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Rechercher : Pierre Pelot

  • TOULOUSE POLAR DU SUD 2021. 13EME FESTIVAL INTERNATIONAL DES LITTERATURES POLICIERES.

    Capture d’écran 2021-10-08 à 12.57.50.pngToujours un grand plaisir de se rendre à Toulouse pour participer à l'un des grands festivals du polar se déroulant dans le quartier populaire du Mirail, ceci du 8 au 10 octobre 2021, autour de la librairie indépendante de la Renaissance. Pour cette nouvelle édition, présidée par Carlos Salem, Toulouse Polar du Sud poursuit sa logique de sélection exigeante en réunissant une palette d'auteurs emblématiques de la littérature noire. On y croisera Hervé Le Corre, Wojciech Chmielarz, Victor Del Arbol, Laurent Guillaume, Cyril Herry, Jake Lamar, Marin Ledun, Jurica Pavičić, Piergiorgio Pulixi, Benoît Séverac et Valério Varesi pour ne citer que quelques uns des 50 auteurs présents.

     

    Comme à l'accoutumée, on appréciera de retrouver les amis du monde de l'éditions et les membres de ce festival chaleureux ainsi que les camarades critiques et blogueurs autour d'un verre ou deux, voire davantage pour parler polars et romans noirs. Et puisqu’il est question du sud, il faut évoquer la sélection de six ouvrages écrits dans une langue du sud pour le prix Violeta Negra Occitanie, dans laquelle figure l'extraordinaire Je Suis L'Hiver (Asphalte 2021) de Ricardo Romero.

     

    Autre célébration que l'on retrouve pour une quatrième édition, le prix des chroniqueurs de Toulouse Polar du Sud comprenant également une sélection de six romans :

    Capture d’écran 2021-10-08 à 12.53.05.png

    Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein, aux éditions Les Arènes (EquinoX)

    Au bal des absents de Catherine Dufour, aux éditions du Seuil (Cadre noir)

    Les boiteux de Frédéric L’Homme, aux éditions du Rouergue (Rouergue noir)

    Une guerre sans fin de Jean-Pierre Perrin, aux éditions Rivages (Rivages Noir)

    Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, aux éditions La Manufacture de livres

    L’un des tiens de Thomas Sands, aux éditions Les Arènes (EquinoX)

    Votre serviteur ainsi que Bruno Le Provost du blog Passion Polar, Caroline De Benedetti du site Fondu Au Noir, Jean-Marc Laherrère  du site L’Actu du Noir, et présidé par Laurence Darbas du blog Evadez-Moi avons délibéré intensément afin de désigner le lauréat dont le nom sera dévoilé le samedi 9 octobre 20121 lors de la cérémonie d'inauguration du festival. En attendant vous pouvez consulter les sites de ces blogueurs émérites afin de puiser quelques romans de qualités. Ils seront d'ailleurs présents pour toute la durée de l'événement afin d'évoquer les parutions de l'année.

     

    L'autre grand plaisir de Toulouse Polar du Sud, ce sont bien évidemment les rencontres et débats passionnants avec les auteurs qui se déroulent depuis déjà une semaine dans différents lieux de la ville vous permettant de découvrir le riche patrimoine de la cité. Au plaisir de vous y retrouver.

     

    toulouse polar du sud
    TOULOUSE POLAR DU SUD : 13ème FESTIVAL INTERNATIONAL DES LITTERATURES POLICIERES. 08, 09 ET 10 OCTOBRE 2021.
    Forum de la Renaissance
    Ligne A – Station Basso Cambo.

     

  • RIVAGES/NOIR - FRANCOIS GUERIF

    175310-gf.jpgDans l'univers du polar, si je ne devais citer qu'une maison d'édition, il n'y pas tortiller un million d'années, ce serait Rivages/Noir qui n'est rien d'autre que le Pléiade de la littérature noire. Bien sûr, on me dira qu'il n'y a pas de reliure en cuir pleine peau et d'impression sur papier bible, mais c'est encore mieux. Tout d'abord, il faut caresser la couverture légèrement granuleuse qui laisse présager les textes âpres qu'elle referme. Ensuite il faut vraiment apprécier la qualité de la maquette avec des photos aux couleurs savamment travaillées pour illustrer le contenu du livre. Certaines sont extraites de films que l'on a photographiés sur écran télé, donnant cette trame un peu trouble si caractéristique. Je préfère d'ailleurs les photos plutôt que les illustrations qui ornent entre autre, certains ouvrages d'Ellroy. En parlant de ce dernier, si je ne devais garder qu'un seul ouvrage de cette collection, ce serait la trilogie Lloyd Hopkings qui est tout simplement magnifique. Une vue d'une rue de Los Angeles sous un crépuscule naissant. Je possédais déjà les trois ouvrages séparément, mais dès que j'ai vu cette réédition /compilation dans les rayons, j'ai craqué et le plaisir de relire les aventures de Lloyd-le-dingue n'en a été que plus intense. Pour l'édition grand format Rivages/Thriller, j'apprécie la typographie de certains titres qui donnent l'impression d'avoir été tapé à l'aide d'une vieille Underwood  poussiéreuse. Mais trêve d'emballage et parlons du contenu de cette collection hors norme de plus de 800 titres !

