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Auteurs P - Page 9

  • MIGUELANXO PRADO : PROIES FACILES. RIEN A PERDRE.

    miguelanxo prado, proies faciles, éditions rue de sèvres, Espagne, crise économiqueA l’heure où l’on évoque la réforme des retraites, les politiques, économistes et autres spécialistes en tout genre se penchent sur les aspects techniques de ces enjeux en se focalisant sur les taux de conversion, l’augmentation de la durée d’activité, la primauté des prestations ou la primauté des cotisations. Tous les prétextes sont bons pour justifier la baisse des rentes en évoquant un marasme économique et des intérêts négatifs. On oublie bien trop souvent la part de l’humain derrière toutes ces réformes qui se font, bien trop souvent, au détriment des seniors qui deviennent de plus en plus vulnérables. Des aînés qui souffrent en silence et dont la misère quotidienne ne suscite qu’une parfaite indifférence comme l’évoque Miguelanxo Prado avec Proies Faciles, une bande dessinée mettant en scène un polar social dénonçant le cynisme ambiant qui prévaut autour de cette population de plus en plus précarisée.

     

    En Espagne, dans une ville de la Galice où elle est affectée, l’inspectrice Tabares et son adjoint Sottilo enquêtent sur la mort suspecte d’un directeur commercial de la banque Ovejro. L’autopsie révèle rapidement une mort par empoisonnement et relève donc de leurs compétences. Mais l’affaire prend une tournure inquiétante, lorsque qu’un vague de crimes similaires secoue toute la communauté qui redoute ce mystérieux tueur en série qui semble se focaliser sur les cadres des établissements bancaires de la région. La crise financière qui ravage le pays n’a pas fini de faire des victimes qui ne sont pas celles que l’on croit.

     

    Proies Faciles est avant tout un réquisitoire très engagé visant à dénoncer toutes les dérives d’une économie complètement débridée qui a mis à genoux toute une population, parfois dépouillée des épargnes de toute une vie. Au fil d’une enquête aussi surprenante que trépidante, on découvre un système cynique qui broie les plus faibles tout en les rendant responsables de leur situation. Richement documenté tant sur le plan des procédures policières que sur les mécanismes économiques qui ont mis à mal la nation, Miguelanxo Prado met en place une machination savamment orchestrée où les faiblesses des anciens deviennent des atouts maîtres pour engager tout un processus de représailles machiavéliques révélant ainsi un profond sentiment de désarroi.

     

    Un graphisme soigné, en noir et blanc, réalisé au pinceau et à la peinture acrylique, permet de diffuser toute une palette de tons grisâtres afin de mettre en exergue les contours sombres de cette fable sociale résolument ancrée dans un réalisme sans fard. En guise de préambule, quelques cases distillant une atmosphère lourde pour afficher la tragédie silencieuse qui initiera tout le récit et cette froide logique de vengeance où les victimes deviennent bourreaux. Malgré la pesanteur de la thématique, Miguelanxo Prado parvient à installer une dynamique assez désopilante entre les deux policiers tout en instaurant une certaine gravité que l’on décèle notamment lors des briefings avec l’équipe en charge de l’enquête, des échanges avec la hiérarchie policière et des réunions avec le juge, garant de la procédure judiciaire. C’est par l’entremise de ces échanges que l’auteur décortique tous les processus d’emprunts et de placements hasardeux que les milieux financier ont mis en place durant les années fastes. Mais c’est également en dressant les portraits poignants de ces retraités floués qui témoignent de leur détresse, que l’auteur rend compte de toute l’abjection d’un système financier inique qui spolie les plus faibles et le plus naïfs. Si la trame narrative reste assez classique, le lecteur sera constamment déstabilisé par les rebondissement d’une enquête qui se révèle moins convenue qu’il n’y paraît.

     

    Engagé dans le cadre d’une enquête surprenante, contestataire dans les thématiques qu’il aborde, Miguelanxo Prado s’emploie à dénoncer, avec Proies Faciles, les dérives d’un univers économique sans foi ni loi qui lamine le cœur des hommes tout en broyant leur conscience. Dès lors, dans ce monde sans pitié, les proies dociles se rebellent pour devenir de féroces prédateurs. Tristement et tragiquement édifiant.

