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Suisse - Page 7

  • Bastien Fournier : La Cagoule. Objets du désir.

    bastien fournier, la cagoule, éditions de l'aireNouvelles, novellas, microromans, peu importe leurs désignations, le jour viendra où les chroniques, critiques et autres retours de lecture seront plus longs que les récits que l’on commente. Non pas qu’il ne faille pas apprécier le format court en matière de littérature, bien au contraire, ceci d’autant plus qu’il se prête parfaitement pour tout ce qui a trait aux polars et aux romans noirs alors que l’on nous assène régulièrement de gros pavés assommants aux couvertures sombres, parfois criardes et sanguinolentes. Une typographie noire des plus classiques, posée sur une jaquette gaufrée grise pour mettre en valeur un titre inquiétant, La Cagoule de Bastien Fournier n’a pas pour vocation de devenir un succès commercial, ceci d’autant plus que son format, sa brièveté et sa sobriété ne s’y prête guère ce qui est plus que regrettable car il s’agit d’un texte singulier évoquant, sous une forme romancée et avec une belle maîtrise, les pérégrinations d’un violeur cagoulé ayant commis ses forfaits sur plus d’une dizaine d’années dans le canton du Valais, ceci sans que l’on ne parvienne à l’appréhender.

     

    Dissimulant ses traits sous une cagoule, un mystérieux prédateur sexuel sévit dans cette région montagneuse. Il prend son mal en patience afin d’observer les habitudes de ses victimes dont on ne saurait déterminer le nombre car certaines d’entre elles ont préféré se taire. Christine Hiltbrunner est moins chanceuse puisque l’on découvre son corps sans vie gisant sur une piste forestière. Morte étranglée. En charge de l’enquête, Arthur Millet et Amandine Copt vont découvrir, peu à peu, toute l’ampleur d’une affaire qui tourne au fiasco en dépit des profileurs et autres enquêteurs qui se sont attelés à la tâche afin de débusquer ce criminel en série. Alors que les investigations piétinent, corbeaux, dénonciateurs anonymes et presse à sensation s’en donnent à cœur joie pour alimenter les rumeurs les plus folles. Mais rien n’y fait, le violeur continue à sévir et dans l’ombre, il épie les faits en geste des deux policiers.

     

    Une fois encore, c'est au travers du fait divers que l’on passe en revue les carences sociales d’une région qui n’a pas de nom car Bastien Fournier n’avait pas pour vocation de se livrer à un exercice de polar ethnique évitant ainsi de s’inscrire dans une définition géographique de la littérature noire suisse. Paradoxalement, dès les premières lignes du récit on ressent immédiatement cette atmosphère rurale helvétique que l’on peut retrouver d’ailleurs dans les romans de Friedrich Glauser et plus particulièrement dans ceux de Friedrich Dürrenmatt d’où émane une certaine forme de quiétude soudainement perturbée par la commission d’un acte abject avec cette incertitude latente quant à l’indentification de l‘auteur du crime. Et c’est en cela qu’un roman tel que La Cagoule présente tout son intérêt puisque le hasard et la chance penchent, cette fois-ci, en faveur du criminel en lui permettant de poursuivre ses funestes activités. C’est particulièrement flagrant lorsque l’une des victimes ayant pu déchiffrer le numéro d’immatriculation de la voiture du violeur, renonce à témoigner ou à informer la police de l’agression dont elle a été victime. Il s’agit donc d’un récit terrible mettant en exergue l’enlisement d’une enquête policière dont la résolution apparaît comme des plus incertaines en générant une frustration qui touche l’ensemble des personnages en les poussant à agir de manière obsessionnelle et en les contraignant ainsi à prendre des risques inconsidérés. Ces caractéristiques on les discerne aussi bien du côté des enquêteurs que du côté des victimes ou même du violeur dont on perçoit toute la froide cruauté au travers de ses actes sordides. De ces obsessions, le lecteur distinguera également la grande part de solitude et de non-dit émanant des différents protagonistes et plus particulièrement avec un personnage tel que le policier Arthur Millet présentant une certaine ambivalence avec le criminel qu’il pourchasse à un point tel que le lecteur pourra se demander s’ils ne sont pas une seule et même personne. Ainsi outre l’incertitude, l’auteur distille un doute permanent en suscitant un sentiment de malaise et d’inconfort qui cadre parfaitement avec le contexte de l’intrigue.

