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Rechercher : Marie-Christine horn

  • Mise au point 2022 : Toujours d'attaque.

    eau rouge.jpgCapture d’écran 2022-01-06 à 18.51.58.pngAu terme de l'année, on découvre dans certaines revues, les classements des dix meilleurs ouvrages publiés durant cette période qui se focalisent sur le nombre d'exemplaires vendus avec, au bout du compte, les sempiternelles têtes de gondole trustant la scène littéraire. Il en va de même pour la littérature noire avec des listes égrenants les best-sellers annuels d'auteurs puisant leur succès dans cet exercice comptable vertigineux et parmi lesquels figure Franck Thilliez qui nous revient avec un préquel de la série Sharko, intitulé sobrement 1991 et que j'ai eu l'occasion Capture d’écran 2022-01-06 à 18.49.21.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 18.50.27.pngde lire avec un sentiment de consternation qui ne m'a pas quitté tout au long d'une lecture que j'aurai l'occasion d'évoquer dans une chronique prochaine. Mais pour en revenir à ces classements, loin d'être décourageants ceux-ci donnent davantage de sens aux démarches des multiples blogs et revues littéraires spécialisés dans le domaine du polar en proposant des ouvrages sortant des sentiers battus afin de vous inciter à farfouiller dans les rayons de vos librairies préférées. Pour vous orienter dans le choix de vos lectures je ne saurais trop vous recommander de consulter quelques sites comme Encore Du Noir de Yan Lespoux, The Killer Inside Me du journaliste Christophe Laurent qui publie de Capture d’écran 2022-01-06 à 18.51.20.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.04.03.pngnombreux articles consacrés au genre dans Corse Matin, Evadez-moi de Lau Lo, Actu Du Noir de Jean-Marc Laherrère, Passion Polar de Bruno Le Provost, Le Polar De Velda de Catherine Dô-Duc et Fondu Au Noir de Caroline Benedetti et Emeric Cloche pour n'en citer que quelques uns. Vous pouvez également vous abonnez à quelques magazines tels que 813 ou L'Indic qui vous permettront d'affiner vos choix et de découvrir des articles passionnant consacrés à la littérature noire.

     

    Capture d’écran 2022-01-06 à 19.04.40.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.05.52.pngDurant une année pourtant riche en publications, le blog a connu une certaine léthargie avec à peine plus d'une trentaine d'ouvrages chroniqués, ce qui n'a rien de mirobolant. Contraintes professionnelles et priorités familiales expliquent ce manque de productivité qui a tout de même connu un certain sursaut durant les derniers mois. Une année pourtant riche en surprises avec le retour de quelques ténors de la littératures noire mais également la découverte de primo romanciers talentueux à l'instar de Yan Lespoux qui nous a éblouis avec Presqu'îles son recueil de nouvelles préfacé Capture d’écran 2022-01-06 à 19.06.22.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.06.44.pngpar Hervé Le Corre dont on a apprécié le dernier ouvrage intitulé Traverser La Nuit. Il faut également évoquer Rosine Une Criminelle Ordinaire, premier roman de Sandrine Cohen. Même s'il n'est pas un débutant, on aura également été époustouflé par L'Eau Rouge, de Jurica Pavičić, avec un premier ouvrage croate traduit en français. Belle surprise également en lisant Les Femmes N'Ont Pas D'Histoire d'Amy Jo Burns, une romancière talentueuse. Il faut également souligner le retour d'Adrien McKinty avec Ne Me Cherche Pas Demain, troisième  opus des enquêtes de l'inspecteur Sean Duffy. Autre retour très attendu que celui de Lance Weller qui nous a bluffé avec Le Cercueil De Job, un roman époustouflant tout comme Deacon King Kong de James McBride et le détonnant True Story de Kate Reed Petty. 

     


    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.33.50.pngCapture d’écran 2022-01-07 à 18.34.12.pngIl faut également saluer la nouvelle collection Fusion au sein de la maison d'éditions de l'Atalante qui a publié deux ouvrages détonnants que sont Nuit Bleue De Simone Buchholz et Clark d'Anouk Langaney. Et puis il y a toujours cet intérêt pour la littérature noire japonaise qu'il faut souligner avec le retour de Tetsuya Honda qui nous propose avec Invisible Est La Pluie, une troisième enquête de la lieutenante Reiko Himekawa, une valeur sûre des éditions Akatombo. Valeurs sûres également avec Agullo et le retour du commissaire Soneri dans La Maison Du Commandant de Valerio Soneri, celui du Kub dans Les Ombres de Wojciech Chmielarz et surtout le dernier roman de Frédéric Paulin qui aura marqué les esprits avec La Nuit Tombée Sur Nos Ames

     

    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.34.56.pngCapture d’écran 2022-01-07 à 18.35.38.pngToujours en retard dans mes lectures, j'ai eu le plaisir de découvrir les romans de Michèle Pedinielli avec Boccanera et Après Les Chiens mettant en scène la dynamique détective privée Ghjulia Boccanera surnommée Diou, officiant du côté de Nice. Pour être à jour il me faudra évoquer La Patience De L'Immortel dans une prochaine chronique. 

     

    Du côté de la Suisse, je ne peux que vous recommander de lire La Prophétie Des Cendres de Rafael Wolf et Dans L'Etang De Feu Et De Souffre de Marie-Christine Horn, tous deux publiés chez BSN Press, une valeur sûre en matière de littérature noire helvétique.

     

    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.36.47.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.05.30.pngPour terminer, il ne me reste qu'à évoquer le plaisir que j'ai eu à retourner à Lyon à l'occasion du Quai du Polar ainsi qu'à Toulouse pour le festival des littératures policières Toulouse Polar du Sud qui m'ont permis de retrouver quelques amis et connaissances de ce petit microcosme de la littérature noire qui permet également de faire de nouvelles rencontres lors de soirées mémorables. Pour 2022, outre les deux événements précités, je souhaite également me rendre du côté de Pau à l'occasion du festival Un Aller Et Retour Dans le Noir ainsi que du côté de la Corse à l'occasion de Libri Mondi avec des programmations extraordinaires qui correspondent à mes attentes et intérêts et que je vous recommande de fréquenter si vous en avez l'occasion. 

     


    A lire en écoutant : Across The 110th Street de Bobby Womack. Album : Across The 110th Street. 2008 MGM Music.

  • Nicolas Verdan : La Coach. Tyrannie interne.

