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Auteurs K

  • Richard Krawiec : Les Paralysés. Sans issue.

    éditions tusitala,richard krawiec,les paralysésLe nom des éditions Tusitala fait référence au patronyme attribué à Robert Louis Stevenson alors qu'il séjournait en Polynésie et qui désigne "celui qui raconte des histoires" tout en faisant également allusion à une espèce d'arachnide inspirant le graphiste qui a élaboré le logo de l'entreprise éditoriale évoquant la silhouette d'une araignée faucheuse.  Issues d'une rencontre entre le journaliste Mikaël Demets et l'attachée de presse Carmela Chergui, les éditions Tusitala se sont illustrées aussi bien dans le domaine du contenant avec une charte graphique extrêmement originale qui orne chacune des couvertures de la collection que dans le volet du contenant avec des textes singuliers à l'instar de Francis Rissin (Tusitala 2019) de Martin Mongo ou de Jacqui (Tusitala 2018) de Peter Loughran, auteur culte du fameux Londres Express (Série Noire 1967). Deux ouvrages qui ont défrayé la chronique tout comme les récits de Richard Krawiec qui dépeignent, avec un certain talent et une grande justesse, l'univers des classes précaires vivant dans les banlieues miteuses des Etats-Unis comme on peut d'ailleurs le découvrir avec Les Paralysés, son dernier roman dont l'action se situe durant la période de la guerre du Vietnam.

     

    Après une virée en compagnie de son frère Kevin conduisant une voiture volée avec laquelle ils fonçaient à toute allure, Donjie se réveille à l'hôpital amputé des deux jambes en comprenant très rapidement que l'accident qui s'en est suivi a désormais changé son existence à tout jamais. De retour à la maison, l'adolescent découvre que sa mère a revendu son lit et qu'il ne lui reste plus qu'une paillasse derrière le canapé du salon. Son frère, mortifié par l'accident ne lui adresse plus la parole et découvre les paradis artificiels de l'héroïne, une nouvelle drogue qui fait déjà des ravages dans les rue de la cité gangrenée par la pauvreté. Dans cet environnement sans espoir, Donjie évolue tant bien que mal entre ennui et déshérence où les mères prostituent leurs filles pour payer le loyer tandis que les hommes désertent les lieux, emportés par le fracas de la guerre du Vietnam qui marque les corps et les âmes. Ils ne restent que des enfants livrés à eux-mêmes qui ne voient aucune issue dans l'avenir qu'on leur propose.

     

    On ignore le nom de cette cité où chacun se recroqueville dans sa propre misère, dans sa propre détresse qui tend vers l'universalité. Tout juste devine-t-on, à l'écoute de la bande sonore et aux allusions à la guerre du Vietnam que le récit se situe durant la période des seventies où l'on observe une déliquescence de liens sociaux en partie due au nouveau phénomène de la drogue et particulièrement de l'héroïne qui déferle dans les rues de cet environnement dénué de tout espoir. Un quartier entouré de marécages, une faiseuse d'ange surnommée la Guêpe Verte, un fourgon noir où les hommes et les femmes ressortent avec un organe en moins et une cicatrice en plus, Les Paralysés prend la forme, à certains égards, d'un conte onirique et terrifique qui nous entraîne dans le réalisme parfois difficilement soutenable de la détresse sociale la plus absolue. Poète et écrivain, Richard Krawiec restitue, avec une justesse parfois troublante et bien souvent oppressante, le paysage d'un dénuement absolu qu'il dépeint avec un lyrisme effrayant sans jamais céder à la vulgarité ou à la complaisance vers laquelle on pourrait verser. C'est cet équilibre qu'il faut saluer tout au long d'un texte éblouissant où l'on suit les pérégrinations de Donjie qui, malgré son handicap, circule sur son skate faisant office de chaise roulante dans les rues de cette cité miséreuse, accompagné parfois de toute une horde d'enfants ébouriffants. Bien plus mobile et arpentant les allées de la cité, Donjie incarne tout un paradoxe au regard de ces individus englués voire même paralysés dans leur propre détresse à l'image de sa mère, Big Sue quittant difficilement son canapé ou de sa jeune sœur Charlène trouvant refuge dans une cave où elle fait des expérimentations sur des têtards, tout en évitant que sa mère ne la propulse dans les bras d'un de ses amants pour s'acquitter du loyer ou de la voisine Michelle dont Donjie éprouve une certaine attirance pour cette jeune femme qui tente d'élever son fils Zip tant bien que mal. Richard Krawiec nous offre donc ainsi toute une déclinaison de personnages cabossés par la vie, dénués de cruauté, mais également dépourvus d'amour qu'ils n'ont d'ailleurs jamais reçu et dont les destins s'entrecroisent dans ce quartier déglingué au gré d'un récit âpre et d'une rare noirceur qui se conclut sur une tragédie ne nous laissant entrevoir aucune lueur d'espoir mais nous permettant de distinguer l'étincelle d'humanité émanant de chacun des protagonistes. Un récit bouleversant qui vous coupe le souffle.

