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  • DAVID PEACE : PATIENT X, LE DOSSIER RYUNOSUKE AKUTAGAWA. LES AMES TOURMENTEES.

    david peace,patient x,editions rivages1974 (Rivages/Thriller 2002), 1977 (Rivages/Thriller 2003), 1980  (Rivages/Thriller 2004), 1983 (Rivages/Thriller 2005), derrière ces quatre années qui donnent leur titre aux romans formant la tétralogie du Yorkshire, débarque David Peace et cette écriture à nulle autre pareil qui nous immerge littéralement dans l'univers obscur de cette contrée de l'Angleterre où sévissait le tueur en série Peter Sutcliffe dont les exactions avaient marqué le romancier s'employant également à dénoncer les manquements d'une police dévoyée. Mais bien au-delà du genre noir dans lequel  on l'a volontiers catalogué, il émerge de ces intrigues les névroses de ses personnages dont les différentes facettes de leur personnalité reflètent, avec une acuité hors du commun, les aspects obscurs d'une société tourmentée. Pourtant, David Peace sort aisément du cadre de la littérature noire, comme en témoigne des romans comme GB 84  (Rivages/Thriller 2006), évoquant la lutte des mineurs contre les réformes du gouvernement Tatcher ou Rouge ou Mort  (Rivages/Thriller 2014), biographie romancée de Bill Shankly, directeur mythique du Liverpool Football Club qui prennent tous deux des connotations politiques au sens large du terme tout en incitant son auteur à quitter le pays pour enseigner l'anglais tout d'abord en Turquie puis finalement au Japon où il réside encore. Toujours à l'affut du monde qui l'entoure, David Peace se penche sur la société japonaise et son basculement vers notre époque contemporaine avec Tokyo, Année Zéro (Rivages/Thriller 2008), Tokyo, Ville Occupée (Rivages/Thriller 2010) et Tokyo, Revisitée (Rivages/Noir 2022) formant un cycle s'articulant autour de trois faits divers, se déroulant durant l'occupation américaine au terme de la seconde guerre mondiale, et qui ont bouleversé la nation. Pour définir son style d'une puissance si particulière où l'on s'immisce dans les pensées les plus tortueuses de ses personnages, David Peace cite abondamment James Ellroy mais évoque également l'oeuvre du nouvelliste japonais Ryünosuke Akutagawa dont il a repris d'ailleurs la trame narrative de Dans Le Fourré, sa nouvelle la plus connue, figurant dans le recueil Rashōmun, pour mettre en scène les différents points de vue des protagonistes de l'incandescent Tokyo, Ville Occupée où les fantômes côtoient les vivants dans un registre incantatoire hallucinant. Méconnu dans nos contrées, hormis peut-être cette fameuse nouvelle Dans Le Fourré adaptée au cinéma par Akira Kurosawa sous le titre Rashōmun, c'est sans doute pour cette raison que David Peace s'est lancé dans l'écriture de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa, une biographie romancée lui permettant d'exprimer toute son admiration pour cet auteur érudit et tourmenté qui se suicida en 1927 à l'âge de 35 ans et dont l'oeuvre est imprégnée d'influences variées entre la littérature orientale et la littérature occidentale de son époque qu’il a su concilier avec une remarquable maîtrise. 

     