     

    Sur l’espace de 80 courtes pages, le texte se présente sous la forme de chapitres extrêmement concis permettant d’appréhender les points de vue des différents protagonistes par le prisme d’une écriture épurée distillant une tension sous-jacente au fur et à mesure de l’avancée d’une intrigue aux allures incertaines. Intelligemment construit et sans faire preuve du moindre effet sensationnaliste en abordant un sujet aussi délicat, il faut bien admettre que Bastien Fournier parvient à restituer, avec une certaine aisance, un ensemble de scènes parfois sordides qui ne sombrent pourtant jamais dans une espèce de voyeurisme malsain. C’est ainsi que l’on assiste à des conversations complètement surréalistes entre cet étrange et inquiétant prédateur et ses nombreuses victimes pour laisser place à une succession d’actes odieux que l’auteur dépeint avec retenue sans pour autant vouloir nous épargner. Mais on ne saurait se focaliser uniquement sur les péripéties d’une enquête incertaine pour s’attarder sur l’environnement de ce décor montagneux dans lequel nous nous retrouvons complètement immergé. Au détour de ces forêts humides, de ces auberges isolées et de ces vallées encaissées on assiste aux vaines démarches d’individus en quête de consécration, d’absolution, de pardon ou tout simplement d’oubli qu’ils ne pourront jamais obtenir. Ainsi, c’est au détour de cette frustration, et parfois de cette colère insidieuse, de ne jamais parvenir à atteindre l’idéal souhaité que réside tout le désespoir de protagonistes égarés et toute la terrible noirceur d’un récit angoissant, diffusant une atmosphère à la fois pesante et mélancolique.

     

    Chronique romancée d’une tragique succession de faits divers chamboulant la torpeur de cette paisible région alpestre, La Cagoule est un roman saisissant qui se distancie résolument de l’archétype du criminel excentrique ou du monstre sanguinaire peuplant une trop grande multitude de récits rocambolesques. Et parce que cette intrigue met en scène avec une froide sobriété, un individu déséquilibré s’intégrant parfaitement dans l’indolente quiétude de son environnement, elle n’en est que plus terrifiante. Un remarquable concentré de noirceur.

     

    Bastien Fournier : La Cagoule. Editions de L’Aire 2018.

    A lire en écoutant : Tel d’Alain Bashung. Album : L’imprudence. 2002 Barclay.

     

     

  • Nicolas Verdan : La Coach. Tyrannie interne.

    Capture d’écran 2018-10-28 à 23.03.57.pngLa troisième édition du festival du polar Lausan’noir aura lieu le samedi 3 et le dimanche 4 novembre 2018 et accueillera 20 auteurs du genre noir dans les murs du Lausanne Palace. Cocktail, brunch et tables rondes se dérouleront dans ce cadre prestigieux et si le programme ne manquera pas de susciter quelques intérêts avec des animateurs qui, souhaitons-le, auront pris le temps, cette année, de lire les livres des auteurs qu’ils interviewent, on ne peut s’empêcher de penser que la voilure a été quelque peu réduite, laissant présager d’une fin prochaine du festival, comme ça été le cas pour la Scène du crime du salon du livre de Genève. A moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie pour mettre en valeur les romanciers du polar de la région romande ce qui est une bonne chose si le public est au rendez-vous. Espérons également qu’Olivier Norek, parrain de cette édition, se satisfera de ce titre honorifique en ne faisant pas faux-bond au dernier moment, comme ça été le cas lors de l’édition précédente, peu satisfait, semble-t-il, du temps consacré aux dédicaces.  Quoiqu’il en soit, en guise de préambule, avant de s’ébaudir dans les fastes d’un luxueux palace, vous pourrez déjà rencontrer Marie-Christine Horn et Gilles de Montmollin, deux auteurs de la littérature noire chez BSN Press, le vendredi 2 novembre 2018 dès 1700 à la librairie d’occasion Molly & Bloom tenue par Nicolas Verdan qui dédicacera également son dernier ouvrage (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même), La Coach, un roman noir social, figurant parmi les trois finalistes en lice pour le Prix du Polar Romand 2018.

