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  • JOACHIM B. SCHMIDT : KALMANN ET LA MONTAGNE ENDORMIE. KORREKTOMUNDO !

    joachim b. schmidt,kalmann et la montagne endormie,éditions gallimard,collection la noireIl faut bien admettre qu’il y avait une petite part de chauvinisme helvétique qui rejaillissait quant à la surprenante et réjouissante découverte de Kalmann (La Noire 2023) du grisonnais Joachim Beat Schmidt intégrant, avec son premier roman traduit en français, la prestigieuse collection La Noire de la maison d’éditions Gallimard. Mais au-delà de cette interférence patriotique exacerbée, il convient de souligner tout le plaisir que l’on a eu en s'imprégnant du mode de pensée décalé du « shérif » auto proclamé de la localité islandaise de Raufarhöfn, atteint de troubles de l’autisme, et que le romancier suisse a su retranscrire avec une verve poétique et humoristique sans pareil, au détour d’une intrigue policière prenant pour cadre cette île nordique superbe, où il réside désormais, en faisant en sorte d’en restituer l’atmosphère si particulière, par le prisme d’une écriture épurée, mais aussi grandiose que ces paysages nordiques. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le roman n'emprunte d'aucune manière le style caractéristique du polar nordique pour prendre plutôt l'allure d'une intrigue policière un peu loufoque du fait de la personnalité peu commune de Kalmann, de son appréhension à la fois naïve et pragmatique du monde qui l'entoure et bien évidemment de ses échanges sans filtre avec ses interlocuteurs en suscitant, à bien des égards, une certaine hilarité véritablement salutaire. Et puis au-delà de l'intrigue policière, prétexte à toutes les péripéties les plus incroyables, que ce soit une confrontation avec un ours polaire, des virées en mer pour chasser le requin afin de concocter le hárkarl, spécialité locale fermentée au goût prononcé et à l'odeur particulière, ainsi que ces parties de chasse dans ces contrées désolées et majestueuses, il émerge cette chaleureuse humanité attendrissante qui imprègne le texte en rejaillissant sur l'entourage de Kalmann et plus particulièrement dans les rapports qu’il entretient avec son grand-père qu'il affectionne tant. A partir de là, on ne peut que se réjouir de retrouver ce personnage si atypique qui revient dans Kalmann Et La Montagne Endormie, second opus auquel on ne s'attendait pas et qui constitue une des excellentes surprises de ce début d'année. 

     

    Le shérif d'honneur de Raufarhöfn, petit bourg portuaire situé au nord de l'Islande, ne sera pas présent à l'occasion du feu d'artifice du Nouvel An. En effet, Kalmann Oòinsson a décidé de répondre à l'invitation de son père biologique pour se rendre aux Etats-Unis afin de rencontrer les membres de sa famille du côté paternel qu'il ne connaît pas du tout. C'est l'occasion de chasser en manipulant des armes dont son père ainsi que son oncle sont généreusement dotés et qu'ils prétendent vouloir conserver à tout prix pour défendre leurs droits qu'ils estiment menacés par les autorités du pays. Ainsi, Kalmann, esprit candide, va accompagner ses nouveaux amis à Washington en participant à une étrange manifestation dont il ne connaît pas tous les tenants et aboutissants et qui va soudainement dégénérer. Désormais abandonné par les siens, il se retrouve dans une salle d'interrogatoire du FBI à devoir raconter son parcours avant qu'on ne lui demande fermement de rentrer chez lui. Mais de retour au pays, alors qu'il est accueilli par sa mère, il découvre que son grand-père, communiste convaincu, s'intéressait aux intérêts américains en Islande. Et pour couronner le tout, il se pourrait bien que le décès de son aïeul ne soit pas dû à des causes naturelles en lien avec son grand âge.