    Si vous avez l'occasion de croiser le Patient X dans les couloirs du château de fer, peut-être prendra-t-il le temps de vous parler un instant, le temps de fumer une cigarette dont la fumée flotte autour de sa silhouette émaciée. Il s'agira sans doute de quelques fragments épars de sa vie qu'il vous racontera avec force de détails comme son émergence de la Rivière des Pêchés et de son ascension sur le fil de l'araignée. Il pourra évoquer la folie de sa mère et le désarroi psychologique qui en découle et qui l’a accompagné tout au long de sa vie. Il pourra évoquer sa passion dévorante pour la littérature ainsi que le génie tourmenté qui imprègne ses textes et en font le maître incontesté de la nouvelle sans qu'il ne puisse en prendre véritablement conscience, enfermé qu'il est dans le doute permanent quant à sa place au sein d'une société qui se disloque. Il pourra évoquer la mort de l'empereur marquant la fin de l'ère Meiji et le début de l'ère Taishō ainsi que le suicide du général Maresuke Nogi et de son épouse peut après les funérailles de l'empereur. Il pourra évoquer son séjour à Shanghai, sa santé déclinante ainsi que ses apparitions fantomatiques source d'angoisses prégnantes. Il y a l'influence des contes d'autrefois et des créatures qui les hantent. Il y a l'influence d'Edgard Allan Poe et de Joseph Conrad qui le plonge Au Coeur Des Ténèbres à l'image de ce grand séisme du Kantō qui ravage le pays également meurtri par les exactions meurtrières qui font plusieurs milliers de morts. Il pourra évoquer ce dégoût que lui inspire de nombreuses choses mais qui émerge également de sa propre personne. Tout cela figure d'ailleurs dans la succession des textes aux entournures poétiques et à la prose incantatoire où l'on oscille entre le surréalisme et le fantastique de récits aux accents lyriques qui définissent ainsi la personnalité du Patient X et qui composent le dossier Ryünosuke Akutagawa.

     

    Signe d'un changement du genre auquel on l'a cantonné, vous pourrez découvrir un entretien de David Peace, invité en France non pas à l'occasion d'un festival de la littérature noire mais sur la scène de La Maison de la Poésie à Paris qui vous permettra de saisir sur ce lien, quelques aspects de la genèse de cette biographie consacrée à Ryünosuke Akutagawa dont on ressent l'admiration sans borne pour cet auteur emblématique de la littérature nippone. Au gré de cet échange vous pourrez apprécier les différentes lectures d’extraits de Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa dont certains dans la version originale déclamée par l’auteur lui-même vous permettant de saisir la puissance de cette scansion qui définit son style inimitable. A partir de là, il faut prendre conscience que cette biographie consacrée à cet écrivain japonais que David Peace adule ne prendra pas un parti pris conventionnel comme c’est le cas  pour l'ensemble de son œuvre hors norme qui fait bien évidemment écho à celle de Ryünosuke Akutagawa lui-même. Ainsi Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa porte bien son titre et se compose de douze nouvelles comme autant d’étapes de la courte vie de cet homme tourmenté s’agrégeant habilement autour de sa bibliographie dont on distingue l’émergence de quelques récits emblématiques qui séduiront les amateurs de culture et de littérature japonaise, tandis que les néophytes comme moi, brûleront d’en savoir plus sur les énigmes qui entourent son parcours de vie chaotique avec l’envie irrépressible de découvrir les nouvelles et les contes qu’il a écrit tout au long de sa trop brève carrière littéraire. Formant un ensemble solide, chacune des nouvelles prend une forme narrative différente comme autant de reflets de la société japonaise de l’époque que David Peace restitue avec une exactitude rigoureuse, mais qui se confondent avec les névroses et les divagations d’un homme torturé dont on décèle toute les angoisses et obsessions qui l’animent en accompagnant parfois littéralement son cheminement de pensée à l’exemple de sa folle passion pour la littérature qui devient un refuge avant de le précipiter dans l’abime de l’écriture. Ainsi, au gré de cette lecture qui n’a rien de paisible, on décèle cette rigueur de l’exactitude des faits émanant d’une somme impressionnante de documentation que David Peace absorbe avec vigueur pour restituer toute la quintessence d’un parcours de vie basculant dans les méandres surnaturels découlant des dysfonctionnement d’un homme en rupture dont on suit les aléas dans Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa remettant en cause, avec un génie prodigieux, tous les préceptes propre aux biographies conventionnelles. 

     

    David Peace : Patient X, Le Dossier Ryünosuke Akutagawa (Patient X, The Case-Book of Ryünosuke Akutagawa). Editions Rivages 2024. Traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Paranoid Android de Radiohead. Album : Ok Computer. 1997 XL Recordings Ltd.

