. A force de cogiter et de se poser des questions sur le sens des actes criminels auxquels il est confronté, Jack Laidlaw ne fait qu’irriter sa hiérarchie et ses partenaires qui ne peuvent lui opposer que des certitudes factices, sans aucun fondement. Jack Laidlaw les renvoie à leur propre vacuité qui ne peut susciter qu’indignation et incompréhension. Pourquoi se poser des questions lorsque l’on est flic alors qu’il y a la certitude de la mission à accomplir.

     

    "Laidlaw ne dit rien. Il était penché sur le guichet, écrivant sur son bout de papier lorsque Miligan entra, une porte de grange sur patte. Ces derniers temps il jouait les chevelus  pour montrer qu’il était libéral. Cela faisait paraître sa tête grisonnante plus grande que nature, une sorte de monument public. Laidlaw se souvint qu’il ne l’aimait pas. Ces derniers temps il avait été au centre de pas mal des interrogations de Laidlaw  quant à savoir ce qu’il faisait. Associé à Milligan par la force des choses, Laidlaw s’était demandé  s’il était possible d’être policier sans être fasciste."

     

    Il était temps de redécouvrir la belle écriture de William McIlvanney et même s’il date, un peu, Laidlaw reste un roman terriblement actuel qu’il vous faut lire dans les plus brefs délais.

     

    William McIlvanney : Laidlaw. Rivages/Noir 2015. Traduit de l’anglais par Jan Dusay.

    A lire en écoutant : The Last Ship de Sting. Album : The Last Ship. A&M Records 2013.

     

  • IAN RANKIN : DEBOUT DANS LA TOMBE D’UN AUTRE. LE RETOUR DE L’INSPECTEUR JOHN REBUS.

    Capture d’écran 2015-01-14 à 00.07.40.pngAvec dix-huit aventures au compteur, on peut dire que John Rebus a fait pas mal de chemin dans le paysage de la littérature policière et semble être devenu un personnage bien trop encombrant pour son auteur qui ne sait plus trop bien comment il pourrait s’en débarrasser. Tout comme la série Dave Robichaux de James Lee Burke, le personnage fétiche de Ian Rankin a vu le jour en 1987 et outre cette particularité commune, les deux personnages affichent un certain vague à l’âme qui frise l’état dépressionnaire.

     

    Bien qu’encensée, adulée et récompensée, la série a souffert d’un certain manque de constance au niveau de la qualité des intrigues. Mais L’Ombre du Tueur et Fleshmarket Close peuvent être considérés comme les deux excellents romans qui doivent orner les rayons de votre bibliothèque. Et puis il faut également admettre que la série Rebus ne se concentre pas uniquement sur l’aspect de la dramaturgie de l’histoire puisque son auteur s’intéresse également aux caractéristiques sociologiques et folkloriques de la ville d’Édimbourg qui dégage un climat singulier et envoutant. En dehors de ses aventures rien n’est plus prenant que de suivre John Rebus parcourant les rues de la ville lors de ses pérégrinations nocturnes où il rencontre, dans ses bars et pubs favoris, toute une série de camarades de boisson atypiques, puis de le retrouver seul dans son appartement en distillant un mélange de réflexions teintées mélancolie et enrobées d’une bande sonore issue de son extraordinaire collection de vinyls.

     

    Debout Dans la Tombe d’un Autremarque donc le retour de John Rebus qui a quitté les forces de police pour prendre une retraite, certes méritée, mais qu’il ne souhaitait pas. Loin de renoncer à ce qui l’anime depuis toujours, Rebus est  désormais affecté à un service civil qui examine les enquêtes classées non élucidées. L’une d’entre elles attire son attention lorsqu’une mère de famille tente de persuader le service de retrouver sa fille disparue. C’est ainsi que Rebus renoue avec ses collègues de la brigade criminelle lorsqu’il met à jour toute une série de disparitions ayant pour point commun de se situer à proximité de la portion d’autoroute A9 reliant Perth à Inverness. Ses habiles intuitions pourraient permettre à Rebus de réintégrer la police, mais sa nonchalance et son aversion pour toute forme d’autorité lui valent les foudres de sa hiérarchie et la suspicion de Malcom Fox, des affaires internes, qui apprécie peu le fait que l’inspecteur Rebus ait noué des liens étroits avec son adversaire d’autrefois, Morris Gérald « Big Ger » Cafferty.

