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Rechercher : le sang du bayou

  • Jake Lamar : Viper's Dream. Sur un air de marijuana.

    Capture d’écran 2021-10-07 à 22.28.17.pngTous les décors sont propices pour mettre en scène une intrigue en lien avec la littérature noire, mais il faut bien convenir que le milieu urbain à longtemps servi de cadre idéal aux romans noirs et aux récits policiers. Parmi les villes emblématiques du mauvais genre, il faut citer New-York qui a inspiré une cohorte d'auteurs qui ont publié des ouvrages extraordinaires à l'instar de L'Aliéniste (Pocket 1999) de Caleb Carr, Bone (Rivages/Noir 1993) de George C. Chesbro, La Reine Des Pommes (Folio policier 1999) de Chester Himes, Nécropolis (Livre de poche 1979) d'Herbert Lieberman, Z'yeux-bleus (Folio policier 2002) de Jerome Charyn et Gravesend (Rivages/Noir 2016) de William Boyle pour n'en citer que quelques uns. On ne s'étonnera donc pas que les éditions Rivages/Noir lancent une nouvelle collection New York made in France qu'inaugure Jake Lamar avec Viper's Dream. Natif du Bronx et vivant à Paris depuis 1993, Jake Lamar est un romancier et journaliste afro-américain qui a travaillé notamment pour le Time Magazine avant de se lancer dans l'écriture en obtenant une certaine renommée avec Nous Avions Un Rêve (Rivages/Noir 2006), couronné du Grand prix du roman noir étranger de Cognac en 2006. Il est également l'auteur de Brother In Exile, une pièce radiophonique, réalisée par France Culture, évoquant le parcours des auteurs américains Richard Wright, James Baldwin et Chester Himes qui ont vécu, tout comme lui, à Paris. 

     

    New-York, 1961, au Cathouse, appartement de la baronne Pannonica de Koeningswarters, surnommée Nica, Clyde Viper Morton se remémore son passé. En quittant l'Alabama pour débarquer dans un club de Harlem afin de passer une audition, le jeune Clyde Morton avait la certitude de parvenir à ses fins en devenant un jazzman renommé qui ne manquerait pas de conquérir le public. Mais ses rêves de conquête s'arrête net lorsque l'on lui fait comprendre qu'il n'est pas doué pour la musique. Bien vite, il se découvre d'autres compétences, comme celle de distribuer cette marijuana que l'on désigne notamment sous le sobriquet de "viper" et qui se répand dans tout le milieu du jazz. Clyde Viper Morton devient ainsi le pourvoyeur de tous les grands noms du jazz en se faisant une réputation de gangster impitoyable qui ne supporte pas l'arrivée de cette poudre blanche tuant bon nombre de ses amis musiciens. Et un gangster qui a des principes peut devenir très dangereux. Trahisons et règlements de compte, l'héroïne n'en finit pas de tuer. Clyde Viper Morton en sait quelque chose.

     

    Etrange parcours que ce roman qui a tout d'abord servi de base de travail pour une pièce radiophonique en dix épisodes diffusés sur France Culture en 2019 mais qui ne sont malheureusement plus disponibles à l'écoute. Vous trouverez tout de même le premier épisode ici, sur le site de l'auteur, afin de vous immerger dans l'ambiance particulière d'une ville de New-York imprégnée de jazz, durant la période située entre les années trente et soixante. Viper's Dream s'articule donc autour du personnage central de Clyde Viper Morton qui, en attendant que la police ne l'interpelle, trouve refuge dans l'appartement de la baronne Nica qui lui demande de rédiger les trois voeux qu'il souhaiterait voir se réaliser. C'est par le prisme de cette démarche géniale que Jake Lamar rédige ainsi le parcours fictif de ce gangster côtoyant toute une galerie de protagonistes réels à l'instar de Miles Davis, de Thelonius Monk, de Dizzy Gillespie et de cette fameuse baronne Nica considérée à juste titre comme une grande mécène du milieu du jazz. Véritable ode à la musique, Viper's Dream nous donne également l'occasion de découvrir le quartier de Harlem et plus particulièrement Lennox avenue par le biais des activités illicites de Clyde Viper Morton et de leurs évolutions respectives durant les trente décennies qui défilent à toute allure à l'image d'un morceau tonitruant de bebop. Avec une écriture efficace, très imagée, faite de sensations et bien évidemment imprégnée de musique, Jake Lamar nous invite également à découvrir cette 52ème rue, surnommée la Swing Street en raison des nombreux club de jazz qu'elle comptait. Typique du roman noir classique on perçoit ces rues mouillées, scintillantes sous l'éclat des néons tandis que les affaires sordides se règlent dans les arrière-salles de ces clubs où transitent tous les trafics. Mais avec Jake Lamar, il faut compter également sur tout ce qui a trait à la discrimination qui sévissait également au sein de cette ville et qu'il dépeint avec beaucoup de subtilité.

     

    Véritable hommage au monde du jazz, Viper's Dream inaugure ainsi de manière spectaculaire cette nouvelle collection Rivages/Noir consacrée à cette ville emblématique de New-York que l'on ne finit jamais de découvrir.

     

    Jake Lamar : Viper's Dream. Editions Rivages/Noir 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Catherine Richard-Mas.

    A lire en écoutant : Viper's Dream de Django Reinhardt. Album : Django Reinhardt (Mono Version). 1954 - BNF Collection 2014.

  • TOULOUSE POLAR DU SUD 2021. 13EME FESTIVAL INTERNATIONAL DES LITTERATURES POLICIERES.

    Capture d’écran 2021-10-08 à 12.57.50.pngToujours un grand plaisir de se rendre à Toulouse pour participer à l'un des grands festivals du polar se déroulant dans le quartier populaire du Mirail, ceci du 8 au 10 octobre 2021, autour de la librairie indépendante de la Renaissance. Pour cette nouvelle édition, présidée par Carlos Salem, Toulouse Polar du Sud poursuit sa logique de sélection exigeante en réunissant une palette d'auteurs emblématiques de la littérature noire. On y croisera Hervé Le Corre, Wojciech Chmielarz, Victor Del Arbol, Laurent Guillaume, Cyril Herry, Jake Lamar, Marin Ledun, Jurica Pavičić, Piergiorgio Pulixi, Benoît Séverac et Valério Varesi pour ne citer que quelques uns des 50 auteurs présents.

     

    Comme à l'accoutumée, on appréciera de retrouver les amis du monde de l'éditions et les membres de ce festival chaleureux ainsi que les camarades critiques et blogueurs autour d'un verre ou deux, voire davantage pour parler polars et romans noirs. Et puisqu’il est question du sud, il faut évoquer la sélection de six ouvrages écrits dans une langue du sud pour le prix Violeta Negra Occitanie, dans laquelle figure l'extraordinaire Je Suis L'Hiver (Asphalte 2021) de Ricardo Romero.