  • David Peace : Tokyo Revisitée. Marche funèbre.

    david peace,tokyo revisitée,rivages noirMême s'il nous a fait patienter avec Rouge Ou Mort (Rivages/Noir 2014), une ode à la gloire de Bill Shankly, l'entraîneur mythique du Liverpool Football Club, il aura fallu attendre dix ans afin que s'achève la trilogie japonaise que David Peace avait entamée en 2008 avec Tokyo Année Zéro (Rivages/Noir 2008) suivie de Tokyo Ville Occupée (Rivages/Noir 2012) et qui se conclut donc avec Tokyo Revisitée représentant l'achèvement d'un cycle dantesque tournant autour de trois faits divers emblématiques reflétant les caractéristiques de la société japonaise contemporaine.  Que ce soit avec son Quatuor du Yorkshire (Rivages/Noir 2017), ou son anthologique GB 84 (Rivages/Noir 2004) David Peace nous livre des œuvres d'une rare intensité avec cette particularité d'une prose scandée qui soumet le lecteur à l'épreuve d'un texte à la fois hallucinant et déroutant, sublimant ainsi une intrigue bouleversante et une atmosphère cauchemardesque. De l'audace, parfois même de la folie, c'est ce qui caractérise l'œuvre de cet auteur mythique de la littérature noire qui revient donc sur le devant de la scène avec ce très attendu Tokyo Revisitée demeurant probablement le plus abordable parmi tous ses romans, ceci sans sacrifier à l'excellence d'un récit qui conclut de manière magistrale cette trilogie japonaise dont l'intrigue se focalise sur la mort de Sadanori Shimoyama, président des chemins de fer japonais, qui reste, aujourd'hui encore, l'un des faits divers les plus marquants du pays.

     

    5 juillet 1949 à Tokyo, les services de police sont sur les dents, depuis l'annonce de la disparition de Sadanori Shimoyama, le président des chemins de fers japonais, dont le corps démembré est finalement découvert le lendemain sur une voie ferrée à proximité d'un lieu-dit que les cheminots surnomment le Carrefour Maudit. Suicide, meurtre ou accident ? La question demeure pour cet éminent personnage sous pression qui devait licencier plusieurs milliers d'employés, ceci sur instance des forces alliées occupant le pays. Originaire du Montana, flic tourmenté, Harry Sweeney est chargé de l'enquête en collaborant avec les forces de police japonaise tandis que ses supérieurs affirment qu'il s'agit d'un meurtre fomenté par les syndicats communistes des chemins de fer. Au gré d'investigation hasardeuses, l'affaire se révèle peu concluante. Elle rebondit pourtant en 1964, lorsque le détective privé Murota Hideki est chargé de retrouver un auteur de roman policier détenant tous les tenants et aboutissants de l'affaire mais qui aurait subitement disparu. Puis l'on se retrouve en 1988 à suivre les pérégrinations de Donald Reichenbach, un individu étrange, travaillant comme traducteur, qui nous révélera peut-être le fin mot d'une affaire touchant de près les services secrets américains de l'époque.

     

    Comme tous les ouvrages de David Peace, il importe de saisir la dimension politique de l'époque et plus particulièrement celle concernant Tokyo Revisitée où en 1949, la Chine se tourne définitivement vers le communisme tandis que la Corée du Nord sous influence de l'URSS a des velléités d'annexer le Sud qui est sous influence américaine. A partir de ce contexte, on comprend l'inquiétude des Alliés occupant le Japon et qui voient d'un très mauvais œil la montée en puissance des syndicats communistes et plus particulièrement de celui des chemins de fer japonais qui s'oppose aux licenciements massifs orchestrés par le président Sadanori Shimoyama qui fait l'objet de nombreuses menaces de mort. C'est autour de cette situation géopolitique en lien avec le décès de cet homme et de l'émotion que cette tragédie a suscité au sein de la population, que David Peace orchestre ainsi son récit qui se déroule sur trois époques différentes nous permettant de saisir les dimensions sociales d'une ville de Tokyo prenant l'allure d'une entité labyrinthique cauchemardesque dans laquelle se perdent les trois personnages tourmentés que sont le policier Harry Sweeney, au comportement suicidaire, le détective privé Murota Hideki au caractère instable qui frise la folie et le traducteur Donald Reichenbach peinant à assumer son homosexualité tandis qu'il se remémore les événements de 1949 dans lesquels il a été impliqué. On observe ainsi l'évolution d'une ville qui se reconstruit sur un magma de ruines et de morts avec un aspect onirique où certains protagonistes doivent composer avec des fantômes omniprésents qui ne cessent de les hanter. C'est notamment sur cet aspect que l'écriture de David Peace prend tout son sens avec cette scansion caractéristique restituant l'atmosphère oppressante de l'époque et le désarroi d'individus perdant pied peu à peu, ceci à mesure de l'emprise obsédante que prend cette affaire et dont David Peace s'empare avec le talent habituel et la somme de documentation hallucinante qu'il restitue dans l'ensemble d'un texte d'une richesse sans commune mesure qui se mérite et se savoure en même temps au gré d'une lecture éprouvante marquant, comme toujours, le lecteur qui s'aventure dans un univers à nul autre pareil. Un grand moment de littérature.

