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Auteurs J - Page 2

  • Shirley Jackson : La Loterie et autres contes noirs. Cauchemar américain.

    shirley jackson,la loterie et autres contes noirs,éditions rivagesJe me souviens encore d'une nouvelle de Stephen King,  L'Homme Qui Aimait Les Fleurs, que l'on peut lire dans son premier recueil, Danse Macabre (J'ai Lu 1980) où l'on suit un jeune homme arpentant les rues de New York, un bouquet de fleur à la main, à la recherche de sa bien-aimée. Une scène charmante d'un personnage transit d'amour jusqu'à l’instant où tout se disloque. A bien des égards on peut mesurer avec ce récit toute l'influence de la romancière américaine Shirley Jackson dont les romans et autres nouvelles, oscillant entre le gothique et le fantastique, prennent pour cadre des scènes de vie presque banals d'individus que l'on va conduire jusqu'au point de rupture sans employer le moindre élément surnaturelle. Outre Stephen King, ce sont de grands auteurs de la littérature fantastique comme Richard Matheson, Neil Gaiman ou plus récemment la romancière Jamey Bradbury qui évoquent l'œuvre de Shirley Jackson comme source d’inspiration et plus particulièrement cette capacité de distiller l'horreur dans la névrose, la paranoïa et les fantasmes que génèrent ses personnages se débattant dans leur quotidien d’apparence idyllique qui bascule insidieusement dans un climat de terreur. Parmi les romans rédigés sur ce schéma narratif, deux d’entre eux sont considérés comme des classiques du genre de l’épouvante. Il s’agit de Nous Avons Toujours Habité Le Château (Rivages/Noir 2012) et de La Maison Hantée (Rivages/Noir 2016) qui ont bénéficié d’une nouvelle traduction assez récente. Dans ce domaine de réactualisation des textes de la romancière, les éditions Rivages proposent donc un recueil de treize nouvelles parmi lesquelles figure La Loterie qui a contribué à la renommée de Shirley Jackson tant le texte a suscité la polémique lorsqu’il a été publié en 1948 dans la revue The New Yorker.

     

    La Loterie : Tout les habitants se rassemblent sur la place du village. Le tirage de la loterie va bientôt débuter. Qui sera l’heureux gagnant ?

     

    La possibilité du mal : Miss Strangeworth aime cultiver ses roses dont elle est très fière et envoyer quelques lettres anonymes bien senties à l’intention de son voisinage.

     

    Louisa, je t’en prie, reviens à la maison : Louisa a été enlevée. S’agit-il d’une fugue ou d’une disparition. Et quelle sera la réaction de sa famille lorsqu’elle reviendra ?

     

    Paranoïa : Mr Beresfort est suivi par un homme coiffé d’un chapeau qui semble surgir de nulle part en bénéficiant de la complicité de tous les new-yorkais.

     

    La lune de miel de Mrs Smith : Mrs Smith vient de se marier. Mais son entourage l’encourage à se méfier de cet homme plutôt grossier dont elle ne sait finalement pas grand-chose.

     

    L'apprenti sorcier : Miss Matt, professeur d'anglais, est au prise avec une petite voisine tout simplement détestable. 

     

    Le bon samaritain : Qui est ce brave homme qui vient au secours d’une jeune femme avinée étendue dans la rue ?

     

    Elle a seulement dit oui : La jeune Vicky vient de perdre ses parents. La nouvelle ne semble pas l’ébranler. Il faut dire que la fillette semble disposer de quelques dons inquiétants lui permettant de prédire les sorts funestes qui vont s'abattre sur son entourage.

     

    Quelle idée : Margaret s’aperçoit avec effroi qu’elle ne supporte plus son mari. Elle regarde avec envie le cendrier posé sur la petite table du salon.

     

    Trésors de famille : Une jeune étudiante sème le chaos en volant les effets personnels de ses camarades de chambrée.

     

    La bonne épouse : Mr Benjamin ne supporte pas les infidlités de sa femme qui se retrouve confinée dans sa chambre. Mais pourquoi persiste-t-elle à nier l’évidence ?

     

    A la maison : Ethel Sloane devrait écouter les habitants du village et ne pas emprunter la vieille route des Sanderson.

