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un jardin de sable

  • EARL THOMPSON : UN JARDIN DE SABLE. MISERE ET CHATIMENT.

    Capture d’écran 2025-12-21 à 17.01.48.pngPour en savoir plus, vous vous intéresserez à la chronique que Philippe Garnier a publié en 2018 dans Libération à l'occasion de la publication de l'ouvrage en français, car qui de mieux que le traducteur, nous ayant permis de découvrir Joe Fante et Charles Bukowski, pouvait parler de ce roman hors norme à l'image de son auteur ? On s'étonne d'ailleurs qu'il n'ait pas traduit Un Jardin De Sable d'Earl Thompson qui s'inscrit dans le même courant que Demande A La Poussière et Journal D'Un Vieux Dégueulasse, avec cette tonalité âpre et cette crudité qui imprègne le texte. Quoiqu'il en soit, c'est donc Jean-Charle Khalifa qui s'est attelé à la traduction de l'ouvrage, tout comme celle de Tattoo (Monsieur Toussaint Louverture 2019) et de Comprendre Sa Douleur (Monsieur Toussaint Louverture 2023), publié à titre posthume, dans lesquels figurent également Jack Andersen qui n’est, ni plus ni moins, que l'alter égo d'Earl Thompson ayant vu le jour dans une ferme du Kansas en 1931 et qui, après avoir menti sur son âge, servira dans l'armée durant la Seconde guerre mondiale puis lors du conflit avec la Corée, avant de bourlinguer à travers le monde tout en exerçant mille et un métiers pour retourner au pays où il rendra l'âme prématurément du côté de Sausalito, en 1978 à l'âge de 47 ans alors qu'il connaissait une certaine notoriété dans le milieu littéraire américain. Publié en 1974, Un Jardin De Sable, véritable pavé (au propre comme au figuré) dans la mare d'une misère éclaboussant le lecteur, présente la particularité de mettre en scène des individus dont il n'est guère question habituellement à savoir un peuple d'indigents se débattant dans un quotidien morne, sans perspective où l'adversité entraîne ces hommes et ces femmes de peu dans une spirale infernale de brutalité, d'alcool et de sexe qu'Earl Thompson expose avec la crudité et la violence caractérisant son style. Et même si l'époque était davantage propice à ces ouvrages licencieux, on s'étonnera qu'Un Jardin De Sable ait fini parmi les finalistes du National Book Award alors que le récit graveleux au possible renvoie un ouvrage comme Last Exit to Brooklyn de Hubert Selby Junior au rang de roman pour midinette. D’ailleurs, au vu des scènes explicites, il n'est pas surprenant de retrouver l'ouvrage en main d'adolescents en quête de sensations comme l'évoque  Donald Ray Pollock dans la préface qu'il a rédigée pour exprimer tout le bien qu'il pensait de ce bouquin rempli de sexe, de salauds, de crasse, d'alcool et d'une profonde pauvreté figurant parmi les premiers romans à lui avoir donné envie d'écrire et qui a inspiré de près ou de loin toute une multitude d'écrivains de la littérature noire citant régulièrement Earl Thompson comme l'une de leur référence. Cela  n'a pas empêché que le romancier tombe dans l'oubli avant de resurgir, plus de trente ans après sa mort, sur les étals des librairies francophones pour découvrir cet univers rugueux du Kansas de la fin des années trente, entre Grande Dépression et Dust Bowl ravageant une région où sévit la prohibition et la contrebande qui en découle dans ce qui apparaît finalement comme une version trash des Raisins De La Colère, imprégnée de foutre et de sang pour reprendre le titre de l'article de Philippe Garnier plein d'à propos.

     

    earl thompson,un jardin de sable,éditions monsieur toussaint louverture,roman noir,roman américain,chronique littéraire,blog littéraire,mon roman noir et bien serré,littérature noireC'est un an avant l'élection de Roosevelt que John Andersen, que tout le monde appelle Jacky, voit le jour à Wichita dans le Kansas au sein d'un environnement précaire. Il faut dire que le gamin ne part pas avec tous les atouts, puisque son père Odd Andersen préfère abandonner femme et enfant pour s'acoquiner avec miss Wichita avant de trouver la mort dans un accident de voiture, tandis que sa mère Wilma est plus encline à picoler et à séduire les gars dans les bars avant de prendre le large, elle aussi, en laissant son fils au bon soin des grands-parents qui ont perdu leur ferme. Qu'à cela ne tienne, Jacky grandira dans le Quartier Nègre, situé non loin du Coffee Cup, un rade assez glauque que son grand-père a repris et dans lequel sa grand-mère sert une honnête tambouille pour les travailleurs du coin. C'est dans les bas-fonds de cet environnement de misère où le sexe, la brutalité et autres turpitudes affleurent à chaque coin de rue, que le garçon va trouver sa place dans ce qui apparaît comme un combat quotidien où la vie ne vous fait pas le moindre cadeau. Et puis avec le retour de sa mère qui s'est remariée, l'espoir renaît lorsqu'elle l'emmène à Pascagoula dans le Mississippi où elle va l'élever dans une belle maison que son beau-père Bill est sur le point d'acquérir. Mais en attendant, Jacky se retrouve une nouvelle fois dans un foyer précaire où il côtoie truands minables, macs vicieux et vagabonds pervers tout en composant avec un beau-père à la main leste, davantage porté sur la boisson et la gaudriole que sur le travail qu'il perd avec un indéniable constance. 