     

     

    David Peace : Tokyo Revisitée (Tokyo Redux). Editions Rivages/Noir 2022. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Wesendonck Lieder, WWV 91, V. Träume de Richard Wagner. Album : Matthias Goerne & Seong-Jin Cho – Im Abendrot. 2021 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • David Peace : Rouge ou Mort. Du charbon et des jeux.

    Capture d’écran 2014-09-21 à 18.38.29.pngVous n’aimez pas le foot ou comme moi, vous êtes néophyte dans le domaine ? Peu importe, vous adorerez ou vous détesterez le dernier ouvrage de David Peace, Rouge ou Mort, qui retrace le parcours singulier de Bill Shankly, entraineur mythique qui forgea la légende du Liverpool Football Club. David Peace, auteur débridé, presque sauvage, possède cette qualité rare de ne pas laissez le lecteur indifférent et de le malmener tout au long de ses récits. Avec David Peace, il n’y aucune place pour une troisième voie consensuelle  à l’image d’ailleurs d’un Bill Shankly invectivant ses joueurs : Premier, c’est premier. Deuxième, c’est nulle part !

     

    David Peace n’écrit pas des livres, mais des litanies qui se déclament à voix haute et que l’on scande jusqu’à l’épuisement. David Peace n’écrit pas des livres, mais des tragédies au sens littéral du terme où ses personnages se révèlent n’être que des jouets en main de forces supérieures qui les manipulent sans aucun ménagement pour les propulser vers leur destinée qui ne pourra trouver qu’une issue dramatique. Avec Rouge ou Mort, David Peace change de registre et n’écrit pas une biographie, mais une ode à la gloire d’un des plus grands entraineurs que l’Angleterre n’aie jamais connu, Bill Shankly.

     

    Toujours aussi impétueux, toujours aussi outrancier, l’auteur nous dresse le parcours de l’entraîneur hors norme du Liverpool Football Club au travers de ses 14 saisons de 1959 à 1974 qui fut l’année où il se retira pour prendre sa retraite. 1974, bien évidemment on ne peut pas rester indifférent à cette date qui donna son nom au premier ouvrage que l’auteur consacrait à sa tétralogie du Yorkshire.

     

    Rouge ou Mort, c’est bien évidemment un livre sur l’avènement d’un club mythique dont chaque match est détaillé avec une précision quasi maladive. Scandés, magnifiés on découvre les passes décisives à la minute près, le nombre de spectateurs présents et le classement du club au fil des mois qui passent. Même pour celui qui connaît le palmarès du club, il y a ce suspense haletant, prenant qui se répète chaque année où tout doit être remis en jeu. Puis revient la période des entraînements, un travail épuisant, répétitif où le collectif prend le pas sur l’individualisme. Les victoires et les défaites qui s’égrènent au fil des mois qui passent et que l’homme inscrit dans son carnet. Ce carnet où l’homme inscrit les résultats des autres club, la composition des autres équipes et cette alchimie de onze joueurs qui conduiront le Liverpool Football Club à la victoire.

