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  • JO NESBO : CHASSEURS DE TETES. DUEL D’ENFOIRES.

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    Lorsque l’on a connu les débuts d’un écrivain qui, au fil de ses ouvrages, développe  son personnage fétiche devenant ainsi de plus en plus reconnu sur la scène littéraire, il y a comme une espèce de relation qui s’instaure  entre l’auteur, le lecteur et le personnage de fiction à un point tel qu’il peut parfois s’avérer difficile de lire les autres livres de ce même écrivain. C’est un peu pour cette raison que j’avais laissé de côté  Chasseurs de Têtes de Jo Nesbo qui avait abandonné son célèbre inspecteur, Harry Hole, que l’on ne présente plus pour nous narrer les aventures de Roger Brown.

     

    C’est lors de l’acquisition d’une tablette numérique, et en parcourant la bibliothèque en ligne que l’ouvrage s’est rappelé à mon bon souvenir. Quelques clics (virtuels sur une tablette) et me voilà en possession de mon premier ebook, transporté du côté d’Oslo pour découvrir ce nouveau personnage fort peu attachant au demeurant. Roger Brown est un caïd dans son domaine. Il n’a pas son pareil pour dénicher la perle rare capable de diriger les entreprises qui le mandate. Le n° 1 des Chasseurs de tête c’est lui. Des entretiens acérés où tout y passe : pression, intimidation, déstabilisation et séduction. Au passage, il en profite pour savoir si le postulant ne posséderait pas un petit tableau de valeur afin de le délester. Car Roger Brown, pour combler sa magnifique épouse, vit très au-dessus de ses moyens. Avec la revente des œuvres d’art dérobées, il comble tant bien que mal ses dettes en attendant le gros coup qui le mettrait à l’abri. Et peut-être qu’il s’agira de ce Rubens que possède l’un des candidats. Le coup semble facile, mais le candidat en question ne s’avère pas aussi candide qu’il y paraît et Roger Brown va voler de déconvenue en désappointement dans un parcours parsemé de cadavres ! Qui manipule qui ? Ce n’est peut-être pas pour rien que le titre est décliné au pluriel !

     

    Un roman noir doté d’un rythme agressif qui lui confère des allures de thriller voilà comment l’on pourrait qualifier ce hors-série de Jo Nesbo. L’auteur reprend le thème du personnage impitoyable qui se retrouve piégé par plus retors que lui. Et nous ne pouvons pas manquer le parallèle entre le cynisme de cet homme au cœur du monde des affaires et la froideur implacable d’un tueur sociopathe en se demandant qui est finalement le plus abominable des deux. Roger Brown va l’apprendre à ses dépends au gré de situations rocambolesques et hallucinantes qui vont le plonger dans le plus profond des désarroi à un point tel que l’on éprouvera une espèce d’empathie pour cet odieux personnage. En effet, dans sa fuite en avant, notre "héros" va devoir se débarrasser de tous ses signes extérieurs de richesse (voiture, costume, carte de crédits, téléphone et même sa chevelure dont il prenait grand soin) qui le confortait dans sa position sociale. C’est donc au gré de ce dépouillement forcé que Roger Brown va peut-être retrouver un peu d’humanité.

     

    Avec Jo Nesbo, nous avons l’assurance d’un récit bien construit et de dialogues percutants (notamment lors des entretiens d’embauche que fait passer Roger Brown) et les scènes d’action sont aussi éblouissantes que saisissantes. Il n’y a guère que la fin qui perd de sa substance avec une très longue série d’explications plus que laborieuses qui empêche Chasseurs de Têtes d’être un grand polar. Néanmoins cela n’a pas empêché les scénaristes de l’adapter pour le grand écran et voici la bande-annonce  pour découvrir quelques images d’un film qui paraît très prometteur. Espérons que ce film norvégien fasse rapidement le voyage dans nos contrées. On parle d'une seconde adaptation pour les USA.

     

    De ce même auteur vous pouvez découvrir son article évoquant l'innocence perdue de la Norvège après la folle tuerie d'Utoya. Publié dans le New York Times il a été traduit en exclusivité pour le Courrier International. Vous le trouverez ici. Un texte poignant.

     

    Jo Nesbo : Chasseurs de Têtes. Serie Noire/Gallimard 2009. Traduit du norvégien par Alex Fouillet.

    A lire en écoutant : A Hard Day’s Night. The Beatles. Album : A Hard Day’s Night EMI Records Ltd 2009.

  • Jean-Christophe Grangé : Kaïken. Le seppuku d’un auteur consumé.

     

    kaiken-gf.jpgRien de plus affligeant que la rentrée littéraire. Outre l’écho médiatique outrancier, c’est cette marée d’ouvrages que les éditeurs nous balancent à une période donnée qui rend l’événement insupportable. Un dictat désolant qui fleure bon le marketing avec sa flopée de prix littéraires à venir. L’ennui dans tout cela, c’est que ces contraintes éditoriales imposent aux auteurs de rendre leur copie à une échéance précise s’ils souhaitent faire du chiffre. Car dans tout ce cirque, c’est bien souvent le nombre d’exemplaires vendus qui prime au détriment de la qualité.