     

    Miguelanxo Prado : Proies Faciles (Presas Fáciles). Traduit de l’espagnol par Sophie Hofnung. Editions Rue de Sèvres 2016.

    A lire en écoutant : Suite Espagnole, Op. 47: N° 5: Asturias interprété par Andrés Segovia. Album : The Art of Segovia. 2002 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Donald Ray Pollock : Une Mort Qui en Vaut la Peine. La part d’ombre.

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    L’Homme pour l’essentiel est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets. C’est probablement avec cette citation d’André Malraux que l’on peut appréhender toute la noirceur de l’œuvre de Donald Ray Pollock qui nous avait ébloui avec Le Diable, Tout le Temps, un roman ténébreux démystifiant sauvagement la période faste des années quarante aux années soixante, incarnée par ce fameux rêve américain. Troisième roman de l’auteur, Une Mort Qui en Vaut la Peine poursuit cette sombre exploration de l’âme humaine en nous proposant de suivre le destin des frères Jewett, braqueurs de banque néophytes, sévissant durant l’année 1917 entre les états de l’Alabama et de l’Ohio.

     

    En 1917, dans un coin paumé situé entre la Georgie et L’Alabama, les frères Jewett s’échinent à la tâche comme ouvriers agricoles, sous la férule d’un père mystique. Une vie de misère qui trouvera sa récompense au paradis, lors du festin céleste comme le certifie ce vieillard qui perd peu à peu la raison. Mais à sa mort, les trois frères décident de poursuivre un autre rêve inspiré d’un roman populaire mettant en scène un bandit de grand chemin. Chevauchant leurs montures, ils écument les banques de la région avec une audace surprenante tout en bénéficiant d’une chance insolente. Dès lors, une horde de poursuivants se lancent à leurs trousses pour bénéficier de la récompense qui devient de plus en plus conséquente, à la mesure de leurs retentissants exploits.

     

    Même si les événements se déroulent en 1917, on est bien loin de la fresque historique puisque Donald Ray Pollock se détourne des personnages célèbres pour mettre en scène une kyrielle de protagonistes anonymes qu’il dépeint dans des portraits féroces, dépourvus de la moindre complaisance. Néanmoins, pour s’immerger dans le contexte de l’époque, on perçoit, comme des échos lointains, le fracas de cette guerre qui ravage l’Europe et l’émergence des chaînes de montage de Détroit, illustrant les débuts d’une ère nouvelle d’industrialisation. Mais bien loin de tous ces progrès, les frères Jewett vont s’illustrer dans des braquages brutaux et parfois sanglants qui font référence à ce temps révolu des westerns tandis que le couple Fiddler, privé de leur fils indigne, s’acharne à remettre en selle leur petite exploitation agricole après avoir été spolié par un escroc qui s’est emparé de toutes leurs économies. On suit donc ces parcours parallèles en se demandant tout au long du récit comment ces deux destinées si dissemblables peuvent être amenées à se croiser. C’est l’un des enjeux du roman où Donald Ray Pollock mets en scène une impressionnante succession de personnages dont les caractéristiques se dévoilent au rythme d’anecdotes croustillantes, parfois cocasses et très souvent terrifiantes révélant toute les failles, perversions et dépravations des acteurs du roman.

     