     

    John Harvey, David Goodis, Jean-Jacques Busino, Dennis Lehanne, James Lee Burke, Tony Hillermann, Eric Ambler, Jean Vautrin, James Ellroy, George Chesbro, Pascal Dessaint, Elmore Léonard, Bob Leuci, Jean-Hugues Oppel, Hugues Pagan, David Peace, Giorgio Scerbanenco, Pierre Siniac, Maj Sjowall et Per Wahloo, Richard Stark, Paco Ignacio Taibo III, Jim Thompson, Nick Tosches, Donald Westlake, Charles Willeford, Daniel Woodrell sont quelques un des auteurs que j'ai lu dans cette collection avec une mention spéciale pour Tony Hillermann qui fut mon premier achat chez Rivages/noir.

     

    Pour rassembler de tels auteurs, il fallait un big boss, un directeur hors norme, dingue de littérature noire aux connaissances quasi encyclopédiques en la matière. J'ai nommé François Guérif. Dire que le bonhomme est un passionné relèverait de l'euphémisme. Certain l'ont traité d'intégriste, alors que je le considérerais plutôt comme un perfectionniste. L'une des particularités importantes qui l'a démarqué des autres éditions c'est la traduction. Il faut savoir qu'à l'époque on formatait les romans noirs en rajoutant de l'argot, en supprimant des chapitres entiers, en atténuant les passages trop littéraires. C'est ainsi qu'un titre de Chandler comme « The Long Goodbye » devient « Sur un Air de Navaja » Allez comprendre ! Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas d'une critique pour ces traductions qui bonnes ou mauvaises m'ont fait découvrir l'univers du polar (ce qui m'agace par contre c'est que l'on persiste à les rééditer sans prendre la peine d'aviser le lecteur de ces coupes ou autres errements de traduction alors qu'il en existe de plus précises et de meilleure facture).

     

    Avec François Guérif, la traduction prend toute sa valeur et peut importe le nombre de feuillets à traduire si le roman en vaut la peine.  Il n'est donc pas rare de trouver chez Rivages/Noir des romans en format poche qui font plus de 500 pages. Ainsi, François Guérif s'est entouré de traducteurs hors norme comme Pierre et Danièle Bondil, Freddy Michalsky, Jean-Paul Gratias, Isabelle Maillet qui nous ont permis de découvrir les particularités des expressions cajuns ou navajos et de la syntaxe parfois surprenante de certains auteurs.

     

    La collection prend son envol avec la publication du livre n° 27 : « Lune Sanglante » de James Ellroy où tous les lecteurs prennent une bonne baffe bien sentie dans la gueule avec ce texte explosif. François Guérif prétend ne pas avoir vraiment découvert Ellroy puisque le manuscrit est passé par toutes les maisons d'édition avant d'atterrir sur son bureau. Qu'importe il a eu l'audace de le publier apportant à Rivage/Noir ses lettres de noblesses dans le monde du polar et permettant de nous faire connaître d'autres auteurs talentueux qu'il suivra tout au long de leur parcours littéraire. Tony Hillermann mettra plus de temps, mais deviendra également un auteur phare de la collection.

     

    L'autre particularité de Rivages/Noir c'est que les auteurs semblent apprécier la maison à un point tel que certain d'entre eux la recommande à  leurs camarades écrivains. C'est par exemple James Ellroy (encore lui !) qui fait connaître Edward Bunker à François Guérif qui l'édite.

     

    Bref avec toute la subjectivité dont je suis capable, je peux dire que Rivage/Noir est la meilleure maison d'édition en matière de polar. Vous pouvez piocher dedans les yeux fermés car vous trouverez toujours des pépites du roman noir provenant de tous les continents.

     

    Je vous recommande les entretiens vidéo de François Guérif qui sont vraiment passionnants. On découvre plus qu'un éditeur, un fervent adepte du monde du polar !

     

    François Guérif - Rivages/Noir deux noms indissociables.

      

     

  • DAVID L. CARLSON & LANDIS BLAIR : L'ACCIDENT DE CHASSE. REDEMPTION.

    l'accident de chasse, editions sonatine, David L. Carlson, Landis BlairA ma connaissance les éditions Sonatine n'ont jamais publié de bandes dessinées, la maison étant davantage connue pour ses ouvrages ayant trait aux thrillers et aux romans noirs à l'instar de David Joy que je vous recommande. Pourtant on peut bien imaginer qu'à la découverte d'un album somptueux tel que L'Accident De Chasse dans sa version originale les éditeurs n'aient pas longtemps hésité à se lancer dans la traduction et la publication de la version française de ce qui apparaît comme l'un des plus beau roman graphique qui clôturera cette année 2020. Roman graphique ? Le mot a souvent été galvaudé pour enrober quelques bandes dessinées d'une certaine élégance marketing ou quelques adaptations de romans classiques. En ce qui concerne L'Accident de Chasse on entre pourtant bien dans le cadre de la définition de ce que peut être un roman graphique où le texte conséquent se marie parfaitement à la grâce du dessin de Landis Blair qui anime cette intrigue tirée d'une histoire vraie que Charlie Rizzo, personnage central de l'intrigue, a raconté à son ami, le scénariste David L. Carlson. Il en résulte un ouvrage improbable de plus de 400 pages sur l'univers carcéral et la rédemption par le biais de l'amitié et de la littérature.

