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LES AUTEURS - Page 57

  • Magdalena Parys : Le Magicien. Tout disparaît.

    magdalena parys, le magicien, éditions agulloService de presse.

    Interroger l’histoire pour en retracer les contours sous la forme d’un roman noir afin de nous permettre d’appréhender, à hauteur d’homme, la perception que l’on peut avoir des événements historiques qui ont marqué un pays tout en aiguisant notre curiosité. Interroger l’histoire, c’est également l’occasion de faire en sorte de se remémorer les scories d’époques révolues qui paraissent si lointaines à un point tel qu’on en oublie les enseignements que l’on a pu en tirer à l’instar de ce mur de Berlin dont l’effondrement survenu il y a de cela presque trente ans, fait cruellement écho à cette velléité d’en ériger un nouveau, dans une autre contrée du monde. Des raisons idéologiques d’autrefois aux préoccupations économiques d’aujourd’hui, rien ne change puisque les victimes tentant de franchir cet obstacle sont sacrifiées au nom de volontés politiques complètement absurdes comme l’a évoqué Magdalena Parys avec 188 Mètres Sous Berlin (Agullo 2017) en mettant en lumière les enjeux stratégiques et les manipulations des différents services secrets des deux blocs séparant le monde et plus particulièrement l’Europe. Mais il n’existe pas de mur sans gardien et Magdalena Parys consacre son second roman, intitulé Le Magicien, aux opérations secrètes misent en place par les membres de la police politique de la Stasi contribuant au bon fonctionnement de la surveillance du rideau de fer avec pour conséquence l‘incarcération ou la disparition pure et simple de plusieurs milliers de citoyens tentant de fuir le régime communiste.

     

    En 2011, du côté Sofia, personne ne connaît les circonstances exactes de l’assassinat de Gerhard Samuel, photoreporter, qui enquêtait sur un ami disparu en 1980 à la frontière bulgare. Peut-être s’agit-il des mêmes personnes qui ne souhaitent pas que l’on fasse la lumière sur l’exécution des frères Seidel essayant de fuir le régime communiste de l’époque. Leur père, Burkhard Seidel en est persuadé, car depuis la mort de ses enfant, il n’a eu cesse de vouloir traduire les commanditaires politiques en justice en récoltant une impressionnante masse de documents et de photographies qui alimentent désormais son musée à la mémoire des victimes disparues en tentant de fuir les pays du bloc de l’est. Plus inquiétant encore, le corps de son principal pourvoyeur, Frank Derbach, est retrouvé sauvagement mutilé dans un immeuble abandonné à Berlin. Arrivé sur place, le commissaire Kowalski est rapidement écarté de cette enquête jugée bien trop sensible. Néanmoins, le policier tenace va poursuivre ses investigations en comptant sur l’aide de la belle fille de Gerhard, une journaliste désireuse de faire toute la lumière sur des événements douloureux de son passé. Ancien haut gradé de la Stasi et désormais politicien bien en vue, Christian Schlangenberger est également inquiet depuis qu’un expéditeur anonyme lui fait parvenir des photos où on le voit exécuter un opposant politique dans le cadre de l’opération secrète « Le Magicien » visant à éliminer les dissidents du régime communiste.

     

    Vengeance et culpabilité, sur fond de chantages et d’intimidations, animent l’ensemble des personnages de cet impressionnant roman où la réalité des opérations secrètes de la Stasi s’entremêle à la fiction d’une intrigue policière plus surprenante qu’il n’y paraît. Car en dépit des apparences, le terrible meurtre de Frank Derbach va révéler en toute fin de récit d’autres éléments permettant d’entrevoir tout un pan de la pâle humanité de personnages finalement bien plus vulnérables qu’on ne le croit. Extrêmement fouillée et extrêmement dense l’étude de caractère des différents protagonistes permet également de distinguer les péripéties des événements historiques qui ont marqué les différentes nations évoquées, que ce soit l’Allemagne bien sûr, et plus particulièrement Berlin, mais également la Pologne avec les révoltes ouvrières de Solidarność et la Bulgarie dans une moindre de mesure, théâtre d’un grand nombre d’exécutions de dissidents. C’est donc sur cette trame habile que Magdalena Parys tisse une intrigue solide imprégnée d’un fond historique passionnant quant à son impact sur la kyrielle de personnages animant ce roman politique au sens littéral du terme, qui ne manquera pas d’interpeller le lecteur. On prendra également plaisir à superposer le parcours de l’auteure sur quelques uns des protagonistes du roman à l’instar de Dragiwa, journaliste polonaise résidant à Berlin tout comme Magdalena Parys ce qui confère au récit une sensation de réalisme encore bien plus bouleversant.