     

    Richard Krawiec : Les Paralysés (The Paralyzed). Editions Tusitala 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : The Other Side Of Town de Curtis Mayfield. Album : Curtis. 2000 Warner Strategic Marketing.

  • Joseph Knox : Somnambule. Retour de flamme.

    Capture d’écran 2020-11-30 à 18.37.36.pngJeune auteur britannique, Joseph Knox nous invite une nouvelle fois à partager l’atmosphère glauque de la patrouille de nuit composée de l’inspecteur borderline Aiden Waits et de son irascible acolyte Peter Sutcliff. Après avoir découvert le monde interlope de la nuit à Manchester et les écarts de ce flic atypique dans Sirènes (éditions du Masque 2018) on retrouvait ce personnage en mauvaise posture dans Chambre 413 (éditions du Masque 2019) où rejaillissait quelques pans de son passé tumultueux. Deux ouvrages qu’il est recommandé de lire avant d’entamer Somnambule, dernier opus d’une série où l’on retrouve quelques savoureux personnages secondaires à l’instar du superintendant Parrs, supérieur particulièrement retord qui manipule Aiden Waits pour les besoins de sa carrière alors que Zain Carver, caïd de la ville, a juré la perte de cet inspecteur déchu qu’il rend responsable de la mort de sa fiancée. Empêtré dans une affaire de chantage avec une policière corrompue, un règlement de compte avec un truand qui a juré sa perte et les basses manoeuvres d’une hiérarchie qui se déchire, Aiden Waits va devoir également composer avec une jeune coéquipière intègre qui semble vouloir rapporter tous ses faits et gestes au cours d’une enquête sur un fait divers vieux de dix ans qui défraie encore la chronique. 

     

    Martin Wick, surnommé le Somnambule, a toujours prétendu n’avoir aucun souvenir de la nuit où il a décimé toute une famille. Après dix années en prison, le meurtrier, atteint d’un cancer, n’en finit plus d’agoniser sur son lit d’hôpital alors qu’Aiden Waits est chargé de recueillir ses dernières confidences avec son collègue Peter Sutcliff. Mais Martin Wick ne se décide ni à mourir ni à parler. Et l’affaire tourne au fiasco lorsqu’un individu poignarde le planton avant de mettre le feu au lit de Martin Wick qui périt dans les flammes. Si Aiden Waits réchappe à l’attentat, son coéquipier, grièvement blessé est plongé dans le coma. Qui pouvait donc en vouloir au meurtrier ? S’agit-il d’une vengeance ? Est-on d’ailleurs bien sûr que Martin Wick était bien la cible de l’attentat ? Autant de questions auxquelles Aiden Waits n’est pas bien sûr d’obtenir la réponse. Une enquête qui va se dérouler sur le fil du rasoir. Aiden Waits en a l’habitude.