     

    A Chicago en 1959, Charlie Rizzo a toujours cru que son père Matt était devenu aveugle suite à un terrible accident de chasse, comme il l'a toujours prétendu. Pourtant lorsque Charlie tombe dans la délinquance, son père lui dévoile la vérité en lui révélant qu'il a perdu la vue lors d'un braquage qui a mal tourné et qui l'a conduit en prison pour y purger une peine de cinq ans. En détention, Matt partage sa cellule avec Nathan Leopold détenu célèbre pour avoir défrayé la chronique des faits divers lorsqu'il a assassiné, avec son complice Richard Loeb, une jeune garçon de 14 ans afin de démontrer qu'il était possible de commettre une crime parfait. Au comble du désespoir, le jeune détenu aveugle souhaite mettre fin à ses jours. Mais avec l'aide Nathan, Matt va connaître le pouvoir sans limite de la littérature qui va lui permettre de s'évader de cet univers carcéral sans pitié.

     

    Il s'agissait pour David L. Carlson de mettre en scène une histoire d'autant plus extraordinaire qu'elle est tirée d'un ensemble de récits véridiques à l'instar de cet horrible fait divers où deux jeunes hommes de bonne famille, Nathan Leopold et Richard Loeb ont décidé de mettre à exécution leur théorie du meurtre parfait, alors qu'ils avaient à peine vingt ans, en enlevant un enfant et en l'assassinant froidement. Un meurtre qui a bouleversé la population de Chicago, ceci d'autant plus que les deux jeunes criminels ont été condamné à la prison à vie en évitant la peine capitale par pendaison qui se pratiquait au début des années 1900. Mais pour David L. Carlson il importait, avant tout, de mettre en avant la relation père-fils qu'entretiennent Matt et Charlie en choisissant l'angle de la révélation d'un secret familial pour mettre en scène ce fabuleux récit tournant autour des regrets et de l'infini pouvoir de rédemption qu'offre la littérature. C'est donc autour de ce mensonge de L'Accident De Chasse et de la vérité que Matt va dévoiler peu à peu à son fils que l'on découvre la manière dont il s'est construit avec l'aide de Nathan Leopold en faisant connaissance avec les grands classiques de la littérature dont les récits de Dante qui vont repousser les murs d'un univers carcéral oppressant. Au fil de ces révélations on revient régulièrement auprès de Charlie et de Matt pour prendre la pleine mesure de l'émotion qui s'installe entre ces deux individus qui apprennent à se connaître avec un fils qui découvre le parcours d'un père qu'il déconsidérait. Ainsi, sur ces deux trames parallèles, on observe de cette manière les liens qui vont unir un fils à son père au rythme des révélations de ce dernier mais surtout l'amitié qui se forge au rythme des années de prison entre Matt et Leopold qui apprend à lire en braille afin de transmettre son savoir au jeune aveugle désespéré. 
     
    Mais la densité du récit prend une toute autre ampleur avec les illustrations de Landis Blair qui se charge de mettre en image avec une virtuosité déconcertante et une inventivité peu communes les passions qui animent Matt et Leopold ainsi que l'oppression de l'univers carcéral qui les entoure tout comme le désespoir de Matt lorsqu'il devient aveugle. Le dessinateur restitue la noirceur du récit, mais également l'espoir habitant les deux prisonniers sur une déclinaison d'image en noir et blanc qui passent par toutes les nuances de gris au gré d'une technique de hachure rarement aussi bien maîtrisée qui souligne les heures de travail qu'il a fallut pour arriver au bout de cette oeuvre à la fois bouleversante et passionnante. On appréciera particulièrement les dessins illustrant l'oeuvre de Dante ainsi que la partition d'une suite de Bach qui résonne sur les murs de la prison au rythme des craquement du disque vinyle. Bref on ne se lasse pas, une fois l'ouvrage terminé, de revenir pour feuilleter les pages en s'attardant plus que de raison, sur quelques illustrations sublimes qui soulignent la beauté d'une histoire extraordinaire.

     

    Roman graphique somptueux, L'Accident De Chasse vous donne, à n'en pas douter, l'idée de ce que peut être un chef-d'oeuvre qui clôturera en beauté cette année 2020 si particulière.

     

     

    David L. Carlson & Landis Blair : L'Accident De Chasse (The Hunting Accident). Editions Sonatine 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony.

     

    A lire en écoutant : Suite n° 1 en Sol Majeur, BMW 1007 de Jean-Sebastien Bach interprétée par Christian-Pierre La Marca. Album : Bach : Suites pour violoncelle. Christian-Pierre La Marca. 2013 SME France.

  • Nic Pizzolatto : Galveston. La cavale des paumés.

    nic pizzolatto, galveston, true detective, éditions 10/18Avant de connaître le succès avec sa série True Detective, Nic Pizzolatto avait écrit en 2011, un roman intitulé Galveston que la maison d’édition 10/18 s’est empressé de réimprimer en ornant l’ouvrage d’un bandeau rouge et blanc stipulant que l’auteur est le créateur de la série phare de l’année 2014. Ce genre de démarche peut s’avérer ambivalent tant l’on a subit à de trop nombreuses reprises les calvaires de fonds de tiroir en vue d'amasser quelques deniers supplémentaires en surfant sur une vague de succès commerciaux.

     

    Mais que l’on se rassure, Galveston est en fait une espèce de prélude confirmant le grand talent d’un auteur qui est parvenu à rassembler de manière plus que convaincante les amateurs de séries policières. Malgré ses qualités indéniables, l’ouvrage passa quasiment inaperçu lors de sa sortie à l’exception de quelques critiques, dont celle de Yan, animateur du blog Encore du Noir que vous retrouverez ici.