     

    Mais outre l’intrigue et les personnages, on appréciera également l’atmosphère singulière émanant de ce roman complexe nous permettant de découvrir quelques lieux insolites et méconnus d’une ville de Berlin qui va se révéler toute aussi envoûtante que les protagonistes qui traversent le récit. Un immeuble décati du quartier populaire de Neukölln, squatté par la communauté Rom, abrite une scène de crime sordide tandis que l’appartement luxueux de la maîtresse de Christian Schlangenberger donne sur l’élégante Gendarmenplatz. L’opulent quartier de Zehlendorf abrite le somptueux restaurant Hertz situé au bord du lac Wannsee non loin de la villa du peintre Max Lieberman et de la villa Marlier où se déroula la conférence de Wannsee portant sur les modalités de la solution finale. Pourtant, loin d’être une espèce de catalogue touristique, ces lieux chargés d’histoire deviennent les décors pertinents de cette histoire alambiquée et originale à la fois, empruntant quelques tonalités mélancoliques en adoptant un rythme paisible qui pourra déconcerter les lecteurs en quête de récits trépidants.

     

    Diatribe politique imprégnée d’une intrigue policière employant quelques éléments propres aux romans d’espionnage, Le Magicien est un roman détonant qui s’emploie à dénoncer les exactions d’une effrayante institution policière dissoute en 1990 sans que leurs membres éminents ne soient réellement inquiétés puisque bon nombre d’entre eux détiennent, aujourd’hui encore, des responsabilités importantes au sein de l’appareil étatique allemand. Pertinent et édifiant.

     

    Magdalena Parys : Le Magicien (Magik). Editions Agullo 2019. Traduit du polonais par Magot Carlier et Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Debussy & Ravel : String Quartets interprétés par le Orlando Quartet. 1983 Universal International Music. B.V.

     

  • ANDREE A. MICHAUD : RIVIERE TREMBLANTE. CEUX QUI RESTENT.

    andrée a michaud, rivière tremblante, éditions rivagesMême s’il ne fait aucun doute que le talent est au rendez-vous, il faut également prendre en compte la notion d’expérience et de travail pour expliquer cette sensation d’envoûtement émanant d’un ouvrage comme Bondrée (Rivages/Noir 2016) qui a suscité un bel enthousiasme auprès des nombreux lecteurs qui se sont lancés, ou plutôt immergés dans l’univers littéraire somptueux d’Andrée A. Michaud qu’il convient de découvrir impérativement. Afin d’avoir une meilleure vue d’ensemble de l’œuvre de cette auteure québécoise et connaître la dizaine de romans noirs ou policiers qu’elle compte à son actif,
    les éditions Rivages ont édité Lazy Bird (Rivages/Noir 2018) et Rivière Tremblante faisant l’objet d’une parution en grand format. Parce qu’il y a la forêt en toile de fond, parce qu’il y est question de disparitions, Rivière Tremblante, rédigé  deux ans avant Bondrée, présente quelques thématiques similaires, quand bien même la façon de les évoquer demeure résolument différente.