     

    Rendement, rationalisation, plus de six cents offices postaux doivent fermer dans le pays. Une tâche qui a été confiée à Alain Esposito, cadre dynamique de Swiss Post, devant établir une stratégie afin de faire passer la pilule d’une décision aussi impopulaire. Surmené, sous pression et fragilisé par des difficultés au sein de son couple, ce manager s’adjoint les compétences de Coraline Salamin, une coach charismatique qu’on lui a recommandé. Mais s’agit-il vraiment d’une rencontre fortuite ? Car sous l’influence de cette femme redoutable, Alain Esposito  pourrait perdre complètement pied. Et c’est probablement ce que souhaite Coraline, désireuse de venger la mort de son frère qui s’est jeté sous un train après la fermeture de l’office postal dont il était l’administrateur. Sur fond de libéralisme débridé et de cynisme entrepreneurial, les plus froides vengeances peuvent se mettre en place.

     

    Subjectivité et mauvaise foi, ceci d’autant plus que je n’ai pas lu La Séquence de Stefan Catsicas (Favre 2018) et Le Casseur d’Os de Sebastien Meier (Fleuve Noir 2018), les deux autres romans en final,  il va de soi que l’on se prend à espérer que Nicolas Verdan obtienne avec La Coach le Prix du Polar Romand, puisqu’il s’agit d’un récit s’inscrivant dans l’actualité du pays lorsque sa parution coïncidait avec le scandale des manipulations comptables de Car Postal. Récompenser un tel ouvrage deviendrait donc un geste politique dans le sens étymologique du terme avec un roman noir dénonçant les dérives de cette ancienne régie de la Confédération qui s’inscrit désormais dans une exigence de rationalisation au détriment de tous les usagers. On aurait donc tord d’invoquer le hasard ou la coïncidence à la lecture de La Coach, car l’auteur, à la fois journaliste indépendant et romancier, parvient tout simplement à capter cette lente dissolution du service public qui s’opère dans le pays, au profit d’une logique de rentabilité se déclinant au rythme d’objectifs managériaux qui mettent la pression sur l’ensemble des acteurs de l’entreprise.

     

    Il va de soi que dans un tel contexte, Nicolas Verdan peut mettre en scène une tragédie touchant l’ensemble de ses personnages. Car au-delà de ses certitudes et de son assurance, on décèle chez Coraline Salamin, La Coach, quelques failles, voire même une détresse certaine qui la rend probablement plus humaine, mais guère plus sympathique. Cette détresse on la retrouve au travers d’un individu comme Alain Esposito, ce manager quelque peu dépassé, souhaitant trouver une assise et une légitimité en intégrant un groupe de cadres supérieurs à la fois odieux et cyniques qui deviennent de véritables références dans un monde ultra libéral. Dans un tel univers où l’efficacité se traduit dans la rapidité de décisions parfois terribles, le parcours de David, le frère de La Coach, apparaît comme le véritable martyre d’un drame social qui met en exergue toute l’inhumanité de l’entreprise.

     

    Avec une écriture à la fois précise et incisive, dénonçant, entre autre, l’individualisme exacerbé par la culture du moi et du coaching personnalisé, Nicolas Verdan met en situation une femme dynamique et charismatique sillonnant le pays à toute vitesse au volant de sa Mini Cooper ou en emprutant des trains express qui transitent dans des gares où fourmille une cohorte d’usagers pressés par le temps. De son espace et de son temps, dans ce pays où les noms des anciennes régies fédérales prennent des consonances anglo-saxonnes, l’auteur interpelle le lecteur au gré d’un récit peu ordinaire et terriblement lucide avec un fait divers terrible, résultant de ces pressions insupportables qui pèsent sur l’ensemble d’une population vivant au rythme d’une croissance effrénée et complètement débridée.

     

    Dans le paysage de la littérature Suisse romande, un roman noir tel que La Coach fait indéniablement figure d’exception en mettant en exergue, au travers du fait divers, les défaillances sociales d’un pays où la détresse et la solitude deviennent les pendants d’une société basée sur le résultat et le profit à n’importe quel prix, en laissant sur le carreau toutes celles et ceux qui ne supporteraient pas la pression d’un tel modèle social. Inquétant et clairvoyant, La Coach est un roman noir terrible, projetant un éclairage pertinent sur ce climat  cruel et impitoyable qui règne au sein de ces grandes régies d’état que l’on a désormais privatisées.