     

    Autre célébration que l'on retrouve pour une quatrième édition, le prix des chroniqueurs de Toulouse Polar du Sud comprenant également une sélection de six romans :

    Capture d’écran 2021-10-08 à 12.53.05.png

    Un dernier ballon pour la route de Benjamin Dierstein, aux éditions Les Arènes (EquinoX)

    Au bal des absents de Catherine Dufour, aux éditions du Seuil (Cadre noir)

    Les boiteux de Frédéric L’Homme, aux éditions du Rouergue (Rouergue noir)

    Une guerre sans fin de Jean-Pierre Perrin, aux éditions Rivages (Rivages Noir)

    Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, aux éditions La Manufacture de livres

    L’un des tiens de Thomas Sands, aux éditions Les Arènes (EquinoX)

    Votre serviteur ainsi que Bruno Le Provost du blog Passion Polar, Caroline De Benedetti du site Fondu Au Noir, Jean-Marc Laherrère  du site L’Actu du Noir, et présidé par Laurence Darbas du blog Evadez-Moi avons délibéré intensément afin de désigner le lauréat dont le nom sera dévoilé le samedi 9 octobre 20121 lors de la cérémonie d'inauguration du festival. En attendant vous pouvez consulter les sites de ces blogueurs émérites afin de puiser quelques romans de qualités. Ils seront d'ailleurs présents pour toute la durée de l'événement afin d'évoquer les parutions de l'année.

     

    L'autre grand plaisir de Toulouse Polar du Sud, ce sont bien évidemment les rencontres et débats passionnants avec les auteurs qui se déroulent depuis déjà une semaine dans différents lieux de la ville vous permettant de découvrir le riche patrimoine de la cité. Au plaisir de vous y retrouver.

     

    toulouse polar du sud
    TOULOUSE POLAR DU SUD : 13ème FESTIVAL INTERNATIONAL DES LITTERATURES POLICIERES. 08, 09 ET 10 OCTOBRE 2021.
    Forum de la Renaissance
    Ligne A – Station Basso Cambo.

     

  • Anouk Langaney : Clark. Supermother.

    Capture.PNGLe personnage du super-héros est étroitement associé à l'image, raison pour laquelle on le retrouve au sein des comics, mais également des films et des séries qui prennent de plus en plus d'importance. Sa présence dans les romans est beaucoup plus anecdotique et l'on compte une poignée d'ouvrages qui, bien souvent, mettent à mal la mythologie de tels individus, ceci dans une mise en scène quelque peu décalée à l'instar de Héros Secondaires (Agullo 2017) de S. G. Browne ou Supernormal (Aux Forges de Vulcain 2017) de Robert Meyer. Filiale de la maison d'éditions de l'Atalante orientée vers l'anticipation et la science-fiction, il était normal qu'une collection comme Fusion s'empare du sujet dans le cadre d'un roman noir et publie donc Clark d'Anouk Langaney qui dépeint, sous forme épistolaire, la naissance ou plutôt la création d'un super-héros au prénom prédestiné.  

     

    "Mais à quoi tu joues avec Clark ?". C'est à cette question, que sa fille lui a posé à l'âge de 15 ans, qu'Olympe-Louise va répondre dans une longue lettre destinée à renouer des liens avec celle qu'elle n'a plus revu depuis 10 ans. Consciente du monde qu'elle va laisser à ses enfants, Olympe-Louise va enfin dévoiler le projet qu'elle a concrétisé avec son fils Clark, ceci depuis sa conception jusqu'à l'âge adulte. Une vérité qui pourrait prêter à sourire tant le projet paraît farfelu mais qui glace le sang à la découverte d'un "essai raté" et à la prise de conscience de cette folie qui anime une mère prête à tout sacrifier pour la sauvegarde d'un monde voué à la destruction. Une lettre dévoilant l'amour immodéré qu'éprouve cette femme à l'égard de son fils, avec ses certitudes, ses joies, ses colères et ses déceptions mais qui révélera également la finalité de l'œuvre de toute une vie dont on ne peut plus se défaire. Clark incarne ainsi une logique implacable qui confine à la démence.

     

    On saluera tout d'abord la superbe illustration, dans le plus pur style des comics strip des années 40-50, ornant la couverture et résumant à elle seule l'ensemble d'un texte fourmillant de références à la pop culture en lien avec l'univers des super-héros. Clark se présente donc sous l'aspect d'une longue lettre de 160 pages, qu'une mère adresse à sa fille pour décrire tout le processus de réflexion qui l'a conduite à façonner (le terme n'est pas galvaudé) son fils pour en faire un super-héros. Il s'agit là d'un procédé narratif qui peut se révéler assez délicat avec, bien souvent, un texte dont le profil correspond davantage à l'auteur qu'à la personnalité du personnage. Autant vous dire qu'il n'en est rien avec Anouk Langaney qui s'efface derrière l'épaisseur du portrait de cette mère déjantée qu'elle a créée de toute pièce afin de nous livrer un sublime récit détonant, parfois teinté d'un humour au vitriol, qui vire à la tragédie au rythme d'une descente aux plus profonds des méandres de cette folie furieuse s'inscrivant dans le cadre d'une logique implacable. Cette logique pourra parfois prêter à sourire, mais le plus souvent, elle glacera d'effroi le lecteur qui prend peu à peu conscience des sacrifices consentis par cette mère obstinée déclinant avec application tous les aspects de son projet insensé. Dès le début de l'intrigue, on savoure notamment les comparatifs entre les différents super-héros qui vont lui servir de modèle mais dont les parcours prendront une toute autre dimension au terme du récit avec ce lien commun qui réunit l'ensemble de ces personnages emblématiques. Avec un titre pareil qui claque comme l'onomatopée d'une bulle de strip, on se doute bien de la référence du modèle que va choisir cette mère indigne en se demandant comment elle va parvenir à ses fins. Ainsi, de manière très habile, Anouk Langaney aborde de nombreux thèmes à l'instar de réflexions sur l'éco-terrorisme, du féminisme et de la violence faite aux femmes, mais également de tout ce qui a trait à la transmission entre parents et enfants avec les dérives qui s'ensuivent parfois. Mais au-delà des thèmes évoqués, on appréciera également avec Clark toute la qualité d'une écriture savamment maitrisée qui recèle même quelques alexandrins cachés donnant du rythme à un récit entraînant dont on se demande toujours jusqu'à quel degré de folie va-t-il nous emmener, sans jamais se douter de la finalité qui prend finalement tout son sens au terme d'un roman à la fois brillant et décalé.