     

    A Rivière-aux-Trembles, nul ne sait ce qu’il est advenu de Michael Saint-Pierre, âgé de douze ans, qui a soudainement disparu un après-midi d’été en 1979 alors qu’il jouait dans la forêt avec sa camarade Marnie Duchamp. Hormis une chaussure de sport, découverte bien loin des lieux de la disparition, les recherches ne donnent aucun résultat, comme si la forêt avait absorbé le jeune garçon. Dans une localité voisine, trente ans plus tard, c’est au tour de Bill Richard de s’interroger sur la disparition de sa fille Billie qui venait de fêter son neuvième anniversaire. Aucune trace, aucune explication. La petite fille s’est littéralement volatilisée. Même si les circonstances sont différentes, il y a ce même traumatisme, ces mêmes questions sans réponse et cette même résignation chimérique qui ronge l’âme. Pour surmonter cette épreuve, chacun emprunte une trajectoire différente, mais la convergence des destins fait que Marnie et Bill se retrouvent à nouveau à Rivière-aux-Trembles, au moment même où l’on s’inquiète de la disparition du jeune Michael Faber.

     


    andrée a michaud,rivière tremblante,éditions rivagesAvec Rivière Tremblante on se retrouve rapidement happé par ce déferlement de mots, ce torrent de phrases généreuses enrobant un récit qui se décline sous une forme narrative afin d’appréhender en alternance les ressentis de Marnie et de Bill qui donnent leurs noms à la succession de chapitres rythmant l’intrigue d’où émane cette sensation d’envoûtement qui nous absorbe complètement mais qui pourra dérouter certains lecteurs en quête de récits trépidants ou de rebondissements singuliers. Bien au fait des codes du polar, Andrée A. Michaud ne compte pas livrer toutes les explications à cet ensemble de disparitions qui émaillent le roman, bien au contraire puisque justement elle s’emploie à mettre en scène la difficulté de surmonter une épreuve telle que la disparition d’un proche sans que l’entourage puisse être en mesure d’en comprendre les tenants et les aboutissants. C’est sur cette palette de sentiments d’impuissance, de désarrois et de culpabilité que l’auteure déploie tout son talent en saisissant pleinement l’impact de ce vide qui plonge l’âme de ses personnages au cœur de l’abîme. L’enjeu du récit réside donc plus dans la manière dont les deux protagonistes vont surmonter les épreuves auxquels ils doivent faire face plutôt que dans les investigations concernant la disparition du jeune Michael Faber qui ravive les tensions au sein de la communauté de Rivière-aux-Trembles.

     

    Assurément, Rivière Tremblante est un roman d’atmosphère où la forêt devient une espèce d’entité mystérieuse saisissant la destinée de l’ensemble des personnages évoluant dans un contexte à la fois réaliste et poétique avec l’évocation d’une nature  ensorcelante et inquiétante au cœur de laquelle, Andrée A. Michaud distille une intrigue prenante, chargée d’une force émotionnelle absolument bouleversante. Une belle réussite pour ce roman exigeant qui se mérite en confirmant le talent d’une grande romancière de la littérature noire.

     

    Andrée A. Michaud : Rivière Tremblante. Editions Rivages/Noir 2018.

    A lire en écoutant : Don’t Leave Me Now de Supertramp. Album : Famous Last Words.

  • Franck Bouysse : Né D’aucune Femme. La raison d’être.

    Capture d’écran 2019-01-28 à 22.57.59.pngService de presse.

    Sur une déclinaison des quatre saisons, Franck Bouysse entamait un cycle avec Grossir Le Ciel (La Manufacture de livres 2014) où l’on découvrait deux vieux paysans reclus dans un hameau isolé par les rigueurs de l’hiver, tandis que Plateau (La Manufacture de livres 2016) prenait pour cadre une vallée perdue baignant dans une atmosphère automnale alors que Glaise (La Manufacture de livres 2017) se déroulait dans un contexte estival imprégné des tourments de la première guerre mondiale résonnant dans le lointain. Pour achever ce cycle des quatre saisons, il fallait donc un roman aux accents printaniers afin que l’auteur puisse donner la pleine mesure de ses talents de conteur pour incarner cette période de renouveau où la maternité et la naissance prennent la forme d’une intrigue romanesque aux consonances tragiques. Parce qu’il y a toujours la promesse d’un texte richement travaillé au service d’une intrigue forte, les romans de Franck Bouysse sont désormais précédés d’une réputation parfois outrancière comme c’est le cas avec Né D’aucune Femme présenté comme le roman de l’année alors que celle-ci est à peine entamée. Mais s’il est question d’outrance, il faut bien admettre que l’ouvrage suscite une indiscutable émotion en découvrant sous une forme narrative, nouvel exercice pour l’auteur, le terrible destin d’une jeune femme subissant les avanies d’un entourage cruel.