    Avec Une Mort Qui en Vaut la Peine, une grande partie du récit se déroule en dehors de l’Ohio. Mais on retrouve tout de même le comté de Ross, où l’auteur à l’habitude de camper toutes ses histoires. On découvre ainsi le Camp Sherman, centre de recrutement situé à proximité de la ville de Meade (Chillicothe) où les soldats côtoient la population au cœur d’une espèce de cloaque grouillant dans lequel se débattent tous les personnages du récit. Une cité animée qui devient l’illustration pernicieuse d’un progrès chaotique à l’instar des toilettes que l’on installe désormais dans tous les foyers et dont Jasper, inspecteur de l’hygiène publique, doit contrôler le niveau, les deux pieds plantés ainsi, au propre comme au figuré, dans la fange de l’humanité. Paradoxalement il s’agit du personnage le plus lumineux du roman avec le jeune Cob Jewett car du barman sociopathe au lieutenant homosexuel fantasmant sur ses recrues, du banquier véreux au shérif corrompu, des prostituées fanées aux artistes licencieux, il y a dans ce roman des personnages qui s’acceptent dans le mal qu’ils incarnent ou qui tentent, souvent en vain, de rejeter les travers de leurs personnalités. Parce qu’il opère par petites touches au travers de tous ces portraits, Donald Ray Pollock répand insidieusement le mal tout au long d’un texte extrêmement riche en péripétie nous permettant de digérer ce roman aussi dense qu’intense et dont le titre évoque les thématiques du sacrifice et du renoncement. Ainsi, au-delà de l’abjection, au-delà du mal, on distingue une lueur d’espoir dans un épilogue aussi poignant que bouleversant.

     

    Sobre quand c’est nécessaire, lyrique quand il le faut, Une Mort Qui en Vaut la Peine est un bel équilibre de noirceur et d’espérance confirmant la propension d’un auteur à mettre en scène, sans fard, sans fioriture et avec un talent qui semble presque inné, toutes les fêlures désagrégeant la conscience de chacun des protagonistes de ce roman crépusculaire.

     

    Donald Ray Pollock : Une Mort Qui en Vaut la Peine (The Heavenly Table). Editions Albin Michel/Terres d’Amérique à paraître le 3 octobre 2016. Traduit de l’anglais par Bruno Boudard.

     

    A lire en écoutant : In the Garden de Van Morisson. Album : No Guru, No Method, No Teatcher. The Exil productions Ltd 1986.

     

  • PIERRE PELOT : PAUVRES ZHEROS. CRUELS PAUMES.


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    Voyage au Bout de la Nuit est l’un des premiers ouvrages classiques illustré par un auteur de BD. Il s’agissait d’une association entre les maisons d’éditions Gallimard et Futuropolis. De cette union surprenante est issu un ouvrage somptueux mis en image par l’immense Tardi que l’on ne présente plus. Depuis, d’autres auteurs se sont engouffrés dans la brèche avec le concours notamment des éditions Rivages et Casterman qui ont mis en place, en 2008, une série de BD adaptant les romans noirs et les romans policiers issus de l’illustre collection dirigée par François Guérif. Avec Rivages/Casterman/Noir vous découvrirez Winter’s Bone (Daniel Woodrell) mis en image par Romain Renard ; Nuit de Fureur (Jim Thompson) et Le Dahlia Noir (James Ellroy) mis en scène par Matz et Nymann. Parmi ces adaptations graphiques, il y a Pauvres Zhéros de Pierre Pelot brillamment mis en scène par Baru, un autre grand nom de la BD.

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    Autant le dire tout de suite, des héros vous n’allez pas en trouver beaucoup dans Pauvre Zhéros. Par contre des zéros, minables et enfoirés en tout genre ce n’est pas ce qui manque dans ce roman que l’auteur a publié en 1982 dans la collection Engrenage, aujourd’hui disparue. C’est donc à l’occasion de son adaptation en version BD que les éditions Rivages ont eu la bonne idée de rééditer cette perle du roman noir français.

     

    Dans un gros bourg des Vosges, les habitants sont en émoi suite à la disparition de Joël un enfant trisomique de 6 ans qui s’est perdu lors d’une promenade en forêt. Responsable de la sortie alors qu’elle n’avait  pas les compétences, l’aide-soignante Sylvette va probablement servir de bouc émissaire pour protéger les membres de la direction de l’hospice. A moins que Nanase ne retrouve le petit Joël. C’est qu’il en veut le bougre pour faire bonne figure dans les journaux et se faire mousser dans le rade qu’il fréquente à longueur de journée. Il serait d’ailleurs temps qu’on arrête de le traiter de feignant et de bon à rien le Nanase et surtout qu’on arrête de prétendre qu’il aurait tenté de fourguer sa cousine vaguement débile à une bande de maquereaux marseillais. Mais personne n’est dupe. Surtout pas Mannucci, le fiancé de Sylvette qui en aurait des choses à dire sur l’orphelinat où il a passé 14 ans de sa vie à se faire maltraiter. Et si on ne l’écoute pas, alors tant pis si sa colère explose. Au propre comme au figuré !