    Capture d’écran 2018-10-28 à 23.03.57.pngLa troisième édition du festival du polar Lausan’noir aura lieu le samedi 3 et le dimanche 4 novembre 2018 et accueillera 20 auteurs du genre noir dans les murs du Lausanne Palace. Cocktail, brunch et tables rondes se dérouleront dans ce cadre prestigieux et si le programme ne manquera pas de susciter quelques intérêts avec des animateurs qui, souhaitons-le, auront pris le temps, cette année, de lire les livres des auteurs qu’ils interviewent, on ne peut s’empêcher de penser que la voilure a été quelque peu réduite, laissant présager d’une fin prochaine du festival, comme ça été le cas pour la Scène du crime du salon du livre de Genève. A moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie pour mettre en valeur les romanciers du polar de la région romande ce qui est une bonne chose si le public est au rendez-vous. Espérons également qu’Olivier Norek, parrain de cette édition, se satisfera de ce titre honorifique en ne faisant pas faux-bond au dernier moment, comme ça été le cas lors de l’édition précédente, peu satisfait, semble-t-il, du temps consacré aux dédicaces.  Quoiqu’il en soit, en guise de préambule, avant de s’ébaudir dans les fastes d’un luxueux palace, vous pourrez déjà rencontrer Marie-Christine Horn et Gilles de Montmollin, deux auteurs de la littérature noire chez BSN Press, le vendredi 2 novembre 2018 dès 1700 à la librairie d’occasion Molly & Bloom tenue par Nicolas Verdan qui dédicacera également son dernier ouvrage (on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même), La Coach, un roman noir social, figurant parmi les trois finalistes en lice pour le Prix du Polar Romand 2018.

     

    Rendement, rationalisation, plus de six cents offices postaux doivent fermer dans le pays. Une tâche qui a été confiée à Alain Esposito, cadre dynamique de Swiss Post, devant établir une stratégie afin de faire passer la pilule d’une décision aussi impopulaire. Surmené, sous pression et fragilisé par des difficultés au sein de son couple, ce manager s’adjoint les compétences de Coraline Salamin, une coach charismatique qu’on lui a recommandé. Mais s’agit-il vraiment d’une rencontre fortuite ? Car sous l’influence de cette femme redoutable, Alain Esposito  pourrait perdre complètement pied. Et c’est probablement ce que souhaite Coraline, désireuse de venger la mort de son frère qui s’est jeté sous un train après la fermeture de l’office postal dont il était l’administrateur. Sur fond de libéralisme débridé et de cynisme entrepreneurial, les plus froides vengeances peuvent se mettre en place.

     

    Subjectivité et mauvaise foi, ceci d’autant plus que je n’ai pas lu La Séquence de Stefan Catsicas (Favre 2018) et Le Casseur d’Os de Sebastien Meier (Fleuve Noir 2018), les deux autres romans en final,  il va de soi que l’on se prend à espérer que Nicolas Verdan obtienne avec La Coach le Prix du Polar Romand, puisqu’il s’agit d’un récit s’inscrivant dans l’actualité du pays lorsque sa parution coïncidait avec le scandale des manipulations comptables de Car Postal. Récompenser un tel ouvrage deviendrait donc un geste politique dans le sens étymologique du terme avec un roman noir dénonçant les dérives de cette ancienne régie de la Confédération qui s’inscrit désormais dans une exigence de rationalisation au détriment de tous les usagers. On aurait donc tord d’invoquer le hasard ou la coïncidence à la lecture de La Coach, car l’auteur, à la fois journaliste indépendant et romancier, parvient tout simplement à capter cette lente dissolution du service public qui s’opère dans le pays, au profit d’une logique de rentabilité se déclinant au rythme d’objectifs managériaux qui mettent la pression sur l’ensemble des acteurs de l’entreprise.

     

    Il va de soi que dans un tel contexte, Nicolas Verdan peut mettre en scène une tragédie touchant l’ensemble de ses personnages. Car au-delà de ses certitudes et de son assurance, on décèle chez Coraline Salamin, La Coach, quelques failles, voire même une détresse certaine qui la rend probablement plus humaine, mais guère plus sympathique. Cette détresse on la retrouve au travers d’un individu comme Alain Esposito, ce manager quelque peu dépassé, souhaitant trouver une assise et une légitimité en intégrant un groupe de cadres supérieurs à la fois odieux et cyniques qui deviennent de véritables références dans un monde ultra libéral. Dans un tel univers où l’efficacité se traduit dans la rapidité de décisions parfois terribles, le parcours de David, le frère de La Coach, apparaît comme le véritable martyre d’un drame social qui met en exergue toute l’inhumanité de l’entreprise.

     

    Avec une écriture à la fois précise et incisive, dénonçant, entre autre, l’individualisme exacerbé par la culture du moi et du coaching personnalisé, Nicolas Verdan met en situation une femme dynamique et charismatique sillonnant le pays à toute vitesse au volant de sa Mini Cooper ou en emprutant des trains express qui transitent dans des gares où fourmille une cohorte d’usagers pressés par le temps. De son espace et de son temps, dans ce pays où les noms des anciennes régies fédérales prennent des consonances anglo-saxonnes, l’auteur interpelle le lecteur au gré d’un récit peu ordinaire et terriblement lucide avec un fait divers terrible, résultant de ces pressions insupportables qui pèsent sur l’ensemble d’une population vivant au rythme d’une croissance effrénée et complètement débridée.

     

    Dans le paysage de la littérature Suisse romande, un roman noir tel que La Coach fait indéniablement figure d’exception en mettant en exergue, au travers du fait divers, les défaillances sociales d’un pays où la détresse et la solitude deviennent les pendants d’une société basée sur le résultat et le profit à n’importe quel prix, en laissant sur le carreau toutes celles et ceux qui ne supporteraient pas la pression d’un tel modèle social. Inquétant et clairvoyant, La Coach est un roman noir terrible, projetant un éclairage pertinent sur ce climat  cruel et impitoyable qui règne au sein de ces grandes régies d’état que l’on a désormais privatisées.

     

    Nicolas Verdan : La Coach. Editions BSN Press 2018.

    A lire en écoutant : My Life Is Going On de Cecilia Krull. Singles : La Casa De Papel. 2018 Atresmedia Mūsica S.L.U.

  • Daniel Abimi : La Saison Des Mouches. Nouvel ordre.

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    Service de presse.