     

    Au crépuscule de sa vie, Gabriel, un curé de campagne tourmenté, se remémore ces cahiers découverts dans les replis de la robe d’une défunte qu’il devait inhumer. Il se souvient de la parole de Rose, couchée sur le papier. Une destinée tragique débutant sur les marchés où l’on peut vendre bêtes et autres victuailles, mais où il arrive parfois que l’on y cède sa propre fille afin de s’extirper de la misère, comme l’a fait Onésime en marchandant, son aînée qui se retrouve aux prises avec le maître du Domaine des Forges. Ainsi livrée à la cruauté d’un homme odieux, Rose devient l’enjeu d’un leurre abject destiné à couvrir l’abominable convoitise d’une famille sans scrupule. Une succession de drames innommables où le courage d’une fille perdue résonne dans le vide en se répercutant contre la muraille de silence et de résignation érigée par un entourage écrasé par la lâcheté et la soumission que leur impose leur condition.

     

    Un curé de campagne troublé, une jeune fille subissant les pires outrages, on retrouve avec Né D’aucune Femme quelques personnages qui ont hanté l’œuvre de Bernanos auquel on a prêté une certaine influence imprégnant les romans de Franck Bouysse et plus particulièrement ce dernier opus se déroulant durant une période imprécise que l’on situera au terme du 19èmesiècle ou à l’orée du 20èmesiècle. Ainsi les réminiscences du curé d’Ambricourt ou de Mouchette planent donc sur ce roman au souffle romanesque se conjuguant à la noirceur d’une intrigue qui bascule vers une atmosphère gothique imprégnant l’ensemble d’un texte terrible et poignant qui ne manquera pas de bouleverser le lecteur. Comme une pièce centrale, le roman s’articule autour du journal de Rose se déclinant sous une forme narrative en nous immergeant dans le sillage de son calvaire. Avec une langue à la fois spontanée et sincère mettant en exergue les infamies dont elle est victime, on ne peut rester insensible au texte de cette jeune fille dont on perçoit toute la force et le courage. Complétant la perception tronquée de Rose, on découvre les points de vue de son père Onésime, de « Elle » désignant sa mère, du régisseur du Domaine des Forges prénommé Edmond et bien évidemment du curé Gabriel qui introduit et conclut ce récit ample, aux entournures parfois extrêmement convenues mais recelant tout de même quelques rebondissements surprenants. Dans cette série de portraits, c’est bien évidemment la bravoure de ces femmes meurtries que l’auteur met en évidence au regard de la veulerie des hommes qui les entoure. Tout au long de cet obscur conte gothique où le méchant seigneur règne sur un sombre domaine isolé et où la raison d’une jeune fille vacille à l’ombre des murs d’un monastère converti en hôpital psychiatrique, il est donc essentiellement question de conditions sociales, celles régissant les rapports entre hommes et femmes mais également celles qui asservissent l’individu en fonction de sa condition.

     

    Et puis, comme à l’accoutumée avec les textes de Franck Bouysse, il y a ce rendez-vous avec une langue riche et généreuse qui habille les décors et enrobe les personnages d’une subtile et délicate dentelle composée de mots et de phrases magnifiant un texte équilibré emprunt d’une force émotionnelle peu commune. Ainsi Né D’aucune Femme marque l’achèvement d’un cycle des saisons avec un récit intimiste obéissant aux sombres mécanismes d’une tragédie intemporelle véhiculant un déferlement de sensations et de sentiments qui ne manqueront pas de saisir le lecteur jusqu’au bouleversement final.