     

    Stupéfiant roman noir, Clark nous invite donc à nous immerger dans les nébuleuses réflexions d'une mère névrosée mais bien déterminée à ne pas laisser tomber cette société qui se désagrège. Un brillante réflexion originale du monde qui nous entoure. 

     

    Anouk Langaney : Clark. Editions de l'Atalante/collection Fusion 2021.

    A lire en écoutant : Champagne de Jacques Higelin. Album : Champagne pour les uns, caviar pour les autres. 1979 Believe.

  • MARIE-CHRISTINE HORN : DANS L'ETANG DE FEU ET DE SOUFFRE. RETOUR DE FLAMME.

    Capture.PNGApparaissant en 1936, par l'entremise de la plume de Friedrich Glauser, l'inspecteur Studer devient l'ancêtre des enquêteurs de la littérature noire helvétique et obtient un succès retentissant avec des investigations criminelles qui mettent en exergue les défaillances d'une société opulente. Il faudra attendre un certain temps pour qu'apparaisse en Suisse romande un personnage similaire. C'est en 1995 que Michel Bory publie Le Barbare Et Les Jonquilles mettant en scène la première enquête de l'inspecteur Perrin qui officie dans le canton de Vaud, du côté de Lausanne et dont les investigations se déclineront sur une série de 13 romans que BSN Press a eu la bonne idée de rassembler en un seul volume. Du côté de Genève, Corinne Jaquet publie en 1997 Le Pendu De La Treille (La collection du chien jaune 2017), début d'une déclinaison de huit romans mettant en valeur les différents quartiers de la cité de Calvin avec un duo d'enquêteur atypique que sont la journaliste Alix Beauchamps et le commissaire Simon. Dans un registre similaire, l'inspecteur Charles Rouzier, travaillant à la sûreté de Lausanne, apparaît en 2006 dans La Piqûre (L'Age d'Homme 2017), premier roman policier de Marie-Christine Horn, en endossant un rôle plutôt secondaire dans une affaire mettant en lumière les affres de la migration et l'intégration au sein de la société helvétique. Son rôle prend plus d'importance avec Tout Ce Qui Est Rouge (L'Age d'Homme 2015), second opus de la série, dont l'intrigue se déroule au sein d'une unité carcérale psychiatrique où les patients s'adonnent à l'art brut à des fins thérapeutiques. Dans L'Etang De Feu Et De Souffre, on retrouve donc l'inspecteur Rouzier qui va mener une enquête dans le canton de Fribourg, en dehors de son cadre de juridiction, sur une étrange affaire de meurtre, mettant en cause le fiancé de sa fille Valérie.

     

    Tout le monde est bouleversé au village depuis que l'on a appris la mort de Marcel Tinguely dans d'étranges circonstances. On raconte qu'à l'exception des mains, des pieds et de la tête, son corps a complètement disparu. Pour le Dr Laurence Kleber, médecin légiste à Fribourg, il peut s'agir d'un phénomène très rare de combustion humaine. Mais pour l'inspecteur Georges Dubas, de la police de sûreté de Fribourg, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un meurtre. Il tient même un suspect en la personne de Fabien, fils de la victime, ceci au grand désarroi de sa compagne, Valérie qui n'a pas d'autre choix que de faire appel à son père Charles Rouzier, inspecteur de police à Lausanne. Une occasion pour ce père, qui a davantage privilégié sa carrière que sa famille, de renouer avec sa fille, qu'il n'a plus revue depuis bien longtemps, au risque de provoquer une guéguerre de juridictions entre la police lausannoise et fribourgeoise. Rumeurs de village, secrets de famille bien gardés, l'inspecteur Rouzier se rend bien compte qu'il marche sur des braises en enquêtant sur ces terres fribourgeoises qui vont l'amener à faire face à ses propres démons.

     

    Avec Marie-Christine Horn, il suffit d'un bref chapitre pour poser le contexte en captant l'atmosphère d'un café de village autour des conversations de comptoir et des échanges lors d'une partie de cartes nous permettant ainsi de saisir les particularismes et l'ambiance d'une localité de l'arrière-pays fribourgeois, soudainement ébranlée par l'annonce du décès à la fois étrange et suspect d'un de ses habitants. Une plume limpide, incisive teintée parfois d'une ironie mordante, ce sont les caractéristiques de l'écriture d'une romancière qui maîtrise parfaitement les rouages du roman policier pour nous livrer une intrigue rythmée tournant autour de l'enjeu du phénomène singulier de la combustion humaine qu'elle dépeint avec force de précisions par le biais du personnage fort de la médecin légiste Laurence Kleber qui va investiguer aux côtés de l'inspecteur Charles Rouzier dont on découvre les aspects de sa vie familiale quelque peu bancale, ce qui lui donne davantage d'envergure. Un victime consumée de l'intérieur, un incendie criminel, le feu est omniprésent Dans L'Etang De Feu Et De Souffre tandis que le souffre réside dans les aspects sulfureux que l'enquête parallèle du policier lausannois va mettre à jour au détour des révélations de quelques habitants bien informés qui vont faire ressurgir quelques affaires du passé que l'on croyait enterrées à tout jamais. C'est toute l'habilité de Marie-Christine Horn de dresser des portraits caustiques de villageois auxquels on s'attache et dont on regrette même qu'il n'ait pas pris plus d'importance au cours du récit à l'instar de nos joueurs de carte, employés dans une scierie. Une scierie ? un protagoniste surnommé Kéké ? Il n'en faut pas plus pour imaginer que la romancière s'est inspirée du sulfureux promoteur immobilier Jean-Marie Clerc, justement surnommé Kéké, accusé d'escroquerie et d'avoir commandité l'incendie de sa scierie, à La Roche, dans le canton de Fribourg. Quoiqu'il en soit, le lecteur se retrouve littéralement immergé au coeur de ce petit village recelant des secrets de famille peu avouables mettant en exergue les tabous autour de l'homosexualité qui devient l'un des thèmes du récit avec cette difficulté pesant sur les épaules de celles et ceux qui ne correspondraient pas aux critères moraux imposés par des dogmes dépassés dont le titre aux connotations apocalyptiques fait écho.

     

    Regard acide et lucide d'une communauté villageoise, Dans L'Etang De Feu Et De Souffre nous offre, par le prisme d'une enquête policière parfaitement maîtrisée, un beau panorama d'une région typique du canton de Fribourg, pleine de caractère, dont les thèmes abordent des enjeux universels que Marie-Christine Horn décline avec une belle humanité. 

     

    Marie-Christine Horn : Dans L'Etang De Feu Et De Souffre. Editions BSN Press 2021.

    A lire en écoutant Downstream de Supertramp. Album : Even In the Quietest Moments. 1977 UMG Recording Inc.

