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  • Zygmunt Miloszewski : Un Fond de vérité. Et si c’était vrai ?

     

    Capture d’écran 2015-06-29 à 05.04.33.pngIl va falloir faire abstraction de cette appréhension qui pourra guetter certains lecteurs en découvrant le dernier opus de Zygmunt Miloszewski, Un Fond de Vérité, orné d’un bandeau mentionnant « Auteur finaliste du grand prix des lectrices de ELLE ». Pour faire l’effort de surmonter cet à priori, il suffira simplement se dire que le fait de ne pas avoir obtenu ce prix est un gage de qualité suffisant pour confirmer l’excellente facture de ce roman mettant en scène, pour la seconde fois, les tribulations du procureur Teodore Szacki.

     

    Après une enquête houleuse et un divorce pénible, le procureur Teodore Szacki avait besoin de se faire oublier et de quitter la ville de Varsovie. Muté à sa demande dans la charmante et paisible bourgade de Sandomierz, il tente de refaire sa vie. Mais au bout de six mois, force est de constater qu’il peine à s’adapter au rythme indolent de cette petite ville provinciale. Alors qu’il sombre dans l’ennui et la dépression, la découverte du corps d’une femme littéralement vidée de son sang, à proximité d’une ancienne synagogue, va raviver son intérêt pour les affaires judiciaires. Le meurtre n’est pas sans rappeler cette légende de rites sacrificiels juifs dépeints, entre autre, dans un sinistre tableau de Charles de Prévôt exposé dans l’église de la cité. Sur fond de polémiques antisémites explosives, le procureur Teodore Szacki va devoir plonger dans les méandres du passé douloureux d’une bourgade qui déchaîne bien plus de passion qu’il n’y paraît d’autant plus qu’un second meurtre secoue la petite communauté. Y aurait-il un tueur psychopathe, juif de surcroît, sévissant dans la cité ?

     

    Capture d’écran 2015-06-29 à 05.08.03.pngAprès avoir évoqué les aspects troubles des services secrets polonais dans Les Impliqués, Zygmunt Miloszewski aborde de manière beaucoup plus frontale toute la problématique de l’antisémitisme qui gangrène encore son pays. C’est tout d’abord au travers des constatations d’un généalogiste que l’on prend conscience de l’ampleur des pogroms qui ont décimé la population juive du pays. Avec cette première scène subtile l’auteur fait en sorte de nous immerger immédiatement dans le contexte car c’est également par l’entremise de ce personnage que nous découvrons la ville de Sandomiersz et la première victime du roman. Au delà de son décor pittoresque, Zygmunt Miloszewski réussit à intégrer la ville de Sandomierz au cœur du récit jusqu’à ce qu’elle devienne un personnage à part entière, doté de secrets peu flatteurs à l’instar de ce tableau de Charles de Prévôt mettant en scène des sacrifices de nouveaux-nés chrétiens pratiqués par les juifs pour confectionner le pain azyme. En intégrant des éléments réels, l’auteur installe une atmosphère pesante qui alimente la confusion et la paranoïa de tous les protagonistes. Et s’il y avait un fond de vérité dans ces vieilles légendes ? Le doute, comme une maladie honteuse, parvient même à faire vaciller les certitudes du procureur Szacki.

     