     

    Les vacanciers : Pour la première fois, les Allison ont décidé de prolonger leur séjour dans leur chalet de vacances. Une bien mauvaise idée.

     

    Si le roman La Maison Hantée a bénéficié de plusieurs adaptations cinématographiques dont la fameuse version de Robert Wise (La Maison Du Diable, Metro-Goldwin-Meyer 1963) et d’une production plus récente diffusée par Netflix qui reprend le titre d’origine The Hauting Of Hill House, la nouvelle La Loterie a la particularité d’avoir été adaptée en version BD par Miles Hyman, qui n’est autre que le petit-fils de la romancière. Outre l’une de ses illustrations ornant la couverture du présent recueil, Miles Hyman apporte un éclairage particulièrement intéressant sur l'ensemble de l'oeuvre de Shirley Jackson avec une postface extrêmement complète faisant figure d'essai.

     

    A la différence des abonnés du New Yorker de l'époque, le lecteur d'aujourd'hui, pour un peu qu'il soit coutumier du genre, s'attendra probablement avec La Loterie à un effet de surprise qui pourra en atténuer l'impact. Cependant on peut prendre le pari que la chute de l'histoire aura tout de même de quoi le surprendre voire même de le choquer comme ça été le cas lors de sa parution. Il faut dire que Shirley Jackson s'emploie à instiller l'horreur au détour de scènes anodines, terriblement paisibles qui prennent soudainement une toute autre perspective à la lumière de conclusions abruptes qui vous glacent soudainement d'effroi. Ainsi le cadre bucolique dans lequel évolue Les Vacanciers ainsi que les villageois de La Loterie prend une toute autre apparence lorsque le rideau tombe pour laisser place, derrière ces masques de convenance, à la terrifiante réalité de l'environnement dans laquelle évolue l'ensemble des protagonistes. Il y a bien évidemment ce sentiment de malaise que l'on retrouve tout au long des nouvelles qui restituent les névroses de personnages angoissés qui font écho à l'anxiété dont la romancière semble avoir souffert tout au long de sa vie. Mais des nouvelles comme Paranoïa ou Quelle Idée sont également le reflet du mal-être plus général d'une Amérique puritaine, terrorisée par la menace communiste, tandis que la politique ségrégationniste à l'égard des afro-américains atteint son point culminant. 

     

    A l'exception de quelques apparitions étranges que l'on trouve dans A La Maison, le recueil de nouvelles La Loterie et autres contes noirs est donc dépourvu d'éléments surnaturels puisque c'est au détour de la méfiance, du doute et de l'anxiété de ses personnages, tout en captant le climat social anxiogène de son époque, que la romancière parvient à troubler le lecteur qui encaisse doucement, presque l'air de rien, les affres de ces récits aussi effroyables que bouleversants. Un sublime concentré de noirceur.

     

    Shirley Jackson : La Loterie et autres contes noirs (Dark Tales). Editions Rivages/Noir 2019. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabienne Duvignau.

    A lire en écoutant : Where The Wild Roses Grow de Nick Cave. Album : Murder Ballads. Mute Records 1996.

  • DAVID JOY : LE POIDS DU MONDE. MADE IN USA.

    Capture d’écran 2018-12-19 à 21.02.23.pngEncore une histoire de bouseux, de « redneck » évoluants au sein de cette Amérique de la marge dont on entend de plus en plus parler. En dépit d’une floraison d’ouvrages traitant le sujet, on aurait tord d’éprouver une certaine lassitude qui nous pousserait à passer à côté de quelques textes superbes reflétant le talent d’auteurs qui sont parvenus à capter toute la douleur et toute la violence d’une classe sociale défavorisée que l’on a dissimulée derrière le lourd rideau du rêve américain. Pourtant le phénomène ne date pas d’hier et l’on pense bien évidemment à quelques romanciers emblématiques comme Jack London,  John Steinbeck, Horace Mc Coy ou Earl Thompson pour n’en citer que quelques uns qui se sont employés à dépeindre cette Amérique profonde peu reluisante. C’est avec Daniel Woodrell qu’est apparu l‘expression country noir pour désigner un genre prenant pour cadre quelques villes méconnues ou quelques régions reculées, comme Denver, Cincinnati, la région des Appalaches ou des monts Orzacks, sur fond de violences et de détresses sociales en partie dues au trafic et à la consommation de crystal meth quand ce n’est pas tout simplement l’alcool qui ravage ces populations précarisées. De ce courant ont émergé quelques grands auteurs à l’instar de Ron Rash, Donald Ray Pollock et Benjamin Whitmer qui décrivent sans fard cette fureur, cette marginalité et cette souffrance imprégnant l’ensemble de leurs récits. Une liste loin d’être exhaustive puisque l’on peut y intégrer David Joy qui nous livre avec son second roman, Le Poids Du Monde, un sublime récit emprunt d’une noirceur terrible, se déroulant dans l’univers déliquescent de paumés toxicomanes évoluant sur les contreforts des Appalaches, du côté de Jackon county, terre d’élection de l’auteur.   