     

    Cela peut s’illustrer avec les trois stars du thriller français que sont Jean-Christophe Grangé, Frank Thilliez et Maxime Chattam. Les trois auteurs présentent le même style d’écriture emprunté d’ailleurs à la littérature des thrillers anglo-saxon : Phrases aussi courtes que les chapitres. Descriptions détaillées et précises des scènes de crimes et des lieux où se déroulent les évènements. C’est d’ailleurs Grangé qui en a été le précurseur avec son fameux Le Vol des Cigognes édité en 1984. Maxime Chattam s’est fait connaître avec l’Ame du Mal, qui était le premier opus d’une trilogie consacrée aux tueurs en série. On a découvert Frank Thilliez avec la Chambre des Morts, bien qu’il ait précédemment écrit Train d’Enfer pour Ange Rouge, couronné du prix SNCF. Tous ces ouvrages ont eu comme point commun d’apporter une certaine fraicheur et une certaine originalité dans ce genre littéraire trusté par les auteurs anglo-saxon. Mais voilà à force de vouloir devenir le « Grand Maître du Thriller » et le n° 1 des ventes il semble que ces auteurs soient passés à une certaine démesure avec cette surenchère d’horreur qui frise le grand guignol et ces intrigues tarabiscotées qui peinent à tenir debout.

     

    C’est donc dans un contexte de déceptions successives que j’avais perdu de vue Jean-Christophe Grangé (particulièrement avec La ligne Noire) jusqu’à ce que je me heurte à la muraille de son dernier opus qui se trouvait au beau milieu d’une librairie incitant le pauvre consommateur compulsif que je suis à consulter la couverture qui d’ailleurs n’avait rien d’engageant. Mais avec une intrigue se déroulant au Japon, je me suis laissé tenté.

     

    Avec Kaïken nous suivons l’enquête d’Olivier Passant flic borderline (pour ne pas dire complètement cinglé) lancé à la poursuite d’un tueur sanguinaire qui s’est mis en tête d’éventrer des femmes enceintes avant de les brûler. Heureusement, il est secondé d’un flic punk et piercé de partout, grand consommateur de coke, héroïne et haschich qui ne crache pas dans son verre (rien que ça). Grand amateur du Japon, notre héros est marié à Naoko dont il a eu deux enfants. Un couple à la dérive en pleine procédure de divorce. Olivier Passant parviendra-t-il à appréhender ce meurtrier psychopathe tout en préservant le peu qu’il reste de sa vie de famille.

     

    Bien évidemment, le livre se lit rapidement ce qui est d’un côté assez salutaire pour le pauvre lecteur. Au risque de dévoiler l’histoire, je ne vais pas m’étendre sur les incohérences du récit avec ce flic prétendument intuitif et intelligent qui ne serait pas capable de percevoir ce qu’il se passe dans son entourage direct. Pour le reste vous découvrirez une série de clichés sur le Japon avec le code d’honneur du Bushido, l’art de positionner son lit, de composer un jardin et de sélectionner un thé. Vous découvrirez également toute une série d’information extraite de Wikipédia comme par exemple l’arme de service d’Olivier Passant, un Beretta PX4, qui a été celle utilisée par Leonardo Di Caprio dans Inception. Très peu de suspense dans ce récit puisque nous connaissons l’identité et les motivations du tueur dès les premiers chapitres et outre le fait que les deux tiers de l’histoire se déroulent dans la région parisienne, c’est la fin bâclée qui se situe au Japon qui plongeront le lecteur dans la plus grande des consternations. Un peu comme si Grangé, pressé par son éditeur avait été contraint de rendre sa copie sans avoir pu lui donner plus de maturité. Kaïken est donc une histoire froide à l’image de ce petit couteau japonais dont on aurait oublié d’aiguiser la lame devenue finalement aussi émoussée que l’intrigue.

     

    Jean-Christophe Grangé : Kaïken. Editions Albin Michel 2012.

    A lire en écoutant : Weather Storm de Massiv Attack. Album Protection. Circa/Virgin.

  • DAVID PEACE : TOKYO VILLE OCCUPEE. PRIERES POUR LES MORTS.


    david peace,tokyo ville occupee,unite 731,akutagawa ryunosuke,kurosawa,japon,tokyo,fantômesComme tous les livres de David Peace, Tokyo Ville Occupée est un ouvrage qui se mérite à un point tel que les lecteurs se divisent en deux camps polarisés à l’extrême avec ceux qui aiment et ceux qui détestent en abandonnant la lecture en cours de route. Cet ouvrage s’inscrit dans une trilogie consacrée au Japon de l’après-guerre et avait débuté avec Tokyo Année Zéro dont vous trouverez la chronique que je lui ai consacré ici.

