Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

rivages noir - Page 2

  • PIERRE PELOT : PAUVRES ZHEROS. CRUELS PAUMES.


    pierre pelot, baru, pauvres zheros, rivages noir, casterman, vosges, roman noir
    Voyage au Bout de la Nuit est l’un des premiers ouvrages classiques illustré par un auteur de BD. Il s’agissait d’une association entre les maisons d’éditions Gallimard et Futuropolis. De cette union surprenante est issu un ouvrage somptueux mis en image par l’immense Tardi que l’on ne présente plus. Depuis, d’autres auteurs se sont engouffrés dans la brèche avec le concours notamment des éditions Rivages et Casterman qui ont mis en place, en 2008, une série de BD adaptant les romans noirs et les romans policiers issus de l’illustre collection dirigée par François Guérif. Avec Rivages/Casterman/Noir vous découvrirez Winter’s Bone (Daniel Woodrell) mis en image par Romain Renard ; Nuit de Fureur (Jim Thompson) et Le Dahlia Noir (James Ellroy) mis en scène par Matz et Nymann. Parmi ces adaptations graphiques, il y a Pauvres Zhéros de Pierre Pelot brillamment mis en scène par Baru, un autre grand nom de la BD.

    pierre pelot, baru, pauvres zheros, rivages noir, casterman, vosges, roman noir

    Autant le dire tout de suite, des héros vous n’allez pas en trouver beaucoup dans Pauvre Zhéros. Par contre des zéros, minables et enfoirés en tout genre ce n’est pas ce qui manque dans ce roman que l’auteur a publié en 1982 dans la collection Engrenage, aujourd’hui disparue. C’est donc à l’occasion de son adaptation en version BD que les éditions Rivages ont eu la bonne idée de rééditer cette perle du roman noir français.

     

    Dans un gros bourg des Vosges, les habitants sont en émoi suite à la disparition de Joël un enfant trisomique de 6 ans qui s’est perdu lors d’une promenade en forêt. Responsable de la sortie alors qu’elle n’avait  pas les compétences, l’aide-soignante Sylvette va probablement servir de bouc émissaire pour protéger les membres de la direction de l’hospice. A moins que Nanase ne retrouve le petit Joël. C’est qu’il en veut le bougre pour faire bonne figure dans les journaux et se faire mousser dans le rade qu’il fréquente à longueur de journée. Il serait d’ailleurs temps qu’on arrête de le traiter de feignant et de bon à rien le Nanase et surtout qu’on arrête de prétendre qu’il aurait tenté de fourguer sa cousine vaguement débile à une bande de maquereaux marseillais. Mais personne n’est dupe. Surtout pas Mannucci, le fiancé de Sylvette qui en aurait des choses à dire sur l’orphelinat où il a passé 14 ans de sa vie à se faire maltraiter. Et si on ne l’écoute pas, alors tant pis si sa colère explose. Au propre comme au figuré !

     

    Pour expliquer la genèse de Pauvre Zhéros, l’auteur raconte qu’en rendant visite à sa femme qui venait d’accoucher il a entendu des cris provenant d’un soupirail et s’est aperçu qu’il s’agissait d’un enfant de l’orphelinat qui jouxtait la maternité. Le gamin suppliait qu’on le laisse sortir de son cachot. Alors en rentrant chez lui, Pierre Pelot a entamé l’écriture de Pauvre Zhéros en balançant toute sa colère, sa rage et sa souffrance dans un tourbillon de mots et de phrases qui malmèneront les lecteurs encore longtemps après avoir achevé la dernière phrase de ce roman explosif.

     

    Il n’y a rien de poignant dans ce roman brutal qui vous plonge dans un monde rural calme et froid tout à la fois qui peu à peu prend la forme d’un conte cauchemardesque où les personnages ordinaires se transforment en monstres cruels guidés par la colère, la lâcheté et la survie. Une succession de scènes d’une violence crue relance régulièrement ce récit qui ne compte aucun temps mort. L’auteur ne cède pourtant pas à la fascination morbide d’une violence qu’il draine avec maestria dans une économie de mot qui accentue l’aspect dramatique de cette histoire cruelle.

     

    pierre pelot,baru,pauvres zheros,rivages noir,casterman,vosges,roman noirCe n’est qu’après avoir lu le roman que vous pourrez vous imprégner de l’adaptation de Baru qui est parvenu à restituer toute la noirceur du roman de Pierre Pelot. L’un des grands talents de Baru c’est de nous livrer des planches qui se passent du texte tant le dessin est suffisamment explicite. Habitué des histoires dans le milieu rural, le dessinateur ne pouvait qu’exceller dans cette adaptation qui est l’une des meilleurs de la collection.

     

    La bêtise, l’ignominie et la lâcheté sont les traits de caractères principaux de ces Pauvres Zhéros qui vous feront froid dans le dos en suivant leurs trajectoires minables bâties sur la peur, la colère et la violence. Un roman taillé à coups de burin !