     

    Si l'effet surprenant du premier ouvrage n'est évidemment plus de mise avec Kalmann Et La Montagne Endormie, on apprécie toujours autant ce dynamisme décalé qui imprègne la personnalité de ce personnage auquel on s'attache de bout en bout en savourant plus particulièrement ses répliques stupéfiantes se révélant aussi amusantes qu'émouvantes tandis que l''intrigue se décline, une nouvelle fois, sur un registre un peu barré, en partie dû à la manière dont Kalmman Oòinsson conduit ses investigations en vue de découvrir celui qui aurait pu s'en prendre à son grand-père. A partir de là, le récit se divise en deux parties où l'on découvre, tout d'abord, au gré de sa déposition, les raisons pour lesquelles notre héros se retrouve dans une salle d'interrogatoire du FBI. C'est peu dire que l'on est saisi par les surprenantes révélations de Kalmann prenant part, durant son séjour aux Etats-Unis et à son corps défendant, a un événement marquant qui n'est d'ailleurs pas sans lien avec l'actualité de ce 20 janvier 2025 où un nouveau président vient de prêter serment. Mais l'Islande n'est pas en reste et ceci de manière plus importante dans la seconde partie du récit où le thème de l'influence américaine devient le moteur central de la narration en lien avec une mystérieuse base de l'armée US, désormais abandonnée mais recelant encore quelques secrets. Autour de ce thème, Joachim B. Schmidt met encore une fois en exergue l'aspect environnemental de l'île et plus spécifiquement l'impact négatif de ces infrastructures vétustes dont certains éléments imprègnent durablement les terres et les cours d'eau de la région. On le voit, en dépit d'une certaine drôlerie, Kalmann Et La Montagne Endormie n'est pas dépourvu d'une note de réalisme que le romancier décline autour d'une intrigue policière prenant l'allure, en toute fin de récit, d'un thriller saisissant matiné de quelques codes propre aux romans d'espionnage révélant certains aspects de la personnalité du grand-père de Kalmann au détour d'événements explosifs, c'est le moins que l'on puisse dire. Bien loin de l'image caricaturale qui entoure souvent les personnages atteints de troubles autistiques, Kalmann se révèle dans sa formidable humanité à la fois drôle et touchante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs qui en redemanderont. 

     

    Joachim B. Schmidt : Kalmann Et La Montagne Endormie. Editions Gallimard/Collection La Noire 2025. Traduit de l'allemand (Suisse) par Barbara Fontaine.

    A lire en écoutant : Thème from Rawhide interprété par The Blues Brothers. Album : The Blues Brothers (Original Soundtrack Recording). 1980 Atlanta Recording Corporation.

  • Olivier Truc : Le Premier Renne. Terres rares.

    IMG_0352.jpegOriginaire de la région du Sud-ouest en France, le journaliste Olivier Truc s'installe en 1994 à Stockholm en devenant correspondant de plusieurs radios, hebdomadaires et quotidiens français pour les pays baltes et nordiques. Outre ce rôle de correspondant, il travaille également comme réalisateur de documentaires ayant notamment pour sujet cette fameuse Police des rennes qui sera à l'origine de son premier roman policier Le Dernier Lapon publié en 2012 par les éditions Métailié en suscitant un enthousiasme tant auprès des lecteurs que des critiques avec notamment l'obtention de plus d'une  vingtaine de prix littéraires dédiés au genre. Mais loin de se cantonner dans ce registre du polar en lien avec la culture des Samis dans laquelle il s'est immergé à de nombreuses reprises, on apprécie l'humilité d'Olivier Truc ainsi que son côté journaliste baroudeur qui se penche sur de nombreux autres sujets allant des mouvances d'extrême-droite servant de base pour des scénarios de bande-dessinée tels que On Est Chez Nous (Robinson 2019), aux méandres de l'affaire de l'attentat de Karachi coûtant notamment la vie à 11 ingénieurs français chargés de la mise au point d'un sous-marin dont le gouvernement pakistanais a fait l'acquisition auprès des autorités françaises et dont on découvre les dessous avec Les Sentiers Obscurs De Karachi (Métailié 2022). Et puis, lorsque l'on croise Olivier Truc dans les allées d'un festival de littérature, c'est désormais la guerre en Ukraine qui suscite son attention en tant que journaliste tandis que le romancier nous livre Le Premier Renne, cinquième opus de sa série policière emblématique, mettant une nouvelle fois en scène Nina Nansen et Klemet Nango ces deux enquêteur officiant sur le territoire des Samis. Si comme moi, vous n'avez pas lu les ouvrages précédents, il va de soi que l'on peut aisément appréhender les différents thèmes du récit s'articulant plus particulièrement autour du plus grand gisement de terres rares d'Europe situé à Kiruna en Laponie, ceci même si l'on a cette impression tenace de passer à côté de certains aspects du parcours tant de la norvégienne Nina Nansen que de son partenaire Sami, Klemet Nango nous incitant dès lors à découvrir les autres ouvrages de la série.