     

    Roy Caddy, petit gangster sans envergure, passe une sale journée en apprenant qu’il est atteint d’un cancer des poumons et en échappant à un traquenard orchestré par son boss qui a décidé de se débarrasser de lui. Contraint à prendre la fuite, Roy prend sous son aile, la jeune Rocky, prostituée complètement paumée et sa petite sœur Tiffany. En longeant les côtes du golfe du Mexique, ce trio bancal va apprendre à se connaître et à s’apprivoiser tout en essayant de semer les tueurs lancés à leurs trousses. Vingt ans plus tard, alors qu’il pense s’être débarrasser de ses poursuivants, Roy Caddy s’aperçoit qu’un homme mystérieux tente de se renseigner sur lui.

     

    Nic Pizzolato bâtit son récit sur une trame ultra classique de cavale et de gangster en quête de rédemption pour mieux s’écarter des schémas convenus de la road story afin de se concentrer sur la relation qui unit les trois protagonistes principaux. C’est à Galveston, station balnéaire du Texas, que le destin de Roy, Rocky et la petite Tiffany va se jouer sur l’espace de quelques jours que l’auteur évoque avec une intensité peu commune et qui se conclura vingt ans plus tard avec un chapitre final bouleversant chargé d’émotion.

     

    Dans Galveston comme dans True Detective c’est sur le plan de la temporalité que l’on retrouve la marque de fabrique déconcertante de Nic Pizzolato avec une histoire qui se déroule sur l’espace d’une vingtaine d’année. Outre l’absence d’alternance régulière entre les évènements de 1987 et de 2008, l’auteur retient des éléments du passé pour nous les restituer dans le présent et inversement, ce qui décontenancera plus d’un lecteur surpris par cet artifice narratif peu commun.

     

    Pour Roy Caddy, c’est l’heure des choix qui s’imposent car l’homme va devoir se pencher sur son passé pour tenter de trouver un sens à une vie qu’il n’est pas certain de maîtriser tout comme Rocky, sa compagne de cavale. Deux êtres cabossés par la vie qui essaient de prendre en main leur destinée par l’entremise de la petite Tiffany sur laquelle ils déposent tous leurs espoirs. Sur fond de paysages flamboyants et lumineux, Nic Pizzolato dresse le portrait sombre et saisissant de personnages entrainés vers une destinée dont les lecteurs les plus avertis seront bien en peine de deviner l’issue, ceci d’autant plus que l’auteur nous gratifie de quelques rebondissements violents qui apportent encore d’avantage de souffle à ce splendide roman qui se lit d’une traite comme la tempête qui s’abat sur Galveston.

     

    Nic Pizzolatto : Galveston. Editions 10/18 2011. Traduit de l’anglais (USA) par Pierre Furlan.

    A lire en écoutant : Eden de Hooverphonic. Album : Sit Down And Listen To Hooverphonic (The live theater recordings). Columbia 2003.

  • Patrick K Dewdney : Crocs. Après nous, le déluge !

    Service de presse.

     

    Capture d’écran 2015-06-08 à 00.19.33.pngCyril Herry et Pierre Fourniaud. Retenez bien ces deux noms car ces éditeurs possèdent le rare talent de concentrer dans leur nouvelle collection Territori, issue des éditions Ecorce et de la Manufacture de Livres, une palette d’auteurs exceptionnels comme Séverine Chevalier avec Clouer l’Ouest, ou Frank Bouysse avec Grossir le Ciel. Désormais il faut également compter avec Crocs de Patrick K Dewdney. Bien plus qu’un simple courant de type Nature Writing, Territori s’inscrit dans une volonté de mettre en lumière un artisanat de l’écriture finement ciselée d’où émane des textes d’une singulière puissance.

     

    Il n’est plus qu’une ombre titubante que la forêt absorbe peu à peu. Il n’est plus qu’un animal traqué que les hommes poursuivent sans relâche. Mais rien n’arrêtera sa marche incertaine. Il tracera son chemin au travers des ronciers, des tourbières et des arrêtes rocheuses. Hirsute, il s’imprègnera de la nature et du souvenir des Anciens avec pour seul compagnon de misère, ce cabot famélique. En lisière de cette civilisation désormais honnie il avancera. Sa pioche sur l’épaule, il avancera vers le Mur. Droit dans le Mur.

     

    Crocs est indubitablement un roman noir que l’auteur a enveloppé d’une tonalité poétique peu commune en puisant, entre autre, dans la richesse d’une langue maîtrisée à la perfection. Des accents pastoraux pour un récit qui se déroule dans une succession de paysages sauvages du Limousin déclinés sur une scène unique de fuite dont ne connaît ni les raisons, ni les buts, hormis celui d’atteindre, par tous les moyens, ce Mur hostile. On découvrira en alternance à cette fuite, quelques réflexions du personnage et quelques souvenirs lointains le poussant à s’immerger corps et âme au cœur d’une nature hostile qui se révèle être son ultime alliée. Puis dans les cinq dernières pages s’illustrera la tragédie poignante révélant les vains desseins de cet homme mystérieux. Car l’autre particularité du roman réside dans le fait que l’auteur ne s’embarrasse pas de détails concernant l’identité du fuyard. Il le débarrasse de tout ce qui fait de lui un homme dit civilisé. Libéré de ces oripeaux humains, notre fugitif s’imprègne d’un mysticisme acétique. Cela prend parfois des tournures bibliques à l’instar de son corps déchiré par les épines, de l’hostie animale ou du but final qu’il s’est assigné. Outre l’aspect divin, l’homme prend conscience, au fur et à mesure de l’échappée, de son animalité qui donne son titre au roman.  