     

    Franck Bouysse : Né D’aucune Femme. Editions La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : La Cathédrale Engloutie de Ravel. Album : Arthur Rubinstein At Carnegie Hall. 2012 Marathon Media International Ltd.

     

     

  • KENT ANDERSON : UN SOLEIL SANS ESPOIR. CHEVALIER URBAIN.

    kent anderson, un soleil sans espoir, éditions Calmann-LévySi l’on me demandait de citer une préférence parmi tous les policiers qui se sont lancés dans l’écriture, je mentionnerais sans hésiter Kent Anderson, un auteur peu prolifique qui, après une vingtaine d’années de silence, fait son retour en nous proposant, avec Un Soleil Sans Espoir, un roman où l’on retrouve Hanson, double de papier de l’auteur. Intrinsèquement lié au parcours de Kent Anderson, on rencontre Hanson dans Sympathy For The Devil (Gallimard 1993), un brûlot virulent retraçant l’expérience hallucinante d’un membre des forces spéciales engagé au Vietnam dans ce qui apparaît désormais, ni plus ni moins, comme l’ouvrage de référence pour tout ce qui a trait à cette période de conflit qui a ravagé le cœur de toute une génération de soldats embarqués dans les tréfonds d’un enfer meurtrier au cœur du sud-est asiatique. L’adrénaline de la violence, l’antagonisme avec la hiérarchie, on retrouve ces sensations et ces thématiques avec Chiens De La Nuit (Calmann-Levy 1998) où Hanson revient dans un récit relatant la période durant laquelle l’auteur, après sa démobilisation, a travaillé pour les forces de police de Portland (Oregon) en tant qu’agent en uniforme patrouillant à North Precinct, un quartier défavorisé de la ville. Une remarquable mise en perspective des difficultés inhérentes au travail d’un flic de rue confronté à une inextricable misère sociale que l’auteur dépeint avec une authenticité bouleversante.  Autre lieu, mais même contexte professionnel, Un Soleil Sans Espoir permet donc à l’auteur de mettre une nouvelle fois en scène Hanson afin d’évoquer son expérience de policier, toujours en uniforme, durant la période où il a été engagé au sein de la police d’Oakland (Californie).

     

    Après le Vietnam et la police de Portland, la pause en tant qu’enseignant dans une université de l’Idaho a été de courte de durée pour Hanson toujours en quête d’adrénaline et de sensations fortes. A 38 ans, il entame donc une formation de cinq mois pour intégrer les forces de police d’Oakland et se retrouve déjà en butte avec la hiérarchie qui n’apprécie pas cette recrue trop expérimentée à qui on ne peut pas raconter n’importe quoi. C’est probablement pour cette raison qu’Hanson est affecté dans le quartier difficile d’East Oakland en tant que patrouilleur. Un quotidien sous tension où il exerce son métier « d’assistant social armé » en se moquant bien du danger et des risques au sein d’une communauté pauvre composée essentiellement d’afro-américains marginalisés qui a tout du ghetto conformément à cette politique d’endiguement prônée par les autorités. Privilégiant  le dialogue plutôt que la confrontation, Hanson fait figure de flic original et suscite l’intérêt de quelques figures du quartier dont Felix Maxwell, caïd de la drogue qui approvisionne tout le secteur.

     

