Benoît Séverac : 115. La main qui se dérobe.
En préambule, je me dois de remercier Lau Lo, animatrice du blog Evadez-Moi qui m'a généreusement fait parvenir ce roman que je convoitais.
Numéro de téléphone des urgences sociales en France, 115 donne également son titre au nouveau roman policier de Benoît Séverac qui nous convie dans les sombres méandres d’une enquête mettant en exergue le monde méconnu de la précarité, de la marginalité et de la prostitution de rue. C’est l’occasion de retrouver Sergine Hollard, vétérinaire engagée, et du major Nathalie Decrest, policière de quartier en uniforme, deux personnages marquants et attachants que l’on avait rencontré dans Le Chien Arabe où ces des femmes de caractère se confrontaient aux multiples et complexes problèmes de drogue et de radicalisation dans un quartier sensible de la banlieue nord de Toulouse.
Le major Nathalie Decrest découvre de drôle de choses lors d’une descente dans un camp de Gitans organisant des paris clandestins. Les coqs défoncés, prêts au combat, sont confiés aux bons soins de la vétérinaire Sergine Hollard bien plus préoccupée par le sort de deux jeunes femmes albanaises cachées au sein du camp afin de s’extirper des griffes de leur proxénète. Elle est comme ça Sergine, toujours à se préoccuper du sort des autres. Et c’est bien dans ce but là qu’elle met en place une clinique ambulante pour les chiens des sans-abri. Elle fait face à un univers sans pitié où les différents degrés de misère permettent d’exploiter les plus démunis comme Cyril, un jeune autiste qui vit dans la rue, tout comme la vieille Odile, en devenant ainsi tributaires de deux sœurs sournoises, également sans-abri, bien décidées à abuser de la détresse de ces âmes perdues. Prostitution forcée et grande précarité se côtoient dans ce monde de la rue impitoyable auquel la policière et la vétérinaire seront confrontées dans une succession des faits divers à la fois violents et tragiques.
Se déroulant pour la seconde fois dans la périphérie du nord de Toulouse, Benoît Séverac aborde avec 115 une multitude de thèmes sensibles que sont la marginalité, les sans-abri et la prostitution de rue forcée que l’on découvre au travers du point de vue de ces deux femmes sortant résolument de l’ordinaire. Altruiste et extrêmement engagée, Sergine Hollard comble sa solitude en se tournant vers les autres avec une propension à s’attirer une foule d’ennuis tout en provoquant une vague d’événements dramatiques dont les échos judiciaires contraindront le major Nathalie Decrest à intervenir, parfois à son corps défendant, afin de juguler la détresse mise à jour. Autrefois emprunte d’une certaine forme de considération teintée d’animosité, la relation entre la vétérinaire et la policière évolue, au fil du récit, vers une amitié toute en retenue et se développe au gré de préoccupations communes. Avec beaucoup de subtilité et de délicatesse l’auteur parvient ainsi à instaurer entre ses deux héroïnes une dynamique à la fois forte et touchante qui sert l’ensemble d’une histoire dont les péripéties se télescopent au fil de leurs interactions respectives avec les différents protagonistes.
Fortement ancrée dans son contexte social dont l’auteur entend dénoncer les travers, l’intrigue policière se conjugue sous la forme d’un récit emprunt d’une dimension naturaliste pouvant déstabiliser le lecteur en quête de sensationnalisme ou d’une envergure plus romanesque. Extrêmement bien documenté, Benoît Séverac s’accroche à la réalité du terrain en déclinant les drames quotidiens de personnages marginaux dont la noirceur se suffit à elle-même sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter. Ainsi les investigations policières répondent à cette même logique en conférant cette note de réalisme si appréciable faisant de 115, tout comme Le Chien Arabe d’ailleurs, un roman policier un peu à part.
Pouvoirs politiques peu concernés, institutions étatiques aux moyens limités, associations officiant parfois en marge de la légalité, 115 permet d’appréhender toute la complexité de l’aide sociale se mettant difficilement en place afin de venir en aide aux plus démunis dont la détresse permet souvent à des individus sans scrupule d’exploiter la faiblesse de ces hommes et de ces femmes en marge de la société. On y perçoit également une détresse psychique impressionnante à l’exemple de Cyril, ce jeune autiste qui, sans une libre adhésion de sa part ou de son tuteur, ne peut être pris en charge par les établissements hospitaliers. Car au-delà de l’impuissance, c’est parfois l’hypocrisie d’un système inique qui émane de cet univers de grande précarité dont la solidarité révèle toutes ses limites en fonction des intérêts individuels des uns et des autres. L’alcoolisme d’Odile, la cruauté des sœurs Charybdes et Scylla, l’addiction aux drogues de Wissal et l’indifférence de HK, Benoît Séverac égrène toute une série de portraits sombres en mettant ainsi en exergue la noirceur d’un monde sans espoir et sans idéal. Mais c’est surtout avec la destinée foudroyante de Hiésoré et de son fils Adamat que l’auteur décline l’univers obscur de la traite d’êtres humains aux mains d’organisations mafieuses mettant en échec des services de police complètement dépassés.
Polar aux entournures résolument sociales, 115 s’inscrit dans la dramaturgie de ces romans noirs interpellant le lecteur sur les tragédies quotidiennes d’une société déliquescente n’hésitant pas à sacrifier les personnes les plus vulnérables afin qu’elles disparaissent dans les strates de la marginalité ou d’une exploitation de l’être humain absolument abjecte et dont on ne voudrait plus jamais entendre parler. Un récit tout simplement remarquable.
Benoît Séverac : 115. Editions La Manufacture de Livres 2017.
A lire en écoutant : Blues Is Dead. Long Lives The Blues ! de Blues & Decker. Album : Stealin’The Blues. Gazetelupeko Hotsak 2012.