     

    Dans Crocs, vous vous immergerez dans les profondeurs troubles d’une nature magnifiée par un torrent de phrases et de mots qui donnent toutes leurs saveurs à ce roman sauvage qui pose les questions que personne ne souhaite formuler et auxquels personne n’ose répondre. D’ailleurs, dans cette errance forestière, l’homme a cessé depuis longtemps de s’interroger en laissant tout derrière lui, hormis cette pioche qu’il porte comme un fardeau. Il ne lui reste que cette fragile certitude d’avancer jusqu’au Mur accompagné des souvenirs enfouis de ce peuple oublié dont les reliques hantent la forêt.

     

    Patrick K Dewdney dresse le constat amer et pessimiste d’une civilisation disparue qui fait écho à notre monde en voie de désintégration dont la spirale sans issue contraindrait  des hommes lucides aux actes les plus extrêmes afin de s’extraire du système. En contrepartie, il nous offre un texte fait de sensations et de ressentis où le lecteur perçoit le goût de l’eau impétueuse, la douceur de la mousse spongieuse et les effluves des écorces chauffées par le soleil. Un récit tout en vigueur et en douceur à l’image de ces bois sauvages dont on ne ressort pas indemne.

     

    Lorsque l’on découvre Crocs, on capte immédiatement le talent d’un auteur qui maîtrise les jeux de l’écriture en façonnant des phrases toutes plus belles les unes que les autres. Il serait vraiment dommage de passer à côté d’un tel roman.

     

    Patrick K Dewdney : Crocs. La Manufacture de Livres - Editions Ecorce/Collection Territori 2015.

    A lire en écoutant : White Rabbit de Jeffeson Airplane. Album : The Best of Jefferson Airplane. Sony BMG Music Entertainment 2007.

  • Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Gros lot pour un perdant.

    Capture d’écran 2023-01-30 à 19.13.09.pngIl étudie la BD à l'école supérieure des arts de Saint Luc en Belgique avant de se lancer dans une longue carrière de plusieurs décennies dans l'audiovisuel en occupant notamment les fonctions de photographe, d'accessoiriste et de storyboarder. Mais c'est à l'aube de la cinquantaine que Joris Mertens entame une carrière dans le 9ème art avec Béatrice (Rue de Sèvres 2020), un album sans parole laissant la place aux éclats somptueux d'une ville dégoulinante de pluie en empruntant l'architecture de Paris, d'Anvers et de Bruxelles et dans laquelle évolue une héroïne vêtue d'un manteau rouge comme pour s'extraire de ces nuances de gris, d'ocre et de noir qui enrobent le mouvement sophistiqué de cette longue perspective d'images envoutantes nous entrainant dans un récit faustien aux contours oniriques. Un exercice particulier que cette absence de texte qui nous laisse tout de même un peu sur notre faim. Il en va tout autrement pour Nettoyage A Sec, son nouvel album, où Joris Mertens nous invite dans la même atmosphère brouillée d'une cité pluvieuse des seventies avec un récit qui s'articule autour des codes du roman noir en nous rappelant le climat oppressant des grands films de Jean-Pierre Melville. 

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensFrançois est un vieux garçon à la vie bien rangée qui travaille comme chauffeur-livreur pour la teinturerie Bianca et qui écluse quelques bières au Monico où il a ses habitudes. Une vie de solitude avec quelques séances au cinéma et des rêves plein la tête en contemplant les voitures exposées dans les vitrines. Toutes les semaines, il joue les mêmes numéros pour tenter de gagner le gros lot au Lotto ce qui lui permet de converser avec Maryvonne qui tient le kiosque à journaux . C'est sûr qu'il a plus de chance de gagner au jeu plutôt que de compter sur une éventuelle augmentation de son employeur. Et puis il en ferait des choses s'il empochait le jackpot. Il pourrait payer une belle maison à Maryvonne et à sa fille Romy qui est asthmatique. Mais le destin va bousculer sa petite vie bien tranquille avec une opportunité à laquelle il ne peut résister en le projetant dans une cavalcade foireuse qui risque de mal tourner.

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensOn évoquera tout d'abord de la reliure cousue qui confère à l'ouvrage une certaine élégance avec son liseré en toile rouge ornant le dos de l'album. Outre l'aspect esthétique, ce type de reliure permet de déployer de manière plus adaptée les sublimes doubles pages qui ponctuent le récit en nous offrant la beauté des perspectives ahurissantes de cette ville fantasmée qui devient un personnage à part entière. Avec Joris Mertens, on parlera davantage de lumières que de couleurs qui s'affichent déjà sur la couverture avec cette conjugaison de pluie, d'éclairage public et de gigantesques panneaux publicitaire lumineux parcourant les élégantes façades tarabiscotées des immeubles de la ville pour nous offrir cette atmosphère trépidante d'un centre congestionné par la circulation au travers de laquelle le flux de piétons se faufilent avant d'arpenter les trottoirs humides. C'est dans cet environnement tumultueux qu'évolue François dont on découvre, dans une première partie, son parcours quotidien au coeur de ce lacis de rues et de boulevards qu'il parcourt d'un pas pressé, puis à la place passager de sa fourgonnette de livraison qu'Alain, le nouveau chauffeur qu'il doit former, conduit maladroitement. On devine la solitude du personnage qui aspire à une autre vie en misant les mêmes numéros à la loterie depuis plusieurs années ; on perçoit l'affection maladroite qu'il éprouve pour Maryvonne et sa fille Romy et puis cette succession de scènes urbaines qui soulignent son isolement au milieu du fracas de la ville. La seconde partie prend une tournure beaucoup plus sombre avec la découverte d'une scène de crime et d'un sac abandonné dont François s'empare pour l'entraîner dans une succession d'ennuis au coeur d'un environnement boisé plutôt sinistre. Oscillant entre la chronique sociale et le fait divers, ponctué d'un humour parfois grinçant, Joris Mertens nous offre au final une superbe fresque urbaine dans laquelle se débat cet homme solitaire tandis que le destin livre son dessein cruel dont on découvre l'ultime coups du sort dans la dernière case d'un album éblouissant.

