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éditions romann

  • Laurence Voïta : Au Point 1230. Ticket perdant.

    laurence voïta,au point 1230,éditions  romannSi l'on fait un état de lieu de la littérature noire en Suisse romande on ne pourra pas s'empêcher de penser à une espèce de ruée vers l'or chaotique avec ce déferlement de polars qui atterrissent sur les étals des librairies en découvrant des romanciers débutants et des auteurs plus confirmés dans le domaine de la littérature blanche qui s'essaient au mauvais genre. Les maisons d'éditions romandes ne sont d'ailleurs pas en reste en créant des collections noires demeurant parfois sans suite avec un roman au compteur. Parmi ces auteurs, on trouve même quelques policiers qui se lancent dans l'exercice pour des résultats mitigés avec cette désagréable sensation de lire un rapport de police ou un manuel des procédures de l'ISP (Institut Suisse de Police). La chasse au bon filon, au succès à la Feuz ou à la Voltenaueur où la notoriété se construit au détriment de l'écriture, c'est ainsi que se définit la littérature noire helvétique en éprouvant la sensation d'une foire d'empoigne autour de l'ambition affichée du plus grand nombre d'exemplaires vendus qui trouverait sa raison d'être dans le sillon fertile du polar. Un triste tableau qui laisse présager le pire, même si l'on trouvera quelques réconforts à lire les références du polar helvétique que ce soit Jean-Jacques Busino, Corinne Jaquet ou Michel Bory dont les 13 enquêtes du commissaire Perrin viennent d'être rééditées chez BSN Press. On espère également retrouver très prochainement les récits de Joseph Incardona, de Louise-Anne Bouchard, de Marie-Christine Horn ou de Frédéric Jaccaud pour ne citer que quelques-uns des auteurs suisses nous gratifiant de romans noirs ou de polars de qualité. Nouvelle venue dans le paysage de la littérature noire helvétique, on accueille désormais Laurence Voïta nous proposant Au Point 1230, titre d'un polar détonant autour d'un ticket gagnant de la loterie. Une romancière comblée, puisqu'elle décroche, avec ce premier roman policier, le prix du polar romand 2021, vitrine du festival Lausan'noir qui n'a finalement pas eu lieu cette années pour les raisons que l'on connaît.

     

    On découvre sur une petite plage du Lac Léman le corps sans vie d'une joggeuse chaussée de baskets roses. Les premiers constats ne laissent planer aucun doute, il s'agit bien d'un meurtre et c'est l'inspecteur Bruno Schneider et son équipe qui se voient attribuer une enquête difficile où il faut définir les mobiles du crime. Mais qui pouvait bien en vouloir à Nathalie Galic, une prof sans histoire qui enseignait la biologie au gymnase ? Les fausses pistes s'enchaînent et les soupçons se portent rapidement sur Grégory Manz, conjoint de Nathalie, dont l'attitude défiante trouble les enquêteurs. Trouveront-ils la réponse sur ce sentier de montagne, au point 1230, l'endroit où Jacques Banier a abandonné volontairement son billet de loterie gagnant ? Que ne ferait-on pas pour encaisser un gros lot de plus de 3 millions de francs ? L'inspecteur Schneider devra compter sur la perspicacité de tous ses collaborateurs pour dompter ce fameux hasard ou ce destin qui ont poussé un individu à devenir un meurtrier.

     

    Que ferait-on de l'argent d'un gros lot de la loterie ? C'est autour de cette question que Laurence Voïta construit son intrigue policière aux entournures originales en dressant une série de portraits à la fois saisissants et réalistes qui nous interpelle par la finesse de leurs réflexions. La romancière, également dramaturge, sait distiller l'introspection des différents personnages en nous conduisant aux conclusions d'une enquête qui va nous livrer son lot de révélations surprenantes. Avec Au Point 1230, on se penchera tout d'abord sur l'étrange triangulation que forme Jacques Banier, l'homme qui renonce à son gain du loto et Nathalie Galic qui retrouve le ticket abandonné et tente d'identifier son propriétaire pour partager les gains alors que son compagnon Grégory Manz tente de la dissuader d'effectuer une telle démarche. Autour de cette joute entre les trois protagonistes, Laurence Voïta nous convie dans l'intimité de la classe moyenne helvétique aux détours de leurs hésitations, contradictions et autres attitudes déconcertantes face à l'attrait du gain bouleversant la quiétude d'un quotidien bien ordonné. L'autre intérêt du roman réside dans l'alternance que constitue l'enquête que mène l'inspecteur Schneider accompagné d'une équipe d'enquêteurs intéressants à l'instar de Sophie Costa sa jeune et impétueuse collaboratrice qui doit faire face à Gérald, son imposant collègue, flic aigri aux opinions régressives tandis que le jeune Jean-Loup Blanchard tente de s'imposer dans l'équipe avec des idées sortant de l'ordinaire. Subtilement, au gré d'échanges parfois vifs et de réflexions originales, on suit ainsi la progression d'investigations aboutissant à quelques retournements de situations qui ne manqueront pas de surprendre le lecteur jusqu'au terme d'un dénouement tout en nuance, teinté de regrets que Julie, la petite fille de l'inspecteur Schneider, mettra en exergue du haut de la naïveté de son jeune âge.

     

    Sans révolutionner le genre, Au Point 1230 est un roman policier plaisant, équilibré et brillamment construit se lisant d'une traite tant Laurence Voïta parvient à susciter de l'intérêt jusqu'à la dernière page ce qui n'est pas une mince affaire pour un récit dépourvu de la moindre goutte de sang.

     

    Laurence Voïta : Au Point 1230. Editions Romann/collection MystER 2020.

    A lire en écoutant : La mer n'existe pas de Art Mengo. Album : Live au Mandala 1997 Sony Music.