    En 2009, il n'y a guère que Corinne Jaquet, Jean-Jacques Busino, Michel Bory et Marie-Christine Horn qui s'inscrivent dans le paysage de la littérature noire helvétique lorsque débarque Daniel Abimi chez Bernard Campiche Editeur qui publie Le Dernier Echangeur où apparait Michel Rod, journaliste localier arpentant les rues lausannoises tout comme son auteur qui a fréquenté les salles de rédaction de la capitale vaudois
    e ainsi qu'un grand nombre d'estaminets de la ville pour recueillir les confidences de ses interlocuteurs et rédiger les sujets de ses articles tout en consommant quelques boisson alcoolisées. C'est une époque où les collections polars ou romans noirs n'existent pas au sein des éditeurs romands, encore épargnés par la déferlante de récits ineptes à venir. On publie du polar l'air de rien, comme le fait d'ailleurs Bernard Campiche expliquant que les textes de Daniel Abimi ne sont pas des romans policiers car il sont trop bien écrits, suscitant indignation mais également intérêt de ma part. Il faut dire que le talentueux éditeur vaudois aussi chevronné que solitaire (sa marque de fabrique) sait de quoi il parle, puisqu'il a déjà publié les intrigues policières d'Anne Cunéo, ouvrages qui sont malheureusement épuisés. Avec plus de 30 ans d’expérience, en s’imposant ainsi comme un éditeur passionnée et expérimenté ayant publié les plus grand noms de la littérature romande dont le légendaire Jacques Chessex, Bernard Campiche vantait les indéniables qualités d’écriture de Daniel Abimi, tout en percevant, sans nul doute, les frémissements de la vague d’auteurs médiocres se profilant dans le registre de la littérature noire romande pour déferler sur les étals des librairies avec, au final, ce phénomène de saturation qui touche désormais le genre, ceci dans le secret espoir de reproduire le modèle commercial de leurs idoles que sont devenus Joël Dicker, Marc Voltenauer et autres écrivains du même acabit. Incontestablement, Daniel Abimi ne s’inscrit pas dans cette mouvance, privilégiant davantage l’écriture que la promotion, ce que l’on pourrait presque lui reprocher, ceci même s’il a rencontré un succès d’estime enthousiaste à la sortie de ce premier roman composant ce que l’on peut désormais désigner comme la trilogie lausannoise qui se poursuit avec Le Cadeau De Noël (Bernard Campiche Editeur 2012), pour s’achever, après onze ans d’attente, dans le fracas d’un roman policier magistral, La Saison Des Mouches, où l’on retrouve donc Michel Rod, désormais abstinent, ainsi que Mariani, chef de la brigade criminelle, qui soigne toujours son mal-être à coup d’antidépresseurs. 

     

    Après un voyage épique en Thaïlande, Michel Rod a cessé de boire et est de retour à Lausanne au sein de la rédaction d'un journal moribond où il conserve son emploi grâce à sa tante richissime détenant des parts de l'entreprise. En pleine période estivale et caniculaire, la ville est plutôt calme lorsqu'une tuerie se déroule dans un cinéma porno où un tireur solitaire fait un carnage avant de se donner la mort. Acte isolé ou projet terroriste d'envergure, c'est au commissaire Mariani, en charge de l'enquête de le déterminer. Bien vite, le policier tout comme le journaliste mettent à jour les réseaux nauséabonds d'un vieux négationniste néonazi pédophile ainsi qu'une inquiétante congrégation d'évangélistes fanatiques. C’est également autour de la personnalité du juge Sandoz, un éminent juge à la retraite, que les deux hommes vont prendre la mesure des événements tragiques qui vont les marquer à tout jamais tandis que leurs certitudes s’effondrent au sein d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.

     

    L'intrigue de La Saison Des Mouches s'inspire d'un fait divers qui s'est déroulé à Lausanne en 2002 et où un individu a ouvert le feu dans le cinéma porno Le Moderne en faisant deux morts et deux blessés. Mais c'est également en s'inspirant du parcours de Gaston-Armand Amaudruz, militant néonazi et négationniste lausannois notoire, que Daniel Abimi façonne son personnage de Georges Amaudruz en lui permettant d'aborder le thème de l'extrémisme de droite ainsi que les dérives du fanatisme religieux d'une congrégation chrétienne tout en évoquant le sujet de la pédophilie au gré d'une intrigue extrêmement sombre où l'on croise également des figures du nazisme telles que Paul Werner Hoppe, commandant d'un camp de concentration qui a trouvé refuge en Suisse après la guerre, en travaillant comme jardinier-paysagiste, de Jenny-Wanda Barkmann gardienne de camp condamnée à la pendaison et exécutée à Gdansk ainsi que Bruno Kittel un officier SS chargé de liquider le ghetto de Vilnius et qui disparut mystérieusement en 1945. C'est donc autour de ce fait divers et de ces personnalités historiques que Daniel Abimi bâtit une intrigue solide où le réalisme s'imbrique parfaitement dans la fiction qui prend l'allure d'un thriller rythmé au gré d'une succession d'attentats qui vont secouer cette ville de Lausanne  qu'il sait si bien dépeindre en évitant l'écueil du polar régional qui semble fleurir dans les librairies romandes. Il émane ainsi du texte, une atmosphère oppressante et crépusculaire où l'on arpente les bas-fond de la ville avant de se rendre dans les quartiers aisés pour côtoyer cette bourgeoisie locale que le juge Sandoz ainsi que Marie-Anne Barbier, la fameuse tante fortunée de Michel Rod dont on avait fait connaissance dans Le Cadeau De Noël, incarnent à la perfection. Cette justesse dans le ton et l'incarnation des personnages, on la retrouve bien évidemment chez Michel Rod et le commissaire Mariani, protagonistes centraux de la trilogie, évoluant dans leurs environnements professionnels respectifs sans jamais vraiment outrepasser les limites d'une amitié qui se désagrège au fil du temps, tout comme leurs certitudes vis à vis du milieu journalistique pour l'un et des institutions policières pour l'autre et dont l'auteur restitue les fonctionnements avec des accents criants de vérité. On observe ainsi cette fragilité qui imprègne ces deux héros en bout de course qui semblent constamment dépassés par les événements ce qui suscite cette sensation de malaise accentuée par la touffeur caniculaire de cette saison estivale qui résonne comme un glas sur une époque finissante et dont Daniel Abimi nous restitue ce sentiment de désarroi jusqu'aux dernières lignes d'un récit d'une incroyable maîtrise baignant dans un effroyable pessimisme qui vous foudroie implacablement. La quintessence de la littérature noire helvétique.

     


    Daniel Abimi : La Saison Des Mouches. Editions Bernard Campiche 2023.

