Séverine Chevalier : Recluses. Prisonnières du silence.
Découvrir par hasard, au détour des rayonnages d’une librairie, un ouvrage des Editions Ecorce/noir, c’est comme mettre à jour un écrin recelant quelques perles rares et délicates que sont ces instants précieux de lecture où l’on s’imprègne de textes ciselés à la perfection par des auteurs qui travaillent le mot, la phrase en forgeant, tels des artisans acharnés, les contes obscurs de notre temps. En maître d’œuvre discret, Cyril Herry, directeur de la collection, vous propose une autre vision du roman noir avec une déclinaison d’auteurs aux essences particulières à l’instar de Séverine Chevalier et de son premier roman intitulé Recluses.
Cela faisait bien des années que Zia n’attendait plus sa sœur Suzanne. Recluse au fond de ce corps détruit, elle s’abreuve d’ennui, de silence et d’immobilité jusqu’à ce que Suzanne déboule et l’embarque, elle et son fauteuil roulant, dans un périple incertain à la poursuite du fantôme de Zora Korps, cette fille en jaune qui s’est fait exploser dans un supermarché. Recluse dans la confusion de ses souvenirs, Suzanne cherche à comprendre la mort de son fils Polo en traquant l’ombre trouble de cette jeune fille énigmatique. Dans cette quête éperdue, les deux sœurs sont désormais recluses dans un corps de ferme perdu où la mémoire se dissout dans un torrent de pluie et de sang.
Il y a tout d’abord cette écriture épurée, presque magique qui oscille entre les instants lyriques et les passages scandés pour nous livrer un texte éclaté en une multitude de points de vue propres aux différents acteurs qui hantent les pages d’un livre où le silence et les non-dits sont autant de douleurs, de regrets et de désespoirs que rien ne peut atténuer. C’est en cela que la quête effrénée de Suzanne devient une cause perdue d’avance qui ne sert qu’à mettre en perspective la vacuité des souvenirs d’une jeunesse disloquée par l‘absence d’un père, la maladie d’une mère et la paralysie d’une sœur. Suzanne s’est donc mise en tête de recueillir tous les témoignages relatifs à la vie Zora Korps pour tenter de saisir l’inexplicable raison de son terrible geste.
Recluses traduit la déshérence psychique et physique de deux âmes esseulées bien trop éloignées les unes des autres pour parvenir à une quelconque résilience mutuelle. L’esprit comme le corps sont bien trop abîmés, mais seule Zia, emprisonnée dans ce corps absent, parvient à le percevoir en promenant son regard lucide, parfois cynique sur cette succession d’êtres désincarnés qu’elles croisent au cours de leur périple.
Récit solide construit sur une délicate dentelle de mots, Recluses égrène dans une narration éclatée, l’introspection bancale d’individus prostrés dans une déshérence de sentiments à l’égard des autres qui les conduisent parfois dans les tréfonds obscurs de l’abîme.
Roman dépourvu de clés narratives et de rebondissements époustouflants, Recluses contraint le lecteur à s’impliquer en s’immergeant dans un texte singulier et rythmé qui impose parfois une image tronquée d’une réalité forcément sujette à la subjectivité des différents personnages qui composent l’histoire. Comme des balises égarées dans ce naufrage de mutisme et de déni, la longue lettre du Dr Shaw, le rapport de police du capitaine Hame et la courte missive d’une détenue apporteront quelques éclaircissements à un ultime document intitulé Recluses. De cette manière, comme enfermé dans cercle infernale, Séverine Chevalier nous contraint à reconsidérer son récit dans la lumière trouble de nouvelles perspectives qui n’apporteront, de loin pas, toutes les réponses, laissant au lecteur une grande part d’interprétation tout en lui permettant de s’imprégner une nouvelle fois dans ce roman bâti sur une succession de sensations, d’images et de lumières que l’auteur égrène dans un style maîtrisé à la perfection, tout comme son second ouvrage Clouer l’Ouest, un autre bijou littéraire à découvrir impérativement.
Séverine Chevalier : Recluses. Editions Ecorce/Noir 2011.
A lire en écoutant : On ne Dit Jamais Assez aux Gens Qu’on Aime, Qu’on les Aime de Louis Chédid. Album : On ne Dit Jamais Assez aux Gens Qu’on Aime, Qu’on les Aime. Atmosphériques 2010.