  • Michèle Pedinielli : Boccanera. Salade niçoise.

    Capture.PNGOn ne peut pas tout lire. Un fait indéniable qui prend parfois la forme d'une frustration avec cette sensation détestable de passer à côté d'ouvrages formidables à l'instar des romans policiers de Michèle Pedinielli qui met en scène, depuis trois ans, la détective privée Ghjulia (il faut prononcer Dioulia) Boccanera officiant dans la région de la Côte d'Azur et plus particulièrement à Nice que la romancière célèbre avec la poésie du mot juste comme Nougaro savait chanter Toulouse. Journaliste de formation, Michèle Pedinielli a exercé le métier durant une quinzaine d'années à Paris avant de retourner à Nice, sa ville natale, afin de se consacrer à l'écriture. Récipiendaire en 2015 du troisième prix du concours de nouvelles Thierry Jonquet, l'une des récompenses du festival Toulouse Polar du Sud, Michèle Pedinielli publie en 2018 Boccanera pour les éditions de l'Aube, collection Aube Noire, premier opus d'une série comptant désormais trois romans engagés qui mettent en exergue les turpitudes des puissants à l'égard des personnes défavorisées ou discriminées quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Quinquagénaire à la forte personnalité, mélange savant d'origines corses et italiennes, toute vêtue de noire, Ghjulia Boccanera emprunte beaucoup de traits de caractère à la romancière en évoluant dans le dédale des ruelles du vieux Nice, recelant toute une mosaïque de personnages à la fois attachants et hauts en couleur et qu'elle dépeint avec une affection assaisonnée d'une pointe d'humour corsé comme le café noir que son héroïne ingurgite à longueur de journée afin d'entretenir ses insomnies.

     

    Ghjulia Boccanera tout le monde la surnomme Diou dans le vieux Nice où elle vit en travaillant comme détective privée. Un métier qui convient parfaitement à cette cinquantenaire insomniaque, indépendante et forte en gueule qui a décidé de ne pas avoir d'enfant par conviction. C'est Dan, son colocataire qui lui fournit parfois des clients, comme Dorian Lasalle qui veut que l'on fasse la lumière sur la mort de son compagnon Mauro Giannini, que l'on a retrouvé étranglé dans son appartement. Pour la police, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un jeu érotique qui a mal tourné. Affaire classée, circulez, il n'y a rien à voir. Mais Dorian est persuadé que son compagnon ne l'aurait jamais trompé et qu'il ne se serait jamais adonné à de telles pratiques. Désormais mandatée par le jeune homme, Diou va tenter d'éclaircir les circonstances de ce crime qui prend une toute autre tournure, lorsqu'elle apprend le décès de son commanditaire qui a également été étranglé après avoir été torturé. Sillonnant une ville en chantier, la détective privée, chaussée de ses Doc Martens, va donner un grand coup de pieds dans la fourmilière pour bousculer l'ordre établi afin de résoudre ces deux meurtres. Ce d'autant plus que le tueur a décidé de s'en prendre à elle.

     

    Sans jamais rien céder au cliché bon marché ou au folklore de pacotille, Michèle Pedinielli restitue l'atmosphère pittoresque de cette belle ville de Nice autour du microcosme composant l'entourage de Ghjiulia "Diou" Boccanera, cette détective mémorable et captivante qui balance son ironie saignante comme Philip Marlowe enquillait les verres de Four Roses. On retrouve d'ailleurs chez Diou cette indépendance et cette décontraction qui caractérisait la personnalité du célèbre détective de Raymond Chandler. Mais loin d'être solitaire, on apprécie la belle déclinaison de personnages qui gravitent autour de cette enquêtrice à l'instar de son colocataire Dan, qui semble tout connaître de l'activité nocturne de la cité, de son ex compagnon Joseph "Jo" Santucci, flic de son état, auquel elle est toujours attachée, de Monsieur Amédée Bertolino, son voisin gâteux qui va se révéler d'un grand secours ou de tout le staff qui compose le café Aux Travailleurs où Diou a ses habitudes. Au niveau de l'enquête on part sur un schéma à la fois classique et solide autour d'une succession de meurtres et autres tentatives qui conduisent notre détective à investiguer auprès des entreprises de construction qui s'attellent à la mise en oeuvre du tramway, du percement d'un tunnel et de l'effondrement d'un mur de soutènement un soir d'orage. Un prétexte efficace pour mettre à jour les dérives dans ce milieu et dont on prend la pleine mesure par l'entremise de Shérif, un syndicaliste bedonnant mais perspicace qui va servir de guide pour notre détective privée. Une partie tellement réaliste que l'on se demande si Michèle Pedinielli ne s'est pas inspirée de faits réels qui auraient défrayé la chronique. On trouve d'ailleurs un article évoquant un effondrement du tunnel qui s'est produit au mois de juillet 2017. Quoi qu'il en soit on ne peut qu'apprécier ce polar dynamique et efficace qui nous entraine dans les différents quartiers de la ville à la rencontre de tout un panel de protagonistes détonants qui mettent en valeur, au gré d'échanges tonitruants, cette détective privée atypique que l'on se réjouit de retrouver dans Après Les Chiens (Aube noire 2019) et La Patience de L'Immortelle (Aube noire 2021), qui font suite ce premier opus très réussi.  

     

     

    Michèle Pedinielli : Boccanera. Editions de l'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Good Fortune de PJ Harvey. Album : Storie from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.

     

  • LOUISE ANNE BOUCHARD : NORA. LA DISPARUE.

    Capture d’écran 2018-02-16 à 16.28.35.pngC’est officiel, La Scène du Crime du salon du livre à Genève passe à la trappe et très honnêtement que pouvait-on attendre d’autre de la part d’organisateurs qui mettent en avant des auteurs citant comme références les films de James Bond ou les ouvrages de Camilla Läckberg, limitant ainsi fortement les propos qu’ils pourraient tenir durant une animation littéraire dédiée aux romans policiers, ceci d’autant plus que leurs interventions se rapportent de manière quasiment exclusive à leurs écrits. On cantonnera donc ces stars du polar romand à ce qu’ils savent faire de mieux, à savoir vendre, dédicacer et surtout se taire pour notre plus grand plaisir. Et tant pis pour les écrivains qui n’entreraient pas dans cette catégorie ou qui ne seraient pas adeptes de cette fameuse écriture formatée, faisandée de petites phrases courtes mal rédigées que les médias affectionnent et encensent avec un enthousiasme consternant. Isolés, quand ils ne sont pas tout bonnement ignorés, ces auteurs souhaitant évoquer autre chose que les thrillers à la mode seront priés d’aller voir ailleurs. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas que Nora de Louise Anne Bouchard, un troublant polar se rapportant à la disparition d’une jeune fille donnant son titre au roman, ne fasse l’objet que d’une maigre couverture médiatique régionale. On considérera ce silence des critiques comme un signe de bon augure pour cet unique polar romand publié en ce début d’année et qu’il faut d’ores et déjà compter parmi les excellents ouvrages de la littérature noire helvétique, capable de capter l’atmosphère du pays, ceci d’autant plus qu’il se déroule à Lucerne, au cœur même des contrées alémaniques, où cette auteure canado-suisse séjourna plusieurs années.