     

    Il faut bien avouer que c'est avec un certain plaisir sadique que l'on se prend à retrouver l'inspecteur Aiden Waits qui semblait emprunter la voie de la rédemption au terme du second roman de la série, Chambre 413. Mais que l'on se rassure, Aiden Waits reste l'éternel et incontrôlable chien fou qui se lance dans une contre-enquête où les apparences semblent plutôt trompeuses. A partir de ces éléments, les ressorts narratifs sont déjà connus et peuvent susciter un sentiment de déjà lu qui atténuera certains effets de surprise pour les lecteurs les plus aguerris. Mais avec un tel enquêteur au comportement si autodestructeur il faut tout de même s'attendre à un bouleversement d'une intrigue qui sort des sentiers battus au détour d'une kyrielle de circonstances qui font d'Aiden Waits, un homme aux abois qui se retrouve acculé de toute part. C'est principalement avec le chantage dont il est victime et auquel il ne peut se soustraire que l'on perçoit la tension à laquelle Aiden Waits est soumis ceci d'autant plus qu'il doit composer avec une coéquipière intègre, bien décidée à ne pas le lâcher d'une semelle. On appréciera donc les rapports conflictuels entre le personnage central en perdition et Naomi Black qui prend le relais de l'odieux Peter Sutcliff qui lutte entre la vie et la mort, victime collatérale d'un attentat dont on ignore s'il visait le détenu qu'il surveillait à l'hôpital ou Aiden Waits, affecté à la même mission de surveillance, qui semble être la cible d'une vengeance orchestrée par un vieil ennemi.

     

    Récit d’une grande noirceur, agrémenté de dialogues caustiques, Somnambule nous permet donc de retrouver un personnage charismatique dont le comportement autodestructeur donne du relief à une enquête qui sort définitivement de l’ordinaire au gré d’un récit prenant parfois l’allure d’un hard boleid déjanté.

     

    Joseph Knox : Somnambule (The Sleepwalker). Editions du Masque 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch.

     

    A lire en écoutant : Fly Me To The Moon de Frank Sinatra (feat. Count Basie and His Orchestra). Album : Nothing But The Best (Remastered). 2008 Frank Sinatra Enterprises, LLC.

  • Joseph Knox : Chambre 413. Les disparus.

    editions du masque,joseph knox,chambre 413Joseph Knox est un jeune auteur britannique qui s'est rapidement imposé avec Sirènes, un premier roman policier racé aux accents hard-boiled se déroulant dans la belle ville de Manchester et mettant brillamment en scène Aiden Wait, un jeune inspecteur de police borderline. Même s'il ne révolutionnait pas le genre, on appréciait tout de même la fraîcheur d'une intrigue envoutante nous entraînant au cœur du monde de la nuit. Il faut dire que l'on se prend à aimer ce personnage qui n'hésite pas à mettre sa carrière en jeu en défiant sa hiérarchie dans un climat tendu, mais contrebalancé par ce regard corrosif que le policier jette sur ses interlocuteurs qui peuvent se montrer violents. Mais pour Aiden Wait tout cela importe peu car le policier sait encaisser les coups sans jamais vraiment céder à cette compromission qui prévaut au sein de l'institution. Ne pas faire de vague n'est donc pas vraiment l'adage de cet enquêteur atypique, vif d'esprit, qui force l'admiration en ne versant jamais dans la caricature. Autant dire que l'on se réjouit de retrouver ce personnage dans Chambre 413, second volet des enquêtes d'Aiden Wait qui végète désormais au sein de la patrouille de nuit en battant le pavé de la cité de Manchester.  