     

    Sur les auteurs des Alpes-de-Haute-Provence, Joseph Cabanis, éleveur de brebis, doit faire face à la voracité du loup qui décime son troupeau. Aprés une incursion du prédateur au sein même de sa bergerie, ivre de vengeance, il décide de se rendre en Laponie où on lui a dit qu'il était possible de tuer les loups en toute impunité ce qui s'avérera totalement erroné. Néanmoins, il rencontre Anja, cette jeune femme Sami que son clan a marginalisé en raison de sa forte tête et de son refus de se plier aux règles et à qui l'on a désormais confier le pouvoir d'éliminer clandestinement le moindre animal qui s'en prendrait aux troupeaux de rennes que l'on rassemble afin de procéder au marquage des faons. Mais la région est au prise avec des événements terribles comme ces rennes que l'on a retrouvé morts le long de voie ferrée qui transporte le minerai de fer que l'on extrait de la mine recélant également d'important gisement de terres rares extrêmement convoités. Chargé d'investiguer sur ce qui s'avère être un acte criminel prémédité, Nina Nansen et Klemet Nango, enquêteurs de la police des rennes se retrouve au coeur de conflits qui déchirent les membres du clan Sami qui voient leurs pâturages disparaître au profit des rendements miniers destinés à assurer cet transition énergétique qui a tout de même un prix à payer, celui du sacrifice des terres du pays sur lequel plane cette lumière permanente du solstice d'été qui perturbe les âmes et les esprits. Et puis, comme s'il s'agissait de représailles, il y a cet attentat mettant hors d'usage un tronçon de la voie ferrée qui n'arrange pas les clivages entre autochtones et entrepreneurs bien décidés à exploiter toutes les ressources minières. Une situation explosive qui va exacerber les tensions entre les différents protagonistes bien déterminés à parvenir à leurs fins, quoiqu’il en coûte. 

     