     

    La jeune journaliste Helen Weber déambule dans la moiteur de son studio avant d’arpenter les rues tranquilles de la ville de Lucerne, en quête d’un scoop qui devrait confirmer son engagement au sein du Luzerner Press. Mais dans la torpeur de cette nuit estivale, il est difficile de dégotter un sujet pertinent à même de contenter son rédacteur en chef qui devient de plus en plus pressant. Il suffit pourtant d’une transaction qui tourne mal pour qu’elle s’intéresse à la mort de Paul Mutter, un escroc minable dont tout le monde se moque. Dans sa quête du meurtrier, Helen Weber va croiser la route de Jackson, un flic zurichois démis de ses fonctions qui demeure l’une des rares personnes à s’intéresser aux circonstances du décès de celui qui fut son ami. S’ensuit une enquête étrange qui va conduire ce duo bancal dans l’entourage des von Pfyffer, une famille de notables dont le patriarche reste encore marqué par le souvenir de la disparition tragique de son unique enfant. Une jeune fille qui se prénommait Nora.

     

    Avec ce bref roman d’à peine 150 pages, on est tout d’abord surpris par l’équilibre d’un texte dense, fourmillant de détails, contenu dans de courts chapitres cinglants qui rythment cette intrigue déroutante avec cette sensation tenace de traverser la fulgurance d’un songe qui s’enliserait dans la langueur de cette chaleur estivale. Car tout est flou, imprécis dans ce récit prenant pour cadre une ville de Lucerne plutôt déroutante où le meurtre de Paul Mutter résonne comme un lointain écho, ou plutôt comme un prétexte pour découvrir de singuliers personnages arpentant les rues de cette cité alémanique à mille lieues des clichés usuels. Ainsi, que ce soit l’ombre inquiétante du Pilate qui masque l’horizon ou les messages funestes des fresques qui ornent la voûte du fameux Kapellbrücke, l’ensemble du décor distille une ambiance déplaisante pour nourrir la sensation de malaise qui pèse sur l’ensemble du récit.

     

    Nora nécessitera une lecture attentive pour appréhender les détails qui se nichent au cœur d’un texte se dispensant d’explications ou de précisions superflues. Ce sont, par exemple, quelques éléments anodins comme les télégrammes ou le crépitement des télescripteurs qui font que l’on se rend subitement compte que le roman se déroule au début des années 90, durant la période des scènes ouvertes de la drogues qui fleurissaient dans les cantons suisses alémaniques, notamment au Letten à Zürich. Sans qu’elle l’évoque ouvertement, Louise Anne Bouchard installe ces éléments dramatiques dans le cours de l’intrigue où l’on distingue les silhouettes des toxicomanes qui hantent les bords de la Reuss. C’est également avec la mort de l’épouse de Jackson Clark, cet ex-flic zurichois, que l’on peut prendre la mesure du phénomène qui touchait toutes les couches de la population. Mais loin d’être des moteurs essentiels, tous ces éléments épars ne servent qu’à contextualiser une époque trouble et ambivalente à l’image de cette intrigue déroutante.

     

    Avec Helen Weber, étrange héroïne déjantée qui dissimule ses traits sous une multitude de perruques différentes, avec un thème se rapportant à la disparition de cette mystérieuse Nora on pense aux romans de Boileau-Narcejac ou à l’ambiguïté des personnages de Marc Behm avec tout de même beaucoup plus de mesure, caractéristique toute helvétique. Il n’empêche, par petites touches subtiles, Louise Anne Bouchard décline toute une série de portraits équivoques avec le savoir-faire d’une écriture éclairée, saupoudrée d’une ironie parfois mordante. L’intrigue tourne donc autour de tous ces protagonistes aux personnalités fortes et ambivalentes, qui dissimulent leurs fêlures dans un ensemble de non-dits les vouant immanquablement à leur perte avec la surprise d’une scène finale quelque peu alambiquée mais qui trouve finalement parfaitement sa place dans ce polar aux tonalités résolument décalées.

     

    Nora constitue donc une excellente surprise pour un récit parfaitement orchestré dans sa brièveté et dans son ambiance trouble où l’émotion et les souvenirs de l’auteure affleurent à chacune des pages de ce roman policier singulier. Une belle découverte helvétique.

     

    Louise Anne Bouchard : Nora. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Laura interprété par Eric Dolphy. Album : Eric Dolphy in Europe vol 2. Original Jazz Classics 1990.

  • Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi. Le souffle du crash.

    Capture d’écran 2018-02-04 à 15.24.27.pngComme je vous l’avais promis en ce début d’année, il m’importait de me tourner davantage vers la littérature noire asiatique afin de me laisser surprendre par les nouvelles perspectives d’un genre particulier que les auteurs de ces contrées lointaines abordent avec un regard bien différent de celui que peut nous offrir nos romanciers occidentaux. Ainsi, le monde de l’entreprise a fait l’objet, dans nos régions francophones, de nombreux romans noirs pointant disfonctionnements managériaux et autres disparités sociales tandis qu’au Japon, Ikeido Jun aborde le thème en empruntant des éléments narratifs propres aux thrillers et aux récits d’aventure avec un roman intitulé La Fusée De Shitamachi qui nous entraîne dans le sillage d’une PME nippone de pointe de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo, devant faire face à une concurrence aussi féroce qu’impitoyable.

     

    Ingénieur de renom Tsukuda Kôhei a participé à l’élaboration du moteur d’une fusée dont le lancement s’est révélé être un fiasco. Contraint de démissionner, il a repris la petite entreprise familiale de machine-outil qu’il a transformée en usine de pointe, spécialisée dans les composants de moteurs de haute précision. Mais diriger une PME d’excellence telle que la Tsukuda Seisakusho n’est pas une sinécure. Une entreprise qui annule brutalement son carnet de commande tandis qu’une autre l’attaque pour des questions de brevet et ce sont les investisseurs qui vous lâchent. Il faut donc faire face à l’adversité et Tsukuda Kôhei qui n’a jamais renoncé à ses rêves de succès dans le domaine de l’aérospatial, se lance dans la conception d’un modèle de valves destinées à équiper la fusée d’une grande compagnie industrielle ne pouvant supporter de dépendre d’une entreprise aussi insignifiante que la Tsukuda Seisakusho. Dans un contexte de rivalité extrême, nombreux seront les obstacles et trahisons en tout genre pour mettre à mal le projet de cet entrepreneur audacieux.