     

    Nicolas Verdan : La Coach. Editions BSN Press 2018.

    A lire en écoutant : My Life Is Going On de Cecilia Krull. Singles : La Casa De Papel. 2018 Atresmedia Mūsica S.L.U.

  • Louise Anne Bouchard : Tiercé Dans L’Ordre. La malédiction des gagnants.

     

    louise anne bouchard, tiercé dans l'ordre, bsn press, collection uppercutLa présente chronique prend une toute autre tournure à l'occasion du dernier ouvrage de Louise Anne Bouchard, Tiercé dans l'ordre, publié dans la collection Uppercut des éditions BSN Press dont j'ai eu l'occasion de vous parler à maintes reprises. Plutôt que de vous faire un retour de lecture, je vais me contenter de reproduire la préface que j'ai rédigé pour évoquer l'oeuvre de cette romancière en me permettant ainsi d'exprimer toute l'admiration et l'intérêt que je lui porte, ceci depuis plusieurs années, et plus particulièrement pour ce Tiercé dans l'ordre, une nouvelle à la fois subtile et délicate dont la mise en abîme reflète une belle maîtrise de la littérature noire.

     

    Préface*

    La brièveté n’enlève rien à la force d’un texte, bien au contraire, comme le démontre Louise Anne Bouchard avec ce cinglant Tiercé dans l’ordre, où se juxtaposent deux univers sans pitié, celui du sport équestre et celui de la course d’endurance. Photographe et romancière, Louise Anne Bouchard possède une capacité singulière à conserver la spontanéité et l’authenticité des hommes et des femmes sur sa pellicule ou des personnages dont elle peuple ses fictions. Dans celle-ci, les figures esquissées (un microroman exige qu’on aille vite), aux nuances troubles, à la limite de la fêlure, de la rupture, évoluent dans le monde très particulier de la course hippique. Le dépassement de soi est ici de mise, avec un rapport au corps aussi violent qu’inquiétant. C’est ainsi que l’on glisse, presque imperceptiblement, vers un espace propre à la littérature noire, dans un contexte où le crime demeure à la périphérie de l’intrigue, à l’affût des parcours de vie qui détonnent.

     

    Avec Tiercé dans l’ordre, la course ne tarde pas à être lancée pour passer en revue les favoris comme Anna qui, à moins de seize ans, est déjà pétrie de certitudes sur son avenir de jockey, ou comme Thomas, trader trentenaire accro aux gains mais aussi à « l’entraînement extrême », qui enchaîne les marathons pour mieux échapper au poids de son quotidien. Une rencontre improbable entre ces deux êtres fait croître le malaise dans les rapports étranges qu’ils entretiennent alors que tout les sépare. Et puis il y en a d’autres, comme cette outsider que devient Iris, l’épouse de Thomas, ou comme la journa- liste Maggie endossant un rôle d’arbitre ambigu, témoin de cet amour qui ne l’est pas moins. La compétition peut donc commencer, et l’on se doute que la course sera semée d’embûches, truffée de coups fourrés et que ni les gagnants ni les perdants ne se feront de cadeau.

     

    Tout l’enjeu de chacun des protagonistes se décline sur fond d’ambitions assumées, de pulsions érotiques, de conflits larvés et d’obscures désillusions. Grâce à son écriture toute en nuances, émaillée de sous-entendus, parfois terriblement mordante, Louise Anne Bouchard conjugue avec brio les affres du sport dont les aléas polarisent les antagonismes sociaux entre les divers protagonistes. L’auteure montre une habileté saisissante à dresser des convergences et des parallèles, parfois non sans cynisme, entre la dureté du milieu équestre, la fragilité des rapports amoureux et la rancœur des rêves déchus, afin de souligner l’ambivalence de ses personnages, susceptibles de vaciller à tout instant en fonction de l’enthousiasme des victoires à digérer ou de la déception des défaites à encaisser. Il n’y a que deux options : faire partie de ceux qui foncent bille en tête quoi qu’il arrive ou de ceux qui restent en rade, avec la rage au ventre.

     

    L’obsession d’Anna, la désinvolture de Thomas, l’ambiguïté d’Iris et les désillusions de Maggie, tous sont à même de trébucher. Mais seront-ils capables de se relever et de figurer dans le tiercé gagnant ? Les paris sont ouverts...