     

    L’inspecteur Aidan Wait peut s’estimer heureux car son supérieur, le superintendant Parrs, ne l’a finalement pas viré mais relégué sur une voie de garage en l'intégrant à la patrouille de nuit consistant à répondre à des appels insignifiants comme des feux de poubelle, en compagnie de Peter Sutcliffe, surnommé Sully, un collègue à la fois chevronné et acariâtre. Mais dans la chaleur suffocante d’un été comme on ne les fait plus à Manchester, les deux policiers doivent se rendre au Palace, un immense hôtel désaffecté du centre-ville. Sur place, c’est dans la chambre 413 qu’ils découvrent le corps sans vie d’un homme à l’étrange sourire figé. La première difficulté survient lorsqu’il s’agit d’identifier le cadavre. En effet, on a été jusqu’à enlever les étiquettes de ses vêtements et limer ses dents alors que ses doigts sont dépourvus d’empreintes digitales. Comme si l’homme avait souhaité se débarrasser définitivement de son identité avant de disparaître. Et quel est ce message mystérieux que l’on retrouve cousu à l’intérieur de son pantalon ? Y a-t-il seulement un sens à cette mise en scène macabre ?

     

    Dans le sillage des pérégrinations de l’inspecteur Aiden Wait, nous embarquons une nouvelle fois dans le monde interlope de la nuit à Manchester que Joseph Knox connaît bien en ayant officié comme barman avant de se lancer dans l’écriture. C’est dans cette atmosphère urbaine, rendue plus lourde avec la chaleur des nuits estivales que le policier va mener de front plusieurs enquêtes avec son coéquipier Sutty qui prend davantage d’importance que l’opus précédent. On se prend même à apprécier la dynamique qui s’instaure entre ces deux individus qui se tolèrent dans une ambiance pesante, chargée de tensions, de non-dit et d’échanges acerbes. Avec Sutty, on découvre un personnage acariâtre qui n’est pas dépourvu d’une certaine intelligence et d’une expérience professionnelle qui font de lui un policier portant un regard sans concession sur la société qui l’entoure. A certains égards on lui trouverait une certaine ressemblance avec Aiden Wait. Outre l’identification d’un cadavre, l’inspecteur Wait va également devoir enquêter sur une jeune femme victime d’un amant qui menace de diffuser des photos compromettante sur les réseaux sociaux. D’autre part, Joseph Knox lève également un voile sur le passé de son inspecteur qui doit répondre aux menaces d’un certain Bateman qui lui rappelle des souvenirs terribles de son enfance. Afin de démêler cet écheveau complexe d’intrigues qui s’entrecroisent, aux entournures parfois un brin trop alambiquées, le lecteur devra s’accrocher pour ne pas se perdre en chemin. Néanmoins on se retrouve séduit par la voix originale d’un auteur qui utilise les codes du genre sans en abuser et réussi même à surprendre le lecteur comme cette confrontation entre Aiden et Bateman, un personnage complexe qui nous fait frissonner et qui explique certaines attitudes d’un policier contraint de se frotter à son passé qu’il pensait avoir enfouit. On trouve d’ailleurs une certaine similitude entre Aiden Wait et les démarches de cet homme mystérieux, retrouvé mort dans ce singulier hôtel désaffecté, qui s’est débarrassé de son passé au propre comme au figuré.

     

    Avec Chambre 413, il est donc surtout question d’ambiance et d’atmosphère nocturne pour un polar à la fois complexe et singulier qui confirme le talent de Joseph Knox parvenant, sans renouveler le genre, à surprendre le lecteur avec un texte qui se joue des codes du roman policier, ceci pour être plus grand plaisir.



     

    Joseph Knox : Chambre 413. Editions du Masque 2019. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Fabienne Gondrand.

     

    A lire en écoutant : The Smiths : There Is A Light That Never Goes Out. Album : The Queen Is Dead. 2014 Rhino UK a division of Warner Music UK Ltd.

  • Joseph Knox : Sirènes. La poudre aux yeux.