    Outre l’intrigue policière bien ficelée, Un Fond de Vérité s’emploie à dresser le portrait sans concession d’une Pologne qui peine encore à s’affranchir des relents antisémites alimentant notamment la haine de jeunes nationalistes toujours prêts à en découdre. On appréciera d’ailleurs le personnage de Jurek Szyller, homme d’affaire tout aussi cultivé qu’orgueilleux qui dirige de manière opportune ces bandes d’extrémistes et dont la confrontation avec le procureur Teodore Szacki s’avère extrêmement savoureuse. Paradoxalement, cette joute verbale met en lumière le côté peu sympathique du personnage principal qui se drape d’une espèce de morgue citadine. On appréciera cet antagonisme entre l’homme de la ville aux arrogantes certitudes et les superstitions provinciales des différents acteurs peuplant la cité médiévale. Avec beaucoup de talent, l’auteur extrait de cette confrontation une intrigue riche en rebondissement qui ne cesse d’alimenter les ambiguïtés des différents personnages. Tout aussi désagréable que le procureur Szacki, le commissaire Wilczur incarne d’ailleurs cet esprit provincial doté d’un solide bon sens. Tel un miroir, le vieux policier septuagénaire reflète la personnalité revêche de Teodore Szacki, personnage à la fois ambitieux et désespéré qui ne trouve finalement son bonheur que dans les malheurs qui secouent la petite ville de Sandomierz. Trop semblables, les deux hommes ne s’apprécient guère et s’observent avec une défiance ironique lorsqu’elle s’inscrit dans les différents actes d’enquête jalonnant le récit.

     

    S’il n’évite pas quelques scènes « téléphonées », Un Fond de Vérité se révèle être un excellent roman policier dénonçant avec une belle maîtrise tous les affres de l’intolérance et de la suspicion vis à vis d’une communauté qui ne cesse d’être mise en porte-à-faux au fil des siècles, victime des pires rumeurs mettant en perspective l’ignorance et l'incommensurable bêtise des hommes.

     

    Zygmunt Miloszewski : Un Fond de vérité. Mirobole Editions 2014. Traduit du polonais par Kamil Barbarski.

    A lire en écoutant : Maiden Voyage de Herbie Hancock. Album : Maiden Voyage. Blue Note / Manhattan Record 1986.

  • BENJAMIN WHITMER : CRY FATHER. BORN IN THE USA.

    « Je vis en Amérique et en Amérique on est tout seul. L’Amérique, c’est pas un pays, c’est que du business. Alors maintenant putain payez moi ! »

    Cogan - Killing Them Softly

    Film réalisé par Andrew Dominik

     

    Capture d’écran 2015-06-14 à 20.01.36.pngLorsque Pike de Benjamin Whitmer est publié en 2012, il fait carrément figure d’intrus dans la ligne éditoriale de la maison d’édition Gallmeister essentiellement tournée vers le roman noir de type nature writing. Et on ne peut pas dire que les aventures d’un ancien truand réglant ses comptes dans les rues de Cincinatti entraient dans ses critères. Mais j’imagine qu’en détenant un texte pareil, on ne pouvait décemment pas orienter l’auteur vers une autre maison d’édition.  Pike c’est le genre de livre qu’un éditeur, un tant soit peu lucide, ne peut pas laisser filer entre ses mains. Finalement Oliver Gallmeister a contourné le problème en créant, cette année, une nouvelle collection Néo Noir dans laquelle figure Pike, ainsi que le dernier roman de l’auteur, intitulé Cry Father.

     

    On ne peut pas dire que Patterson Wells soit un homme stable et fiable. Mais depuis qu’il a perdu son fils, l’homme parcours le pays pour travailler en tant qu’élagueur sur les zones sinistrées des USA en déblayant les décombres. Entre deux chantiers, Patterson retourne du côté Denver où il cultive son mal être à coup de bitures et de souvenirs  dans une cabane isolée de la San Luis Valley. Tout pourrait être simple, s’il n’y avait pas le fils de son voisin et meilleur ami Henry qui débarque dans la région. Outre le fait d’être dealer, Junior a une sérieuse tendance à s’attirer des problèmes en provoquant des bagarres aussi brutales que sanglantes. Désormais liés par une amitié complexe, le deux hommes vont s’entraîner l’un l’autre dans une spirale d’ennuis meurtriers.