    A lire en écoutant : Messe en Si Mineur de Jean-Sebastien Bach. Album : Michel Corboz, Ensemble Vocal de Lausanne, Ensemble instrumental de Lausanne. 2009 Mirare.

  • MISE AU POINT 2024

    IMG_1291.pngDepuis quelques années, on ne compte plus les rentrées littéraires. Il y a tout d'abord celle de l'automne bien évidemment, débutant désormais à la fin du mois d'août, mais également celle du printemps pour combler les lecteurs estivaux et puis celle du mois de janvier qui n'est pas en reste avec une cohorte assez impressionnante d'ouvrages ornant soudainement les étals des librairies comme pour célébrer la nouvelle année qui s'annonce. Comme pour conjurer cette frénésie, il est de bon aloi de se retourner quelques instants sur les lectures de l’année passée, sans pour autant se livrer à un classement ou à un bilan comptable, sans doute pour dissimuler le fait, que contrairement à certains instagrammeurs, je ne parviens pas à aligner 150 ouvrages par an avec autant de chroniques qui en découlent. La démarche consiste uniquement à se remémorer des romans qui disparaissent bien trop vite du paysage littéraire pour prolonger leur existence de quelques instants.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.09.40.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.10.29.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.11.11.pngCela devient presque un tradition que de débuter l’année avec les éditions Rivages qui ont inauguré un nouvelle collection Imaginaire avec Immobilité de l'iconique Brian Evenson qui nous entraine sur les routes apocalyptiques d’une terre dévastée tout en nous interrogeant sur des questions existentielles de notre devenir. Puis c’est DOA qui revient sur le devant de la scène avec Retiaire(s) (Série Noire) en nous confirmant tout le bien que l’on pensait  d’un auteur emblématique de la littérature noire. Et pour en savoir plus, il faut lire DOA, Rétablir Le Chaos chez Playlist Society déclinant au court d’un long entretien où cet auteur, cultivant une certaine discrétion, se livre au cours d’un long entretien conduit par Elise Lepine.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.14.45.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.15.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.16.45.pngOn poursuit avec Nettoyage A Sec (Rue de Sèvres) une bande dessinée à la sois sombre et sublime de Joris Mertens et Harlem Shuffle (Albin Michel) de Colson Whitehead qui se lance dans une fresque du quartier emblématique de New-York qui connaîtra une suite que l’on attend impatiemment. Un peu moins convaincu par Le Vol Du Boomerang (Au Diable Vauvert), récit d’aventure se déroulant en Australie sur fond d’incendies dévastateurs et de Covid19.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.20.34.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.21.33.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.23.24.pngSimone Buchholz revient avec Rue Mexico (Atalante/Fusion) nous entraînant, pour une troisième fois, dans le sillage de la détonante procureure Chastity Riley que l’on retrouve avec tout autant de plaisir. Puis survient une belle découverte avec Notre Dernière Part De Ciel (Rivages/Noir), un roman noir de Nicolàs Ferraro aux allures de western se déroulant dans les contrées reculées de l’Argentine avant de retrouver New-York et le quartier de Gravesend cher à William Boyle avec Eteindre La Lune (Gallmeister) nous entraînant dans une nouvelle histoire sombre sur fond de résilience et de vengeance.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.25.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.26.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.27.14.pngOn change de registre avec Jacky Schwartmann toujours aussi grinçant et (im)pertinent avec Shit ! (Seuil/Cadre noir) en arpentant l’environnement chaotique d'une banlieue de Besançon sur fond de trafic de haschich assez détonant. Puis cap sur l'Inde pour retrouver le capitaine Sam Wyndham quI tente de se débarrasser de son addiction à l’opium dans Le Soleil Rouge De L’Assam (Liana Levi) d’Abir Mukherjee. Autour d’un récit dystopique assez impressionnant, Jean-Christophe Tixier nous invite à découvrir les habitants d’un village qui doivent désormais composer avec La Ligne (Albin Michel) qui sépare l’agglomération.

     

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    Grand retour d’Antoine Chainas avec Bois-Aux-Renards (Gallimard/La Noire) demeurant un romancier à part que l’on avait déjà tant apprécié avec L’empire Des Chimères (Série Noire 2018), un ouvrage devenu culte.

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.32.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.33.22.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.36.02.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.34.22.png

    Les auteurs suisses ne sont pas en reste, tout d’abord avec Luca Brunoni qui débarque aux éditions Finitude en évoquant le placement des enfants orphelins dans des fermes de montagne dont on découvre la tragédie avec Les Silences (Finitude), traduit du suisse italien par Joseph Incardona qui nous propose également une réédition de Lonely Betty (Finitude), un de ses premiers romans, illustré par Thomas Ott. Et si l’on reste en Suisse, toujours dans le récit graphique, on ne manquera pas de mettre en avant Berne, Nid D’Espions (Antipodes) d’Eric Burnand et de Mathias Berthod. Encore un Suisse, Joachim B. Schmidt, mais qui s’est établi en Islande pour nous raconter l’extraordinaire parcours de Kalmann publié dans la collection La Noire chez Gallimard. Même s’ils sont plus difficile d’accès au-delà des frontières de la Suisse romande, il faut lire impérativement La Saison Des Mouches (Bernard Campiche Editeur) de Daniel Abimi ainsi que Sans Raison (BSN Press/OKAMA) de Marie-Christine Horn. Roman brutal et déjanté se déroulant entre Berne et Genève en passant par le Jura, on appréciera également Une Balle Dans Le Bide (Cousu Mouche) de Gérald Brizon. Il y a également Nicolas Verdan qui revient avec un second opus des enquêtes d’Evangelos Moutozouris parcourant la route des Balkans dans La Récolte Des Enfants (Atalante/Fusion). 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.37.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.39.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.38.20.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.40.24.png

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.49.05.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.49.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.51.26.pngFin de la panthèse helvétique pour se rendre au Portugal avec La Grande Pagode (Agullo) de Miguel Szymanski autour d'une seconde enquête financière menée tambour battant par le journaliste Marcelo Silva. Dennis Lehane signe son grand retour avec Le Silence (Gallmeister) qui confirme son immense talent d’auteur, même s’il avait pu nous décevoir avec quelques précédents ouvrages assez médiocres. Un Conte Parisien Violent (Atalante/Fusion) de Clément Milian figure parmi les bonnes surprises de l’année 2023 tout comme Ces Femmes-Là d’Ivy Pochada (Globe) et Pour Mourir, Le Monde (Agullo), extraordinaire récit d’aventure maritime de Yan Lespoux se déroulant au XVIIème siècle, sur fond de naufrages en nous entraînant du côté de Goa, de Bahia pour s’achever sur les plages sauvages du Médoc.