     

    Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Editions Rue de Sèvres 2022. Traduit du flamand par Maurice Lomré.


    A lire en écoutant : Album Ascenseur pour l'échafaud de Miles Davis. 1958 Decca Records France.

  • Victor Del Àrbol : La Tristesse du Samouraï, dans la forge de la rancœur.

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    "Toutes le choses vraiment atroces démarrent dans l'innocence"

    Ernest Hemingway

     

    Je dois bien l'avouer, lorsque l'on évoque le mot Samouraï, je ne peux m'empêcher de penser au film légendaire de Jean-Pierre Melville, mettant en scène un Alain Delon au firmament de sa carrière. Comme pour le film, hormis l'évocation d'un sabre d'un guerrier légendaire vous ne trouverez pas grand-chose ayant un rapport direct avec ces guerriers d'autrefois soumis au code très strict du Bushido.

     

    Dans la mélancolie de ce titre, Victor Del Àrbol évoque le passé sombre d'une Espagne enlisée dans une guerre civile dévastatrice qui au travers de trois générations décimées par la haine, les coups bas et les vengeances trouvera sa conclusion en 1981, année de la tentative de putsch dont l'un des coups d'éclat fut l'attaque du congrès des députés. C'est lors de ce dernier événement que le récit débute. Maria, avocate réputée, agonise sur son lit d'hôpital en présence de son père muet et d'un inspecteur de police qui la suspecte de plusieurs assassinats et de complicité d'évasion. A-t-elle vraiment commis tous ces crimes ? Et si oui pourquoi ?

     

    Toute l'histoire démarre en décembre 1941, sur le quai d'une gare, avec cette belle femme élégante, accompagnée de son plus jeune fils, Elle s'apprête à fuir un mari odieux, chef des brigades phalangistes. Mais la tentative échoue et au grand désespoir du jeune garçon, elle disparaîtra sans laisser de trace. On suivra également le parcours du frère aîné qui sera contraint de s'engager dans la sinistre Légion Azul qui le mènera sur le front russe. Et puis il faudra également comprendre pourquoi cet inspecteur de police respectable est devenu un odieux tortionnaire. Sur fond historique, nous découvrirons donc les imbrications tragiques d'évènements dont les répercussions trouveront un écho sur quatre décennies. Des bourreaux qui deviennent victimes et des victimes qui se transforment en monstres psychopathes.

     

    Un texte extrêmement bien rédigé et empreint d'une grande sensibilité, c'est ce qui fait la force de la Tristesse du Samouraï. On traverse les différentes époques d'un passé douloureux, en compagnie de personnages complexes dotés d'une épaisseur dramatique savamment bien dosé. Le talent de Victor Del Àrbol c'est d'avoir su bâtir ce thriller sur fond historique sans toutefois nous plonger dans les affres d'une déclinaison de chronologie fastidieuses. C'est donc par petites touches subtiles que l'auteur aborde ce sujet complexe qui n'a pas finit de faire frémir l'Espagne si l'on se réfère à l'actualité récente concernant le juge Garzòn qui tentait de faire la lumière sur les disparitions survenues durant la période opaque du régime franquiste.

     

    Une belle écriture empreinte d'une certaine mélancolie pour évoquer la noirceur d'une vendetta qui balaiera le libre-arbitre des protagonistes de cette histoire. Monté comme un puzzle dont les différentes pièces s'assemblent au gré des différentes périodes, on ne peut qu'apprécier la maîtrise scénaristique d'un grand écrivain, même si l'on peut déplorer ici et là quelques petites incohérences qu'un hasard bien trop salutaire, au service de l'auteur, tente de gommer.

     

    Victor del Àrbol : La Tristesse du Samouraï. Editions actes noirs/ACTES SUD 2012. Traduit de l'espagnol par Claude Bleton.

     

    A lire en écoutant : Déportation / Iguazu de Gustavo Santaolalla. BOF du film Babel. Concord Music Group inc. 2006.

     

     

     

     

  • Simon Lewis : Trafic Sordide, le mirage de la Montagne d’Or.

    simon lewis,trafic sordide,chine,immigration,clandestinsBien souvent dans le polar, l’auteur envoie son héro dans un pays étranger afin de pimenter l’intrigue avec une pointe d’exotisme ce qui donne au récit un charme particuler. Avec Trafic Sordide, Simon Lewis a inversé la donne en nous livrant le point de vue d’un flic chinois contraint de mener son enquête en Angleterre. C’est l’un des atouts majeur du livre et tout le talent de cet écrivain qui l’air de rien nous expose le choc des cultures entre l’orient et l’occident au travers du prisme d’un policier chinois.

