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Donald Ray Pollock : Une Mort Qui en Vaut la Peine. La part d’ombre.

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L’Homme pour l’essentiel est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets. C’est probablement avec cette citation d’André Malraux que l’on peut appréhender toute la noirceur de l’œuvre de Donald Ray Pollock qui nous avait ébloui avec Le Diable, Tout le Temps, un roman ténébreux démystifiant sauvagement la période faste des années quarante aux années soixante, incarnée par ce fameux rêve américain. Troisième roman de l’auteur, Une Mort Qui en Vaut la Peine poursuit cette sombre exploration de l’âme humaine en nous proposant de suivre le destin des frères Jewett, braqueurs de banque néophytes, sévissant durant l’année 1917 entre les états de l’Alabama et de l’Ohio.

 

En 1917, dans un coin paumé situé entre la Georgie et L’Alabama, les frères Jewett s’échinent à la tâche comme ouvriers agricoles, sous la férule d’un père mystique. Une vie de misère qui trouvera sa récompense au paradis, lors du festin céleste comme le certifie ce vieillard qui perd peu à peu la raison. Mais à sa mort, les trois frères décident de poursuivre un autre rêve inspiré d’un roman populaire mettant en scène un bandit de grand chemin. Chevauchant leurs montures, ils écument les banques de la région avec une audace surprenante tout en bénéficiant d’une chance insolente. Dès lors, une horde de poursuivants se lancent à leurs trousses pour bénéficier de la récompense qui devient de plus en plus conséquente, à la mesure de leurs retentissants exploits.

 

Même si les événements se déroulent en 1917, on est bien loin de la fresque historique puisque Donald Ray Pollock se détourne des personnages célèbres pour mettre en scène une kyrielle de protagonistes anonymes qu’il dépeint dans des portraits féroces, dépourvus de la moindre complaisance. Néanmoins, pour s’immerger dans le contexte de l’époque, on perçoit, comme des échos lointains, le fracas de cette guerre qui ravage l’Europe et l’émergence des chaînes de montage de Détroit, illustrant les débuts d’une ère nouvelle d’industrialisation. Mais bien loin de tous ces progrès, les frères Jewett vont s’illustrer dans des braquages brutaux et parfois sanglants qui font référence à ce temps révolu des westerns tandis que le couple Fiddler, privé de leur fils indigne, s’acharne à remettre en selle leur petite exploitation agricole après avoir été spolié par un escroc qui s’est emparé de toutes leurs économies. On suit donc ces parcours parallèles en se demandant tout au long du récit comment ces deux destinées si dissemblables peuvent être amenées à se croiser. C’est l’un des enjeux du roman où Donald Ray Pollock mets en scène une impressionnante succession de personnages dont les caractéristiques se dévoilent au rythme d’anecdotes croustillantes, parfois cocasses et très souvent terrifiantes révélant toute les failles, perversions et dépravations des acteurs du roman.

 

Avec Une Mort Qui en Vaut la Peine, une grande partie du récit se déroule en dehors de l’Ohio. Mais on retrouve tout de même le comté de Ross, où l’auteur à l’habitude de camper toutes ses histoires. On découvre ainsi le Camp Sherman, centre de recrutement situé à proximité de la ville de Meade (Chillicothe) où les soldats côtoient la population au cœur d’une espèce de cloaque grouillant dans lequel se débattent tous les personnages du récit. Une cité animée qui devient l’illustration pernicieuse d’un progrès chaotique à l’instar des toilettes que l’on installe désormais dans tous les foyers et dont Jasper, inspecteur de l’hygiène publique, doit contrôler le niveau, les deux pieds plantés ainsi, au propre comme au figuré, dans la fange de l’humanité. Paradoxalement il s’agit du personnage le plus lumineux du roman avec le jeune Cob Jewett car du barman sociopathe au lieutenant homosexuel fantasmant sur ses recrues, du banquier véreux au shérif corrompu, des prostituées fanées aux artistes licencieux, il y a dans ce roman des personnages qui s’acceptent dans le mal qu’ils incarnent ou qui tentent, souvent en vain, de rejeter les travers de leurs personnalités. Parce qu’il opère par petites touches au travers de tous ces portraits, Donald Ray Pollock répand insidieusement le mal tout au long d’un texte extrêmement riche en péripétie nous permettant de digérer ce roman aussi dense qu’intense et dont le titre évoque les thématiques du sacrifice et du renoncement. Ainsi, au-delà de l’abjection, au-delà du mal, on distingue une lueur d’espoir dans un épilogue aussi poignant que bouleversant.