     

    Après avoir abattu sa mère, son père lui a lancé un dernier je t’aime et avant de se tirer une balle dans la tête. Puis Aiden McCall s’est empressé de fuir son foyer d’accueil pour trouver refuge dans une caravane dans laquelle Thad Broom a été relégué par son beau-père qui ne le supportait plus tandis que sa mère April hantée par le viol qu’elle a subit dans sa jeunesse, semble incapable de lui manifester la moindre preuve d’affection. Les années passent et depuis sa démobilisation, après avoir été engagé dans les combats en Afghanistan, Thad peine à se réinsérer dans la vie civile. Ainsi les deux garçons vivent d’expédients avec, à la clé, un avenir incertain, ponctué de journées festives à base d’alcool et de drogue. Mais avec la mort accidentelle de leur dealer, les choses pourraient changer en raflant une quantité de drogue et d’argent qui constituent un butin inespéré. Mais en matière de stupéfiants les choses peuvent rapidement mal tourner. Thad et Aiden vont l’apprendre à leurs dépens.

     

    Pour les lecteurs en quête de fusillades enragées et de délinquants déjantés possédants un certain charisme dans la nature de leurs actions sadiques, Le Poids Du Monde ne répondra pas à leurs attentes puisque l'auteur s'est focalisé sur l'ordinaire d'individus que la vie n'a pas épargné en les dotant d’un passif pesant trop lourd sur leurs épaules. Le souvenir du drame familial pour Aiden, La réminiscence des combats pour Thad et la résurgence du viol dont a été victime April dans sa jeunesse, on perçoit à chaque instant, cette charge écrasante fixant ainsi la destinée précaire de ces personnages qui sont privés de l'essentiel et qui trouvent quelques échappatoires dans la consommation de méthamphétamine. Avec une tension latente qui émane principalement de Thad, tout en colère contenue, le destin bascule subitement avec la mort accidentelle de ce dealer permettant à l'auteur de donner son point de vue quant à la détention et au maniement irresponsable d'armes à feu. On devine déjà que la découverte providentielle d'argent et d'un stock de drogue ne résoudra pas les problèmes de Thad et d'Aiden, bien au contraire. Un enchaînement de circonstances sordides, de règlement de comptes tragiques contribuera à mettre en exergue toute la rage et toute la douleur de ces trois marginaux en quête d'une vie meilleure sans pouvoir s'accorder sur les moyens d'y parvenir.

     

    Avec un texte à la fois sobre et puissant, David Joy parvient à mettre en scène la chronique d'une vie ordinaire qui tourne à la débâcle, en mettant en évidence les failles d'un système qui n'apporte aucun secours à ces petites gens qui n'ont pas d'autre choix que de s'entraider, même si parfois ce soutient tourne court en laissant des stigmates qu'ils ne parviennent plus à effacer. De victimes, certains d'entre eux deviennent bourreaux pour infliger la somme de douleur qu'ils ne peuvent plus supporter et qui découle pourtant le plus souvent des choix qu’ils font que du courant d'un destin incertain qu'ils ne sauraient maîtriser. Vengeance, fuite en avant et désespoir, l'auteur parvient à insuffler, sans excès, une tension permanente, entrecoupée de quelques éclats de violence émaillant ce terrible récit, tout en nous offrant par moment, de beaux instants lumineux qui éclairent la noirceur d'un roman dressant le portrait acéré d'une Amérique perdue, sans rêve et sans espoir.