     

    Un inspecteur déboussolé qui débarque dans un pays dont il ne connaît ni la culture et encore moins la langue. C’est la situation dans laquelle se trouve Jian lorsqu’il attérit en Angleterre à la recherche de sa fille disparue. L’homme toujours prompt à l’action n’a pas pris le temps de demander une entraide judiciaire et sa démarche n’a donc rien d’officiel. Débrouillard, vif d’espris Jian parviendra à dérouler quelques échevaux mais se retrouvera rapidement confronté à la difficulté de la barrière de la langue. Pour surmonter l’obstacle, Jian trouvera de l’aide auprès d’une personne aux antipodes de son statut social. Ding Ming a également débarqué en Angleterre, mais par un chemin sensiblement différent puisqu’en tant qu’immigré clandestin il a fait le voyage avec son épouse à bord d’un container comme bon nombre de ses camarades. Le couple a eu la chance de ne pas succomber à l’asphyxie, mais se retrouve séparé à l’arrivée. Ding Ming est désormais préposé au ramassage des coquillages, dans un bled paumé de la campagne anglaise. Inquiet, il ne peut s’empêcher de vouloir retrouver sa femme. Il croisera donc le chemin de l’inspecteur Jian. Mais le jeune immigré a un avantage sur le policier : il possède de solide base en Anglais. L’alliance improbable de ces deux personnages va-t-elle leur permettre de surmonter les difficultés d’un monde qu’ils ne connaissent pas afin de retrouver leurs proches respectifs, quoiqu’il en coûte ?

     

    En toile de fond de ce récit prenant, il y a le trafic odieux d’êtres humains que l’on charrie comme du bétail et à qui l’on fait payer le prix fort. Des membres de réseaux mafieux sant état d’âme qui abusent de la naïveté et de la vulnérabilité de leurs proies pour fournir une main-d’œuvre à bas prix. Malgré la gravité du sujet, on ne peut s’empêcher parfois de sourire devant les situations cocasses dans lesquelles se retrouvent les deux personnages dans un environnement qui leur est complètement étranger. L’auteur parvient donc, avec un style dépouillé, à nous entraîner au cœur d’une histoire prenante, bourrée de rebondissements assez surprenants. Le survol de certains aspects de l’histoire ainsi qu’un manque de relief de certains personnages (particulièrement en ce qui concerne les trafiquants) font que le recit ne restera probablement pas dans toutes les mémoires, mais il permettra au lecteur de se faire une idée de la vie tragique de ces hommes et ces femmes de l’ombre qui s’obstinent à croire au miracle de la Montagne Dorée.

     

    Simon Lewis a séjourné à plusieurs reprises en Chine et maîtrise d’ailleurs la langue de ce pays. Il a également rédigé un guide de voyage intitulé Rough Guide to China, Beijing and Shangaï. Peut-être lui faudra-t-il posséder tous les codes du polar afin de s’en démarquer pour nous livrer un récit plus incisif et plus corsé. Néanmoins Trafic Sordide demeure un excellent polar qu’il ne faut pas manquer de lire.

     

    Simon Lewis : Trafic Sordide. Editions Babel Noir 2011. Traduit de l’anglais par Pierre Girard.

     

    A lire en écoutant : The Shangaï Restauration Project. Introduction (1936). 2006 Undercover Culture Music.

     

  • Fred Vargas : L’Armée Furieuse. Le grand retour d’Adamsberg, le commissaire lunaire.

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    Un pigeon aux pattes ligotées, une vieille dame assassinée à coup de miettes de pain, un riche industriel carbonisé dans sa voiture et l'armée furieuse qui déferle à nouveau sur un petit village normand. La brigade la plus décalée de Paris, dirigée par le commissaire Adamsberg aura du pain sur la planche !

     

    Avec ce nouveau roman de Fred Vargas, nous retournons dans les délices des références moyenâgeuses qui avait fait le succès, entre autre, de « Pars Vite et Reviens Tard », car Adamsberg devra affronter la légende de la mesnie d'Hellequin, seigneur d'une horde d'âmes damnées qui hante les sentiers sombres  du petit village d'Ordebec. La légende devient plus concrète lorsque l'un des villageois, un chasseur sadique, est retrouvé mort sur un des chemins empruntés par l'armée furieuse.

     

    Une France rurale, truffée de personnages mémorables aux manies étranges. C'est de cette manière que Fred Vargas nous entraine dans ces histoires composées de petites anecdotes qui reliées les unes aux autres forment un récit cohérent, même si on peut trouver parfois que les liens soient un peu tirés par les cheveux. Des lacets, des miettes de pains, du sucre et un bout de ficelle. Des objets banals qui permettront comme toujours au commissaire Adamsberg de résoudre cette enquête complexe, où les meurtres vont se succéder à un rythme infernal.

     

    Une ambiance envoutante, dans ce petit village normand, baigné de contes médiévaux que l'assassin exploitera pour terrifier les villageois. Des personnages attachants et mystérieux, comme cette Lina dont les visions prophétiques désignent les victimes à venir qui seront emportées par l'armée furieuse. Ses quatre frères plus étranges les uns que les autres et Léo la vieille dame aux répliques terriennes et pertinentes.

     

    Un roman composé de vieilles pierres, de sentiers sinueux, de sous-bois étranges et de prés piquetés de vieux pommiers où les vaches paraissent immobiles. Un décors où semble se complaire ce commissaire aux pensées décousues qui sait s'attarder sur les petits détails sans importances et apprécier les mures juteuses. Ses acolytes seront toujours à ses côtés pour l'épauler. Des policiers dont les fêlures ou les défauts se muent en qualités toujours propices pour le bon déroulement des enquêtes, avec Danglard dont l'intelligence, la culture et la mémoire prodigieuses se noient parfois dans les brumes de son alcoolisme, Veyrenc qui délivre ses conclusion sentencieuses en alexandrin, Violette Retancourt femme aussi gigantesque que décidée, Froissy l'angoissé boulimique et Mercadet l'endormi compulsif.

