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07. Western - Page 3

  • Lance Weller : Wilderness. La dernière marche.

    Capture d’écran 2014-02-08 à 17.28.36.pngLa beauté tragique des guerres ne doit pas l’emporter sur la bestialité sauvage des conflits qui ont jalonné l’histoire de l’homme. Mais comme des fleurs vénéneuses, il y a parfois des œuvres poignantes qui jaillissent de ces champs de bataille pour évoquer l’atrocité des combats comme c’est le cas avec Wilderness, premier roman de Lance Weller qui retrace l’un des chapitres majeurs et pourtant méconnu de la guerre de sécession.

     

    Qualifier ce premier roman de chef-d’œuvre n’aurait pas vraiment de sens tant le qualificatif a été galvaudé pour perdre finalement toute sa valeur substantielle mais il est indéniable que Wilderness possède une force littéraire peu commune qui tend vers la perfection.

     

    Vieillard solitaire, meurtri par la guerre, Abe Truman s’est réfugié durant des années dans une cabane délabrée construite  à la lisière d’une forêt sauvage qui borde l’océan, au nord ouest des Etats-Unis. Sentant la fin venir, rejeté par  cet océan qui ne veut pas de ce vieux corps brisé, Abe Truman entame avec son chien un dernier périple à travers le pays jusqu’à ce qu’il se fasse agresser par un étrange indien au regard terne et un homme au visage cruellement déchiré. Laissé pour mort, Abe Truman va poursuivre ses agresseurs afin de récupérer son chien qu’ils lui on volé. Balloté entre le présent et les souvenirs de la bataille de la Wilderness, Abe Truman avance sur les traces de son destin.

     

    Le récit oscille entre trois années. Il débute en 1965 avec les souvenirs d’une vieille femme aveugle qui tente de rassembler quelques images de Abe Truman au travers du toucher d’un crucifix en os et d’une balle. Puis l’on découvre ce même Abe Truman en 1899 qui entame son dernier périple et qui, au gré de ses pérégrinations nous entraine dans les méandres de ses souvenirs en 1864, en plein cœur de la bataille de la Wilderness.

     

    Une richesse de la langue, c’est tout d’abord ce qui frappe dans ce roman pour décrire aussi bien la puissante beauté de la nature que l’indicible horreur d’une guerre sans merci. On se laisse porter par la fluidité de longues phrases qui nous décrit la sauvagerie des combats impitoyables où les hommes semblent absorbés par une terre gorgée de chair et de sang qui ne restituera finalement qu’une masse organique composée de corps broyés par la bataille. Mais que l’on ne s’y trompe pas, il n’y a aucune magnificence de la guerre tant l’auteur parvient avec talent à nous restituer l’horreur révoltante et pourtant quotidienne auxquels sont soumis ces combattants.

     

    Outre Abe Truman, les personnages qui jalonnent le roman sont d’une belle profondeur, enracinés dans la simplicité du bon sens et l’imprescriptibilité des souvenirs douloureux ils apportent par le biais des dialogues toute leur humanité qui résonne au travers d’une nature majestueuse. Mais pourtant, dans cet univers d’homme, ce sont les femmes qui offrent toute leur majesté dans ce roman avec Jane Dao Ming Poole, vieille femme aveugle qui se souvient comme pour faire revivre Abe Truman une dernière fois. Il y a également Hypatia, jeune esclave en fuite qui a perdu son bébé et qui rôde dans la périphérie du champ de bataille ; Ellen Makers jeune femme désespérée au ventre stérile, vouée aux récrimination des siens pour avoir marié Glenn, un homme de couleur. Toutes croiseront la route du vieux soldat pour lui offrir, à chaque fois qu’il trébuche, une lueur de rédemption au détour de ce chemin aussi noir que flamboyant.

     

    Vous ne trouverez pas de belle morale ou de saine camaraderie dans ce récit. Il n’y a que l'histoire d’hommes et de femmes entraînés par leur destin respectif qu’ils ne peuvent pas vraiment maîtriser. Dépassés par la tragédie ou l’horreur de leur quotidien ils pourront révéler leur humanité au travers de la générosité qu’ils sauront offrir aux autres.

     

    Wilderness, c’est un grand premier roman d’un écrivain qui n’a plus qu’à confirmer son statut d’immense auteur.

     

    La première règle, me semble-t-il, est qu’on peut juger de la véracité d’une histoire de guerre d’après son degré d’allégeance absolue et inconditionnelle à l’obscénité et au mal.

    Tim O’Brien, A propos de courage.