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.52.18.png

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.55.55.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.56.50.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.57.20.pngEt puis il y a les valeurs sûres qui reviennent pour notre plus grand bonheur comme Marin Ledun avec Free Queens (Série Noire), Valério Varesi avec Ce N’Est Qu’Un Début Commissaire Soneri (Agullo) et l’excellent Proies (Rivages/Noir) d’Andrée A. Michaud. Un des événements de l’année c’est également le retour d’Emily St. John Mandel qui nous livre un extraordinaire récit de science-fiction intitulé La Mer De La Tranquillité (Rivages) ainsi que Laurent Petitmangin qui s’empare également du thème de l’anticipation avec

  • NICOLAS FEUZ : L’OMBRE DU RENARD. L’IMPOSTURE.

    nicolas feuz,l'ombre du renard,éditions slatkine & cie« Tels sont surtout les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poètes. Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité, d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent. »

     

    Erasme ; Eloge de la Folie. 1509.

     

     

     

    Ce retour de lecture dévoile des éléments importants de l’intrigue.

     

     

    A n’en pas douter, Nicolas Feuz peut désormais revêtir son manteau de gloire, lui qui caracole en tête des ventes en Suisse romande en partageant cette consécration avec son camarade Marc Voltenauer, tout deux endossant ainsi dans la région le concept de l'écrivain 2.0 emprunté à Camilla Läckberg, Bernard Minier, Maxime Chattam, Franck Thilliez et autres auteurs à succès dont le marketing éprouvé devient un modèle du genre. Mais il en aura fallu du travail et des efforts pour parvenir à une telle consécration au rythme d’un agenda surchargé pour aller à la rencontre de ses lecteurs afin d’écouler sa marchandise en alternant des dédicaces dans les supermarchés, les librairies indépendantes, les chaînes de librairie, les kiosques à journaux et les salons de littérature noire où il se tient debout derrière des piles de livre en haranguant le passant tel un camelot de foire. Toutes les techniques de vente sont bonnes à prendre en occupant bien évidemment les réseaux sociaux où il peut s’afficher fièrement, bras croisés, à coté de son nouvel ouvrage en vente ou en alimentant l’actualité avec du matériel promotionnel, comme un roman policier pour jeunes adolescents ou une nouvelle fantastique, ce qui lui permet de poursuivre la promotion de son dernier opus, L’Ombre Du Renard paru à la fin de l’été. Succession de rencontres, séances interminables de dédicace, on aurait tort de croire qu’il s’agit là d’une corvée incontournable pour Nicolas Feuz qui confiait à une journaliste de la radio romande qu’il « kiffait » ce type d’activité. On décelait d’ailleurs dans la voix une certaine jubilation à l’idée d’étancher cette importante soif d’ego au gré des retours d’une horde de fans émerveillés. Ainsi Nicolas Feuz et Marc Voltenauer sillonnent désormais toute la Romandie en enquillant une impressionnante série de rencontres au rythme d’un agenda de ministre, ce qui explique d’ailleurs leur absence lors de la remise du prix du Polar romand 2019 pour lequel leurs derniers romans avaient été sélectionnés. Fuite des organisateurs ou constat lucide de la qualité de leurs œuvres respectives au regard de celles des autres concurrents en lice, sans doute ont-ils jugé qu’il n’était pas nécessaire de se déplacer pour regarder ce prix leur passer une nouvelle fois sous le nez et devoir applaudir le discret Frédéric Jaccaud récipiendaire de la récompense avec Glory Hole (Equinox - Les Arènes 2019), ceci au terme d’une sélection finale de qualité où figurait également Le Cri Du Lièvre (BSN Press 2019) de Marie-Christine Horn et L’Oracle Des Loups d’Olivier Beetschen (L'Âge d'Homme 2019). Mais au-delà de toutes ces activités promotionnelles, de ces classements et autres considérations mercantiles, de cette mise en scène de l’auteur posant avec son livre qu’en est-il de la créativité, du travail d’écriture et de la démarche artistique ? Pour Nicolas Feuz, il faut bien l’avouer, il s’agit là d’activités secondaires, presque d’un mal nécessaire pour atteindre les sphères de la notoriété dont il est si friand. Une tâche qu’il faut expédier au plus vite afin de répondre aux exigences commerciales en nous restituant des romans bâclés aux intrigues invraisemblables confinant parfois à l’absurde, ceci pour notre plus grand amusement à l’exemple de son dernier ouvrage, L’Ombre Du Renard, dont le récit tourne autour de la légende du trésor perdu du feldmarschall Rommel.

     

    Le 16 septembre 1943, alors que la Corse vit les dernières heures de l’occupation allemande, un convoi SS quitte précipitamment Bastia en emportant une étrange cargaison composée de six caisses contenant le trésor accumulé par Rommel au gré de ses campagnes militaires dans le nord de l’Afrique. Mais lors du transfert sur une barge, un chasseur américain bombarde l’embarcation qui coule à pic au large du Cap Corse. Les recherches restant vaines, l’histoire devient légende jusqu’à ce que l’on retrouve en 2018, du côté de Neuchâtel, à proximité du cadavre d’un bijoutier, un lingot d’or estampillé de la croix gammée dont la provenance ne laisse planer aucun doute. Il s’agit bien là d’une partie du trésor du Renard du Désert. Chargé de l’affaire, le procureur Norbert Jemsen, secondé de sa greffière Flavie Keller et de l’impétueuse inspectrice fédérale Tanja Stojkaj, va faire face à un groupuscule néo-nazi qui n’hésite pas à exécuter tous les individus qui se mettraient en travers de son chemin. S’enchaîne ainsi une succession de meurtres dont la piste sanglante mènera le trio suisse du côté d’un étrange monastère corse recelant bien des secrets. 

