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  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

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    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.

  • Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Retour de flammes.

    laurent whale, le vol du boomerang, éditions au diable vauverService de presse.

     

    Depuis bien des années, Laurent Whale auteur franco-britannique écrit et traduit des romans avec une prédilection pour le fantastique et la science-fiction même s'il a fait quelques incursions dans le genre thriller avec des récits mêlant faits historiques et intrigues policières dont les enquêteurs archivistes se surnomment "les rats de poussière" en déclinant ainsi ce titre autour d'une série composée de trois volumes. Mais c'est avec Skeleton Coast (Au Diable Vauvert 2021) que le romancier se fait remarquer du grand public en abordant les thèmes de l'écologie et de la corruption au cœur d'un roman prenant pour cadre la face atlantique Namibienne. Avec Le Vol Du Boomerang, son dernier roman, c'est davantage sur le registre de l'aventure se déroulant en Australie que Laurent Whale reprend le thème de l'écologie autour de la Bridgestone World Solar Challenge, une course de voitures propulsées à l'énergie solaire de 3000 kilomètres dont le départ se situe à Darwin pour s'achever l'autre bout du pays, à Adelaide. 

     

    Après avoir obtenu son doctorat en physique des particules, Jimmy Stonefire est retourné auprès de sa communauté aborigène dans les Territoires du Nord de l'Australie. C'est dans un atelier sommaire perdu dans le désert qu'il a mis au point une voiture à propulsion solaire afin de remporter la fameuse Bridgestone World Solar Challenge, une compétition mettant en concurrence ce type de véhicule en provenance du monde entier. Plus que des rêves de gloire, le jeune aborigène souhaite surtout sensibiliser la population à la cause de son peuple martyrisé et ostracisé. De son côté Tony Mulatier, un routier français qui a émigré en Australie, conduit désormais ces fameux "Road Train" à travers tout le pays en rêvant de réunir suffisamment de fond pour acquérir un de ces géants des routes afin de devenir indépendant. Avec les gigantesques incendies qui ravagent la région, Andy Sweeger a fermé son restaurant et tout abandonné pour emmener sa femme et ses deux enfants sur les routes embouteillées de réfugiés climatiques comme lui qui se retrouvent dans des camps de fortune où règne la loi du plus fort. Trois destins qui vont croiser leurs routes respectives autour d'un périple des plus périlleux.

     

    Le Vol Du Boomerang se concentre essentiellement autour de cette fameuse course à laquelle participe Jimmy Stonefire permettant à Laurent Whale de nous sensibiliser à la cause des aborigènes tout en évoquant les dysfonctionnements écologiques qui frappent la plupart des territoires de ces communautés, notamment victimes de l'exploitation outrancière des sous-sol. On ne peut donc que se féliciter de la démarche de l'auteur qui a sans nul doute fournit un gros effort pour se documenter afin de nous restituer les péripéties de cette compétition qui ne manque pas d'allure. Choisissant de situer l'action entre 2019 et 2020, Laurent Whale dresse un tableau plutôt cataclysmique d'une Australie touchée de plein fouet par les gigantesques incendies qui ravagent le pays avant de se retrouver confrontée aux aléas de l'épidémie de COVID19. Mais à force d'aborder une multitude de sujets, Laurent Whale s'égare à plusieurs reprises dans le cours de son récit qui manque singulièrement de tenue, ce d'autant plus que l'on abordera également le point de vue d'un routier français parcourant les routes de cette île–continent ainsi que celui d'une famille australienne fuyant les incendies et trouvant notamment refuge dans des camps dénués de toute forme d'autorité en laissant des milliers d'individus livrés à eux-mêmes. Il résulte un sentiment de frustration, ce d'autant plus que l'on aurait aimé en savoir plus en ce qui concerne la destinée de ces réfugiés climatiques qui disparaissent soudainement du paysage, ceci même durant l'épilogue où ils croisent de manière très fortuite la route de Jimmy Stonefire avec cette impression que l'auteur a supprimé quelques éléments de leur parcours. Pour ce qui a trait au chauffeur routier on ignore également ce que sera son devenir et s'il a pu réaliser son rêve en devenant un chauffeur indépendant. Tout cela nous donne l'impression d'un récit foutraque qui perd de vue l'essentiel d'une aventure s'achevant sur un concert déconcertant des Midnight Oil en pleine crise sanitaire dont Laurent Whale ne semble plus tenir compte. Des belles intentions pour un roman qui ne tient pas toutes ses promesses. Dommage.

     

    Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Editions Au Diable Vauvert 2023.

    A lire en écoutant : Arctic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. Sprint/Columbia Records 1987.

  • COLSON WHITEHEAD : HARLEM SHUFFLE. POUR UNE POIGNEE DE CAILLOUX.