    On ne s’attendait pas du tout à retrouver Hanson et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on prend toujours autant de plaisir à suivre les aventures de ce jeune vétéran fracassé par les réminiscences des combats en pensant pourtant qu’au terme de son engagement à la police de Portland, Hanson se serait rangé en trouvant une certaine forme d’apaisement dans l’enseignement. Mais on sent bien que le personnage est toujours perturbé et ne trouve de sens dans sa vie que lorsqu’il est confronté au danger en se gardant pourtant bien d’agir comme une tête brûlée avide de sensation. Parce qu’il est toujours en quête de sens dans sa vie, Hanson ne manque pas de s’interroger et d’observer avec une rare acuité son environnement et de relever avec pertinence les disfonctionnements au sein des forces de police. Inadapté socialement, et très souvent imbibé d’alcool, Hanson est loin d’être un chantre des bonnes pratiques professionnelles mais il se révèle suffisamment lucide pour percevoir quelques similitudes auprès des gens qu’il côtoie dans le cadre de ses interventions avec ce sentiment de rejet qui prévaut au sein de la communauté afro-américaine. Et c’est parce qu’il est dénué de tout sentiment de peur, que le policier peut privilégier le dialogue en dépit de toutes les règles de sécurité qu’on lui a inculqué durant sa formation et dont il se moque bien. Chance, inconscience ou volonté de comprendre les mécanismes sociaux qui régissent le quartier, Hanson parvient à côtoyer quelques membres attachants de la communauté comme Weege, ce jeune garçon qui arpente les rues au guidon de son vélo ou Libya, cette jeune femme farouche avec qui il noue une relation fragile.

     

    Dans ce qui apparaît désormais comme la trilogie Hanson, Un Soleil Sans Espoir présente quelques similitudes avec Chiens De La Nuit puisque l’intrigue se décline sous la forme d’une main courante où l’auteur dépeint toutes sortes d’interventions qu’Hanson est amené à gérer. Le lecteur se plaira à imaginer la part du réel qui agrémente ces réquisitions prenant parfois une tournure complètement ahurissante emprunte d’une violence singulière, voire déroutante. Loin de se présenter comme une succession de scènes sans lien, le lecteur trouvera un fil conducteur au travers des personnages de Weege et de Libya qui apportent une certaine forme de fraîcheur et d’optimisme à l’image de cette scène où Hanson emmène son jeune protégé dans une librairie où il a ses habitude afin de lui acheter quelques livres. Mais c’est sans doute dans les relations troubles qu’entretien Hanson avec Felix Maxwell, un des caïds du trafic de drogue de la cité, que le récit va prendre une tournure tragique au fur et à mesure des règlements de compte qui secouent le quartier.

     

    Une nouvelle fois, Kent Anderson se livre avec une sincérité confondante en nous proposant un texte saisissant, d’une rare beauté où l’ombre de la violence et du désespoir de la rue se dissipe parfois à la lumière de cette humanité qui parvient également à éclairer le cœur d’un homme souhaitant retrouver sa place dans un monde qui ne lui correspond plus. Une quête aussi vaine que bouleversante.

     

    Kent Anderson : Un Soleil Sans Espoir (Green Sun). Editions Calmann-Lévy 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elsa Maggion.

    A lire en écoutant : Under The Bridge de Red Hot Chili Peppers. Album : Blood Sugar Sex Magic. 1991 Warner Bros. Records Inc.

  • Carlos Zanón : Taxi. Nuits d’errance.

    Carlos Zanón, taxi, éditions asphalteParfois, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de frustration lorsqu’un livre que l’on apprécie ne trouve pas son public et l’on se retrouve même à regretter que l’ouvrage n’ait pas fait l’objet d’un écho plus conséquent auprès des chroniqueurs qui semblent avoir boudé le roman. Pourtant après le succès critique de J’ai Été Johnny Thunder qualifié, à juste titre, de roman culte, Carlos Zanón ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a fait preuve d’audace en nous proposant de suivre avec Taxi, les pérégrinations de José que tout le monde surnomme Sandino, chauffeur de taxi insomniaque et volage, cherchant à fuir toutes formes de confrontation. Et si l’esprit de la légende maudite du rock’n roll du précédent ouvrage a disparu des thèmes principaux, on en trouve quelques réminiscences, notamment au rythme des chapitres qui portent le nom des 36 titres composant Sandinista!, le triple album emblématique des Clash donnant son surnom au personnage principal. Une somme d’errances et d’incertitudes dans la mélancolie des rues de Barcelone compose ce portrait d’un monde désenchanté qui prend parfois l’allure d’une odyssée aussi burlesque qu’hallucinante.