     

    Louise Anne Bouchard : Tiercé Dans L’Ordre. Editions BSN Press. Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Jockey Full Of Bourbon de Tom Waits. Album : Rain Dogs. Island Records 1985.

     *Préface reproduite avec l'aimable autorisation de Giuseppe Merrone.

     

  • NICOLAS FEUZ : LE MIROIR DES ÂMES. CHERCHER L’ERREUR.

    Capture d’écran 2018-09-02 à 19.29.15.pngService de presse.

    Ce retour de lecture dévoile des éléments importants de l’intrigue.

     

    C’est avec un tweet ironique que Frank Thilliez s’est érigé en défenseur de la littérature dite populaire en haranguant ses fans afin qu’ils s’en prennent à la journaliste de Telerama qui a osé évoquer son dernier roman avec tant de dédain. Il n’est pas le seul à utiliser un tel stratagème et si l’on peut juger le procédé minable, à l’image de ses écrits d’ailleurs, il se révèle pourtant extrêmement efficace puisque l’on a pu lire toute une kyrielle de messages hostiles émanant d’une horde d’aficionados fort remontés à l’encontre du magazine et de la journaliste. Pour Joël Dicker, l’explication est simple, lorsque l’on s’en prend à ses romans. Le critique, par essence, n’aime pas le succès. Et Nicolas Feuz va même plus loin en expliquant qu’il s’agit purement et simplement d’un phénomène de jalousie. Le dénominateur commun entre ces trois auteurs, c’est de déplacer le débat sur un autre curseur pour faire en sorte que l’on ne se focalise pas trop sur leurs textes révélant des carences que ce soit au niveau d’une écriture limitée et insipide mais également au niveau des failles d’une intrigue bancale. De cette manière, il n’est donc question que d’élitisme, de mépris et de jalousie. De plus, ces hommes de lettre opposent bien souvent à leurs détracteurs les chiffres de vente, les classements et désormais le nombre de rencontres avec leur public à l’instar de Nicolas Feuz affichant fièrement ses soixante-quatre séances de dédicaces dans toute la Suisse romande à l’occasion de la double sortie de Horrora Boréalis, que Le Livre de Poche a réédité en remaniant un texte qui conserve tout de même toutes ses incohérences (marque de fabrique de l’auteur), et de son nouveau roman Le Miroir Des Âmes qui est édité par Slatkine & Cie. Une sortie retentissante sur fond de Carmina Burana. Il n’en fallait pas moins pour l’annonce d’un tel événement. Nous voilà prévenus.

     

    A Neuchâtel, une bombe a dévasté la place des Halles en faisant des dizaines de morts. Qui est le commanditaire ? Qui était visé ? Le procureur Jemsen n’en a pas la moindre idée lui qui figure parmi les survivants et qui tente vainement de rassembler ses souvenirs. Mais c’est peine perdue car toute une partie de sa mémoire s’est volatilisée dans le fracas de l’explosion. Il va devoir compter sur l’assistance de sa greffière car la police à fort à faire, ceci d’autant plus qu’un serial killer que l’on surnomme Le Vénitien, sévit dans la région. Et que vient donc faire Alba Dervishaj, cette mystérieuse prostituée albanaise qui semble très bien connaître le procureur Jemsen ? Sur fond d’assassinats sanglants, de complots d’état et de trafics d’êtres humains, le magistrat va mettre à jour les éléments troublants d’une enquête qui risque bien d’être la dernière de sa carrière.

     