    Englobant des territoires norvégiens, suédois, finlandais et même russes, la Laponie se distingue par son peuple autochtone Samis vivant encore de l'élevage de rennes, véritable pilier de leur économie, même si l'activité est en déclin et dont Olivier Truc, véritable spécialiste de la Scandinavie, dépeint les difficultés par l'entremise de polars qui n'ont rien de nordiques en se déclinant donc autour de cette unité de la police des rennes qui officie réellement sur l'ensemble de la région. Mais au-delà de l'élevage, la Laponie, et plus particulièrement du côté de la Suède, recèle d'importants gisements miniers que le gouvernement exploite avec une absence de retenue, ce d'autant plus que l'on vient de découvrir un gisements conséquent de "terres rares" destinés au technologies vertes en lien avec la transition énergétique. C'est donc sur le thème de cette confrontation entre deux activités diamétralement opposées que se décline Le Premier Renne avec une intrigue prenant notamment pour cadre la ville de Kiruna dont l'exploitation minière à ciel ouvert a laissé place à d'importantes galeries souterraines à plus de 1800 mètres de profondeur causant, outre la pollution conséquente en lien avec l'extraction, d'important affaissement mettant en péril l'intégrité des bâtiments du centre de la localité. Se déroulant durant la période estivale, Olivier Truc, nous entraîne également dans l'univers des Samis durant l'intense période de marquage des faons nous permettant de découvrir la structure sociale des samebys, ces communautés d'éleveurs de rennes aux règles bien établies. Et c'est peut-être là que réside l'intérêt du récit, car si Olivier Truc met en évidence les dérives de l'exploitation minière, il se garde bien d'édulcorer les dysfonctionnements d'une société autochtone émaillée de certaines rivalités et de traditions parfois trop contraignantes. Cet ensemble de discordances sociales et économiques se traduit autour de la personnalité extraordinairement complexe d'Anja, une jeune femme Sami refusant tous compromis quels qu'ils soient en s'inscrivant dès lors dans une logique de révolte qui font d'elle une paria vis-à-vis de son clan dont certains membres la relègue à des tâches occultes destinées à protéger les troupeaux. Prenant une place prépondérante dans le déroulement de l'intrigue, on découvre, au gré de son parcours, l'immensité et la beauté de la taïga, mais également l'atmosphère plus sombre de l'environnement de la mine et de ses environs que le romancier dépeint avec la rigueur qui le caractérise, tout en prenant soin de mettre également en scène la culture ancestrale des Samis dans laquelle la jeune femme va puiser des forces afin de faire face à ses adversaires, secondée en cela par Joseph Cabanis, cet éleveur français au caractère la fois ambivalent et nuancé qui cherche également à trouver un sens à sa vie en se confrontant à un autre univers. Tout cela se met en place au gré d'une série d'investigations menées par le duo de policiers que forme Nina Nansen et son comparse Klemet Nango, un cinquantenaire toujours en quête ses origines Samis dont il ignore certains aspects quant à la trajectoire de son père défunt. Quelque peu relégués en second plan, ces deux enquêteurs vont mener leurs investigations quant à la mort d'un éleveur Sami que l'on a retrouvé non loin de la carcasse d'un loup que l'on a abattu en toute illégalité tandis que la région est en ébullition à la suite du massacre d'un troupeau de rennes attirés délibérément sur les rails avant d'être percutés par un convoi ferroviaire et qui s'ensuit d'un acte de sabotage sur la voie ferrée en guise de représailles. Malgré la diversité des événements et des personnages jalonnant l'intrigue, on aurait tort de croire que le récit va partir dans tous les sens, car Olivier Truc, en narrateur accompli, parvient à mettre en scène, de manière assez habile, les différentes trajectoires de ses protagonistes évoluant dans un cadre qui sort résolument de l'ordinaire mais dont il n'abuse pourtant pas. De fait, il nous livre ainsi un roman tout en sobriété et en maîtrise, mettant en valeur cette culture méconnue de la communauté des Samis qui ne manquera pas de nous fasciner tant dans ses aspects sociaux qu'environnementaux et que l'on prend véritablement plaisir à explorer en compagnie de ces deux agents de la police des rennes que l'on espère retrouver très prochainement.

     

    Olivier Truc : Le Premier Renne. Editions Métailié 2024.

    A lire en écoutant : Cihkosis - Hidden de Maddji. Album : Dobbelis - Beyond.2010 Dat O/S

     

  • SEVERINE CHEVALIER : THEORIE DE LA DISPARITION. QUE SE PASSE-T-IL ?

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    Service de presse.
     
     
    Puisque l'on semble découvrir son talent tout récemment, il semble important de souligner que cela fait plus de dix ans qu'elle endosse le rôle de romancière auquel elle ne croit guère, avec cette impression de faire l'objet d'une imposture quant à l'intérêt que l'on peut porter à son remarquable travail d'écriture s'inscrivant dans la précision de chaque mot pesé pour dépeindre, avec cette virtuosité d'une narration décalée, celles et ceux qui évoluent à la marge de leur environnement. De cette marginalité, Séverine Chevalier distille une émotion à fleur de peau qui marque les esprits dès son premier roman d'ailleurs où l'on côtoie, avec Recluses (La Table Ronde 2018), Zora, Zia et Suzanne trois femmes aux destins foudroyés lors d'un attentat suicide au sein d'un hypermarché de la banlieue lyonnaise. Et puis il y a l'immense Clouer L'Ouest (La Manufacture de livres 2019) où l'on suit le périple de Karl qui revient au sein du giron familial accompagné de sa petite fille en espérant que son père sera en mesure d'éponger ses dettes de jeux tandis qu'une bête rôde dans les environs d'une forêt sombre et enneigée que la romancière met en scène au gré de la force poétique d'une intrigue ciselée avec la précision d'une orfèvre en matière d'écriture. Même si ce n'est pas le thème principal, il y a cette notion de dureté rurale qui émerge des récits de Séverine Chevalier et peut-être de manière plus particulière avec Les Mauvaises (La Manufacture de livres 2018) prenant pour cadre cette région du Massif Central où l'on suit le parcours de deux jeunes filles d'une quinzaine d'années et d'un petit garçon évoluant dans le cadre désenchanté d'une ville marquée par le démantèlement des industries et le déboisement intensif des forêts. De l'environnement, il en est encore question avec Jeannette Et Le Crocodile (La Manufacture de livres 2022) où les rêves brisés d'une petite fille l'amène, de faux-semblant en désillusion, vers un implacable et bouleversant destin tragique qui vous laisse chancelant. Puis tout disparaît dans un habile mélange du sens propre et figuré avec En Campagne (Ours Editions 2024) bref récit que vous pourrez commander chez Ours Editions. Cette campagne qui disparaît on la retrouve pourtant dans Théorie De La Disparition qui concentre toute la maestria de Séverine Chevalier parvenant une nouvelle fois à nous interpeller sur ce registre d'un quotidien banal qui bascule soudainement avec cette volonté de disparaître pour peut-être mieux renaître. 