     

    David Joy : Le Poids Du Monde (The Weight Of This World). Editions Sonatine 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau.

    A lire en écoutant : Black de Pearl Jam. Album : Ten. 1991 Sony Music Entertainment Inc.

     

  • CORINNE JAQUET : LE PENDU DE LA TREILLE. PASSE SIMPLE.

    Capture d’écran 2018-01-14 à 15.14.12.pngTout comme Jean-Jacques Busino, Corinne Jaquet fait figure, en Suisse, de précurseur dans le domaine de la littérature noire, à une époque où le polar ne suscitait que bien peu d’intérêt auprès d’un milieu littéraire romand se refusant à frayer avec le mauvais genre. Ce fut la France avec Rivages/noir qui édita les romans noirs de Busino tandis que la maison d’édition belge Luce Wilquin publiait les romans policiers de Corinne Jaquet. Historienne, journaliste spécialisée dans les chroniques judiciaires, cette auteure genevoise choisissait de concilier ses deux passions par le prisme d’une série de polars prenant pour thème les différents quartiers de Genève à l’instar de Léo Malet et ses arrondissements de Paris. Ainsi, au gré de faits divers ancrés dans l’histoire et les milieux sociaux-culturels des quartiers de Genève, l’aventure débutait en 1997 avec la parution d’un premier opus intitulé Le Pendu De La Treille mettant en scène la journaliste Alix Beauchamps et le commissaire Simon et que l’on trouve dans toutes les librairies romandes puisque l’ouvrage a fait l’objet, en 2017, d’une réédition dans La Collection Du Chien Jaune célébrant ainsi les vingt ans de la naissance de cet emblématique duo d’enquêteurs genevois.

     

    Georges Bertin crée une double surprise en étant élu au gouvernement genevois et, au lendemain de son élection, en étant retrouvé mort, pendu à un marronnier de la promenade de la Treille, à deux pas de l’exécutif où il devait siéger. En charge de cette délicate enquête, le commissaire Simon doit trouver le mobile de ce crime odieux. Une vengeance de l’opposition frustrée par cet échec surprenant, une punition d’une des anciennes conquêtes de ce séducteur ou doit-on explorer dans la jeunesse tumultueuse de ce politicien sulfureux ? La médiatisation de l’événement rend les investigations difficiles car les journalistes sont sur la brèche pour obtenir quelques éléments croustillants afin d’alimenter leurs articles. Jeune et ambitieuse, la chroniqueuse judiciaire Alix Beauchamp n’est pas en reste pour percer les secrets et les travers d’une bourgeoise calviniste peu encline aux confidences. Derrière les honorables façades patriciennes des rues de la vieille ville, les rancœurs sont parfois meurtrières.

     

    A une époque où les polars ne faisaient pas l’objet de pavés de plus de 600 pages, ce qui frappe avec Le Pendu De La Treille, c’est la brièveté d’un récit concentrant une intrigue policière à la fois classique et efficace, agrémentée de cette atmosphère délicieusement surannée d’une cité de Calvin dont on se plait à se remémorer quelques lieux emblématiques aujourd’hui disparus tandis que d’autres demeurent toujours d’actualité à l’instar du café Papon ou du Consulat où se déroulent de nombreuses scènes du roman. Avec une économie et une précision redoutable dans l’usage des mots, le texte est ponctué de brefs chapitres conciliant l’aspect historique du quartier de la vieille ville où se situe l’ensemble d’un récit tout en mettant en exergue les coulisses du pouvoir ainsi que les rouages du monde politique genevois. On appréhende ainsi la vie d’un quartier bourgeois recelant quelques éléments d’histoires méconnus comme ses affrontements entre jeunes issus des mouvances fascistes et anarchistes.