    Outre le fait d’avoir enfin trouvé un éditeur, Nicolas Feuz a pour ambition de s’extirper de sa région et de s’attaquer au marché francophone. Et il faut bien admettre qu’il a démarré très fort avec ce portrait de six pages rédigé par Elise Lépine pour la revue Sang Froid. Spécialiste du polar, Elise Lépine fait partie de l’équipe de François Angelier qui anime sur France Culture, l’émission Mauvais Genre que je vous recommande. De plus, elle collabore, entre autre, à la revue 813 qui fait partie des références dans le domaine des magazines consacrés à la littérature noire que Nicolas Feuz serait bien inspiré de parcourir afin de cesser de nous livrer comme références Le Club Des Cinq et Le Vol Des Cigognes de Jean-Christophe Grangé qu’il cite dans chacun de ses entretiens. Mais pour revenir au portrait de Nicolas Feuz, nous allons découvrir que ce procureur travaille très bien et tient à jour tous ses dossiers (quelqu’un en douterait-il ?), qu’il a un physique avenant et un parcours littéraire atypique dans le monde de l’auto édition. On apprend également qu’entre sa vie de couple et la littérature, Nicolas Feuz a choisi. Tant pis pour la littérature. Mais au terme de la lecture, je n’ai pas eu l’impression que la journaliste avait lu l’œuvre de Nicolas Feuz. Cela doit être pourtant le cas, puisque sur le bandeau ornant Horrora Borealis, Elise Lépine affirme qu’il s’agit de « la nouvelle grande plume du thriller francophone ». Adoubé, encensé, voici une belle consécration qui ne manquera pas d’attirer de très nombreux lecteurs.

     

    Par rapport aux précédents romans de Nicolas Feuz, Le Miroir Des Âmes présente la particularité salutaire d’être extrêmement court avec cette sensation que l'éditeur a taillé le texte à la hache donnant l'impression qu’il manque tout de même une centaine de pages. C’est ainsi que le profil des personnages paraît à peine esquissé et que le rythme de l’intrigue certes rapide, parfois effréné souffre de quelques ruptures gênantes qui nuisent à la fluidité de l’ensemble. Phrases courtes, retour à la ligne, chapitres ridiculement brefs, pas de doute nous voici confronté aux standards du thriller insipide et parfois extrêmement ennuyeux à l’exemple de cet épilogue rébarbatif où l’auteur est contraint de caser précipitamment toutes les explications confuses en lien avec l’identité des protagonistes.

     

    Au niveau des incohérences on peine à croire à cet attentat qui a secoué la ville de Neuchâtel et qui a fait des dizaines de morts mais qui ne semble aucunement perturber les forces de l’ordre et les autorités politiques qui poursuivent leurs activités comme si de rien n’était. Ainsi la hiérarchie policière ne supprime les congés de leur personnel qu’après les débordements d’un match qui a tout même lieu malgré la gravité de l’événement (p. 85) tandis que l’un des hauts dignitaires du canton quitte la ville pour se rendre à Zürich (p. 63). Et on ne parle pas de la grande fête annuelle des Vendanges tout de même maintenue dans cette ville qui ne donne tout simplement pas l’impression d’être endeuillée.  Au terme du récit, pour ce qui est de l’appréhension d’un dangereux serial killer, alors qu’ils bénéficient du gros avantage de la surprise et qu’ils pourraient interpeller l’homme à son domicile, les protagonistes préfèrent la cohue de la sortie de la salle du Grand Conseil, et ceci sans même l’appui du groupe d’intervention. Prises d’otage, série de suicides, les interpellations tournent bien évidemment à la catastrophe à l’image du récit qui prend l'allure d'un véritable naufrage.

    L’autre problème de ce page-turner, c’est qu’arrivé au terme des rebondissements et des retournements de situation, le lecteur, un tant soit peu curieux sera tout de même contraint de revenir sur quelques chapitres qui deviennent complètement fantaisistes à la lumière des explications fournies au cours de l’épilogue. Ainsi le chapitre 53 décrivant le périple de Luc Autier, enlevé puis traqué par ce serial killer surnommé Le Vénitien, est complètement surréaliste puisqu’il s’avère que Luc Autier est justement Le Vénitien Dans le même registre, on s’étonne qu’Alba Dervishaj puisse penser qu’elle s’est jetée dans les bras de son souteneur par dépit amoureux (p. 31) alors qu’il s’avère qu’elle est une policière fédérale, opérant en tant qu’agent infiltré afin de démanteler cette filière de prostitution. Aurait-elle subitement oublié sa véritable identité et le sens de sa mission ? On le voit, à force de vouloir tout nous dissimuler afin de mieux nous surprendre, Nicolas Feuz se fourvoie  dans une mise en scène alambiquée qui perd tout sens commun.