     

    Tout aussi condensé que Le Miroir Des Ames, premier roman de la série Jemsen, Nicolas Feuz obéit désormais aux critères commerciaux de sa maison d’éditions sans trop se soucier d’absurdes considérations artistiques. Avec 216 pages, l’ouvrage entre ainsi dans le moule afin de permettre à l’éditeur, qui a compris qu’il ne fallait pas miser sur un texte de qualité, de l’écouler plus facilement sur le marché des traductions ou, soyons fous, pour une éventuelle adaptation cinématographique. On souhaite d’ores et déjà bonne chance au scénariste chargé de l’adaptation. D’ailleurs, lorsqu’il parle de ses romans, Nicolas Feuz, qui ne lit quasiment pas, fait davantage référence au cinéma en évoquant notamment les films de James Bond, même si l’on pense plutôt aux adaptations d’OSS 117 de Michel Hazanavicius avec ce côté décalé, parfois absurde et ces intonations humoristiques qui ne sont pas forcément une volonté du romancier. Mais devant tant de complaisance au niveau de la violence et de vulgarité au niveau de certains échanges mieux vaut rire que pleurer. On appréciera donc ces tortures élaborées visant à émasculer les victimes (prologue) ou ces réparties recherchées à l'instar de cette tueuse psychopathe déclarant froidement : On va voir comme tu couineras quand je mettrai le feu à ta foufoune (chapitre 64). Pour le reste, on s'achemine sur le standard du thriller avec des phrases courtes qui ne sont pas toujours exemptes de quelques distorsions au niveau de la syntaxe que Nicolas Feuz adapte à sa guise.

     

    Ce conflit n’avait que trop duré et tué de soldats et de gens innocents (page 30).

     

    Son sang giclait noirâtre et par saccades entre ses doigts fripés (page 93).

     

    Au fond de la cuvette, il y avait le lac du Sanetsch, sa couleur glaciaire, et la station supérieure du téléphérique qui reliait le col à la vallée de Gstaad (page 192)

     

    Des yeux baladeurs :

    Les yeux de Beaussant quittèrent les jumelles et se focalisèrent sur l’écran de l’ordinateur portable posé à côté de lui (page 82).

     

    Ce constat sans appel après avoir découvert une victime émasculée, ligotée sur une chaise :

    À l’évidence, c’est un crime. Cet homme a été torturé à mort. Vous devriez ouvrir une information et me saisir du dossier (page 36). 

     

    De petites scories salutaires nous tirant de l'ennui d'un texte ponctué de formules toutes faites à l'instar des gerbes de sang qui giclent ou des rayons du soleil qui baigne les décors que l'auteur évoque tout au long de son intrigue. 

     

    Un peu comme lorsque l’on joue au jeu des sept erreurs, c’est bien au niveau des anomalies en terme de cohérence que l’on prend plaisir à lire un ouvrage de Nicolas Feuz qui ne nous déçoit jamais, ceci d’autant plus lorsqu’il affirme sérieusement que ses récits sont tirés de la réalité de sa profession de Procureur de la République comme il se plaît à le souligner régulièrement lors de ses entretiens avec les médias. Avec L’Ombre Du Renard, tout débute relativement normalement avec un thème intéressant issu de l’histoire de la seconde guerre mondiale jusqu’à ce que l’on arrive en Corse où tout part en vrille. Il y a tout d’abord Beaussant, ce gendarme, certes borderline, qui exécute froidement une tueuse à l’aéroport de Bastia avant de planquer le corps dans le coffre de sa voiture, ceci devant le procureur Jemsen et sa greffière qui ne semblent pas plus perturbés que ça. On se demande même, au terme du récit, ce qu’il est advenu du corps. Puis survient cette scène complètement absurde du tournage de film virant au massacre et dont on découvre les sombres desseins qui ne font que souligner l’indigence d’un plan qui n’a rien de machiavélique et dont on se demande encore comment il a pu fonctionner, hormis si l’on peut compter sur la bêtise crasse des protagonistes, ce qui n’est pas totalement exclu. D’ailleurs il faut bien s’interroger sur la pertinence des choix du gendarme Beaussant qui a cru bon de dissimuler le trésor dans une ancienne mine d’amiante, dont tout le monde connaît les dangers, et qui est désormais atteint d’un cancer incurable. Bien moins spectaculaires que celles relevées dans Le Miroir Des Ames (Slatkine & Cie 2018), Eunoto (The BookEdition 2017) ou Horrora Borealis (The BookEdition 2016), on décèle tout de même un lot  d’invraisemblances soutenues au gré d’un récit alambiqué où par ailleurs l’auteur peine toujours à développer le profil de son personnage central qui reste bien trop en retrait et dont on essaie encore de discerner les motivations qui le poussent à endosser son rôle de magistrat. Il faut dire qu’avec un récit aussi bref, Nicolas Feuz ne parvient pas à trouver l’équilibre entre digressions inutiles comme les considérations sur l’état de la presse romande ou la fiche technique d’un ancien site d’extraction d’amiante et le fil d’une intrigue décousue manquant singulièrement de tenue.

     

     

    Ainsi, en bon commercial qu’il est devenu, Nicolas Feuz répond donc aux attentes d’une maison d’éditions aux concepts éditoriaux formatés dans le domaine du thriller avec pour ambition d’atteindre des objectifs de vente plus conséquents et de plaire au plus grand nombre de lecteurs possible car l'auteur ressemble furieusement à Prosper Bouillon, hilarant personnage d’Eric Chevillard qui évoque les dérives du monde littéraire.

     

    « Prosper Bouillon n’écrit pas pour lui. Il ne pense qu’à son lecteur, il pense à lui obsessionnellement, avec passion, à chaque nouveau livre inventer la torture nouvelle qui obligera ce rat cupide à cracher ses vingt euros. »

  • JAMES ELLROY : PERFIDIA. LA CINQUIEME COLONNE.

    Capture d’écran 2015-05-26 à 14.16.22.pngDésormais pour lire l’œuvre d’Ellroy, il faut prendre la peine de se débarrasser de l’emballage outrancier que l’écrivain déploie depuis un certain temps pour la promotion de ses romans. Une composition flamboyante, faite d’excès et de provocations, aussi criarde et consternante que les chemises hawaïennes dont il s’affuble. Il faut se souvenir de l’aura mystérieuse qui entourait l’auteur à l’époque où paraissait le fameux Dahlia Noir roman fondateur du premier quatuor de Los Angeles. Dans un paysage médiatique plus austère, dépourvu de web et de portables, l’emballement littéraire se concentrait principalement sur l’œuvre au détriment de l’auteur que l’on considérait comme une espèce de monstre raciste et fasciste au fur et à mesure de sa notoriété grandissante. Perfidia doit donc être abordé comme Le Dahlia Noir, en dehors du tumulte des interviews superficielles que l’on nous assène depuis quelques semaines et qui ressassent les mêmes assertions que l’auteur s’amuse à mettre en valeur dans un show parfois grotesque. Car que pourrait dire Ellroy de plus qui ne figure pas dans ses romans ? Encore faudrait-il que certains chroniqueurs qui l’abordent aient au moins pris le temps de lire ses romans ce qui est loin d’être garanti. Un selfie, une dédicace et un bon mot, c’est désormais tout ce qu’il faut pour certains d’entre eux. Et Ellroy, plus que tout autre s’en amuse en faisant sa tournée promotionnelle.