     

    Du fait de ses connaissances du milieu de la justice et du monde policier en tant que chroniqueuse judiciaire,Corinne Jaquet nous entraîne dans les méandres d’une enquête réaliste permettant de comprendre les interactions entre les différentes institutions étatiques, mais également de découvrir la complexité des liens régissant la police et la presse. Bien évidemment avec Alix Beauchamps, c’est un peu de l’auteure qui s’est glissée dans cette jeune journaliste intrépide, sensible, dotée d’un caractère fort et pouvant parfois se montrer maladroite mais toujours déterminée à faire la lumière sur les affaires dont elle doit chroniquer les faits. En ce qui concerne le commissaire Simon, l’homme est un individu taciturne parfois colérique qui sort des archétypes du personnage torturé pour emprunter des caractéristiques plus classiques pouvant rappeler un certain Jules Maigret, se révélant tout de même beaucoup plus dynamique, à l’image du récit. Car tout va très vite dans Le Pendu De La Treille avec un dénouement quelque peu abrupt qui aurait mérité un épilogue permettant de mieux saisir l’impact de l’affaire sur les deux personnages principaux qui vont apprendre à se découvrir au fil des enquêtes à venir.

     

    Malgré un meurtre peu commun, Corinne Jaquet ne s’attarde jamais sur les aspects racoleurs du crime pour s’intéresser aux dimensions psychologiques de protagonistes parfois atypiques qui donnent leurs tonalités au quartier visité et dont on aime à découvrir les lourds secrets au travers d’interactions maîtrisées et de dialogues pertinents. Un concentré de polar sur fond d’Histoire genevoise.

     

    Corinne Jaquet : Le Pendu De La Treille. La Collection Du Chien Jaune 2017.

    A lire en écoutant : Expedition Impossible de Hooverphonic. Album : With Orchestra. 2012 Sony Music Entertainment Belgium.

  • Marie Javet : La Petite Fille Dans Le Miroir. Ghost story.

    marie javet, la petite fille dans le miroir, Plaisir de lire, interlaken, höheweg, jungfrauLa Suisse regorge de ces palaces luxueux, vieux "vaisseaux de pierre" aux décors surannés, qui bordent les rives des lacs ou qui se dressent fièrement face aux sommets les plus mythiques du pays. Lieux prestigieux, chargés d’histoires, leurs silhouettes à la fois élégantes et atypiques, font partie intégrante du paysage en véhiculant la légende des grandes personnalités qui les ont fréquenté. C’est dans l’un d’entre eux, le Victoria-Jungfrau à Interlaken, que Marie Javet a choisi de planter le décor de son premier roman intitulé La Petite Fille Dans Le Miroir. Sélectionné parmi les dix ouvrages en lisse pour la première édition du prix du polar romand, l’ouvrage de Marie Javet ne présente guère de caractéristiques afférentes au genre mais n’en demeure pas moins un roman agréable et surprenant, qui s’oriente plutôt sur le registre du drame en intégrant une pointe de fantastique et une légère pincée de suspense.

    June Lajoie, célèbre auteure américaine, promène son mal de vivre entre les murs du Victoria-Jungfrau Grand Hôtel à Interlaken où elle séjourne afin de peaufiner le manuscrit de son prochain roman, tout en profitant de l’anonymat salvateur que lui procure ce vénérable établissement. Ne supportant que très difficilement la promiscuité de la clientèle, elle vit presque recluse dans sa chambre en ressassant les différentes périodes de la jeunesse dorée de celle qui fut autrefois Lizzie Willow, cette jeune fille de bonne famille qui s’émancipa le temps d’un été entre Montreux et Lausanne dans le bonheur d’une idylle naissante qui s’achevait sur un événement tragique qui, aujourd’hui encore, ne cesse de la tourmenter. Terriblement seule et désemparée, oscillant entre le passé et le présent, June Lajoie se rend bien compte qu’elle perd peu à peu le sens des réalités puisqu’elle commence à avoir des visions. Désormais, dans les miroirs du palace, elle croise régulièrement le regard d’une fillette qui semble vouloir l’interpeller. Délire paranoïaque ou apparition fantomatique ? Qui peut bien être la petite fille dans le miroir ?


    marie javet, la petite fille dans le miroir, Plaisir de lire, interlaken, höheweg, jungfrauConstruit sur le principe narratif du drame dont on va découvrir la teneur au gré d’analepses qui se répartissent sur trois périodes de la jeunesse de l’héroïne, on ne peut pas dire que La Petite Fille Dans Le Miroir brille par son originalité. Pourtant le charme opère, en partie dû au fait que l’auteure maîtrise les codes du genre, sans jamais trop en abuser et qu’elle parvient à intégrer dans ce court roman qui se dispense de tous ces subterfuges futiles visant à amplifier une tension qui se met ainsi en place tout naturellement. Le lecteur sera également séduit par l’atmosphère étrange qui plane sur la ville d’Interlaken et plus particulièrement sur ce fameux palace qui fait face à la Jungfrau et dont on découvre l’histoire par le biais des investigations que June Lajoie va entreprendre pour découvrir l’identité de cette fillette qui hante les couloirs du bâtiment qui devient ainsi un personnage à part entière en nous rappelant l’œuvre d’un certain Stephen King.

