MARIE-CHRISTINE HORN : SANS RAISON. RUPTURE.
L'occasion a été donnée à de multiples reprises d'évoquer les éditons BSN Press qui font figure de pilier de la littérature noire helvétique avec Giuseppe Merrone comme maître à bord mettant en valeur les textes de Nicolas Verdan, d'Antonio Albanese ou de Marie-Christine Horn ainsi que ceux de Jean-Jacques Busino pour ne citer que quelques auteurs à la noirceur assumée figurant dans l'immense catalogue de l'éditeur lausannois. On trouvera désormais certains d'entre eux dans la collection Tenebris issue d'une collaboration avec les éditions OKAMA créées en 2019 par la dynamique Laurence Malè afin de publier des textes davantage orientés vers le fantastique et la fantasy. On découvre ainsi, dans cette nouvelle collection, Le Complexe D'Eurydice (BSN Presse/OKAMA 2023) d'Antonio Albanese, Cruel (BSN Presse/OKAMA 2023) de Nicolas Verdan ainsi que Sans Raison, dernier roman noir de Marie-Christine Horn nous rappelant, dans sa thématique sociale, Le Cri Du Lièvre (BSN Press 2019) où elle décortiquait les rouages tragiques des violences domestiques. Avec le même regard acéré, débutant autour des prémisses d'une tuerie sur une place de jeu, Marie-Christine Horn aborde, cette fois-ci, le sujet de l'exclusion sociale et des conséquences terribles qui découlent parfois.
Par une belle journée ensoleillée, peut-être un peu trop chaude, Salvatore Giordani empoigne son fusil d'assaut, ouvre la fenêtre et fait un carnage sur une place de jeux en blessant et tuant plusieurs enfants ainsi qu'une femme enceinte. De son côté, Margot doit quitter son logement à la suite de loyers impayés, ceci au grand soulagement de ses voisins qui ne supportaient plus les visites intempestives de son fils adulte faisant régulièrement du scandale entre hurlements et tambourinements aux portes des appartements de l'immeuble. Désormais elle occupe une caravane vétuste d'un camping en côtoyant toute une communauté de résidents à l'année qui tentent de surmonter, tout comme elle, les difficultés d'une existence précaire. Mais contrairement à Salvatore, c'est dans l'adversité que Margot prend la mesure de la solidarité de celles et ceux qui refusent de flancher tout en découvrant que les actes, aussi innommables qu'ils soient, ne sont pas dénués de raison.
Tout en abordant les thèmes de manière frontale, l'écriture de Marie-Christine Horn se caractérise par cette pudeur qui imprègne ce récit aux accents tragiques, bien évidemment, sans pour autant prendre une tournure larmoyante ou une allure horrifique comme on peut les trouver dans certains romans putassiers se complaisant dans l'abjection de scènes sanguinolentes tout en glorifiants des monstres de pacotille. Dans Sans Raison, Marie-Christine Horn dresse ainsi, avec beaucoup de nuance, le portrait et certains éléments du parcours de Salvatore qui n'a rien d'un monstre, bien au contraire, ce qui accentue d'ailleurs l'ignominie de ses actes, tout en observant l'amour et le désarroi d'une mère meurtrie par les actes de son fils. Par petite touche, la romancière assemble donc un puzzle existentiel, dépourvu de révélations fracassantes mais imprégné d'une humanité ordinaire qui nous conduit sur la trajectoire d'un homme qui s'est enfoncé dans la marginalité jusqu'au point de rupture. Il n'y a aucune complaisance dans les propos de Marie-Christine Horn qui, en parallèle, nous invite à découvrir toute la petite communauté de personnalités précaires qui entourent l'existence de Margot refusant de perdre pied au sein de ce camping où elle pourra s'appuyer sur Marcel le gérant, son amie La Duchesse, ainsi qu'Anita, Carmen, René et l'ineffable Moumousse, autant de personnages attachants refusant de basculer dans la fatalité, ce qui n'a rien d'une évidence. Parce que Sans Raison, donne également l'occasion à Marie-Christine Horn de mettre en exergue l'absurdité des rouages administratifs qui broient de manière impitoyable l'existence de femmes et d'hommes qui n'entrent pas dans les cases d'une société plus prompte à rejeter qu'à tenter de comprendre les aléas de ces personnes précaires. Sans concession mais avec un regard empreint d'humanité, Sans Raison lève ainsi le voile de cette opulence helvétique pour mettre en lumière celles et ceux, toujours plus nombreux, qui n'entrent pas dans les critères d'une collectivité bien pensante mais se révélant bien plus abjecte qu'il n'y paraît avec les individus qu'elle réprouve.
Marie-Christine Horn : Sans Raison. Editions BSN Press/Okama. Collection Tenebris 2023.