    Capture.PNGUn bon nombre d'auteurs britanniques ont choisi la localité où ils séjournent pour en faire le théâtre de leurs intrigues comme John Harvey avec Birmingham où évoluait l'inspecteur Charlie Resnick ou Colin Dexter avec Oxford où officiait l'inspecteur Endeavour Morse en faisant en sorte que le décor devienne aussi important que l'intrigue. Jeune auteur débutant, Joseph Knox a effectué la même démarche en situant l'action de son premier roman à Manchester où il a officié comme barman et comme libraire avant de se lancer dans l'écriture. Avec un polar aux accents "hard-boiled" l'auteur nous entraine donc dans les méandres des rues de Manchester en levant le voile sur les dessous du monde de la nuit sur fond de trafic de stupéfiant tenu par un caïd de la pègre locale que nul policier n'a été en mesure d'infiltrer. Polar rythmé au titre évocateur, Sirènes fait référence aux filles chargées de récolter l'argent des transactions s'effectuant dans les différents bars de la cité.

     

    Aiden Wait est un jeune flic dont la carrière est déjà fortement compromise. Suspendu après avoir été surpris en train de dérober des stupéfiants dans la salle des pièces à conviction, la rumeur ne va pas tarder à se répandre dans toute la ville. Mais Aiden s’en moque, entre biture et consommation de drogue, il brûle sa chandelle par les deux bouts. Pourtant le superintendant Parrs lui fait une étrange proposition. Il a besoin d’un policier aux mains sales pour infiltrer un gros réseau de trafic de drogue dirigé par Zain Carver. Il semble donc que l’inspecteur Wait fera parfaitement l’affaire pour entrer en contact avec ce truand plutôt méfiant. Mais la mission prend un autre tournure lorsque le jeune policiers se voit également confier la tâche de retrouver la fille d’un homme politique bien en vue de la ville de Manchester. Aiden Wait ne tarde pas à découvrir que la jeune femme faisait partie de l’entourage de Zain Carver qui l’utilisait comme une de ses « sirènes ». Une affaire chaotique pour un flic complètement barré qui part en vrille.

     

    Avec Sirènes on découvre l’inspecteur Aiden Wait qui possède un indéniable talent pour se fourrer dans les pires galères en le contraignent à évoluer en marge de son travail pour effectuer une mission d’agent infiltré à son corps défendant, ceci d’autant plus qu’il se retrouve à côtoyer ses pires démons que son l’alcool et la drogue. Il va de soi qu’il ne résiste que très peu à la tentation et se retrouve embringué dans une enquête sur laquelle il n’a plus de contrôle. On apprécie donc ce personnage ambivalent qui oscille entre la folie des fêtes déjantées et l’envie d’accomplir tout de même son travail de flic pour lequel il possède un certain talent avec ce regard désabusé qu’il porte sur ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Pour corser le tout, Joseph Knox agrémente le texte d’un humour grinçant, un peu décalé au rythme d’une intrigue tonique où s’entremêlent une enquête de disparition et une investigation sur un trafic de drogue et dont l’ensemble se déroule sur fond de scandale politique.

     

    Autour de ce policier hors-norme, complètement déjanté, Joseph Knox nous présente toute une palette de personnages tous plus désagréables les uns que les autres qui font que l’on évolue dans un climat tendu avec en toile de fond cette atmosphère urbaine et poisseuse des bars glauques de la ville de Manchester. C’est également dans les quartiers sordides de la cité que l’on distingue des clans, de type mafieux qui se livrent une guerre sans merci pour s’emparer du marché de la drogue. Au milieu de tout cela, l’inspecteur Aiden Wait, chute à plusieurs reprises avec à la clé passages à tabacs, consommation de drogue et d’alcool et même perte de connaissance pour se retrouver allongé dans les ruelles humides de la ville. Mais quoiqu’il en soit, à l’image de ces durs à cuire, le policier se relève toujours pour affronter ses ennemis qu’il parvient à manipuler afin d'arriver à ses fins.