     

    Il faut reconnaître que malgré un sentiment de répétition on ne peut s’empêcher de se réjouir du retour de l’insolent inspecteur Rebus et de son humour mordant qui lui confère un charme si particulier. Dans Debout Dans la Tombe d’un Autre, Ian Rankin conjugue l’univers de Rebus avec celui de Fox dans une confrontation qui ne rendra guère hommage à ce dernier. Outre cet aspect, l’auteur nous embarque dans une affaire de disparitions en série et évoque un cas de pédophilie que Rebus parvient à mettre en évidence dans une suite de déductions plus que hasardeuses.  La manière dont l’inspecteur résout une partie de l’affaire s’avère également plus que douteuse voir même peu convaincante en matière de procédures policières, même si l’une des scènes finales donne son titre au roman.

     

    Debout Dans la Tombe d’un Autre ne figurera donc pas parmi les ouvrages indispensables de la série Rebus même s’il s’en dégage une atmosphère assez particulière qui envouteront les lecteurs. Car Ian Rankin connaît les ficelles du métier lui permettant de séduire son lectorat afin de l’entraîner dans le sillage de cet inspecteur atypique. Outre le fait de désigner une des scènes du roman, le titre du dernier opus de l’auteur rend hommage au chanteur écossais Jackie Leven qui a composé et interprété une chanson intitulée, Standing in Another Man’s Rain. Car c’est aussi l’un des talents de l’auteur que de parvenir à nous glisser subtilement, au fil des pages, une bande sonore toujours extrêmement soignée qui anime de manière dynamique les enquêtes de l’inspecteur Rebus.

     

    Ian Rankin : Debout Dans la Tombe d’un Autre. Editions du Masque 2014. Traduit de l’anglais (Ecosse) par Freddy Michalski.

    A lire en écoutant : Standing in Another Man’s Rain de Jackie Leven. Album : Oh What a Blow That Phantom Dealt Me. Cooking Vinyl 2006.

  • Irvine Welsh : Crime. Les caïmans de Lolita.

    Capture d’écran 2014-07-28 à 01.24.17.pngTrash et rock’n’roll, auteur du roman culte Trainspotting, c’est avec une longue liste de qualificatifs parfois outranciers décrivant les romans d’Irvine Welsh que j’ai lu son dernier opus traduit en français, intitulé Crime, abordant ainsi pour la première fois l’œuvre de ce fameux auteur écossaisà la réputation sulfureuse. J’avais tout de même eu un aperçu de l’univers de Welsh au travers du regard du réalisateur Danny Boyle qui avait adapté son roman Trainspotting donnant encore d’avantage de visibilité à un auteur qui n’en demandait peut-être pas tant. Car c’est peut-être bien là que se situe le problème de Welsh qui semble être constamment ramené à son premier succès.

     

    Pour se remettre d’une dépression faisant suite à une douloureuse affaire d’infanticide et d’un problème d’addiction à la cocaïne qu’il semble avoir difficilement surmonté, l’inspecteur Ray Lennox quitte Edimbourg pour un congé bien mérité à Miami, accompagné de sa fiancée qui ne songe qu’au préparatif de leur mariage. C’est après une dispute suivie d’une folle virée nocturne que Ray Lennox va faire la connaissance d’une fillette de dix ans qu’un toxicomane tente d’abuser lors d’une fin de soirée endiablée. Pris d’un accès de rage, Ray Lennox va traverser toute la Floride pour protéger la jeune fille des prédateurs abjects qui veulent la reprendre à tout prix.