     

    Premier roman traduit en français pour cet auteur qui a commis une vingtaine d’ouvrages dont plusieurs polars, Ikeido Jun est un romancier à succès dans son pays d’origine ce qui explique sans doute cette écriture très classique, répondant aux standards du best-seller international. Il n’empêche, l’efficacité du texte ne saurait être remise en question lorsque l’on constate que des sujets à priori arides comme le financement des entreprises, les dépôts de brevets ou les processus de fonctionnement d’un moteur de haute précision deviennent les éléments centraux d’une intrigue riche en tensions narratives qui se mettent en place dans un climat de compétitivité exacerbée par les dissensions internes et les rivalités entre modestes PME et grandes compagnies. Emprunt d’une certaine forme de théâtralité, La Fusée De Shimatachi décrypte les multiples services composant une entreprise japonaise que l’on découvre par l’entremise de Tsukuda Kôhei, un ingénieur devenu patron qui se concentre davantage sur les concepts d’une technologie de pointe que sur les aspects stratégiques et financiers de ses affaires. Le lecteur fait ainsi la connaissance d’un entrepreneur dont les rêves de conquête dans le domaine de l’aérospatial deviennent les enjeux d’un récit où les défît entrepreneuriaux font l‘objet de trahisons en tout genre, d’embûches financières et technologiques pouvant faire capoter le projet à tout instant. Les rêves de l’entrepreneur face à la réalité du marché, la petite PME devant lutter contre les desseins d’une grande compagnie, l’employé réticent se ralliant finalement au projet, l’auteur s’appuie sur des schémas narratifs manichéens assez convenus pour alimenter les différents ressorts d’une intrigue qui n’en demeure pas moins passionnante.

     

    Même s’il n’a pas pour vocation de dénoncer les dysfonctionnements du monde de l‘entreprise nippone, La Fusée De Shitamachi permet d’appréhender un univers hiérarchisé, codifié à l’extrême, où le collectif ne laisse aucune place à l’individualisme. Et bien au-delà du maintien de l’emploi ou des questions salariales, c’est la fierté de la réussite des projets de l’entreprise qui importe avant tout, ceci au prix de tous les sacrifices. Ainsi les lecteurs attentifs pourront s’interroger sur les rythmes de travail effrénés de ces « salaryman » consacrant la majeure partie de leur temps au labeur quant ils ne se retrouvent pas, le soir venu, dans des izakaya, ces bars japonais où se déroulent les nomikai, « réunions pour boire », permettant de discuter encore du travail entre collègues et qui deviennent un véritable phénomène de société avec cette image de salariés ivres morts, titubants dans les rues ou affalés sur les sièges des métros. Egalement à charge, c’est le monde de la finance comme les banques mais également les société d’investissement et leurs rapports ambivalents à l’entreprise qu’Ikeido Jun, ancien employé bancaire, se charge de disséquer au gré d’une histoire entremêlant son expérience professionnelle à la fiction d’un récit riche en péripétie où l’innovation des technologies de pointe se heurte à l’absence de vision et au manque d’audace des financiers.

     

    Dépaysant, autant dans sa forme que du point de vue exotique, La Fusée De Shitamachi, est un pur roman populaire, mettant en scène l’aventure palpitante d’un entrepreneur audacieux et innovant confronté aux aléas des financements et de la concurrence tout en disséquant, avec une acuité redoutable, les différentes strates hiérarchiques qui compose un univers du travail où employés et cadres se dévouent corps et âmes et surtout, sans compter leur temps, au bon fonctionnement de l’entreprise. Surprenant et édifiant.

     

    Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi (Shitamachi Rocket). Traduit du japonais par Patrick Honnoré. Books Editions 2012.

    A lire en écoutant : Come Close (feat. Common) de Indigo Jam Unit. Album : re : common from Indigo Jam Unit. Rambling Records 2009.

     

     

  • Mise au point 2017. Polar suisse : Je ne vous aime pas non plus.

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresBilans, retrospectives et projets à venir, voici également venu le temps des classements afin d’aborder sereinement la nouvelle année 2018. Parce qu'il est toujours bien trop difficile de choisir parmi tous les ouvrages que j'ai chroniqués durant l'année, j'ai renoncé depuis longtemps à me soumettre à l'exercice. Et en ce qui concerne les statistiques, Mon Roman ? Noir et Bien Serré ! est un blog littéraire qui n’a jamais eu pour vocation de délivrer des bilans comptables permettant d’affirmer sa propre importance au sein de l’immensité de cette toile numérique. Ainsi, n’utilisant aucun outil d’analyse numérique et ne consultant jamais les données émises par les réseaux sociaux, je suis bien incapable de vous fournir le nombre de visiteurs ou autres éléments « pertinents » quant à la consultation des différentes recensions dont j’ignore la quantité pour l’année 2017. Mais après bientôt 7 ans d’activité à passer en revue la littérature noire, il importe de souligner que la motivation, même si elle n’est pas quantifiable, demeure toujours intacte.

     

    Cette désinvolture quant à la fréquentation et aux statistiques du blog, je la dois probablement au fait qu’en étant hébergé sur le site du journal de la Tribune de Genève je bénéficie d’une certaine visibilité qui ne cessera de m’étonner lorsque l’on m’aborde parfois dans les librairies que je fréquente pour commenter quelques critiques ou évoquer quelques ouvrages. J’en profite pour remercier la rédaction du journal et notamment Jean-François Mabut, qui prend la peine de publier régulièrement dans la version papier quelques extraits de mes chroniques.

     

    Puisque l’on est à l’heure des remerciements, il convient de citer quelques passeurs de livres, passionnés qui m’ont permis de faire de belles découvertes tout au long de ces années. Giuseppe Merrone (BSN Press), Pierre Fourniaud (La Manufacture de Livres) et Sebastien Wespiser (Agullo éditions) pour les éditeurs indépendants qui font un travail extraordinaire dans le domaine de l’édition. Dans la catégorie des libraires il me faut parler de Stéphanie Berg et Mohamed Benabed de Payot Lausanne et de toute l’équipe de la librairie du Boulevard à Genève en rappelant que vous pouvez également commander vos livres sur leurs sites respectifs tout en bénéficiant de leurs conseils avisés. Une prestation qui n’a pas de prix. Il faut également mentionner quelques sites et quelques blogs que j’ai toujours appréciés à l’instar de Fondu au Noir, Le Vent Sombre, 813 Le Blog, Encore du Noir, Bob Polar, Le Blog du Polar de Velda, The Killer Inside Me, Evadez-moi (un nouveau blog) et Mœurs Noires qui entame une retrospective sur l’œuvre de William McIlvanney. Des blogs dont la liberté de ton et l’esprit critique font figure de références au sein de la littérature noire.