     

    Au gré d'une intrigue dynamique et d'un humour cinglant, Sirènes est un polar tonique qui secouera le lecteur jusqu’à la dernière ligne en faisant connaissance avec un jeune flic déjà cabossé de la vie qui n’a de cesse de se désintégrer, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Joseph Knox : Sirènes. Le Livre de Poche 2019. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Jean Esch.

    A lire en écoutant : Take Me Out de Franz Ferdinand. Album : Franz Ferdinand. 2004 Domino Recording CO Ltd.

  • Kris/Maël : Notre Mère la Guerre, qui sont les monstres ?

     

     
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    If any question why we died,

    Tell them, because our fathers lied.

    Rudyard Kipling, Epitaphs of the war

     

    11 novembre 2011 au parc Mon Repos à Genève. Tous ce qu'il y a d'institutions officielles sont présentes devant le monument aux morts pour célébrer le devoir du souvenir. Dans ces moments solennels, teintés d'émotions et après tant d'années passées, il est difficile de pouvoir s'imaginer la souffrance et le sacrifice de ces hommes qui ne sont plus. Des discours lyriques et solennels évoquent le devoir, la camaraderie,  le dévouement ainsi que l'abnégation de ces soldats, mais passent sous silence toute l'horreur et l'absurdité des combats. Il est vrai que le lieu et le moment ne s'y prêtent guère.

     

    Pour se faire une idée des atrocités de cette guerre que l'on disait la dernière, ce ne sont pas les ouvrages qui manquent. Le dernier en date est une série de bd intitulée Notre Mère de la Guerre, scénarisée par Maël et dessinée par Kris. Le premier album est sorti en 2009 et la troisième complainte est parue début novembre 2011, soit quelques jours avant la célébration de l'Armistice de 1918.

     

    C'est par le biais du polar que les auteurs ont décidé d'aborder le sujet. En ce début d'année 1915, à quelques semaines d'intervalles, ce sont les corps de trois femmes qui sont découvertes dans les tranchés. Sur chacune d'entres elles, l'assassin a laissé une lettre d'adieu rédigée par ses soins. C'est au lieutenant de gendarmerie Roland Vialatte qu'il incombe de découvrir l'auteur de cette ignominie. Car si l'on peut tuer en masse au nom de la patrie, il n'est pas question que l'on se permette de telles exactions dans le dos des soldats. L'horreur et la barbarie, juste une question de point de vue et de victimes. C'est donc au cœur des tranchées, en première ligne que le lieutenant Vialatte devra se rendre pour mener à bien son enquête. L'idéalisme de la guerre qu'il s'était forgé par le biais des écrits de Victor Hugo et Charles Peguy sera mis à mal avec le réalisme de combats acharnés et sauvages. Interrogatoires de jeunes poilus terrorisés, résignations de sous-officiers écœurés par ces massacres absurdes, c'est par ces témoignages que le lieutenant Vialatte découvrira le vrai visage de la guerre. Au milieu de cette folie guerrière, parviendra-t-il à identifier le meurtrier qui a de nouveau sévi en assassinant une quatrième jeune femme ?

     

    La délicatesse et la finesse du trait de Maël alliée à la légèreté de ses gouaches transfigurent l'horreur des scènes qui sont dépeintes. Pour s'en convaincre il n'y a qu'à s'attarder sur la couverture du premier album qui reflète le malaise qui se dégage au travers de chaque album. Avec un scénario bien rythmé, Kris nous guide dans les méandres de cette guerre atroce et en décrit toutes les turpitudes et les flétrissures avec des textes aux empreintes lyriques savamment dosées. Une idée de génie d'avoir abordé ce pan tragique de l'histoire par le biais du polar, même si l'idée n'est pas nouvelle. Il fallait cependant oser mettre en scène un sérial killer sévissant dans les tranchées, au cœur même de la barbarie humaine qui souligne l'ambivalence pour un tueur solitaire d'opérer dans une logique de tueries de masse orchestrée par des nations belliqueuses. Qui sont vraiment les monstres ? Cette question sous-jacente, plusieurs  personnages du récit se la pose sans pour autant obtenir de réponse. Avec Notre Dame la Guerre, vous découvrirez également un sujet rarement abordé avec ces jeunes délinquants (des meurtriers parfois) extraits des institutions pour mineurs pour « servir » au front, ceci au nom de la France alors qu'ils n'avaient pas 18 ans ...