    Capture.PNGPeu lui importe les genres, peu lui importe la posture du romancier reconnu, Colson Whitehead, après avoir obtenu coup sur coup deux Pulitzer pour Underground Railboard (Albin Michel 2017) et Nickel Boys (Albin Michel 2020), se lance dans le polar et plus précisément dans un récit assumé de roman noir au titre évocateur, Harlem Shuffle, prenant pour cadre la période trouble des années soixante de ce quartier mythique de Manhattan en rendant hommage aux intrigues de Chester Himes et de Donald Westlake. On appréciera ce rapport décomplexé aves les genres quels qu'ils soient, pour cet auteur qui nous avait déjà surpris avec Zone 1 (Gallimard 2014) en empruntant les codes du fantastique et de l'anticipation afin de nous entrainer dans une ville de New-York post-apocalyptique, infestée de zombies.  Mais bien au-delà des genres, Colson Whitehead ne cesse de nous interpeller avec ce thème lancinant consistant à savoir ce que l'on fait de notre vie et qui revient dans chacun de ses romans, ceci plus particulièrement dans Harlem Shuffle

     

    Ray Carney tient un magasin de meuble sur la 125ème rue, en plein cœur du quartier de Harlem. Marié et père de deux enfants, ce commerçant aspire à offrir tout le confort à sa famille en lorgnant notamment des appartements d'un plus haut standing que celui qu'il loue actuellement. Mais pour cela, il faut de l'argent et son cousin Freddie lui propose justement de braquer la salle des coffres du fameux hôtel Theresa, nec plus ultra des établissements du quartier. N'aspirant pas à devenir truand, Ray Carney se contentera d'écouler les bijoux de l'éventuel butin à venir. Il croisera ainsi sur son chemin, Pepper le vétéran de la Seconde Guerre Mondiale et Miami Joe gangster notoire tout de violet vêtu ainsi que toute une panoplie de flic véreux qui hantent le quartier de Harlem en réclamant leur enveloppe. Avec ces combines douteuses et l'essor de son négoce, Ray Carney va louvoyer entre les notables et la pègre du quartier en espérant ne pas faire de faux pas. Mais du côté de Harlem, rien n'est jamais simple.

     

    Harlem Shuffle s'inscrit dans une trilogie se déroulant au cœur de ce fameux quartier de New-York rassemblant une grande partie de la communauté afro-américaine et dont le second ouvrage, intitulé Crook Manifesto, va paraitre prochainement en anglais avec un récit reprenant l'ensemble des personnages du premier volume qui évoluent désormais durant la décennie des seventies. Mais pour en revenir à Harlem Shuffle, on se réjouit de cette intrigue tonitruante se divisant en trois parties pour nous entrainer successivement autour d'une histoire de braquage, d'un chantage et d'un vol au détriment d'une famille aisée, en nous permettant ainsi de survoler l'ensemble de la décennie des sixties. En restituant avec précision l'atmosphère électrique régnant dans ce quartier, Colson Whithead se focalise sur le quotidien de Ray Carney et de sa famille dont il est nécessaire de souligner l'importance avec une épouse officiant au sein d'une agence de voyage se substituant au fameux guide Green Book afin de permettre aux afro-américains d'éviter quelques déconvenues raciales lors de leurs périples dans les différents Etats d'un pays pratiquant la ségrégation. Une illustration parfaite du contexte de l'époque. Ray Carney incarne ainsi cette ambivalence et cette débrouillardise nécessaire pour un commerçant en quête de respectabilité qui doit pourtant marcher dans quelques combines de recel afin de pouvoir acquérir l'appartement de ses rêves, en mettant ainsi en exergue tout l'aspect social de la lutte des classes et ceci plus particulièrement lorsqu'il souhaite accéder à un club de notables dont son beau-père fait partie et qui lui en empêche l'accès au vu de sa condition, voire même de sa couleur de peau trop foncée, que l'on juge toutes deux inadéquates pour intégrer une telle association. En toile de fond de Harlem Shuffle, se dessine également le thème de la discrimination qui est omniprésente en évoquant notamment les six jours d'émeutes qui ont secoué le quartier en 1964 avec la mort d'un adolescent afro-américain abattu par un officier de police blanc en service. Triste constat d'une situation qui n'a guère évolué comme nous le rapporte les actualités qui rattrapent le passé. Mais en dépit de la gravité des thèmes évoqués, Colson Whitehead n'a rien d'un romancier moralisateur. Il nous livre ainsi un roman chargé d'énergies et de vibrations positives, parfois piqueté d'un humour acide, émanant d'un quartier en ébullition où évolue toute une galerie de personnages hauts en couleur à l'image de ces truands outranciers, de ces flics véreux et de toute cette population bigarrée qui composent cette agglomération à nulle autre pareil et que l'auteur dépeint avec ce texte étincelant aux dialogues savoureux qui ne peuvent que nous faire chavirer.

     

    Colson Whitehead : Harlem Shuffle. Editions Albin Michel/Terres d'Amérique 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé.

    A lire en écoutant : Harlem Shuffle de Bob & Earl. Single : Harlem Shuffle. 1963 Marc Records 104.