     

    Il faudrait parler de Florent Jemsen et de ses motivations qui le conduisent à conserver l’identité et la fonction de son frère. Il faudrait évoquer les providentielles falsifications de dossiers pénitentiaires et autres substitutions d’ADN effectuées par  Dan Garcia, un personnage sorti de nulle part. Mais gageons que nous obtiendrons toutes les explications à la lecture des prochaines aventures du procureur Jemsen, de sa greffière Flavie Keller et de la policière fédérale Tanja Stojkaj, reine du Krav Maga (p. 193). Une belle partie de rigolade en perspective.

     

    Nicolas Feuz : Le Miroir Des Âmes. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Star Treatment de Arctic Monkeys. Album Tranquility Base Hotel & Casino. 2018 Domino Recording Compagny Ltd.

  • MARIE-CHRISTINE HORN : 24 HEURES. COMME UNE MECANIQUE BIEN HUILEE.

    bsn press,collection uppercut,24 heures,marie-christine hornDans le domaine de la littérature noire helvétique, on appréciera la cohérence de la maison d’édition BSN Press qui est parvenue à mettre en avant des auteurs d’horizons très variés intégrant de manière plus ou moins marquée quelques notions du roman noir, voire même du roman policier en y incorporant une dimension sociale. Dès lors, dans le cadre de sa collection Uppercut, abordant la thématique du sport sous la forme d’opuscules percutants, il n’est guère étonnant de retrouver Marie-Christine Horn qui signe son retour avec 24 Heures, un bref roman à suspense évoquant le milieu de la compétition automobile en rendant ainsi un hommage détourné à son père qui fut pilote de course.

     

    Dans la vie de Hugo Walter tout est question de compétition, de trajectoire et de timing pour cet ancien coureur de F3 qui a remporté tous les championnats. Mais les défaites ont également marqué cet homme qui a dû surmonter la terrible épreuve de la perte de sa femme Line au terme d’un long combat contre la maladie. Il ne lui reste plus que sa fille Marion qui ne donne plus signe de vie après une soirée passée avec sa meilleure amie. Une disparition inquiétante qui résonne comme une course contre la montre, contre la mort. Le chronomètre est enclenché et Hugo se lance dans la compétition la plus importante de son existence. Celle qu’il ne peut pas perdre.

     

    Avec Marie-Christine Horn, la notion du bien et du mal ne saurait se répartir sur un simple mode binaire et c’est bien cette ambivalence des personnages qui confère à l’ensemble du récit une espèce d’imprévisibilité où tout peut basculer au détour d’une quête haletante. Cette ambivalence on la perçoit également au niveau de la temporalité de l’intrigue qui s’étend sur 24 Heures tout en permettant de découvrir au gré d’analepses subtiles et savamment maîtrisées les parcours de vie de Hugo Walter et de son entourage en mettant ainsi en place tous les éléments du puzzle qui nous permettra de comprendre les tenants et aboutissants de la disparition de sa fille Marion. Mais au-delà d’un récit bien réglé, aux allures de thriller qui se déroule dans la torpeur d’un paysage hivernal, il faut s’attarder à la périphérie du roman pour en apprécier l’atmosphère et les tensions qui en émergent.

     

    C’est bien évidemment l’ambiance de ces courses de côte que Marie-Christine Horn restitue parfaitement avec 24 Heures tout en implémentant quelques réflexions au travers du personnage de Line, cette femme au caractère fort qui doit se positionner dans un univers sportif plutôt viril. Mais bien au-delà de ces apparences de femme forte et d’homme déterminé, on décèle également par le prisme de l’intimité du couple que forme Line et Hugo une certaine forme d’émotion et de vulnérabilité qui transparaît notamment dans leur volonté d’avoir un enfant à n’importe quel prix.

     

    La thématique du sport, et notamment l’esprit de compétition qui en découle, devient ainsi l’enjeu de ce récit trépident où Marie-Christine Horn s’emploie à décortiquer les pressions sociales pouvant s’exercer sur un couple qui ne saurait se résigner à accepter une quelconque défaite, ceci bien au-delà des joutes sportives. En partant de ce principe, 24 Heures distille, avec cette tonalité mordante propre à la romancière, toute l’ambiguïté de la victoire à tout prix dont on découvrira la mise en abîme au terme d’un épilogue singulier à l’impact cinglant. 

     

     Marie-Christine Horn : 24 Heures. BSN Press/Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Blue Rondo a la Turk de Dave Brubeck. Album : Time Out.  Colombia Records 1959.