     

    Pour expliquer la genèse de Pauvre Zhéros, l’auteur raconte qu’en rendant visite à sa femme qui venait d’accoucher il a entendu des cris provenant d’un soupirail et s’est aperçu qu’il s’agissait d’un enfant de l’orphelinat qui jouxtait la maternité. Le gamin suppliait qu’on le laisse sortir de son cachot. Alors en rentrant chez lui, Pierre Pelot a entamé l’écriture de Pauvre Zhéros en balançant toute sa colère, sa rage et sa souffrance dans un tourbillon de mots et de phrases qui malmèneront les lecteurs encore longtemps après avoir achevé la dernière phrase de ce roman explosif.

     

    Il n’y a rien de poignant dans ce roman brutal qui vous plonge dans un monde rural calme et froid tout à la fois qui peu à peu prend la forme d’un conte cauchemardesque où les personnages ordinaires se transforment en monstres cruels guidés par la colère, la lâcheté et la survie. Une succession de scènes d’une violence crue relance régulièrement ce récit qui ne compte aucun temps mort. L’auteur ne cède pourtant pas à la fascination morbide d’une violence qu’il draine avec maestria dans une économie de mot qui accentue l’aspect dramatique de cette histoire cruelle.

     

    pierre pelot,baru,pauvres zheros,rivages noir,casterman,vosges,roman noirCe n’est qu’après avoir lu le roman que vous pourrez vous imprégner de l’adaptation de Baru qui est parvenu à restituer toute la noirceur du roman de Pierre Pelot. L’un des grands talents de Baru c’est de nous livrer des planches qui se passent du texte tant le dessin est suffisamment explicite. Habitué des histoires dans le milieu rural, le dessinateur ne pouvait qu’exceller dans cette adaptation qui est l’une des meilleurs de la collection.

     

    La bêtise, l’ignominie et la lâcheté sont les traits de caractères principaux de ces Pauvres Zhéros qui vous feront froid dans le dos en suivant leurs trajectoires minables bâties sur la peur, la colère et la violence. Un roman taillé à coups de burin !

     

    Pierre Pelot : Pauvres Z'héros. Editions Rivages Noir 2008.

    Pierre Pelot/Baru : Pauvres Zhéros. Editions Rivages/Casteman/Noir 2008.

    A lire en écoutant : Chat d’Alain Bashung. Album : Passer le Rio Grande. Barclay 1986.

     

     

  • Gianni Pirozzi : Sara La Noire. Le bon flic ripoux.

    Capture d’écran 2015-01-05 à 23.55.58.pngCinq ans après Le Quartier de la Fabrique dont une grande partie de l’intrigue se déroulait au Kosovo, c’est peu dire que l’on attendait avec impatience le retour de Gianni Pirozzi qui nous livre un polar très sombre intitulé Sara La Noire. Dans ce dernier opus, nous nous immergeons au cœur du quartier de Barbès en suivant le parcours frénétique de Guillermo, flic aux origines gitanes, hanté par la promesse de retrouver une enfant disparue dans des circonstances tragiques.