     


    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresEn Suisse romande, l’année 2017 aura été marquée par l’hommage fait à Joseph Incardona récipiendaire de la première édition du prix du polar romand pour son livre Chaleur (Finitude 2016), incarnation du roman noir que j’apprécie et que je défends. Un événement qu’il convient de souligner dans le cadre d’une actualité littéraire romande qui s’est davantage focalisée sur deux auteurs de polars romands dont l’œuvre laisse franchement à désirer comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer à de multiples reprises. Critiques non constructives, jalousie, aigreur, règlements de compte, manque de respect de l’écrivain sacralisé et bien évidemment des lecteurs, j’aurai tout entendu au sujet de ces chroniques qui ont suscité bien des commentaires. Rien d’anormal dans l’ensemble de ces arguments que les écrivains des livres en question ont émis tout comme quelques blogueurs et lecteurs fanatiques ne supportant pas que l’on égratigne leurs idoles. Outre les cris d’orfraie de circonstance, ces chroniques m’ont valu quelques mesquineries et mises à l’écart qui ne m’ont pas échappé en me donnant ainsi une idée du niveau du débat que l’on peut avoir dans un milieu littéraire où l’on cultive l’entre-soi. Mais tout cela n’a pas grande importance, c'est même plutôt de bonne guerre et pour reprendre une réplique d'un réalisateur français s’adressant à ses détracteurs, il faut savoir que « si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.»

     

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresPour l’année 2018, le blog va donc poursuivre son petit bonhomme de chemin dans la même tonalité en me réjouissant d’ores et déjà à l’idée de retrouver Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Territori 2014) avec un nouveau roman intitulé Les Mauvaises qui va être publié dans le courant du mois de février 2018 par la Manufacture de Livres, dans la collection Territori et que l’on annonce déjà comme étant un chef-d’œuvre (ce n’est pas moi que le dis). Les nouveautés seront donc bien évidemment à l’ordre du jour, mais je tiens à pousuivre et achever les chroniques concernant les séries de l’inspecteur Sutter et du détective privé Smokey Dalton. Et puis je vais également continuer à explorer cette littérature asiatique qui ne cesse de me surprendre en m’entraînant bien au-delà des genres convenus de la littérature noire.

     

    Il ne me reste qu’à vous souhaiter de passer une très bonne année 2018 avec de belles lectures à venir et à vous remercier pour votre fidélité.

     

    A lire en écoutant : Il Faut Tourner La Page de Claude Nougaro. Album : Nougayork. WEA 1987.

  • CORINNE JAQUET : LE PENDU DE LA TREILLE. PASSE SIMPLE.

    Capture d’écran 2018-01-14 à 15.14.12.pngTout comme Jean-Jacques Busino, Corinne Jaquet fait figure, en Suisse, de précurseur dans le domaine de la littérature noire, à une époque où le polar ne suscitait que bien peu d’intérêt auprès d’un milieu littéraire romand se refusant à frayer avec le mauvais genre. Ce fut la France avec Rivages/noir qui édita les romans noirs de Busino tandis que la maison d’édition belge Luce Wilquin publiait les romans policiers de Corinne Jaquet. Historienne, journaliste spécialisée dans les chroniques judiciaires, cette auteure genevoise choisissait de concilier ses deux passions par le prisme d’une série de polars prenant pour thème les différents quartiers de Genève à l’instar de Léo Malet et ses arrondissements de Paris. Ainsi, au gré de faits divers ancrés dans l’histoire et les milieux sociaux-culturels des quartiers de Genève, l’aventure débutait en 1997 avec la parution d’un premier opus intitulé Le Pendu De La Treille mettant en scène la journaliste Alix Beauchamps et le commissaire Simon et que l’on trouve dans toutes les librairies romandes puisque l’ouvrage a fait l’objet, en 2017, d’une réédition dans La Collection Du Chien Jaune célébrant ainsi les vingt ans de la naissance de cet emblématique duo d’enquêteurs genevois.

     

    Georges Bertin crée une double surprise en étant élu au gouvernement genevois et, au lendemain de son élection, en étant retrouvé mort, pendu à un marronnier de la promenade de la Treille, à deux pas de l’exécutif où il devait siéger. En charge de cette délicate enquête, le commissaire Simon doit trouver le mobile de ce crime odieux. Une vengeance de l’opposition frustrée par cet échec surprenant, une punition d’une des anciennes conquêtes de ce séducteur ou doit-on explorer dans la jeunesse tumultueuse de ce politicien sulfureux ? La médiatisation de l’événement rend les investigations difficiles car les journalistes sont sur la brèche pour obtenir quelques éléments croustillants afin d’alimenter leurs articles. Jeune et ambitieuse, la chroniqueuse judiciaire Alix Beauchamp n’est pas en reste pour percer les secrets et les travers d’une bourgeoise calviniste peu encline aux confidences. Derrière les honorables façades patriciennes des rues de la vieille ville, les rancœurs sont parfois meurtrières.

     

    A une époque où les polars ne faisaient pas l’objet de pavés de plus de 600 pages, ce qui frappe avec Le Pendu De La Treille, c’est la brièveté d’un récit concentrant une intrigue policière à la fois classique et efficace, agrémentée de cette atmosphère délicieusement surannée d’une cité de Calvin dont on se plait à se remémorer quelques lieux emblématiques aujourd’hui disparus tandis que d’autres demeurent toujours d’actualité à l’instar du café Papon ou du Consulat où se déroulent de nombreuses scènes du roman. Avec une économie et une précision redoutable dans l’usage des mots, le texte est ponctué de brefs chapitres conciliant l’aspect historique du quartier de la vieille ville où se situe l’ensemble d’un récit tout en mettant en exergue les coulisses du pouvoir ainsi que les rouages du monde politique genevois. On appréhende ainsi la vie d’un quartier bourgeois recelant quelques éléments d’histoires méconnus comme ses affrontements entre jeunes issus des mouvances fascistes et anarchistes.

     

    Du fait de ses connaissances du milieu de la justice et du monde policier en tant que chroniqueuse judiciaire,Corinne Jaquet nous entraîne dans les méandres d’une enquête réaliste permettant de comprendre les interactions entre les différentes institutions étatiques, mais également de découvrir la complexité des liens régissant la police et la presse. Bien évidemment avec Alix Beauchamps, c’est un peu de l’auteure qui s’est glissée dans cette jeune journaliste intrépide, sensible, dotée d’un caractère fort et pouvant parfois se montrer maladroite mais toujours déterminée à faire la lumière sur les affaires dont elle doit chroniquer les faits. En ce qui concerne le commissaire Simon, l’homme est un individu taciturne parfois colérique qui sort des archétypes du personnage torturé pour emprunter des caractéristiques plus classiques pouvant rappeler un certain Jules Maigret, se révélant tout de même beaucoup plus dynamique, à l’image du récit. Car tout va très vite dans Le Pendu De La Treille avec un dénouement quelque peu abrupt qui aurait mérité un épilogue permettant de mieux saisir l’impact de l’affaire sur les deux personnages principaux qui vont apprendre à se découvrir au fil des enquêtes à venir.