     

    Rouge ou Mort, c’est un livre d’amour qui parle d’une relation fusionnel entre un homme du peuple et tous les membres du Kop d’Anfield, ces fameux supporters du Liverpool Football Club. Au travers des pages on perçoit le soutient sans faille de ces hommes et de ces femmes pour leur club et une admiration sans borne pour leur entraineur qu’ils portèrent aux nues avec le fameux chant You’ll Never Walk Alone qu’ils entonnent à chaque début de match.

     

    Rouge ou Mort, c’est un livre éminemment politique qui se divise en deux parties tout comme les mi-temps d’un match. Dès les premières lignes du livre, l’auteur nous restitue le combat âpre que l’entraîneur doit livrer non pas contre une équipe adverse mais contre les dirigeants de son propre club afin d’obtenir les fonds nécessaires pour aller de l’avant. Cette lutte des classes se répercute bien évidemment au cœur des joutes sportives où Bill Shankly clame haut et fort ses convictions socialistes qui résonnent au delà de l’enceinte du stade pour se répercuter dans ce flot de colère qui gronde au travers des grèves des mineurs qui illustre le déclin industriel croissant du pays. Pour Bill Shankly l’individu s’efface au profit de la collectivité à l’image de ses joueurs qui sont au service du Liverpool Football Club avant tout. Le système pourrait sembler inique, si l’entraîneur ne l’appliquait pour lui-même avec une honnêteté sans faille et un sens du sacrifice élevé. Parfois la doctrine révèle tout de même quelques fêlures notamment lorsque Ian St. John, un des joueurs phares de l’équipe est brutalement évincé du club. Mais finalement les certitudes de l’entraîneur trouvèrent leur écho lors d’une rencontre radiophonique avec le premier ministre travailliste Harold Wilson où les deux hommes expriment avec ferveur leurs convictions idéologiques et politiques.

     

    Rouge ou Mort c’est une narration qui frise la folie et qui conte le destin exceptionnel d’un homme qui demeurera Rouge jusqu’à sa Mort.

     

     

    David Peace : Rouge ou Mort. Editions Rivages 2014. Traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Ghosts de Strangefruit. Album : Between the Earth and Sea E.P. Strangefruit 2013.

     

  • Michaël Mention : Adieu Demain. Le monstre d’aujourd’hui.

    Adieu demain, rivages/noir, Yorkshire, Michael Mention, David PeaceVéritables entités maléfiques les monstres d’aujourd’hui sont désormais incarnés par les sérial killers dont l’image a été largement dévoyée avec l’apparition de personnages tels que Dexter ou Hannibal qui nous content leurs aventures au travers d’un « art délicat » qu’ils pratiqueraient pour le plus grand bien de la communauté. Effrayantes, leurs aventures « raffinées » sont pourtant à mille lieues des atrocités commises par Francis Heaulme, Guy Georges, Peter Sutcliffe et consort.

     

    Dans le domaine, ce sont des écrivains comme James Ellroy et David Peace qui sont parvenus à restituer le contexte mental et social dans lequel ont évolué leurs bourreaux respectifs au travers de récits qui font, de nos jours encore, office de référence en la matière.

     

    Avec Adieu Demain, Michaël Mention reprend le flambeau et nous retournons dans le Yorkshire, abandonné par David Peace, pour effectuer un voyage à travers le temps qui débutera en 1969 et  s’achèvera un fameux jour de septembre 2001. C’est par les regards d’un tueur naissant dans l’ombre de l’Eventeur du Yorkshire et des deux enquêteurs chargés de l’arrêter que l’auteur va égrener une actualité angoissante qui colle littéralement à la peau des principaux protagonistes du récit.

     

    20 ans après l’arrestation du fameux éventreur, la police se retrouve avec un nouveau tueur sur le bras qui transperce ses victimes féminines avec des carreaux d’arbalète. Le superintendant Mark Burstyn est chargé de l’enquête et s’adjoindra les services d’un jeune enquêteur Clarence Cooper qui va s’impliquer au delà des limites raisonnables pour se retrouver confronter à ses propres angoisses qui ne seront pas sans conséquences pour son équilibre mental.