     

    Qui sont les monstres ? Maël et Kris vous en donnent la réponse avec un récit âpre et prenant, chargé d'émotion qui s'achèvera avec un quatrième album encore à paraître, intitulé Requiem qui clôturera ce long chant plaintif.

     

     

    Maël/Kris : Notre Dame la Guerre, Première Complainte. Edtions Futuropolis 2009.

    Maël/Kris : Notre Dame la Guerre, Deuxième Complainte. Editions Futuropolis 2010.

    Maël/Kris : Notre Dame la Guerre, Troisième Complainte. Edition Futuropolis 2011.

    Maël/Kris : Notre Dame la Guerre, Requiem. Editions Futuropolis (à paraître)

    A lire en écoutant : Symphonie n° 3 d'Henryk Gorecki par David Zinman dirigeant le London Sinfonietta.  Soprano : Dawn Upshaw / Nonesuch Records, 1992.

     

     

  • Fureur Noire : Philip Kerr, Trilogie Berlinoise, le polar historique.

     

    « Tous les grands romans du XXème siècle sont des romans policiers »

    Borges

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    Ce qu'il y a de réjouissant en lisant cette citation de Borges, ce qu'elle a probablement dû influencer Umberto Eco lorsqu'il rédigea le Nom de la Rose. Exit donc le frère Cadfael d'Ellis Peter ou le juge Ti de Robert Van Gulig, deux grandes séries qui trustèrent durant des années le polar historique. La première se déroulaient en Chine, dans les années 600 de notre ère sous le règne de la dynastie T'ang tandis que la seconde avait pour cadre une période troublée du Moyen-Age. Ces deux auteurs nous permirent d'explorer les méandres méconnus de l'histoire avec l'inconvénient pour les lecteurs assidus, d'une certaine répétition des traditions évoquées au fil des aventures de ces deux personnages.

     

    Rien de tout cela avec le Nom de la Rose qui révolutionna le genre à un point tel que personne ne fut capable d'égaler ce qu'il faut considérer comme l'un des plus grands romans du 20ème siècle. Dans cet ouvrage, Borges n'est d'ailleurs pas loin puisque c'est lui et sa bibliothèque de Babel qui inspira Umberto Eco dans la description du moteur essentiel de son ouvrage à savoir la bibliothèque infernale de cette abbaye mystérieuse. Et comme si cet hommage ne suffisait pas Umberto Eco créa le personnage du bibliothécaire aveugle (tout comme Borges) en lui donnant le nom de Jorge de Burgos, personnage d'ailleurs à l'antithèse de ce fabuleux écrivain.

     

    Le Nom de la Rose, un polar médiéval dense et foisonnant de références historiques truffé d'éléments sémiotique à un point tel qu'il relègue les écrits de Dan Brown au rang d'amateur. Oubliez le film de Jean-Jacques Annaud (fort bon au demeurant) qui ne put restituer la richesse du roman et plongez-vous dans cette sombre intrigue mettant en jeu les danger de l'obscurantisme en suivant l'enquête passionnante de Guillaume de Baskerville et de son novice Adso de Melk.

     

    A la suite de ce succès littéraire, bon nombre d'auteurs tentèrent de s'engouffrer dans la brèche sans rencontrer le même succès. Des chapitres pompeux pour poser les bases historiques, un manque de recul, voir même une absence d'intrigue  expliquent que bon nombre de ces ouvrages ne parvinrent jamais à égaler ce qu'il faut considérer comme l'œuvre majeur de Eco, à savoir un polar !