     

    Sara la Noire, c’est un trio maléfique, une valse mortelle sur fond de décor urbain, froid et enneigé peuplé d’âmes maudites. Il y a tout d’abord Guillermo, lieutenant de police corrompu jusqu’à la moelle qui, muté d’Aigues-Mortes à Paris, traine sa carcasse dans le quartier de Barbès où il est affecté, à la recherche d’indices lui permettant de découvrir une trace de la fille de son cousin, victime d’un maniaque désormais interné à l’hôpital Kremlin-Bicêtre. Djibril, jeune délinquant à la dérive, vient tout juste de sortir de prison. Il veut se faire une réputation dans le quartier et accepte donc un contrat visant à éliminer Guillermo. Entre ces deux hommes il y a Hazfia qui est parvenue à quitter son mari violent pour se retrouver sous la coupe de Guillermo en sombrant dans la drogue et la prostitution tout en entretenant une relation aussi malsaine que passionnelle avec ce flic ripou. L’IGS est également sur le coup pour empêcher Guillermo d’arriver à ses fins. Mais rien n’arrêtera cet officier de police en bout de course. Car Guillermo a juré sur la tête de Sara la Noire, patronne des gitans des Saintes-Maries-de-la Mer, de retrouver la fillette disparue afin de remettre la dépouille aux membres de sa communauté. Et un serment de gitan, ça ne se renie pas.

     

    Capture d’écran 2015-01-05 à 23.57.23.pngIl convient tout d’abord de signaler que Sara La Noire, reprend les principaux ressorts d’une nouvelle de Marc Villard intitulée Entrée du Diable à Barbèsville qui donne d’ailleurs son titre à un recueil également édité aux éditions Rivages/Noir. Plus que dans une postface, cet élément important aurait mérité d’être signalé dans une préface ou tout au moins sur le quatrième de couverture de l’ouvrage afin d’éviter aux amateurs du genre d’avoir cette désagréable sensation de déjà lu tout au long du récit.

     

    Avec Sara La Noire, Gianni Pirozzi s’est donc emparé de l’univers de Marc Villard pour lui rendre un hommage appuyé tout en essayant de s’en affranchir ce qui rend la démarche quelque peu déroutante. Néanmoins il faut saluer le travail qu’a effectué Gianni Pirozzi . Il s’agissait là d’un exercice périlleux tant la forme d’écriture de Marc Villard semble indissociable de l’univers urbain qu’il affectionne.  Malgré cela, l’auteur a transfiguré la nouvelle en adoptant son propre style pour la développer en incluant l’univers gitan qui lui est cher. Le récit est ponctué de scènes sublimes qui évoquent quelques films magnifiques des seventies à l’image d’un Guillermo dépassé par les évènements qui offre quelques bonbonnes d’héroïnes à une chanteuse de rue qui fait la quête dans le métro. Les asiles de nuit glauques, les places hantées par l’ombre inquiétante des dealers et toxicos, les silhouettes furtives des prostituées, Gianni Pirozzi nous livre dans ce récit le portrait d’un quartier déglingué où se retrouve tout un univers de misère sociale que l’auteur décrit avec un réalisme déconcertant.

     

    Mais malgré ses qualités indéniables, Sara la Noire souffre de carences au niveau des motivations du personnage principal qui peine à convaincre. Sans que l’on comprenne bien pourquoi, Guillermo s’est installé dans une logique d’autodestruction en devenant un flic ripoux, dealer et proxénète qui règne sur un foyer de femmes battues plus ou moins contraintes de se livrer à la prostitution. Si cela pouvait passer dans la courte nouvelle de Marc Villard uniquement centrée sur le moment présent, cela ne fonctionne plus avec le roman de Gianni Pirozzi qui nous gratifie d’éléments du passé de Guillermo sans toutefois nous livrer les pistes qui l’ont conduit à cette déchéance professionnelle. Nous nous retrouvons donc avec un personnage beaucoup trop ambivalent qui suscite tout à la fois répulsion et empathie ce qui finit par le discréditer totalement nuisant ainsi à la qualité de cette sombre intrigue.

     

    Un récit tragique et poétique tout à la fois, qualifié de remake par son auteur, Sara La Noire est un excellent roman noir qui manque d’une certaine ampleur pour être totalement convaincant, un peu à l’image d’un film ambitieux qui aurait manqué de budget notamment au niveau du casting .

     

    Gianni Pirozzi : Sara La Noire. Editions Rivages/Noir 2014.

    Marc Villard : Entrée du Diable à Barbèsville. Editions Rivages/Noir 2008.

    A lire en écoutant : Balbino Medellin : Paname ou tes yeux. Album : Gitan de Paname. VK Productions 2006.