     

    earl thompson,un jardin de sable,éditions monsieur toussaint louverture,roman noir,roman américain,chronique littéraire,blog littéraire,mon roman noir et bien serré,littérature noireC’est un ouvrage dense d’une dureté improbable se déclinant sur plus de 800 pages nous immergeant au sein de l’atmosphère rugueuse de l’Amérique de la Grande Dépression dans laquelle grandit un garçon amené à évoluer dans un environnement de violence et de stupre qu’Earl Thompson dépeint avec une grande précision sans nous épargner le moindre détail, aussi sordide soit-il. En guise de préambule, pareil à la beauté bien ordonnée d’un jardin de sable auquel il compare le Kansas et donnant son titre au roman, l’auteur se lance sur quelques pages dans l'époustouflant survol de cet état sans relief dont il énumère les aspects géographiques, sociaux et historiques dans un condensé d’une portée redoutable qui nous laisse déjà entrevoir la dureté et la brutalité de cette région de la grande plaine où l’on s’égare dans l’immensité de cet océan de blé, sur les interminables prairies à bisons dans lesquels sont enfouis désormais les missiles intercontinentaux. Ainsi, sur l’espace de quelques paragraphes plein de panache, Earl Thompson passe donc en revue, avec une impressionnante acuité, tout ce qui a façonné le Kansas, de la préhistoire à nos jours, et où se succèdent les silhouettes fantomatiques des indiens disparus, les personnalités du far west comme Will Bill Hickok ainsi que les truands notoires des années trente comme Pretty Boy Floyd qui ont traversé cette région imprégnée de courants religieux rigoristes où l’on réclame déjà des lois destinées à bannir toute littérature jugée obscène. Un fois le cadre posé, c'est donc autour de la jeunesse de Jack Andersen que se décline un récit composé d'une succession de scène du quotidien de son entourage composé notamment d'une famille dysfonctionnelle l'amenant à côtoyer le monde interlope de ces quartiers populaires où la misère affleure à chaque coin de rue alors que le pays sombre dans le chaos économique de la Grande Dépression dont on perçoit les conséquences à chaque instant notamment avec la perte de la ferme de ses grands-parents victimes d'une réforme agraire sans concession. S'articulant sur deux volets où l'auteur passe tout d'abord en revue les hommes et les femmes composant la famille de Jack dont ce grand-père fustigeant le gouvernement de Roosevelt à chaque instant mais affichant tout de même une certaine affection pour son petit-fil Jack, tout comme son épouse, une femme touchante, qui s'échine à la cuisine d'un rade minable en permettant ainsi de joindre les deux bouts d'une existence précaire. Dans le second volet, on découvrira la personnalité de Wilma, la mère de Jack, qui va l'emmener dans le Mississippi auprès de son nouvel époux prénommé Bill  et davantage porté sur la boisson et les combines foireuses que sur le travail à proprement parler. C'est donc dans un environnement cruel et sordide, où l'on court après le moindre cent, qu'évolue ce gamin frayant avec une communauté d'indigents trouvant dans la violence et le sexe une forme d'exutoire de la misère qui leur colle littéralement à la peau et qui rejaillit sur cet enfant malmené, victime de sévices insoutenables et parfois dérangeants comme cet amour qu'il porte à sa mère virant à l'inceste dont Earl Thompson nous livre le moindre détail. Mais bien plus que de vouloir choquer, c'est une démarche de véracité qui émerge de ce récit outrancier, où l'auteur dépeint avec une rare minutie le moindre aspect de ce qui compose l'atmosphère glauque mais parfois grandiose de cette communauté esquintée par la crise économique avant de déboucher sur une guerre promesse d'emplois et de chaos encore plus grands vers lesquels Jack va s'acheminer. Ouvrage éminemment social, d'une noirceur froide et incandescente à la fois, Un Jardin De Sable est l'incarnation de ces romans coups de poing qui ne vous épargne à aucun moment afin de nous confronter aux affres d'une désolation  existentielle où l'espoir se niche dans la trajectoire d'un car dont la destination demeure incertaine, à l'image de la vie elle-même qui rejaillit dans le foisonnement de ce texte hors norme. 

     

    Earl Thompson : Un Jardin De Sable (A Garden Of Sand). Editions Monsieur Toussaint Louverture 2018. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Charles Khalifa . Préface de Donald Ray Pollock traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Niziolek.

     

    A lire en écoutant : Tom Traubert's Blues de Tom Waits. Album : Asylum Years. 1984 Asylum Records/WEA Records.