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C'est officiel, l'intégral de Blacksad n'en a plus que le nom puisque cette série de bande dessinée emblématique s'enorgueillit désormais de Alors, Tout tombe, un diptyque dont la première partie est parue en 2021 tandis que la seconde vient d'être publiée en 2023. Il faut bien avouer, qu'après huit ans d'absence, on n'attendait plus vraiment le retour de John Blacksad, ce sublime détective à la face de chat, évoluant dans un univers anthropomorphique restituant à la perfection les personnalités composant le contexte social des USA des années 50 avec un hommage appuyé aux récits hard-boiled de l'époque, et plus particulièrement à l'oeuvre de Raymond Chandler, ainsi qu'aux adaptations cinématographiques légendaires qui en ont été tirées. Issu du monde de l'animation, il y a tout d'abord le travail du scénariste Juan Dìaz Canales dont les esquisses en noir et blanc, s'inspirant notamment de la série BD policière
A New York, le détective privé John Blacksad assiste, avec son ami le journaliste Weekly, à une représentation en plein air de La Tempête, mise en scène par Iris Allen devant soudainement faire face à la police qui interrompt brutalement la pièce sur ordre du maire. Intervenant auprès du responsable des forces de l'ordre, John parvient à ce que la représentation se poursuive avec la reconnaissance de la directrice du théâtre à qui il remet une carte de visite. Mais dans la soirée, c'est Kenneth Clarke, président du syndicat des travailleurs du métro, qui se présente au bureau de John afin de solliciter son aide, ceci sur la recommandation de sa meilleure amie Iris Allen. Il faut dire que le syndicaliste s'oppose à Solomon, urbaniste et maître d'oeuvre de la ville, qui s'ingénie à démanteler le réseau de transport public afin de mettre en place ses projets pharaoniques dont un gigantesque pont suspendu qui portera son nom. Outre le fait que la mafia tente d'infiltrer son syndicat afin de le contrôler, Kenneth Clarke a été informé qu'on avait engagé un tueur à gage afin de l'éliminer. John Blacksad est donc chargé d'identifier et de localiser ce mystérieux tueur, un certain Logan, qui semble bien déterminé à supprimer tous les obstacles qui pourraient entraver la carrière de Solomon qui le mènera au firmament de la gloire.
Il importe de souligner la carrière au sein des studios d'animation tant du scénariste Juan Dìaz Canales que du dessinateur Juanjo Guarnido leur permettant ainsi d'acquérir une expérience professionnelle notable dans le domaine du dessin animé qui transparaît dans l'ensemble de l'oeuvre de Blacksad avec cette sensation de mouvement incroyable émanant de chacune des planches des sept albums de la série tout comme ce sens du cadrage extrêmement élaboré que Regis Lionel évoque d'ailleurs dans sa préface enthousiaste figurant dans l'édition intégrale de la série. Et puis, il y a ce sens du détail que l'on perçoit dans chacune des cases et plus particulièrement lorsque l'on évolue dans les rues de ce New-York des fifties parfaitement reconstituées (prenez le temps de promener votre regard sur la double page ornant le début de chaque album de la série) ou que l'on s'attarde dans le bureau de John Blacksad avec notamment cette statuette de faucon ornant la bibliothèque du détective privé, hommage évident à Dashiel Hammett. Il faut également saluer le choix toujours judicieux des animaux incarnant à la perfection les traits de caractère des protagonistes mais également leurs rôles sociaux au sein de ces intrigues à la noirceur affirmée restituant les luttes des classes de l'époque à l'instar de Alors, Tout Tombe où l'on observe le combat d'une directrice de théâtre (un lama) accompagnée d'un syndicaliste (une chauve-souris) des transports publics s'opposant aux manoeuvres de Solomon (un faucon), bâtisseur ambitieux qui veut marquer de son empreinte la ville de New-York. Il fallait bien deux albums pour mettre en scène cette solide intrigue superbement élaborée s'inspirant notamment de la carrière de l'urbaniste Robert Moses dont les projets architecturaux ont révolutionné, pour le meilleur comme pour le pire, l'ensemble des arrondissements new-yorkais et qui s'opposa notamment à la gratuité du programme théâtral Shakespeare In The Park et que Juan Dìaz Canales et Juanjo Guarnido retranscrivent dans la formidable scène d'ouverture du récit. Outre cette introduction, la dramaturgie de Shakespeare intervient dans les moments clés du récit à l’instar de cette extraordinaire représentation de Macbeth dont les extraits s'imbriquent parfaitement autour d'une scène de meurtre qui va faire vaciller toute l'intrigue dans une tragédie sordide jusqu'à l'apparition spectaculaire de celle qui a fait chavirer le coeur de John Blacksad. Il faut dire que Juan Dìaz Canales et Juanjo Guarnido n'ont rien à envier au célèbre dramaturge anglais car Alors, Tout Tombe s'inscrit dans la grandeur de ces récits flamboyants qui vous éblouissent jusqu'à la dernière case révélant un ultime rebondissement sublime soulignant le talent et la maîtrise de ce duo extraordinaire qui marque de manière indéniable l'histoire de la bande dessinée.