     

    C’est à la veille de Pearl Harbour que l’on découvre dans leur villa de Los Angeles, les quatre cadavres de la famille Watanabe, sauvagement assassinés à coups de poignards dans ce qui ressemble vaguement à un scène du rituel seppuku. Le sergent Dudley Smith du LAPD est chargé de l’enquête avec la recommandation expresse de faire en sorte que le coupable soit japonais car le pays, sur le point d’entrer en guerre, est désormais en proie à une hystérie collective sans précédent. La communauté américaine d’origine japonaise en est la première victime en subissant une série de rafles aussi massives qu’abusives en vue d’une déportation vers des camps d’internement. Dans ce contexte de manipulation et de paranoïa, le criminologue Hideo Ashida va tenter de ramener la vérité au premier plan tout en éprouvant des sentiments troubles à l’égard du machiavélique sergent. L’enquête est supervisée par le  capitaine Parker, jeune officier de police ambitieux, aussi croyant qu’alcoolique, d’avantage préoccupé par la menace communiste. Afin d’infiltrer les milieux bourgeois à tendance gauchiste, il fera appel à la sulfureuse Kay Lake, brillante jeune femme qui entretient une relation complexe avec le détective Lee Blanchard. Ce quatuor trouble va se mouvoir au cœur d’une troublante machination où la trahison et la compromission semblent être les règles majeures permettant de survivre dans le marigot sordide de cette cité corrompue.

     

    Avec Perfidia, James Ellroy rassemble les personnages qui ont hanté les romans du quatuor de Los Angeles et de la trilogie Underworld USA afin d’entamer une seconde tétralogie se situant à nouveau à Los Angeles, mais durant la période de la seconde guerre mondiale. Une espèce de préquel destiné à faire le lien avec les évènements relatés dans Le Dahlia Noir. Je laisserai à d’autre le soin de compter le nombre de pages ou de dénombrer la myriade de personnages que le roman contient. Ce qui importe c’est que l’écriture aux phrases concises et incisives est toujours bien présente, mais que l’on dénote, en plus, une certaine fluidité qui n’est pas du tout coutumière chez un auteur comme James Ellroy. Cela provient probablement du fait que l’auteur a choisi, pour la première fois, une narration en temps réel, sur une durée précise égrenant chaque journée située entre le 6 et le 29 décembre 1941. Avec cette rapidité dans le déroulement de l’histoire, on perçoit ainsi l’atmosphère frénétique qui émane de chacune des pages du livre. Car outre l’aspect journalier, le fil de l’histoire s’égrène au rythme des points de vue des quatre personnages principaux que sont Dudley Smith, Hideo Ashida, William Parker et Kay Lake. De cette manière, l’auteur nous entraine au cœur d’un maelstrom de rage, de haine et de turpitude beaucoup plus intense que ce que l’on avait l’habitude de lire notamment dans le premier quatuor de Los Angeles. Les intrigues et sous intrigues s’entremêlent dans une confusion savante que l’auteur maîtrise avec le talent qui lui est coutumier. Sur fond d’émeutes raciales, de cinquième colonne perfide,  d’enquêtes sabordées et de trahisons en tout genre, le tout dilué dans une crainte de bombardements destructeurs et d’invasions imminentes, vous allez découvrir une ville de Los Angeles détonante où les personnages les plus abjects monnaient déjà l’expulsion, l’expropriation et même l’internement des ressortissants américains d’origine japonaise. Car même s’il ne l’aborde pas de manière frontale, c’est ce pan méconnu  et peu reluisant de l’histoire américaine que l’auteur évoque tout au long du récit (Outre Ellroy, Alan Parker avec son film Bienvenue au Paradis et David Gustavson  avec son livre La Neige Tombait sur les Cèdres sont, à ma connaissance, les rares auteurs à relater ces tristes évènements). Avec ces déportations, ces internements et ces projets d’eugénisme que l’auteur expose par l’entremise d’hommes de loi, de médecins et de promoteurs véreux on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les desseins funestes du régime nazi, même si les conséquences n’ont pas été aussi tragiques.

     

    james ellroy,perfidia,rivages thriller,parker,dudley smith,kay lake,japon,little tokyo,los angelesSi Ellroy a pour habitude d’inclure dans ses romans des personnages réels, c’est la première fois qu’il met en scène l’un d’entre eux, parmi les protagonistes principaux. C’est ainsi qu’il romance la vie de William Parker, l’un des plus célèbres directeurs du LAPD dont le quartier général porte, aujourd’hui encore, son nom. Comme bon nombre de ses héros, Ellroy dresse un portrait sombre et ambivalent d’un homme d’une grande intelligence et d’une clairvoyance extrême le contraignant, presque à son corps défendant, à mettre en place de sombres machinations afin de satisfaire sa soif d’ambition que l’alcool n'arrive pas à étancher. Un personnage torturé qui ne parvient pas à s’aimer tout comme son alter égo féminin, Kay Lake.

     

    Avec Perfidia, on ne peut s’empêcher de frissonner à l’idée de recroiser le destin de l’un des personnages les plus emblématiques de l’œuvre d’Ellroy à savoir le sergent Dudley Smith. On retrouve un flic plus jeune, mais tout aussi dangereux et violent qui effectue avec son équipe les basses œuvres du LAPD pour le compte de cadres corrompus. Séduisant, machiavélique, on décèle chez cet homme quelques fêlures qui rendent le monstre plus présentable. En évoquant certains pans de sa jeunesse en Irlande, on peut deviner l’origine du mal qui a façonné un personnage qui recèle encore quelques brides d’humanité.

     

    Le principal défaut de Perfidia est qu’il s’agit d’un préquel et que, de ce fait, le lecteur connaît déjà la destinée de la plupart des personnages qui hantent cette histoire ce qui dessert parfois la tension narrative de certaines péripéties du roman. D’autre part, on peine à comprendre le sens de l’apparition d’Elisabeth Short accompagnée de son véritable géniteur, dont je tairai l’identité afin de vous en laisser la surprise. Néanmoins cette surprise s’avère plutôt embarrassante. En effet, il est difficile désormais de croire que ce personnage soit absent du fameux roman Le Dahlia Noir. Le fait de découvrir le point de vue de Kay Lake sous la forme d’un journal consigné au musée du LAPD reste également très déconcertant et peu crédible dans la forme où il est rédigé. Là aussi on peine à comprendre l’utilité d’un tel style de narration. Il faudra peut-être attendre la suite de cette tétralogie pour entrevoir le sens de ce qui apparaît à ce jour comme des défauts mineurs.