     

     

    Lance Weller : Wilderness. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

    A lire en écoutant : Solitude de Herbie Hancock. Album : River – The Joni Letter. The Verve Music Group 2007.

  • Bruce Holbert : Animaux Solitaires. L'ouest impitoyable.

    bruce holbert,animaux sauvages,gallmeister,russel straw,clint eastwoodBlack Mask, principale revue de littérature policière des années 30, recelait toute une panoplie d’écrivains talentueux comme Dashiell Hammet et Raymond Chandler qui lui donnèrent ses lettres de noblesse et contribuèrent à forger le mythe du polar et du hardboiled. D’autres revues se spécialisaient dans des genres spécifiques comme le fantastique et le western. Néanmoins, le mélange des genres était soigneusement évité et on restait cantonné dans son domaine, même si quelques écrivains tentaient parfois l’aventure sous l’usage d’un pseudo. Il semble que ce cloisonnement se soit perpétué au fil des décennies et très franchement polar et western n’ont jamais fait bon ménage ensemble.  

     

    Les éditions Gallmeister semblent toutefois relever ce défi en publiant bon nombre de romans policiers qui se déroulent dans les contrées sauvages des USA avec , entre autre, la série phare du sheriff Longmire de Graig Johnson qui possède toutes les tonalités du western contemporain.

     

    Avec Animaux Solitaires de Bruce Holbert nous pénétrons cette fois-ci de plain-pied dans le western en découvrant les derniers bastions d’un monde qui ne peut résister à l’assaut de progrès et qui est donc condamné à disparaître. L’histoire se déroule en 1932 dans l’état de Washington et nous suivons le parcours de Russel Straw,  ancien officier de police travaillant pour le compte de l’armée, qui reprend du service pour traquer un tueur en série particulièrement sadique qui sème des cadavres d’indiens mutilés sur son chemin.

     

    Un western noir voilà comment l’on pourrait qualifier le premier roman de Bruce Holbert, car même si le résumé possède quelques relents de polar ou de thriller, il ne faut pas se leurrer, l’intrigue pêche un peu par son absence de surprise et le lecteur moyen découvrira d’ailleurs très rapidement qui est le responsable de ces meurtres odieux. Cette petite déception ne doit toutefois rien enlever à la qualité de ce roman où l’on se plait à suivre les pérégrinations d’un homme vieillissant dont les sursauts de violence font écho au tueur qu’il traque sauvagement. Straw traîne derrière lui tout le poids d’une force indomptée qu’il ne peut maîtriser et qui se traduit par des explosions épiques comme lorsqu’il s’en prend  aux policiers des Affaires Indiennes. Le personnage est désormais hors-cadre et semble inquiéter tout son entourage qui ne comprend plus cet homme issu d’une époque révolue.  Car même si la plupart des hommes qui l’entourent ont du sang sur les mains, même si la violence a fait partie de leur culture, il apparaît que les mirages du progrès les ont contraint à vêtir l’habit étriqué de la civilisation. Les voitures, l’apparition de l’éclairage publique et surtout la construction de barrages qui engloutissent des régions entières comme pour mieux effacer cette période sauvage dont plus personne ne veut entendre parler, voici le décors dans lequel évolue désormais Straw qui se plaît de plus en plus à bivouaquer dans les forêts montagneuses du comté de l’Okanogan, en compagnie de Stick, son fidèle cheval.

     

    Teintés de références bibliques et shakespeariennes, le récit se perd parfois dans des digressions qui alourdissent inutilement le texte comme ces références criminalistiques sur les tueurs en séries qui semblent complètement anachroniques à une époque où l’on ne se posait aucune question sur les motivations d’un assassin ou d’un voleur. Comparé à Cormac McCarthy, il manque à Bruce Holbert ce dépouillement qui donnerait plus d’ampleur à une histoire aussi âpre que tragique. Néanmoins il faut saluer un auteur qui signe avec Animaux Solitaires un premier roman riche en personnages intenses et pittoresques qui évoluent dans une superbe époque en pleine mutation.

     


    Capture d’écran 2013-11-03 à 20.52.35.pngEn compagnie de Russel Straw qui n’est pas sans rappeler William Munny, héros crépusculaire que campait Clint Eastwood dans Impitoyable, vous partirez sur les chemins de la perdition au travers d’un roman sans retour.

     

     

    Bruce Holbert : Animaux Sauvages. Editions Gallmeister 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

     

    A lire en écoutant : L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Nick Cave/ Warren Ellis. EMI/Mute Records 2007