     

    Elle s’efface pour mieux se mettre au service de son mari Mallaury, romancier en vue dans le milieu du polar, qu’elle accompagne silencieusement dans les différents festivals dédiés au genre. Quel autre rôle pourrait-elle jouer que celui de femme au foyer qu’elle endosse avec une certaine acceptation s’illustrant notamment dans l’aspect méticuleux des tâches qu’elle effectue afin de tenir son ménage aussi consciencieusement que lorsqu’elle était employée de la municipalité de la ville de Saint-Etienne au sein d’un service du contrôle de l’habitat ? Mylène fait donc en sorte que tout se passe bien pour son mari, qu’il n’y ait pas le moindre accroc et qu’il puisse se consacrer pleinement à son travail d’écriture et de représentation qui en découle à la parution de ses romans. Mais c’est à l’occasion d’un repas entre écrivains se déroulant à Toulouse, que l’existence de Mylène prend une toute autre tournure lors d’une rencontre dans les toilettes du restaurant. Marquée par cette rencontre, elle prend la décision étrange de disparaître et d’échapper ainsi durant quelques jours à son mari alors qu’ils séjournent dans une résidence d’écrivains située dans une commune de Normandie. De ces instants d’échappatoire émergent des souvenirs de son passé que Mylène décide d’évoquer par le biais de l’écriture. La femme de l’écrivain sort de son silence et se met donc à écrire. 
     
    Pour l'épigraphe, il y aura Simenon et l'un de ses romans durs, La Chambre Bleue, qui nous ramène sur le comportement trouble de Mylène au gré d'un récit faisant également référence, d'entrée de jeu, à Perec avec la disparition de la lettre E de son clavier d'ordinateur. Ainsi débute Théorie De La Disparition dans ce qui apparaît comme une redoutable mise en abime du travail d'écriture, de ses doutes et de ses incertitudes quant à l'émergence d'un texte qui ne cesse de nous interpeller dans la banalité d'un quotidien où pointe quelques drames du fait divers se rapportant aussi bien à Mylène qu'à son mari Mallaury. Mais au-delà de Perec et de Simenon, il y a surtout le style Séverine Chevalier avec sa propension à faire en sorte qu'une part de nous rejaillisse de cette trame narrative d'une impressionnante densité alors que l'orfèvrerie savamment orchestrée de chaque mot ne sert pas qu'à magnifier le texte, bien loin de là, mais à lui donner un sens vertigineux que chacun pourra interpréter à sa manière. De l’écriture, il est ainsi question avec tout ce qui découle de cet univers littéraire que la romancière égratigne consciencieusement, que ce soit l'égocentrisme de Mallaury ou l'attitude revêche d'un écrivain s'en prenant à son attachée de presse dont il estime qu'elle n'en fait pas assez pour lui afin d'assoir sa renommée. Ainsi, derrière la fiction se dessine, à certains instant, cette part de réalité se déclinant notamment durant ce festival du polar se déroulant réellement à Toulouse tandis que la centrale nucléaire de Paluel, "nichée entre deux falaises" a véritablement défrayé la chronique avec un employé resté enfermé sur le site durant quatre jours. L’image même de l’ours blanc, ornant la couverture, s’agrège dans le cours de cette fiction. Mais apparait bien évidemment le thème de la disparition, de l’effacement ou de l’invisibilité sociale de Mylène qui nous ramène vers ce rapport ordinaire du couple qu’elle forme avec Mallaury et du contrat tacite qui s’y rapporte dans un quotidien normé. C’est peut-être en cela que Mylène diffère un peu des autres héroïnes que l’on a pu croiser dans les récits de Séverine Chevalier, où il n’est pas question de marginalité mais d’une normalité imposée dérivant vers le tragique dans ce qu’il y a de plus ordinaire et finalement de plus absolu apparaissant de manière définitive sur une pierre tombale au terme de cette bouleversante Théorie De La Disparition qui ne s’effacera pas de notre mémoire. Que se passe-t-il ? Et qui disparaît en définitive ?
     