     

    Il fallait donc quitter le monde médiéval pour s'emparer d'autres pans de l'histoire afin de lire quelque chose de correct dans ce domaine particulier du polar historique. Avec Philip Kerr et sa trilogie Berlinoise (devenue une quadrilogie avec La mort entre Autre), ce sont les heures sombres du Troisième Reich que vous traverserez par le biais des enquêtes du détective privé Bernhard Gunther. Il faut bien l'avouer, avec son ironie mordante et son humour amer, un rien désabusé, le personnage ressemble furieusement au héro charismatique de Raymond Chandler, j'ai nommé le grand Philip Marlowe. Mais ce sont les personnages secondaires qui donnent tout leur intérêt pour ces heures sombres de l'Allemagne qui sont évoquées par petites touches avec des dialogues incisifs ou des descriptions précises d'un Berlin fort méconnu. Des personnages historiques inquiétants comme Heydrich, Himmler, Artur Nebe et Heinrich Muller traversent les récits de Philip Kerr en les rendant encore plus terrifiants.

     

    De la subtilité, du talent et une grande connaissance du contexte historique font que les romans de Philip Kerr sont devenus un must incontournable du polar historique. Vous pourrez retrouver ce grand auteur à l'occasion de la Fureur Noire. Il sera présent à la salle du Faubourg, le samedi 8 octobre 2011 à 19h30 en compagnie de l'historien Volker Kutscher. Ensemble, ils évoqueront l'aspect destructeur de cette Allemagne du début des années 40 en perte de ses valeurs démocratiques.

     

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    Pour vous guider tout au long de cette semaine consacrée au polar et au roman noir, il y a ce guide  précieux du cercle de libraires et des éditeurs de Genève que je vous recommande que vous soyez novice ou amateur en la matière.  Sur la couverture grise, une gravure illustrant le double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe avec le titre « Fureur Noire » inscrit en lettre de sang ! Puis, pour introduire ce fascicule, cette citation de Borges qui résonnera dans le cœur de tous les passionnés du genre. S'il fallait quelques mots subtiles pour résumer tout ce qu'est le polar et le roman noir, ne manquez pas la brillante introduction de Valérie Solano avant d'aborder les différentes thématiques de ce petit ouvrage.

    1.     La Ville est un polar

    2.     Jazz et polar font bon ménage

    3.     Sur les traces des autres hommes

    4.     Le polar parle espagnole

    5.     Comment le polar LGTB est sorti du placard

    6.     Le polar comme la révolution

    7.     Dans le secret des crânes

    8.     Ombre sur la lune, le roman policier japonais

    9.     De glace et de feu l'Islande noire

    10.   En Italie le crime est jaune

    11.   La BD et le polar

    12.   Américain ou rien

    13.   Le polar des Alpes

    14.   L'enfance et le polar

    Ces 14 thèmes vous permettront d'aborder les différents aspects du polar et du roman noir. Des esprits chagrins regretteront que tel roman ou tel récit ne soit pas cité dans ce fascicule. Mais tel n'est pas le but de ce guide qui est comme un passeur qui vous permettra de traverser les flots sombres d'un genre littéraire qui n'a plus rien à prouver mais qui reste encore à découvrir.

     

    En tant que flic j'aurai peut-être aimé que l'on aborde le thème du polar entre réalité et fiction avec une participation la police cantonale genevoise pour cette manifestation d'envergure. Un rendez-vous manqué ou un manque d'ouverture ? Qui peut le dire ?

     

     

     

    Umberto Eco : Le Nom de la Rose. Livre de Poche 1982. Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano.

     

    Philip Kerr : Trilogie Berlinoise. Livre de Poche 1989, 1990, 1991. traduit de l'anglais par Gilles Berton.

     

    A lire en écoutant : Parfum du passé et Evocation de Gabriel Yared. Bande originale du film Coco & Igor.