     

    Une alternance omniprésente entre le présent et le passé s’installe à mesure que l’on suit l’inspecteur Lennox durant son périple à travers l’état de Floride en compagnie de la jeune Tianna. On découvre ainsi l’enquête douloureuse que Ray Lennox a mené à Edimbourg pour traquer un sadique tueur d’enfants, mais également la tragique raison qui pousse ce policier brisé à traquer les pervers et à tenter protéger cette fillette qui le désarçonne par sa confondante naïveté et cette perte d’innocence irrémédiable. Même s’il est lumineux, le personnage de la jeune Tianna n’en demeure pas moins quelque peu caricaturale, manquant de profondeur et souffrant de trop nombreux clichés entre la jeune écervelée et la fille mature tandis que l’inspecteur déchu en quête de rédemption est un classique du genre qu’Irvine Welsh s’approprie sans y apporter quoique ce soit de bien nouveau. On appréciera tout de même le passage où le personnage principal s’enlise dans une bacchanale nocturne déjantée qui l’amènera à rencontrer cette fillette vulnérable. Si Welsh évoque dans ses interviews l’envie de faire un « anti-Lolita », ses personnages manquent d’une certaine envergure et semblent parfois coincés dans une espèce de conformisme que l’auteur ne parvient pas à contourner, même si parfois quelques scènes burlesques, bien trop rares, font une espèce de clin d’œil à l’œuvre de Nabokov.

     

    Bien évidemment que les fans de la première heure d’Irvine Welsh pourront être déçu par le côté classique d’un récit qui aborde le thème délicat de la pédophilie. Mais c’est justement en délaissant  tout cet aspect trash et rock’n’roll de ces précédents romans que l’auteur façonne avec une belle intelligence toute une série de pédophiles qui détonnent au milieu de ces sempiternelles clichés de prédateurs sexuels machiavéliques et démoniaques qui occupent bien trop souvent les pages de romans traitant le sujet de l’abus sexuel sur enfants. Car s’ils sont abjectes et quelque peu organisés, les prédateurs de Crime restent avant tout des pauvres types, voire même des paumés, conférant encore d’avantage de réalisme et donc d’inhumanité à leurs actes odieux. Ce sont donc principalement les personnages secondaires de Crime qui apportent une certaine originalité à un récit qui manque parfois un peu de souffle.  

     

    Irwin Welsh : Crime. Editions Au Diable Vauvert 2014. Traduit de l’anglais (écossais) par Diniz Galhos.

    A lire en écoutant : Nothing But de Skin. Album : Fake Chemical State. V2 Music Limited 2006.

     

     

  • Fureur Noire : Philip Kerr, Trilogie Berlinoise, le polar historique.

     

    « Tous les grands romans du XXème siècle sont des romans policiers »

    Borges

    IMG_0632[1].JPG

     

    Ce qu'il y a de réjouissant en lisant cette citation de Borges, ce qu'elle a probablement dû influencer Umberto Eco lorsqu'il rédigea le Nom de la Rose. Exit donc le frère Cadfael d'Ellis Peter ou le juge Ti de Robert Van Gulig, deux grandes séries qui trustèrent durant des années le polar historique. La première se déroulaient en Chine, dans les années 600 de notre ère sous le règne de la dynastie T'ang tandis que la seconde avait pour cadre une période troublée du Moyen-Age. Ces deux auteurs nous permirent d'explorer les méandres méconnus de l'histoire avec l'inconvénient pour les lecteurs assidus, d'une certaine répétition des traditions évoquées au fil des aventures de ces deux personnages.

     

    Rien de tout cela avec le Nom de la Rose qui révolutionna le genre à un point tel que personne ne fut capable d'égaler ce qu'il faut considérer comme l'un des plus grands romans du 20ème siècle. Dans cet ouvrage, Borges n'est d'ailleurs pas loin puisque c'est lui et sa bibliothèque de Babel qui inspira Umberto Eco dans la description du moteur essentiel de son ouvrage à savoir la bibliothèque infernale de cette abbaye mystérieuse. Et comme si cet hommage ne suffisait pas Umberto Eco créa le personnage du bibliothécaire aveugle (tout comme Borges) en lui donnant le nom de Jorge de Burgos, personnage d'ailleurs à l'antithèse de ce fabuleux écrivain.

     

    Le Nom de la Rose, un polar médiéval dense et foisonnant de références historiques truffé d'éléments sémiotique à un point tel qu'il relègue les écrits de Dan Brown au rang d'amateur. Oubliez le film de Jean-Jacques Annaud (fort bon au demeurant) qui ne put restituer la richesse du roman et plongez-vous dans cette sombre intrigue mettant en jeu les danger de l'obscurantisme en suivant l'enquête passionnante de Guillaume de Baskerville et de son novice Adso de Melk.