     

    Ce qu’il y a de surprenant avec les romans de Benjamin Whitmer, c’est cette espèce de spontanéité qui émane d’une écriture aussi fluide que percutante. Whitmer n’écrit pas, il respire en inspirant des mots et en expirant des phrases qui s’enchaînent les unes aux autres pour former un texte d’une cinglante perfection. Il faut bien l’admettre, l’auteur détient cette faculté peu commune de conjuguer la simplicité avec le génie, comme si tout cela coulait de source. Cette aisance innée dans l’écriture permet au lecteur de lire les romans de Benjamin Whithmer d’une traite, ce qui équivaut presque à un regret lorsque l’on achève un tel ouvrage aussi rapidement. 

     

    Capture d’écran 2015-06-14 à 20.03.09.pngCapture d’écran 2015-06-14 à 20.03.57.png

    Cry Father, tout comme Pike, aborde les problèmes d’une paternité perdue au cœur de cette Amérique en marge. Que ce soit Pike, Patterson, Henry ou Junior, ces hommes doivent faire face soit à leurs défaillances en tant que père soit à la disparition d’un fils ou d’une fille. Les démarches pour se reconstituer sont bien évidemment chaotiques et toutes empruntes d’une maladresse crasse qui font que la possibilité d’une quelconque  rédemption se résume à une lointaine illusion. Dans Cry Father, l’auteur délaisse l’aspect noir de l’intrigue pour explorer de manière plus approfondie ce thème de prédilection. Cela se traduit par les messages poignants que Patterson adresse à son fils défunt pour décrire la vacuité de sa vie actuelle.  C’est ainsi que sur une poignée de pages l’auteur parvient à décrire la situation dramatique de la Nouvelle Orléans, après l’ouragan Katerina et la raison pour laquelle son personnage principal est désormais toujours armé.

     

    Toujours dans cette même veine spontanée, le récit s’enchaine dans une succession de scènes dans lesquelles évoluent des personnages hauts en couleur qui se laissent porter par leur destinée. Il y a tout au long de l’histoire cette tension permanente enrobée d’une indolence trompeuse troublée soudainement par des éclats d’une violence aussi brutale que saisissante.

     

    Benjamin Whitmer décrit donc une Amérique chaotique qu’il se garde bien de critiquer. Natif de l’Ohio, il nous livre un point de vue de l’intérieur où il donne la parole à cette majorité silencieuse qui n’est plus représentée. Au travers du regard de l’auteur, le lecteur s’immerge au cœur d’un pays rude emprunt d’une certaine désillusion. Une vision pessimiste et apocalyptique relayée, entre autre, par les diatribes de l’animateur radio Brother Joe qui balance sur les ondes les versions paranoïaques des nouvelles du monde. Outre des personnages rugueux, cabossées par la vie, Benjamin Whitmer dépeint avec acuité les banlieues sauvages des villes industrielles sur le déclin. On y perçoit les effluves acides des polluants et les odeurs écœurantes de la charogne qui imprègnent ces zones d’habitations décaties transpercées de longues langues de bitumes rectilignes.

     

    On est donc bien loin du bien-pensant et du politiquement correct. Cry Father c’est la description d’un univers troublant et dérangeant qui fascinera les lecteurs les plus blasés. C’est la marque de fabrique sans ambages de Benjamin Whitmer.

     

    Benjamin Whitmer : Cry Father. Editions Gallmeister/Néo Noir 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Love is Battlefield de Raining Jane. Album : The Good Match. Raining Jane 2011.

     

  • Patrick K Dewdney : Crocs. Après nous, le déluge !

    Service de presse.

     

    Capture d’écran 2015-06-08 à 00.19.33.pngCyril Herry et Pierre Fourniaud. Retenez bien ces deux noms car ces éditeurs possèdent le rare talent de concentrer dans leur nouvelle collection Territori, issue des éditions Ecorce et de la Manufacture de Livres, une palette d’auteurs exceptionnels comme Séverine Chevalier avec Clouer l’Ouest, ou Frank Bouysse avec Grossir le Ciel. Désormais il faut également compter avec Crocs de Patrick K Dewdney. Bien plus qu’un simple courant de type Nature Writing, Territori s’inscrit dans une volonté de mettre en lumière un artisanat de l’écriture finement ciselée d’où émane des textes d’une singulière puissance.