 

Sobre quand c’est nécessaire, lyrique quand il le faut, Une Mort Qui en Vaut la Peine est un bel équilibre de noirceur et d’espérance confirmant la propension d’un auteur à mettre en scène, sans fard, sans fioriture et avec un talent qui semble presque inné, toutes les fêlures désagrégeant la conscience de chacun des protagonistes de ce roman crépusculaire.

 

Donald Ray Pollock : Une Mort Qui en Vaut la Peine (The Heavenly Table). Editions Albin Michel/Terres d’Amérique à paraître le 3 octobre 2016. Traduit de l’anglais par Bruno Boudard.

 

A lire en écoutant : In the Garden de Van Morisson. Album : No Guru, No Method, No Teatcher. The Exil productions Ltd 1986.

 

Commentaires

  • Bonsoir

    Je viens de le finir , avec gourmandise je dois le dire , car j ´avais été très impressionné de fait par son précédant roman.. Et je me demandais quand nous alllions enfin avoir un nouvel opus.

    Tout en avançant dans sa lecture je ne pouvais m ´empêcher de balancer entre deux impressions...
    La première que nous avions indéniablement ici affaire à un roman ambitieux au vu/ à la lecture de son déploiement romanesque (tant au regard des pérégrinations des personnages, que, précisément', dans l abondance de ces derniers); la seconde que tout cela avançait certes dans une direction que l'on
    devine ( tous ces destins vont bien se recouper in fine dans la même ville ) mais parfois un peu ... en vain.

    Ce que je veux dire ici c est que l ´auteur n a pas su éviter le piège de Qui trop embrasse mal étreint...
    Ainsi , si le personnage de Jasper est bien caractérisé avec son histoire et son trauma, en revanche celuî de
    Bovard, le lieutenant homosexuel, me paraît faible et traité avec trop de désinvolture. Comment croire qu 'il accepte aussi aisément ce qui était alors condamné comme une ..inversion ?
    Il aurait gagné à être plus travaillé psychologiquement tout comme sa relation balbutiante avec Wesley qui manque de trouble....

    Même chose au regard des trois frères auxquels on s'attache , c ´est indéniable , et auxquels l'auteur donne du relief individuellement au fil des pages mais un peu tardivement je trouve; précisément parce qu ´ il est occupé à suivre le destin de tant d'autres, peut - être...

    En revanche ce que j ´ai apprécié chez cet auteur ici c'est qu ´
    il se garde de tout schématisme surtout dans la peinture des " salauds". Je pense toujours à cette phrase de Deleuze je crois qui disait qu il n y a pas de monstres ...juste de pauvres types qui font des choses degeulasses. C ´est exactement ce que je pensais en découvrant le personnage du patron de bar, tordu qui aurait pu figurer dans Le Diable tout le temps ..
    Lui aussi a connu son lot de vexations et d ´humiliations dans la vie . Ça ne l ´excuse pas mais ça explique
    Ses faits. Et quand on lit que faire tinter son bocal de dents arrachées à ses victimes le calme comme le grelot que sa mère lui tendait enfant... tout est dit, non ? A chacun son rosebud même chez les tortionnaires.

    D ailleurs si l on se penche sur le paratexte - autrement dit que nous dit cette histoire au-delà de ses nombreux épisodes où tous les personnages rêvent d'autre chose et surtout d 'une vie meilleure ? - on notera une profonde empathie pour beaucoup d entre eux avec un net refus de les condamner ne serait- ce qu au regard de leur appétence sexuelle. On est quand même ici dans une histoire où la plupart des hommes ne pensent qu a la sodomie et de préférence sur d'autres hommes.
    C est la grande préoccupation de la gente masculine ici !
    Mais la où d 'autres auteurs auraient versé allègrement dans une sournoise homophobie , rien de tel chez l 'auteur. Tres politiquement correct...? Je pense plutôt que nous avons affaire à un auteur qui un peu comme
    Un Clint Eastwood aujourd'hui dans son cinéma pense que chacun a le droit de vivre comme bon lui semble... Le tropisme du Républicain qui se teinte de tolérance à la Démocrate ?

    Enfin, moi aussi j ai été ému par les dernières pages certes un peu mélodramatiques avec ce bon neo Junior qui coule des jours heureux dans sa nouvelle famille. D ´ailleurs je regrette que les deux autres frères ne s ´en soit pas sortis ( je spoile là? ). J ´aurais aimé une bonne fin "amorale " en quelque sorte.


    A part ça j ai été frappé par le talent de l ´auteur dans la caractérisation des lieux et son regard sur la végétation qui donne véritablement " à voir " les champs, la nature et d'une façon générale les décors.
    C est d ailleurs très cinématographique même si le roman ne serait pas simplement à adapter je pense...

    En conclusion je me demande si le roman n ´est pas un peu.... "raté" et pourtant je l ´ai beaucoup aimé.
    Paradoxe qui en fait la séduction.

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