     
    Séverine Chevalier : Théorie De La Disparition. Editions La Manufacture de livres 2024.

    A lire en écoutant : Fifteen Floors de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Deprez.

  • Mise au point 2025

    IMG_0493.jpegEt voilà que l'on s'achemine déjà vers les quatorze ans d'existence de ce site dédié principalement à la littérature noire, même si j'ai pu parfois m'écarter du mauvais genre pour m'aventurer vers d'autres univers littéraires comme le western, le fantastique et l'anticipation. Ainsi, au terme de cette année où les chroniques ont été plus nombreuses qu'à l'accoutumée, il convient de se remémorer l'ensemble des ouvrages que j'ai pu lire durant cette période en évitant les sempiternelles classements des meilleurs romans de l'année qui n'ont pas beaucoup de sens en ce qui me concerne. Je vous ferai grâce également des bilans comptables portant sur le nombre de livres que l’on peut lire durant l'année ainsi que sur le total des pages parcourues. Il en va de même pour les statistiques du blog dont je me moque éperdument. Néanmoins, dans un souci de confort pour vos recherches, outre les classements par genre et par pays, ainsi qu'un florilège des séries emblématiques de la littérature policière, vous trouverez désormais un index plus élaboré par auteur où figurent les liens des ouvrages que j’ai eu l’occasion d'évoquer.  

     

    IMG_0494.jpegC'est devenu une tradition que de débuter l'année avec une publication de Rivages/Noir nous proposant Qui Après Nous Vivrez d'Hervé Le Corre qui nous a entraîné dans le registre crépusculaire d'un monde, pas si lointain que ça, qui s'effondre au gré de perspectives qui n'ont finalement rien d'une dystopie tout comme Le Déluge de Stephen Marklay dont le réalisme a marqué tous les lecteurs. Mais pour en revenir à Hervé Le Corre, on a pu également se pencher sur l'ensemble de son oeuvre qu'il passe en revue au gré d'un entretien conduit par Yvan Robin et publié par Playlist Society et qui s'intitule Hervé Le Corre, Mélancolie Révolutionnaire. Dans un tout autre registre, l'année a également débuté avec un polar politique passionnant, La Résistance Des Matériaux de François Médéline qui décortique les méandres des arcanes du pouvoir en s'inspirant de l'affaire Cahuzac. Pour ce qui du domaine du roman policier historique on a pu apprécier Passage De l'Avenir, 1934 d'Alexandre Courban explorant le Paris des années 30 dans le 10ème arrondissement, Malheur Aux Vaincus de Gwenael Bulteau qui nous emmène en Algérie au début des années 1990 et toujours dans le registre historique, mais davantage porté sur le plan de l'espionnage et du récit d'aventure, on a pu se rendre en Indochine avec Les Dames De Guerre de Laurent Guillaume. Plus roman noir que policier, mais toujours dans le registre de l'histoire, il faut découvrir Les Dernières Karankawas explorant les stigmates de la ville de Galveston au Texas régulièrement frappée par des ouragans ainsi que Le Tumulte Et L'Oubli de Timothée Demeillers qui passe en revue l'histoire méconnue de la région des Sudètes dont on a découvert les aléas à hauteur de femmes et d'hommes ordinaires que les événements ont bouleversé à tout jamais. Et puis il y a Vine Street, premier roman magistral de Dominic Nolan où l'on a arpenté les entrelacs d'un quartier populaire de Londres à la recherche d'un tueur sévissant notamment durant la période du Blitz. Il ne faudrait pas oublier non plus Ténèbres Et Compagnie de l'auteur lituanien Sigitas Parulskis qui met à jour les terribles événements de la Shoah dans son pays au gré d'un récit glaçant alors que Frédéric Paulin s'est lancé dans les méandres de la guerre du Liban dont il décortique les vicissitudes avec la maîtrise qu'on lui connait, dans Nul Autre Que Mon Frère, premier roman d'une trilogie à venir.