     

    Il n’est plus qu’une ombre titubante que la forêt absorbe peu à peu. Il n’est plus qu’un animal traqué que les hommes poursuivent sans relâche. Mais rien n’arrêtera sa marche incertaine. Il tracera son chemin au travers des ronciers, des tourbières et des arrêtes rocheuses. Hirsute, il s’imprègnera de la nature et du souvenir des Anciens avec pour seul compagnon de misère, ce cabot famélique. En lisière de cette civilisation désormais honnie il avancera. Sa pioche sur l’épaule, il avancera vers le Mur. Droit dans le Mur.

     

    Crocs est indubitablement un roman noir que l’auteur a enveloppé d’une tonalité poétique peu commune en puisant, entre autre, dans la richesse d’une langue maîtrisée à la perfection. Des accents pastoraux pour un récit qui se déroule dans une succession de paysages sauvages du Limousin déclinés sur une scène unique de fuite dont ne connaît ni les raisons, ni les buts, hormis celui d’atteindre, par tous les moyens, ce Mur hostile. On découvrira en alternance à cette fuite, quelques réflexions du personnage et quelques souvenirs lointains le poussant à s’immerger corps et âme au cœur d’une nature hostile qui se révèle être son ultime alliée. Puis dans les cinq dernières pages s’illustrera la tragédie poignante révélant les vains desseins de cet homme mystérieux. Car l’autre particularité du roman réside dans le fait que l’auteur ne s’embarrasse pas de détails concernant l’identité du fuyard. Il le débarrasse de tout ce qui fait de lui un homme dit civilisé. Libéré de ces oripeaux humains, notre fugitif s’imprègne d’un mysticisme acétique. Cela prend parfois des tournures bibliques à l’instar de son corps déchiré par les épines, de l’hostie animale ou du but final qu’il s’est assigné. Outre l’aspect divin, l’homme prend conscience, au fur et à mesure de l’échappée, de son animalité qui donne son titre au roman.  

     

    Dans Crocs, vous vous immergerez dans les profondeurs troubles d’une nature magnifiée par un torrent de phrases et de mots qui donnent toutes leurs saveurs à ce roman sauvage qui pose les questions que personne ne souhaite formuler et auxquels personne n’ose répondre. D’ailleurs, dans cette errance forestière, l’homme a cessé depuis longtemps de s’interroger en laissant tout derrière lui, hormis cette pioche qu’il porte comme un fardeau. Il ne lui reste que cette fragile certitude d’avancer jusqu’au Mur accompagné des souvenirs enfouis de ce peuple oublié dont les reliques hantent la forêt.

     

    Patrick K Dewdney dresse le constat amer et pessimiste d’une civilisation disparue qui fait écho à notre monde en voie de désintégration dont la spirale sans issue contraindrait  des hommes lucides aux actes les plus extrêmes afin de s’extraire du système. En contrepartie, il nous offre un texte fait de sensations et de ressentis où le lecteur perçoit le goût de l’eau impétueuse, la douceur de la mousse spongieuse et les effluves des écorces chauffées par le soleil. Un récit tout en vigueur et en douceur à l’image de ces bois sauvages dont on ne ressort pas indemne.

     

    Lorsque l’on découvre Crocs, on capte immédiatement le talent d’un auteur qui maîtrise les jeux de l’écriture en façonnant des phrases toutes plus belles les unes que les autres. Il serait vraiment dommage de passer à côté d’un tel roman.

     

    Patrick K Dewdney : Crocs. La Manufacture de Livres - Editions Ecorce/Collection Territori 2015.

    A lire en écoutant : White Rabbit de Jeffeson Airplane. Album : The Best of Jefferson Airplane. Sony BMG Music Entertainment 2007.