     

    Comme toujours, on navigue entre les intrigues sombres et le côté décalé des personnages qui donnent aux histoires de Fred Vargas une originalité toute particulière que Régis Wargnier n'est pas parvenu à rendre dans son adaptation de « Pars Vite et Reviens Tard » où les acteurs bien trop sérieux et bien trop habités n'arrivaient pas restituer l'aspect truculent et très terrien des récits de Vargas.

     

    « L'Armée Furieuse » est, sans conteste, avec « l'Homme à l'envers » et « Pars Vite et Reviens Tard », l'un des meilleurs romans de Fred Vargas, grande reine du polar français. A lire immodérément !

     

    A lire en écoutant : How Fortunate the Man With None - Interprète : Dead Can Dance - Album : Into the Labyrinth / Tableau de chasse - Interprète : Claire Diterzi - Album : Tableau de chasse

     

    Fred Vargas : L'Armée Furieuse. Edition Viviane Hamy 2011.

     

     

  • WILLIAM BOYLE : GRAVESEND. L'HYMNE DU DESESPOIR.

    Capture d’écran 2016-05-26 à 00.28.13.pngUn peu plus d’un millier d’ouvrages. C’est le nombre de romans qu’a publié la maison d’éditions Rivages/Noir durant 30 ans devenant ainsi l’une des grandes références mondiales dans l’univers du roman noir et policier. Une belle collection si l’on prend la peine de consulter la liste où figurent les grands noms de la littérature noire, mais également des auteurs méconnus qui émaillent cet inventaire prestigieux. Travailleurs de l’ombre, très souvent mis en exergue par son directeur, il faut particulièrement saluer les traducteurs à l’instar de Pierre Bondil, Jean-Paul Gratias, Daniel Lemoine et Freddy Michalsky qui parvinrent à donner une voix française à ces auteurs américains tout en conservant leur petite musique si particulière. Outre une traduction soignée, l’une des particularités de la maison Rivages/Noir est de remettre constamment l’ouvrage sur le métier avec cette volonté farouche de nous faire découvrir de nouveaux auteurs de qualité. C’est ainsi, plutôt que de mettre en valeur une de ses têtes de file, que le numéro 1000 de la collection échoit à Gravesend, premier roman de William Boyle.

     

    A Gravesend, quartier italien, au sud de Brooklyn, il y a ceux qui restent et ceux qui reviennent. Parmi ceux qui restent il y a Conway qui attend son heure afin de venger la mort de son frère Duncan, assassiné sauvagement, il y a de cela seize ans, par Ray Boy Calabrese une des figures du quartier. Parmi ceux qui reviennent, il y a justement Ray Boy Calabrese qui vient de purger sa peine de prison, mais qui attend désespérément de payer le prix fort de ses actes passés. Parmi ceux qui restent, il y a Eugene, jeune adolescent boiteux, qui souhaite montrer à Ray Boy, cet oncle déchu qui n’est plus que l’ombre de lui-même, qu’il peut également devenir un caïd du quartier. Parmi ceux qui reviennent, il y a la belle Alessandra qui traîne dans ses valises ses rêves déchus d’actrice de cinéma. A Gravesend, il y a des destinées qui s’entrechoquent brutalement dans un mélange acide de regrets, de colères et de désillusions.

     

    Il y a bien évidemment des classiques immuables, telles la vengeance et l’illusion perdue, qui entrent dans la dynamique du roman noir et que William Boyle illustre parfaitement dans ce premier roman où il met en scène une tragédie prenant pour cadre un quartier modeste de Brooklyn qui devient un personnage à part entière. Plus qu’un quartier Gravesend devient une espèce d’espace verrouillé où gravitent, de manière dérisoire, des protagonistes qui ont cessé depuis longtemps d’agiter leurs illusions perdues. On perçoit ainsi cette colère et cette frustration taraudant chacun des acteurs qui ne parviennent pas à se dégager d’une destinée qui semble gravée dans le marbre glacé de l’amertume. Mais c’est lors de sursaut, de révolte que les drames se mettent en place dans une explosion de violence qui ébranle toute la communauté assoupie dans une torpeur teintée de nostalgie.

     

    On ressent immédiatement quelque chose d’hypnotique dans l’écriture de William Boyle qui arrive à nous immerger, jusqu’à l’étouffement, dans ce quartier où il dépeint des personnages forts et poignants tout à la fois avec cette propension à mettre doucement en branle la machine infernale qui va broyer les destins dans des scènes d’une brutalité sèche et cruelle. C’est peut-être parce qu’il n’y a rien de flamboyant et d’épique dans ce roman que William Boyle parvient à incarner, avec une belle justesse, l’état d’esprit d’un pays fatigué de traîner derrière lui cette fameuse illusion du rêve américain. Finalement Gravesend c’est l’hymne du désespoir qui touche le cœur des hommes avec un roman noir pas comme les autres qui mérite bien cette mise en lumière que lui octroie ce numéro 1000 de Rivages/Noir.

     

    William Boyle : Gravesend. Editions Rivages/Noir 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Simon Baril.

    A lire en écoutant : We Used to Think the Freeway Sounded Like a River de Richmond Fontaine. Album : We Used to Think the Freeway Sounded Like a River. Winner Casino Music BMI 2009.