     

    Sandino connaît déjà la tournure de la discussion qu’il va avoir avec sa femme Lola. « Il faut qu’on parle » lui a-t-elle dit. Ne souhaitant pas évoquer ses trop nombreuses incartades, préférant fuir à tout prix l’issue fatidique, il entame donc, au volant de son taxi, une errance de sept jours et six nuits dans les rues de Barcelone. Tous les prétextes sont bons pour retarder l’échéance. Il faut dire que les histoires s’enchaînent avec un défilé de clients qui se confient à lui pour l’entraîner, parfois à son corps défendant, dans de drôles d’aventures. Et si cela ne suffisait pas, il y a ses collègues dont il faut se soucier comme Ahmed s’inquiétant pour son petit frère Emad qui a bien changé depuis qu’il fréquente un entourage d’individus douteux ou Sofia qui s’est bien gardée de restituer tout le contenu d’un sac oublié dans son taxi, en se retrouvant ainsi embringuée dans une sombre histoire de trafic de stupéfiants avec des propriétaires désireux de récupérer l’intégralité de leurs biens. Sans relâche, les événements se succèdent en entraînant Sandino dans une espèce de fuite en avant qui risque de lui porter de bien plus graves préjudices que la confrontation qu’il doit avoir avec Lola.

     

    Insomniaque, irresponsable et emprunt d’une certaine forme de spleen l’empêchant de prendre la pleine mesure de ses actes, on suit cette lente déliquescence d’un individu qui ne trouve plus aucun sens dans sa vie au point de vouloir la fuir ou d’endosser quelques éléments épars de celles de son entourage, ennuis y compris, afin de recouvrer l’espoir d’un changement radical lui permettant de se dérober à ses responsabilités et de s’engouffrer dans une perspective de rêves et de désirs inassouvis. Il émane donc du texte une sensation de torpeur et de lenteur, bien loin des rythmes trépidants auxquels le lecteur est habitué, permettant à Carlos Zanón de décliner en détail tous les aspects de la vie de Sandino pour mettre en scène un récit d’une profonde humanité où l’on découvre toute une kyrielle de protagonistes s’entrecroisant dans une succession de rencontres insolites, de virées improbables et de quelques confrontations d’une violence aussi surprenante qu’épique comme cet impressionnant règlement de compte  entre Sandino et Hector, un ancien flic véreux devenu tenancier d’un rade où le taxi à ses habitudes. 

     

    Imprégné d’une multitude de références littéraires, musicales et cinématographiques, Taxi est un récit glissant parfois vers une dimension chargée de poésie nous permettant d’appréhender tout ce petit monde gravitant dans les différents quartiers de Barcelone avec un texte tout en maîtrise mettant en exergue la difficulté et la complexité des rapport sociaux qui régissent l’ensemble des protagonistes. Il en résulte un sentiment de chaos, parfois de maladresse et surtout d’incompréhension qui donnent lieu à des situations insolites pouvant prendre une tournure parfois cocasse comme le remplissage d’une urne funéraire ou plus inquiétante comme cette allusion du jeune Emad évoquant quelques amis devant passer au Bataclan. On se surprend donc à rire ou à tressaillir de surprise au gré d’un roman très dense où l’amour et ses désillusions, l’amitié et ses trahisons ponctuent cette errance confuse qui laisse poindre une lueur d’espoir à l’image de quelques scènes poétiques mettant en lumière une ville de Barcelone bien éloignée des clichés touristiques.

     

    Surprenant périple aux entournures mélancoliques et oniriques, Taxi est un roman noir tourmenté qui traduit l’incertitude et la fragilité d’un monde dont on distingue toute la complexité au travers du regard trouble d’un homme dont l’esprit, embrumé par une succession de nuits sans sommeil, lui fait perdre tout sens de la mesure. Un récit chaotique et flamboyant.

     

    Carlos Zanon : Taxi (Taxi). Asphalte éditions 2018. Traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton.

    A lire en écoutant : Tourmento de Mon Laferte. Album : Mon Laferte, Vol. 1. 2015 Universal Music Mexico, S.A. de C.V.