     

    Dans Adieu Demain, il y a tout d’abord l’ombre de David Peace, auquel l’auteur rend d’ailleurs un hommage appuyé, qui plane sur le récit qui se décompose en deux parties. Vous allez découvrir dans un premier temps la jeunesse de Peter Griffith (personnage librement inspiré du tristement célébre tueur à l’arbalète, Stephen Griffiths) jusqu’à sa rencontre, avec Paul Witcliffe (inspiré de Peter Sutcliffe) interné, comme lui, dans un hôpital psychiatrique. Puis dans la seconde partie vous suivrez les pérégrinations de Mark Burstyn et de son accolyte Clarence Cooper qui vont traquer un tueur en série qui s’en prend une nouvelle fois aux femmes du Yorkshire.

     

    Il faut bien l’avouer que l’on ne pouvait pas faire autrement que de comparer le roman avec ceux de David Peace et craindre le pire ce qui est loin d’être le cas. Michaël Mention s’en tire plus qu’honorablement et nous plongeant au cœur d’un récit extrèmement prenant où l’actualité égrenée au fil des années embrasse les personnages pour en faire une espèce d’acteur à part entière qui interviendra même dans le final surprenant de ce roman. Car il faut l’admettre, Michaël Mention est un manipulateur qui sait fourvoyer ses lecteurs sans toutefois tomber dans les excès peu crédible du rebondissement à répétition. Outre l’actualité, c’est la  thématique de la peur revient tout au long de l’histoire avec les phobies des principaux suspects qui font écho aux nouvelles anxiogènes d’un monde qui semble devenu complètement hors de contrôle.

     

    Si l’écriture est assez classique c’est principalement pour son sens de la transition que l’on appréciera Adieu Demain où l’auteur passe d’un personnage à un autre autre par le prisme d’un fait divers, d’une chanson ou d’un grand fait d’actualité qui accentue le rythme trépident du roman.

     

    Adieu Demain est le second tome d’une trilogie qui a débutée avec Sale Temps Pour le Pays. Bien plus abouti que le premier opus on ne peut que se réjouir de découvrir le prochain roman d’un auteur qui va désormais compter dans le paysage sinistre des sérial killers.

     

    Michaël Mention : Adieu Demain. Editions Rivages/Noir 2014.

    A lire en écoutant : Faze Wave interprété par The Cave Singer. Album : No Witch. Jagjaguwar 2011.

     

  • DIX POLARS MARQUANTS !

    A l’heure des bilans de fin d’année, il est toujours de bon aloi de livrer une liste des meilleurs romans de l’année qui susciteront moult discussions stériles qui n’apporteront finalement pas grand-chose à l’édifice, particulièrement lorsque l’on constate que parmi les ouvrages sélectionnés il y a de nombreuses rééditions comme Jim Thompson ou Harry Crews. De plus, n’étant pas collé à l’actualité littéraire, je ne saurais vous livrer une liste pertinente des nombreux ouvrages qui sortent chaque année. Par contre, je me livre à ce petit exercice que l’on m’a proposé il y a de cela quelques semaines et qui consiste à lister dix livres qui vous ont marqué pour une raison ou une autre. Pour l’occasion, j’ai modifié la règle en énumérant dix polars.

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.26.24.png

    Lune sanglante de James Ellroy

    Editions Rivages/noir 1984

    C’est avec ce livre que j’ai découvert l’univers d’Ellroy qui n’avait pas encore acquis la notoriété qu’il a aujourd’hui. Un livre dantesque qui sortait vraiment de l’ordinaire à l’époque avec ce personnage atypique du sergent Llyod Hopkins. Un verbe cru, une ballade sanglante dans l’enfer urbain de Los Angeles. Pour moi cela restera le meilleur Ellroy car il est encore emprunt de la spontanéité d'un génie débutant.

     

     


    Capture d’écran 2014-01-14 à 19.20.47.pngDouble assassinat dans la rue Morgue de Edgard Alan Poe

    Editions de la Pleiade 1932

    Avec le Chevalier Auguste Dupin, voici le premier détective privé que j’ai découvert, bien avant le fameux Sherlock Holmes. Un personnage atypique pour une histoire qui l’est tout autant. Si Holmes se repose essentiellement sur ses facultés d’observation, Dupin lui se fie à son esprit d’analyse pour résoudre ses enquêtes. Ambiance sombre et étrange au cœur de Paris.