    Radiohead, Kate Bush, Lou Reed, Transportting, Jane Austin et bien d’autres ; nombreuses sont les références littéraires, musicales et cinématographiques qui jalonnent le roman. Lorsqu’elles ne font pas l’objet d’explications pompeuses, certaines de ces références se révèlent utiles comme celles qui servent de repères pour situer la période dans laquelle se déroule le récit ou celles qui deviennent les déclencheurs de souvenirs douloureux qui ne cessent de hanter cette héroïne aussi sensible que fragile. D’autres s'avèrent inutiles à l’exemple des éléments qui, en début de récit, visent à situer le degré de notoriété de June Lajoie et qui laisse craindre le pire pour la suite du roman, ceci même si j’apprécie Colin Firth et Anne Rice. Mais finalement il ne s’agit que d’une digression isolée n’entamant en rien la qualité d’une intrigue simple et bien menée qui se concentre sur l’essentiel, consistant à nous raconter une histoire et non pas à nous éblouir avec une kyrielle de parenthèses culturelles superflues.

    Une écriture fluide et plaisante nous permet de nous immerger dans un roman qui se lit d’une traite en découvrant le parcours de cette héroïne quelque peu stéréotypée mais dont la vulnérabilité et la fragilité suscite une émotion salutaire qui étoffe le personnage se déclinant sur les registres d'une petite fille solitaire et émouvante, d'une collégienne avide de liberté et d'une femme rongée par le remord. Ainsi, Marie Javet parvient à nous entraîner, avec La Petite Fille Dans Le Miroir, dans le cours d’un récit convenu qui sort parfois des sentiers battus en s’achevant sur un dénouement surprenant qui révèle le potentiel d’une auteure qu’il convient d’encourager. A découvrir.

    Marie Javet : La Petite Fille Dans Le Miroir. Plaisir de lire 2016.

    A lire en écoutant : Glass Eyes de Radiohead. Album : A Moon Shaped Pool. XL Recordings 2016.

  • Thierry Jonquet : Moloch. L’ogre est toujours affamé.

    thierry jonquet, moloch, folio policierDurant la pause littéraire, de bien trop courte durée, que procure la période estivale, c’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir quelques romans en piochant sur les étalages des librairies qui croulent sous les assortiments d’ouvrages en format poche. Dans le domaine du roman noir et du polar, c’est également une opportunité pour remettre au goût du jour quelques auteurs ayant disparu précocement et dont l’œuvre a sombré bien trop rapidement dans l’oubli à l’instar de Jean-Claude Izzo ou de Thierry Jonquet qui ont marqué l’univers du polar durant toute la décennie précédent les années 2000. Avec Moloch, de Thierry Jonquet on aborde sous l’angle du fait divers sordide, une enquête mettant en scène l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui a inspiré les personnages de la série Boulevard du Palais.

     

    On découvre quatre petits cadavres partiellement carbonisés dans une maison abandonnée du côté de la porte de la Chapelle et c’est l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui est chargée de l’enquête sous la direction de la juge d’instruction Nadia Lintz.



    A l’hôpital Armand-Trousseau, la surveillante en chef Françoise Delcourt réclame depuis plusieurs jours le carnet de santé de la petite Valérie atteinte d’un cancer du pancréas. Heureusement, la fillette peut compter sur le soutien de ses adorables parents avec une mère exemplaire de courage qui suscite l’admiration. Mais la lecture du document recèle quelques surprises.
    Le psychiatre Vilsner reçoit depuis plusieurs mois la visite d’un étrange patient. Atteint d’une infection au niveau des yeux qui le rendra très prochainement aveugle, le peintre Haperman a annoncé qu’il mettrait fin à ses jours au terme de sa thérapie.