     

    Parce qu’il ne faut pas se leurrer, Perfidia considéré par l’auteur lui-même comme son meilleur roman prouve sans l’ombre d’un doute qu’Ellroy reste l’immense écrivain qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé d’être n’en déplaise à ses détracteurs. Perfidia c’est un livre d’une force brute dégageant une telle intensité dramatique qu’il mettra à terre le plus blasé des lecteurs. Un véritable KO littéraire.

     

    James Ellroy : Perdifia. Editions Rivages/Thriller 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Sayonara Blues de The Bronx Horns. Album : Silver in the Horns. Savoy Jazz 1998.

     

  • KENT WASCOM : LES NOUVEAUX HERITIERS. TABLEAUX OUBLIES.

    éditions gallmeister, les nouveaux héritiers, Kent wacsomJe ne saurais dire quelles spécificités permettraient de faire en sorte qu’un roman puisse être qualifié comme un chef—d’oeuvre mais je pense que Le Sang Des Cieux de Kent Wascom, publié en français en 2014 par la maison d’éditions Christian Bourgeois, fait partie de ces ouvrages se rapprochant le plus d’une telle définition avec cette saga de la famille Woolsack évoluant au gré des événements qui ont marqué les Etats-Unis, et plus particulièrement la période chaotique de la cession de la Louisiane en 1803 par les français qui vendirent ainsi un territoire immense qui n’a rien à voir avec la superficie de l’état actuel. On regrettera le fait que Secessia, seconde partie de cette saga se déroulant durant la période de la guerre de Sécession n’ait, pour l’heure, pas fait l’objet d’une traduction en français. Troisième volet de cette fresque historique, Les Nouveaux Héritiers se focalise sur la période se situant autour de la première guerre mondiale résonnant comme un écho autour du couple que forme Isaac Patterson et Kemper Woolsack, deux jeunes gens au tempérament bouillonnant.

     

    Eté 1914. En quête de sujets pour sa peinture, Isaac Patterson navigue autour des îles du Golfe du Mexique au large de Biloxi tout en pêchant ou en esquissant quelques dessins. Sur la plage de Deer Island, il distingue un jeune femme à l’attitude farouche qui tire à l’arc sur un fauteuil en osier. Il reconnait Kemper Woolsack qu’il a connue lorsqu’ils étaient enfants à une époque où la fillette lançait des coquillages sur tous les intrus qui s’aventuraient sur l’île. Les deux jeunes gens ne tardent pas à tomber amoureux. Mais Kemper doit constamment faire face aux tensions qui ravagent les relations entre ses deux frères Angel qui dissimule un lourd secret et Red qui est incapable de canaliser la violence qui gronde dans ses veines comme un volcan au bord de l’éruption. Afin d’échapper à ces tensions, Kemper et Isaac décident de s’éloigner du fracas des disputes incessantes pour s’installer dans un maison nichée non loin de la côte idyllique du Golfe. Mais bien plus violent que les disputes familiales, bien plus intense que les tempête qui ravagent la région, il y a le fracas de cette guerre, que l'on dit être la dernière, qui va briser leur fragile bonheur.  

     

    Il y a tout d’abord cette écriture tonitruante, ce foisonnement des mots qui se déclinent en de longues phrases bouillonnantes restituant couleurs et sentiments qui caractérisent ce texte intense, aux entournures baroques, tourbillonnant furieusement autour de la destinée d’Isaac et de Kemper, mais également autour de celle de ses frères Angel et Red, membre de cette famille Woolsack qui n’en a pas terminé avec cette violence et cette fureur qui semblent rejaillir sur cette descendance. Mais Les Nouveaux Héritiers se focalisent principalement sur Isaac Patterson dont la vie et l’oeuvre s’inspirent du peintre Walter Inglis Anderson qui se distingue avec des peintures pleines de vie et de couleurs restituant la faune et la flore du Golfe du Mexique. A l’image du peintre, Kent Wascom décline sa palette de mots pour dépeindre la grandeur et la puissance de cette région ravagée par les tempêtes mais également par la folie des hommes qui semble bien insignifiante par rapport au forces immuables qui ont façonnés les lieux depuis des temps immémoriaux. C’est ce rapport à la nature que Kent Wascom parvient à restituer avec ce jeune garçon inspiré par ce décor luxuriant qui l’entoure et qui l’exalte. De son enfance chaotique au sein d’une communauté religieuse imprégnée de croyances apocalyptiques au séjour en prison comme objecteur de conscience refusant de s’enrôler pour une guerre qui l’indiffère, on suit donc le parcours d’Isaac Patterson qui va croiser les membres de la famille Woolsack dont on découvre quelques soubresauts de leurs destins qui sont à peine esquissés à l’instar d’Angel, ce fils renié pour ses amours coupables avec d’autres hommes et qui trouve refuge en Amérique du Sud avant de revenir au pays. Pour ce qui est de l'intensité, on la retrouve bien évidemment chez Kemper Woolsack, cette femme qui se distingue par la force de son caractère lui permettant de faire face à son frère Red, homme sournois et violent, souhaitant s'emparer de l'ensemble de la fortune de leur père défunt. Tout cela nous donne un tableau riche et foisonnant qui déborde du cadre en nous entrainant dans les méandres d'une époque incertaine tandis que sévit la pandémie de la grippe espagnole qui ravage la région.

     

    Texte à la fois intense et exaltant, Les Nouveaux Héritiers confirme le talent d’un auteur dont la force de l’écriture transcende littéralement ce roman aux connotations historiques qui se diluent dans la beauté d’une région spectaculaire se déclinant dans les descriptifs somptueux d’un récit qui l’est tout autant.

     

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                              Horn Island Oil on Plywood
                              Walter Anderson

     

    Kent Wascom : Les Nouveaux Héritiers (The New Inheritors). Editions Gallmeister 2019. Traduit de l’anglais (USA) par Eric Chédaille.

     

    A lire en écoutant : Every Bird That Flies de Larkin Poe. Album : Self Made Man. 2020 Tricki-Woo Records.