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.34.18.pngTokyo année zéro de David Peace

    Editions Rivages/noir 2010

    Après sa tétralogie se déroulant dans sa région natale du Yorkshire, David Peace quitte l’Angleterre pour le Japon. Premier roman d’une trilogie annoncée, Tokyo année zéro confine au chef-d’œuvre avec la chronique de ce fait divers sordide se déroulant au lendemain de la capitulation d’un pays dévasté par la guerre. La folie et le génie au détour de chaque phrase.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.35.27.pngRoseanna de Per Wahlöö et Maj Sojwall

    Editions Rivages/noir 2008

    Bien avant la déferlante de polars nordiques voici le premier opus du Roman d’un Crime. Une splendide déconstruction du modèle social de la Suède par l’entremise de l’inspecteur Martin Beck et de son équipe. Pour mieux vous en parler, voici une chronique du Vent Sombre qui résume parfaitement l’esprit de cette solide série de chefs-d’œuvre.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.36.55.pngNon ce  pays n’est pas pour le vieil homme de Cormac MacCarthy

    Editions de l'Olivier 2006

    Une belle écriture aussi sèche que le désert qui sert de décor à cette histoire âpre et violente ponctuée des très belles réflexions de ce shérif qui ne comprend plus le monde qui l’entoure. Souvent imité jamais égalé.

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.38.28.pngLe nom de la rose d’Umberto Eco

    Editions Grasset 1990

    Après la lecture de ce roman vous laisserez tomber la kyrielle de polars soi-disant historiques. Aucun ne lui arrive à la cheville et ce n’est pas les romans de Dan Brown, fort distrayant au demeurant qui changeront la donne. Sur le fond d'un Moyen Age troublé, vous allez découvrir l’enquête épique du moine franciscain Guillaume de Baskerville.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.40.16.pngLa dame du lac de Raymond Chandler

    Editions Roman Noir 1972

    Comme pour Ellroy, beaucoup me diront que ce n’est pas le meilleur roman de Chandler. Je l’apprécie énormément pour son atmosphère qui se déroule en dehors de la cité des anges. C’est avec cet ouvrage que j’ai découvert « l’école » Black Mask.

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.41.52.pngPike de Benjamin Whitmer

    Editions Gallmeister 2012

    Roman récent (2012) au style percutant. C’est un coup de cœur. Un plaisir de suivre ce malfrat vieillissant qui ne cherche même pas la rédemption dans cette ville déclinante des USA. Un récit brut, sans fioriture.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.43.15.pngGriffu de Tardi & Manchette

    Editions Le Square 1978

    J’avais lu cette bd l’année de sa parution, en 1978, dans une revue dont j’ai oublié le nom. La rencontre d’un grand romancier du néo polar et d’une star de la BD pour une collaboration unique qui a donné cette histoire novatrice pour l’époque. Le trait sombre de Tardi au service de la noirceur de l’univers de Manchette : La fusion de deux talents.

     

     

     

    Parc Gorki de Martin Cruz SmithCapture d’écran 2014-01-14 à 18.45.18.png

    Editions Robert Laffont 1981

    Lorsque ce roman est paru en 1981, le mur était bien présent et je ne connaissais rien de l’URSS hormis ce qui m'en était conté dans les romans de Soljénitsyne. Au niveau du polar c’était le néant absolu jusqu’à l’apparition d’Arkady Renko, inspecteur de la milice soviétique. Outre le contexte, l’originalité de ce roman réside dans le mobile qui pousse le meurtrier à assassiner trois personnes dans un parc public.

     

     

     

    Une liste effectuée en dix minutes qui ne saurait être exhaustive. Je vous laisse le plaisir de vous livrer à cet exercice qui vous entrainera dans la résurgence de vos souvenirs que vous pourrez déposer, si le coeur vous en dit, dans vos commentaires.

     

    Meilleurs voeux pour l'année 2014 !

     

    A lire en écoutant : La mémoire et la mer de Léo Ferré. Album : Amour et Anarchie. Barclay-Universal 1970.