     

    Au risque de paraître outrancier, comme l’auteur d’ailleurs, on peut considérer ce second opus comme un monument de la littérature noire. Malheureusement, David Peace ne bénéficie pas, dans nos régions, de la visibilité de certains auteurs parfois surévalués et reste à mon sens bien trop méconnu du public. Il faut admettre que son style déroutant est vraiment bien éloigné des standards commerciaux actuels. C’est ce qui explique sans doute le fait que ce joyau soit passé inaperçu. David Peace reste donc un écrivain fort apprécié des amateurs du genre mais à la notoriété encore bien trop confidentiel ce qui finalement importe peu car le talent, voir le génie, ne s’est jamais mesuré au nombre d’exemplaires écoulés.

     

    Tokyo Ville Occupée, comme tous les roman de l’écrivain, s’articule autour d’un fait réel. C’est le 26 janvier 1948 qu’un homme se prétendant médecin se présente à une succursale de la Banque Impérial de Tokyo et administre à tout le personnel deux potions censées être un vaccin pour lutter contre une épidémie de dysenterie qui sévit dans le quartier. Après d’atroces douleurs, 12 employés de la banque trouveront la mort, les potions s’avérant être un puissant poison. La police arrêtera un homme qui clamera toujours son innocence. Mais cet homme est-il bien l’auteur du massacre ?

     

    C’est la question que se pose l’écrivain sans nom (David Peace peut-être), personnage central du livre qui court dans cette ville trépidante de Tokyo avec son manuscrit inachevé pour se retrouver sous la porte noire au beau milieu d’un cercle occulte composé de douze chandelles. Douze chandelles ce sont autant de voix et de chapitres qui ponctueront ce récit dantesque.

     

     Dans cette chorale spectrale, vous découvrirez la supplique des victimes, le contenu du carnet de travail d’un inspecteur de police, le témoignage d’une survivante, les articles d’un journaliste, la correspondance paranoïaque d’un officier de l’armée américaine, le journal caviardé et délirant d’un officier soviétique sombrant dans la folie, les invocations d’un chaman, la protestation résignée de l’auteur présumé du massacre et bien d’autres point de vue encore qui nous entraineront dans l’ombre de la sinistre unité 731 dirigée par l’abominable lieutenant-colonel Shiro Ishii qui a opéré principalement en Mandchourie en effectuant des recherches sur les armes bactériologiques en pratiquant leurs expériences sur des cobayes humains, surnommés maruta ce qui en japonais signifie, bûche ou bille de bois.

     

    Pour chacun de ces chapitres, de ces voix, de ces chandelles l’auteur s’emploie à utiliser un style différent qui passe du texte le plus classique à l’imprécation la plus délirante.  Autant de prismes qui reflètent une réalité déformée, transfigurée par les compromissions et les occultes secrets d’une nation défaite qui peine encore à se remettre de sa mortifiante défaite.

     

    Car Tokyo Ville Occupée, est un ouvrage qui se décline en une fresque historique édifiante (outre l’empoisonnement des employés de la Banque Impérial de Tokyo, l’unité 731 et le lt-col. Ishii ont vraiment existé), un polar glaçant et un conte fantastique terrifiant sans que l’équilibre entre ces trois thématiques ne soit jamais rompu. C’est la grande force de ce roman qui s’inspire  d’une nouvelle intitulée Dans le Fourré de Akutagawa Ryunosuke que Kurosawa adapta pour réaliser son film Rashomon. Un récit extraordinaire qui n’est pas sans rappeler les textes d’Edgar Allan Poe et les poèmes de Baudelaire.

    Un court extrait pour vous convaincre :

    "Dans ces douze cercueils en mauvais bois, nous gisons. Mais nous ne gisons pas en paix. Dans ces douze cercueils en mauvais bois, nous nous débattons. Pas dans l’obscurité, ni dans la lumière ; dans la grisaille nous luttons ; car ici il n’y a que grisaille, ici nous faisons que nous débattre -

    Dans ce lieu de grisaille

    qui n’est pas un lieu

    nous nous débattons sans cesse, toujours et déjà -

    Dans ce lieu, qui n’en est pas un, entre deux autres lieux. Celui où nous étions autrefois, celui où nous serons -

    Les vivants cadavériques

    la mort vivante -

    Entre ces deux lieux, entre ces deux villes :

    Entre la Ville Occupée et la Ville Morte, c’est ici que nous résidons, entre la Ville Perplexe et la Ville Posthume."

     

    Nous poursuivons donc notre voyage au coeur d'une ville laminée, rongée par l’amertume de la défaite. Une ville peuplée de fantômes inquiétants. Poursuivrez-vous ce voyage entamé avec Tokyo Année Zéro ?

     

    David Peace : Tokyo Ville Occupée. Editions Rivages/noir 2012. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Merry Christhmas Mr Lawrence de Ryuichi Sakamoto. BOF de Merry Christmas Mr Lawrence. Virgin Records Ltd 1983.