     

    Pierre Pelot : Pauvres Z'héros. Editions Rivages Noir 2008.

    Pierre Pelot/Baru : Pauvres Zhéros. Editions Rivages/Casteman/Noir 2008.

    A lire en écoutant : Chat d’Alain Bashung. Album : Passer le Rio Grande. Barclay 1986.

     

     

  • LEIF GW PERSSON : AUTRE TEMPS, AUTRE VIE. L'OUTRANCE DE L'IDEALISME.

    Capture d’écran 2014-01-26 à 18.25.38.pngQuelle meilleure façon de déconstruire la mythologie de cet état bienveillant que l’on décrit lorsque l’on évoque la Suède en articulant un récit autour d’évènements réels comme la prise d’otage de l’ambassade d’Allemagne à Stockholm qui s’est déroulée le 25 avril 1975.

     

    15 ans après cette tragédie, Les inspecteurs Jarnebring et Holt sont affectés sur le meurtre d’un individu sans histoire. Malgré leurs efforts, l’enquête dirigée par un supérieur incompétent va être classée jusqu’au jour où Lars Martin Johansson propulsé à la tête de la police de sécurité  découvre de nouveaux éléments dans un dossier qui n’apparaît pas aussi fortuitement qu’on pourrait le croire. C’est au plus haut niveau d’un état assez inquiétant que Lars Martin Johansson va devoir évoluer pour trouver des réponses à ses questions.

     

    Si une grande partie récit  décrit la procédure d’une enquête classique c’est bien évidemment lorsque l’auteur nous entraîne dans les rouages des hautes directions des services de police que le roman prend tout son intérêt. Car Leif GW Persson possède un talent inné pour décrire les rouages complexes de cette puissante administration policière où l’on découvre les cloisonnements interdépartementaux qui, au nom de la sacro sainte raison d’état, peuvent conduire aux manipulations les plus abjectes.

     

    L’usage, l’exploitation de données sensibles, récoltées après la chute du mur en 1989 et le démantèlement des services secrets de la Stasi sont le second moteur que l’auteur s’ingénie à démonter pour nous livrer la moindre pièce de cette trame de l’histoire contemporaine qui trouvera une répercussion au cœur d’une banale enquête policière.

     

    Capture d’écran 2014-01-26 à 18.32.57.pngIl faut bien le dire, l'arche narrative qui s’étale sur 25 ans est extrêmement bien construite dans un style très classique qui permet au lecteur de ne pas se perdre dans les circonvolutions historiques et administratives d’une histoire aux ramifications complexes. L’auteur parvient habilement à entremêler la fiction et la réalité pour nous démontrer que les actes d’un autre temps peuvent faire basculer les destins d’hommes et de femmes cherchant à basculer dans une autre vie pour échapper aux conséquences des choix qu’ils ne parviennent plus à maîtriser. Le tout est teinté d’un certain mordant que l’on ressent particulièrement au travers des propos du personnage principal qui découvre l’aspect sombre des coulisses du pouvoir et tente par tous les moyens de s’y mouvoir sans trop y perdre de son intégrité ce qui s’avèrera un exercice périlleux qui lui laissera un goût amer.

     


    Capture d’écran 2014-01-26 à 18.28.23.pngFinalement, avec Leif GW Persson, il importe peu de connaître l’identité du meurtrier car l’auteur s’attache principalement à décortiquer le mobile qui l’a poussé à commettre cet acte ultime pour décliner sur fond de corruption étatique, d’incompétences policières et de compromissions politiques, les affres d’une société qui ne sait comment faire face aux changements de plus en plus trépidant d’un monde en constante évolution. C’est peut-être cet aspect un peu déroutant où l’action peu présente laisse la part belle aux réflexions des personnages qui pourra heurter les lecteurs. Ils devront surmonter cette appréhension pour découvrir un superbe polar qui oscille entre le roman noir, le roman d’espionnage (contre-espionnage) et le roman d’enquête traditionnel.

     

    Des policiers machistes, un brin sexistes et parfois racistes c’est aussi cela que vous découvrirez au détour des dialogues de certains personnages que l’auteur prend la peine de faire évoluer dans le cadre de leur vie privée. L’exercice de style ne s’avère pas exempt de clichés mais est contrebalancé par un zeste d’humour qui donne encore d’avantage d’épaisseur à ce magnifique récit riche en rebondissements historiques.

     

    Photo 1 : Prise d'otage de l'ambassade d'Allemagne à Stockholm

    Photo 2 : Chute du mur de Berlin

     

    Leif GW Persson : Autre Temps, Autre Vie. Editions Rivages/Noir 2013. Traduit du suédois par Philippe Bouquet.

    A lire en écoutant : Tanya (Donald Byrd) interprété par Dexter Gordon. Album : One Flight Up. Blue  Note 1964