    Victimes, proies faciles, trois affaires convergentes où il est question de souffrance et d’innocence bafouée car sur l’autel du sacrifice, Moloch, divinité cruelle, réclame toujours sa part d’enfants à immoler.

     

    Issu du courant néo polar, comme bon nombre d’auteurs français, Thierry Jonquet a rédigé ses textes avec la volonté de dénoncer les carences sociales par l’entremise du roman noir qu’il a découvert notamment avec l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. Engagé politiquement, mais également professionnellement que ce soit comme ergothérapeute en gériatrie ou professeur dans la zone périphérique du nord de Paris, l’auteur a donc puisé dans la somme de ses expériences pour enrichir des récits d’une terrible noirceur qui s’enracinent toujours dans un réalisme déconcertant. Ainsi Moloch ne déroge absolument pas à cette règle de naturalisme que ce soit lors des investigations policières et judiciaires, mais également durant toutes les phases se déroulant dans le milieu médical. L’abandon, le dénuement, mais également dans le deuil que l’on doit surmonter ou l’attachement tout en ambiguïté, Thierry Jonquet aborde la thématique de l’enfance malmenée et bousculée dans le contexte de trois intrigues très adroitement menées qui vont trouver leurs conclusions dans une finalité qui devient l’enjeu du roman. En effet, même si l’on perçoit très rapidement quelques ressorts des différentes péripéties qui alimentent le récit, le lecteur est plongé dans une perpétuelle perplexité quant à la découverte des éléments qui vont permettre de les mettre en lien dans la perspective d’un final troublant et forcément désespérant.

     

    Un texte précis équilibré, dépourvu d’effets de style ostentatoire où chaque mot semble avoir été pesé, permet d’appréhender avec une facilité déconcertante la multitude de personnages qui entrent en scène dans un roman somme toute assez court. Qu’ils soient principaux ou secondaires, l’ensemble des protagonistes est doté d’une épaisseur qui leurs donne un certain relief tout en nous permettant d’appréhender leurs divers états d’âme en rapport avec des faits douloureux qui ne sont pas forcément en lien avec l’intrigue. Dans une construction aussi subtile qu’implacable, Thierry Jonquet chronique un ensemble de faits divers à la fois cruels et abjects, sans pour autant sombrer dans une forme de voyeurisme pervers ou morbide. Car au-delà de l’ignominie des actes, l’auteur parvient toujours à insuffler cette petite part d’humanité que l’on peut même déceler dans le cœur des individus les plus monstrueux. Cela transparaît notamment avec Charlie, ce SDF paumé, ancien soldat affecté dans une unité du génie, victime d’un traumatisme après avoir été engagé au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise ou avec Marianne, cette mère courage qui noie son enfant malade sous un déluge d’affection équivoque. Cette humanité elle transparaît également au travers des personnages tels que l’inspecteur divisionnaire Rovère qui doit surmonter le deuil de son enfant et la juge d’instruction Nadia Lintz qui doit accompagner sa meilleure amie pour une interruption volontaire de grossesse. Tout un ensemble de protagonistes confrontés à cet univers lourd de la maltraitance d’enfants et qui apparaissaient déjà dans un roman intitulé Les Orpailleurs (Folio Policier 1993) évoquant les premières investigations mettant en scène les membres de cette équipe d’enquêteurs.

     

    Moloch donne également l’occasion de découvrir Paris sous un aspect aussi attrayant qu’original, puisque l’auteur nous entraîne avec force de précisions dans le périmètre des entrepôts qui bordent le canal de l’Ourcq, les Puces de Saint-Ouen, les chantiers et autres terrains vagues qui jouxtent le périphérique du côté de la porte de la Chapelle. Un portrait sans fard, mais également sans misérabilisme où enquêteurs, délinquants, travailleurs, résidents et touristes se côtoient dans les méandres d’une ville que Thierry Jonquet dépeint avec beaucoup de justesse sans rien concéder au cliché de carte postal ou au sensationnalisme de bas étage tout en distillant une atmosphère à la fois trouble et pesante pour un roman policier original, tout en rigueur.

     

    Thierry Jonquet : Moloch. Folio Policier 1998.

    A lire en écoutant : Rive Gauche d’Alain Souchon. Album : Au Ras des Pâquerettes. Parlophone Music 1999.