  • Nic Pizzolatto : Galveston. La cavale des paumés.

    nic pizzolatto, galveston, true detective, éditions 10/18Avant de connaître le succès avec sa série True Detective, Nic Pizzolatto avait écrit en 2011, un roman intitulé Galveston que la maison d’édition 10/18 s’est empressé de réimprimer en ornant l’ouvrage d’un bandeau rouge et blanc stipulant que l’auteur est le créateur de la série phare de l’année 2014. Ce genre de démarche peut s’avérer ambivalent tant l’on a subit à de trop nombreuses reprises les calvaires de fonds de tiroir en vue d'amasser quelques deniers supplémentaires en surfant sur une vague de succès commerciaux.

     

    Mais que l’on se rassure, Galveston est en fait une espèce de prélude confirmant le grand talent d’un auteur qui est parvenu à rassembler de manière plus que convaincante les amateurs de séries policières. Malgré ses qualités indéniables, l’ouvrage passa quasiment inaperçu lors de sa sortie à l’exception de quelques critiques, dont celle de Yan, animateur du blog Encore du Noir que vous retrouverez ici.

     

    Roy Caddy, petit gangster sans envergure, passe une sale journée en apprenant qu’il est atteint d’un cancer des poumons et en échappant à un traquenard orchestré par son boss qui a décidé de se débarrasser de lui. Contraint à prendre la fuite, Roy prend sous son aile, la jeune Rocky, prostituée complètement paumée et sa petite sœur Tiffany. En longeant les côtes du golfe du Mexique, ce trio bancal va apprendre à se connaître et à s’apprivoiser tout en essayant de semer les tueurs lancés à leurs trousses. Vingt ans plus tard, alors qu’il pense s’être débarrasser de ses poursuivants, Roy Caddy s’aperçoit qu’un homme mystérieux tente de se renseigner sur lui.

     

    Nic Pizzolato bâtit son récit sur une trame ultra classique de cavale et de gangster en quête de rédemption pour mieux s’écarter des schémas convenus de la road story afin de se concentrer sur la relation qui unit les trois protagonistes principaux. C’est à Galveston, station balnéaire du Texas, que le destin de Roy, Rocky et la petite Tiffany va se jouer sur l’espace de quelques jours que l’auteur évoque avec une intensité peu commune et qui se conclura vingt ans plus tard avec un chapitre final bouleversant chargé d’émotion.

     

    Dans Galveston comme dans True Detective c’est sur le plan de la temporalité que l’on retrouve la marque de fabrique déconcertante de Nic Pizzolato avec une histoire qui se déroule sur l’espace d’une vingtaine d’année. Outre l’absence d’alternance régulière entre les évènements de 1987 et de 2008, l’auteur retient des éléments du passé pour nous les restituer dans le présent et inversement, ce qui décontenancera plus d’un lecteur surpris par cet artifice narratif peu commun.

     

    Pour Roy Caddy, c’est l’heure des choix qui s’imposent car l’homme va devoir se pencher sur son passé pour tenter de trouver un sens à une vie qu’il n’est pas certain de maîtriser tout comme Rocky, sa compagne de cavale. Deux êtres cabossés par la vie qui essaient de prendre en main leur destinée par l’entremise de la petite Tiffany sur laquelle ils déposent tous leurs espoirs. Sur fond de paysages flamboyants et lumineux, Nic Pizzolato dresse le portrait sombre et saisissant de personnages entrainés vers une destinée dont les lecteurs les plus avertis seront bien en peine de deviner l’issue, ceci d’autant plus que l’auteur nous gratifie de quelques rebondissements violents qui apportent encore d’avantage de souffle à ce splendide roman qui se lit d’une traite comme la tempête qui s’abat sur Galveston.

     

    Nic Pizzolatto : Galveston. Editions 10/18 2011. Traduit de l’anglais (USA) par Pierre Furlan.

    A lire en écoutant : Eden de Hooverphonic. Album : Sit Down And Listen To Hooverphonic (The live theater recordings). Columbia 2003.