     

    IMG_0495.jpegPour cette année 2024 on a pu apprécier les retour de Marion Brunet avec Nos Armes, roman noir bouleversant tout comme Madeleine Avant L'Aube de Sandrine Colette et Les Âmes Féroces de Marie Vingtras. Il faut souligner également Jour De Ressac de Maylis de Kerangal qui s'aventure aux lisères du mauvais genre et qui sera présente aux Quais du Polar à Lyon. A l'occasion de ce festival, la Suisse sera représentée par Nicolas Verdan dont on a pu apprécier Cruel, et par Joseph Incardona qui a marqué les esprits avec Stella Et L'Amérique. Pour rester sur le registre du polar helvétique, il faut s'intéresser à Dormez en Peilz d'Emmanuelle Robert qui nous invite à explorer les profondeurs du lac Léman tandis que l'on a retrouvé la région de Fribourg sur un registre légendaire avec La Nuit Montre le Chemin d'Olivier Beetschen. Et l'on ne manquera pas de signaler l'éblouissant retour de Jean-Jacques Busino, avec Le Village tout comme celui de Gabriela Zalapi avec Ilaria, Ou La Conquête De La Désobéissance.

     

    IMG_0496.jpegParmi les séries policières on a retrouvé avec plaisir le capitaine Wyndham et le sergent Banerjee dans Les Ombres De Bombay d'Abir Mukherjee ainsi que le commissaire Soneri qui continue d'arpenter les rues de la magnifique ville de Parme dans La Stratégie Du Lézard de Valério Varesi. Autre série que l'on apprécie tout autant en se déroulant Cracovie à la fin du XIXéme siècle, on saluera le retour de Zofia Turbotyńska dans Le Rideau Déchiré de Maryla Szymiczkowa et que l'on peut déjà retrouver dans Séance à la Maison Egyptienne que je n'ai pas encore lu. Il faut encore évoquer Hôtel Carthagène de Simone Buchholz nous permettant de retrouver la procureure Chastity Riley que l'on apprécie tant. Ce n'est pas à proprement parler une série, mais l'on croise quelques personnages récurrents dans Colère d'Arpad Soltész au gré d'un texte ébouriffant et percutant où l'on explore une nouvelle fois les revers de la société slovaque. Cap sur l'Irlande du nord durant la période des Troubles avec Des Promesses Sous Les Balles d'Adrian McKinty, où évolue le génialissime inspecteur Sean Duffy, Et pour finir, Benoît Severac met une nouvelle fois en scène le commandant Cérisol dans Le Bruit De Nos Pas Perdus alors que l'on croise une seconde fois Mick Hardin dans Les Fils De Shifty de Chris Offutt. Il en va de même pour le détective afro-américain Toussaint Marcus Moore qui va officier du côté du Mexique et dont on découvre une dernière fois les aléas à la lecture de  La Mort Du Toréro d'Ed Lacy.

     

    IMG_0497.jpegPour revenir en France, on a apprécié également le retour d'auteurs emblématiques du mauvais genre tels que Sébastien Gendron qui exprime, avec cette tonalité caustique qui le caractérise, tout le bien qu'il pense de la chasse avec Chevreuil alors que Christian Roux nous a entrainé dans un périple à travers le pays afin de retrouver le magot perdu d'un braquage avec le jubilatoire Fille De. Si le texte est bref, il importe d'évoquer En Campagne de Séverine Chevalier qui parvient toujours à nous saisir au gré d'une intrigue foudroyante nous permettant également de découvrir la magnifique maisonnette Ours Editions dans laquelle on retrouve également Michèle Pedinielli et Sébastien Gendron pour ne citer que quelques auteurs que compte la collection. Olivier Truc est également de retour avec Le Premier Renne que je n'ai toujours pas lu, mais dont j'ai apprécié cette année Les Sentiers Obscurs De Karachi. Colin Niel est revenu avec Wallace, suite poignante de Darwyn, et se déroulant toujours en Guyane alors que Hannelore Cayre a divisé la chronique avec Les Doigts Coupés, génial roman noir préhistorique. De Neige Et De Sang de Sébastien Vidal a suscité l'enthousiasme de cette belle années 2024 et même s'il est belge, il ne faudrait pas oublier Un Parfum D'Innocence de Patrick Delperdange. 