     

    A la suite de ce succès littéraire, bon nombre d'auteurs tentèrent de s'engouffrer dans la brèche sans rencontrer le même succès. Des chapitres pompeux pour poser les bases historiques, un manque de recul, voir même une absence d'intrigue  expliquent que bon nombre de ces ouvrages ne parvinrent jamais à égaler ce qu'il faut considérer comme l'œuvre majeur de Eco, à savoir un polar !

     

    Il fallait donc quitter le monde médiéval pour s'emparer d'autres pans de l'histoire afin de lire quelque chose de correct dans ce domaine particulier du polar historique. Avec Philip Kerr et sa trilogie Berlinoise (devenue une quadrilogie avec La mort entre Autre), ce sont les heures sombres du Troisième Reich que vous traverserez par le biais des enquêtes du détective privé Bernhard Gunther. Il faut bien l'avouer, avec son ironie mordante et son humour amer, un rien désabusé, le personnage ressemble furieusement au héro charismatique de Raymond Chandler, j'ai nommé le grand Philip Marlowe. Mais ce sont les personnages secondaires qui donnent tout leur intérêt pour ces heures sombres de l'Allemagne qui sont évoquées par petites touches avec des dialogues incisifs ou des descriptions précises d'un Berlin fort méconnu. Des personnages historiques inquiétants comme Heydrich, Himmler, Artur Nebe et Heinrich Muller traversent les récits de Philip Kerr en les rendant encore plus terrifiants.

     

    De la subtilité, du talent et une grande connaissance du contexte historique font que les romans de Philip Kerr sont devenus un must incontournable du polar historique. Vous pourrez retrouver ce grand auteur à l'occasion de la Fureur Noire. Il sera présent à la salle du Faubourg, le samedi 8 octobre 2011 à 19h30 en compagnie de l'historien Volker Kutscher. Ensemble, ils évoqueront l'aspect destructeur de cette Allemagne du début des années 40 en perte de ses valeurs démocratiques.

     

    trilogie-berlinoise1.jpg

     

     

    Pour vous guider tout au long de cette semaine consacrée au polar et au roman noir, il y a ce guide  précieux du cercle de libraires et des éditeurs de Genève que je vous recommande que vous soyez novice ou amateur en la matière.  Sur la couverture grise, une gravure illustrant le double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe avec le titre « Fureur Noire » inscrit en lettre de sang ! Puis, pour introduire ce fascicule, cette citation de Borges qui résonnera dans le cœur de tous les passionnés du genre. S'il fallait quelques mots subtiles pour résumer tout ce qu'est le polar et le roman noir, ne manquez pas la brillante introduction de Valérie Solano avant d'aborder les différentes thématiques de ce petit ouvrage.

    1.     La Ville est un polar

    2.     Jazz et polar font bon ménage

    3.     Sur les traces des autres hommes

    4.     Le polar parle espagnole

    5.     Comment le polar LGTB est sorti du placard

    6.     Le polar comme la révolution

    7.     Dans le secret des crânes

    8.     Ombre sur la lune, le roman policier japonais

    9.     De glace et de feu l'Islande noire

    10.   En Italie le crime est jaune

    11.   La BD et le polar

    12.   Américain ou rien

    13.   Le polar des Alpes

    14.   L'enfance et le polar

    Ces 14 thèmes vous permettront d'aborder les différents aspects du polar et du roman noir. Des esprits chagrins regretteront que tel roman ou tel récit ne soit pas cité dans ce fascicule. Mais tel n'est pas le but de ce guide qui est comme un passeur qui vous permettra de traverser les flots sombres d'un genre littéraire qui n'a plus rien à prouver mais qui reste encore à découvrir.

     

    En tant que flic j'aurai peut-être aimé que l'on aborde le thème du polar entre réalité et fiction avec une participation la police cantonale genevoise pour cette manifestation d'envergure. Un rendez-vous manqué ou un manque d'ouverture ? Qui peut le dire ?

     

     

     

    Umberto Eco : Le Nom de la Rose. Livre de Poche 1982. Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano.

     

    Philip Kerr : Trilogie Berlinoise. Livre de Poche 1989, 1990, 1991. traduit de l'anglais par Gilles Berton.

     

    A lire en écoutant : Parfum du passé et Evocation de Gabriel Yared. Bande originale du film Coco & Igor.