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Richard Krawiec : Les Paralysés. Sans issue.

éditions tusitala,richard krawiec,les paralysésLe nom des éditions Tusitala fait référence au patronyme attribué à Robert Louis Stevenson alors qu'il séjournait en Polynésie et qui désigne "celui qui raconte des histoires" tout en faisant également allusion à une espèce d'arachnide inspirant le graphiste qui a élaboré le logo de l'entreprise éditoriale évoquant la silhouette d'une araignée faucheuse.  Issues d'une rencontre entre le journaliste Mikaël Demets et l'attachée de presse Carmela Chergui, les éditions Tusitala se sont illustrées aussi bien dans le domaine du contenant avec une charte graphique extrêmement originale qui orne chacune des couvertures de la collection que dans le volet du contenant avec des textes singuliers à l'instar de Francis Rissin (Tusitala 2019) de Martin Mongo ou de Jacqui (Tusitala 2018) de Peter Loughran, auteur culte du fameux Londres Express (Série Noire 1967). Deux ouvrages qui ont défrayé la chronique tout comme les récits de Richard Krawiec qui dépeignent, avec un certain talent et une grande justesse, l'univers des classes précaires vivant dans les banlieues miteuses des Etats-Unis comme on peut d'ailleurs le découvrir avec Les Paralysés, son dernier roman dont l'action se situe durant la période de la guerre du Vietnam.

 

Après une virée en compagnie de son frère Kevin conduisant une voiture volée avec laquelle ils fonçaient à toute allure, Donjie se réveille à l'hôpital amputé des deux jambes en comprenant très rapidement que l'accident qui s'en est suivi a désormais changé son existence à tout jamais. De retour à la maison, l'adolescent découvre que sa mère a revendu son lit et qu'il ne lui reste plus qu'une paillasse derrière le canapé du salon. Son frère, mortifié par l'accident ne lui adresse plus la parole et découvre les paradis artificiels de l'héroïne, une nouvelle drogue qui fait déjà des ravages dans les rue de la cité gangrenée par la pauvreté. Dans cet environnement sans espoir, Donjie évolue tant bien que mal entre ennui et déshérence où les mères prostituent leurs filles pour payer le loyer tandis que les hommes désertent les lieux, emportés par le fracas de la guerre du Vietnam qui marque les corps et les âmes. Ils ne restent que des enfants livrés à eux-mêmes qui ne voient aucune issue dans l'avenir qu'on leur propose.

 

On ignore le nom de cette cité où chacun se recroqueville dans sa propre misère, dans sa propre détresse qui tend vers l'universalité. Tout juste devine-t-on, à l'écoute de la bande sonore et aux allusions à la guerre du Vietnam que le récit se situe durant la période des seventies où l'on observe une déliquescence de liens sociaux en partie due au nouveau phénomène de la drogue et particulièrement de l'héroïne qui déferle dans les rues de cet environnement dénué de tout espoir. Un quartier entouré de marécages, une faiseuse d'ange surnommée la Guêpe Verte, un fourgon noir où les hommes et les femmes ressortent avec un organe en moins et une cicatrice en plus, Les Paralysés prend la forme, à certains égards, d'un conte onirique et terrifique qui nous entraîne dans le réalisme parfois difficilement soutenable de la détresse sociale la plus absolue. Poète et écrivain, Richard Krawiec restitue, avec une justesse parfois troublante et bien souvent oppressante, le paysage d'un dénuement absolu qu'il dépeint avec un lyrisme effrayant sans jamais céder à la vulgarité ou à la complaisance vers laquelle on pourrait verser. C'est cet équilibre qu'il faut saluer tout au long d'un texte éblouissant où l'on suit les pérégrinations de Donjie qui, malgré son handicap, circule sur son skate faisant office de chaise roulante dans les rues de cette cité miséreuse, accompagné parfois de toute une horde d'enfants ébouriffants. Bien plus mobile et arpentant les allées de la cité, Donjie incarne tout un paradoxe au regard de ces individus englués voire même paralysés dans leur propre détresse à l'image de sa mère, Big Sue quittant difficilement son canapé ou de sa jeune sœur Charlène trouvant refuge dans une cave où elle fait des expérimentations sur des têtards, tout en évitant que sa mère ne la propulse dans les bras d'un de ses amants pour s'acquitter du loyer ou de la voisine Michelle dont Donjie éprouve une certaine attirance pour cette jeune femme qui tente d'élever son fils Zip tant bien que mal. Richard Krawiec nous offre donc ainsi toute une déclinaison de personnages cabossés par la vie, dénués de cruauté, mais également dépourvus d'amour qu'ils n'ont d'ailleurs jamais reçu et dont les destins s'entrecroisent dans ce quartier déglingué au gré d'un récit âpre et d'une rare noirceur qui se conclut sur une tragédie ne nous laissant entrevoir aucune lueur d'espoir mais nous permettant de distinguer l'étincelle d'humanité émanant de chacun des protagonistes. Un récit bouleversant qui vous coupe le souffle.

 

Richard Krawiec : Les Paralysés (The Paralyzed). Editions Tusitala 2022. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.

A lire en écoutant : The Other Side Of Town de Curtis Mayfield. Album : Curtis. 2000 Warner Strategic Marketing.

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