     

    Parmi les premiers romans extrêmement marquant il faut mettre en exergue Terres Promises de Bénédicte Dupré Latour, Une Trajectoire Exemplaire de Nagui Zinet, La Sagesse De L'Idiot de Marto Pariente, Tornade de Simon Fichet et Blanches de Claire Vesin. Et même s'il ne s'agit pas de son premier roman, il faut absolument lire La Casse d'Eugenia Almeida.

     

    Dans les poids lourds de la littérature que l'on apprécie énormément, il importe de mentionner David Peace avec Patient X ainsi que l'auteur croate Jurica Pavicic qui ne fait que confirmer tout le bien que l'on pense de lui avec Mater Dolorosa. On ne manquera pas de mentionner également deux adaptations en BD qui ont fail l'événement, que ce soit La Route mis en image par l'impressionnant Manu Larcenet ainsi que La Neige Etait Sale de Yslaire et Jean-Luc Fromental.  

     

    Du côté des Etats-Unis, l'année a débuté sur un registre fantastique avec Les Vagabonds de Richard Lange crépusculaire récit vampirique avant de se poursuivre avec le genre du western tout aussi sombre à l'occasion de la réédition du Sang Des Cieux de Kent Wascom. Dans un tout autre domaine, il faut lire Il S'Appelait Doll de Jonathan Ames qui nous emmène du côté de Los Angeles sur les traces d'un détective atypique. Puis l'on s’est aventuré du côté de Denver avec  l'impressionnant Dead Star de Benjamin Whitmer. Et c’est la ville de Philadelphie des années 80 que l’on a parcouru avec le magnifique Croire En Quoi ? de Richard Krawiec. Il ne fallait pas non plus manquer les retours de David Joy avec Les Deux Visages Du Monde et de son mentor Ron Rash qui nous a impressionné une nouvelle fois avec Une Tombe Pour Deux. Et pour conclure, il faut saluer Tifanny McDaniel et James Ellroy qui ont également divisé la critique que ce soit avec Du Côté Sauvage pour l'une et avec Les Enchanteurs pour l'autre qui s'affirment dans des styles sortant résolument de l'ordinaire.

     

    IMG_0503.jpegEn mettant de côté la course aux nouveautés, je ne peux que vous recommander de lire l'oeuvre de Leonardo Sciascia dont j'ai évoqué l'intelligence rare avec Le Chevalier Et La Mort, son avant-dernier roman publié avant sa mort en 1989. Il ne faudrait pas manquer non plus Sambre, impressionnant récit journalistique d'Alice Géraud qui se penche sur le parcours des innombrables victimes d'un violeur sévissant en toute impunité dans la région de la Sambre durant plusieurs décennies.


    Que ce soit sur les réseaux, par messages ou à l'occasion de rencontres dans les librairies ou à l'occasion de festivals dédiés au genre, je tenais à vous remercier pour tous ces moment de partage passionnants ainsi que pour la confiance que vous m'accordez que ce soit les lectrices et lecteurs bien évidemment, les chroniqueuses et chroniqueurs en tout genre (je déteste le terme influenceur) mais également les autrices et les auteurs ainsi que les équipes des éditrices et éditeurs qu'ils soient indépendants ou non, tout comme les libraires enthousiastes. Au plaisir donc de vous retrouver quel que soit l'endroit afin d'évoquer avec ferveur cet intérêt commun pour la littérature noire qui dépasse souvent les frontières du genre.

     

    Bonnes lectures

     

    A lire en écoutant : In Every Dream Home a Heartache de Roxy Music. Album : For Your Pleasure. 1999 Virgin Records Limited.