     

    Malgré un meurtre peu commun, Corinne Jaquet ne s’attarde jamais sur les aspects racoleurs du crime pour s’intéresser aux dimensions psychologiques de protagonistes parfois atypiques qui donnent leurs tonalités au quartier visité et dont on aime à découvrir les lourds secrets au travers d’interactions maîtrisées et de dialogues pertinents. Un concentré de polar sur fond d’Histoire genevoise.

     

    Corinne Jaquet : Le Pendu De La Treille. La Collection Du Chien Jaune 2017.

    A lire en écoutant : Expedition Impossible de Hooverphonic. Album : With Orchestra. 2012 Sony Music Entertainment Belgium.

  • MARIE-CHRISTINE HORN : LA PIQÛRE. CE MAL QUI VOUS RONGE.

    Capture d’écran 2018-01-21 à 19.33.39.pngDepuis quelques années, alors qu'elles s'en désintéressaient totalement, d’emblématiques maisons d’éditions romandes, comme Zoé ou L’Âge d’Homme, se sont lancées dans le roman policier sans que l’on ne comprenne très bien le sens de cette démarche si ce n’est une volonté de saisir l’opportunité du regain d’intérêt du public suisse romand pour la littérature noire, ceci d’autant plus que les médias ne cessent d’encenser les auteurs se lançant dans le polar sur le mode local que l’on affuble désormais du qualificatif ridicule « d’ethno ». Mais bien au-delà du phénomène de mode teinté d’accents folkloriques racoleurs ou de l’aspiration à épouser les modèles des best-sellers scandinaves ou d’autres contrées, ou même de réitérer un coup d’édition à la Dicker, on peut comprendre, à la lecture de certains textes, que les éditeurs n’aient pas voulu voir échapper quelques auteurs brillants, capables de saisir l’atmosphère de nos contrées helvétiques par le prisme du genre policier. Ainsi en compulsant le catalogue de l’Âge d’Homme on découvre une collection Poche Suisse Noir comportant un titre de Marie-Christine Horn, intitulé La Piqûre que l’auteure avait publié en 2006 et dont elle nous propose une version rémaniée pour la présente publication.

     

    Surmonter le deuil n’est pas une chose aisée pour Lou, surtout lorsqu’il s’agit de Carlos, son amant brésilien qu’elle a retrouvé mort dans sa baignoire, les veines tranchées. Une image sordide qui ne cesse de la hanter, ceci d’autant plus qu’elle ne peut admettre la thèse du suicide. Fantasque, mythomane, alternant les moments joyeux et quelques humeurs plus mélancoliques, Carlos était un homme secret ne parlant que très peu de son pays d’origine. Mais pour faire la lumière sur sa mort et à mesure qu’elle découvre le passé de son compagnon, Lou met à jour un parcours de vie insoupçonné qui se dévoile peu à peu laissant entrevoir toute la détresse de ces immigrés clandestins devant tout abandonner dans l’espoir de trouver une vie meilleure dans de lointaines contrées. Et comme cette piqûre qui la démange, Lou n’aura de cesse de trouver la vérité, tout comme l’inspecteur Charles Rouzier en charge d’une enquête se révélant moins routinière qu’il n’y paraît.

     

    Sur une trame narrative plutôt classique, où l’héroïne, envers et contre tous, découvre dans le passé de la victime quelques obscurs secrets en lien avec le crime, Marie-Christine Horn met en place une dramaturgie originale, un peu décalée, notamment au niveau de l’introduction avec cette piqûre nous renvoyant au souvenir du crime dans une redoutable et efficace mise en perspective permettant de percevoir toute la détresse d’une femme désemparée. Outre l’efficience d’un schéma narratif maîtrisé, on appréciera avec Marie-Christine Horn la convergence des genres pour une intrigue oscillant entre le polar et le roman noir. Ainsi l’enquête policière se met en place par l’entremise de l’inspecteur Charles Rouzier dont le profil s’apparente à celui d’un policier comme Jules Maigret ou Martin Beck tout en occupant un rôle plutôt secondaire pour mettre en exergue les carences des institutions cantonales révélant une corruption ne tournant pas forcément autour d’une simple question d’argent. Mais La Piqûre emprunte davantage de thèmes afférents aux romans noirs en mettent en scène cette dichotomie entre l’insouciance de Lou, représentation d’une classe moyenne aisée, et l’angoisse de Carlos dont le statut de séjour précaire le contraindra à quelques compromissions dont il ne peut révéler les tenants et les aboutissants. Parce qu’elle ne peut se départir du cliché du brésilien séducteur, Lou ne voit, dans les dissimulations de son amant, que de vagues petites histoires d’infidélité la conduisant sur le seuil de la rupture. Bien évidemment, rongée par le remord, ce n’est qu’à la mort de son amant que Lou va découvrir une réalité beaucoup moins glamour en se rendant dans un bidonville de Rio de Janeiro où vivait Carlos. Dans le cadre de cette dynamique de rédemption bien trop tardive, on appréciera également les personnages secondaires composant l’entourage de l’héroïne à l’instar de sa sœur Nicole, incarnation de la mère de famille modèle et de Daniel, son ami d’enfance dévoué, qui voit dans la quête de Lou, l’occasion de conquérir son cœur. L’ensemble se décline dans une atmosphère lausannoise que Marie-Christine Horn restitue par petites touches et avec beaucoup de justesse tout comme la ville de Rio de Janeiro et ses bidonvilles, dépeints avec beaucoup de pudeur en évitant tous les clichés sordides.

     

    On l’aura deviné, l’ensemble du récit, dépourvu d’éléments gores ou de scènes d’actions trépidantes, tourne autour d’une tension psychologique continue que l’auteure entretient au gré de rebondissements surprenants qui alimentent une intrigue à la fois subtile et prenante. Avec une écriture précise et dynamique, sans abuser d’artifices narratifs propres au genre et avec une logique implacable, l’intrigue baigne dans une atmosphère de suspense se déclinant au rythme des nombreuses péripéties jalonnant le roman et dont l’issue ultime révélera encore quelques surprises que l’on découvrira sous la forme d’un épilogue à l’ironie mordante.

     

    Pertinente dans le choix des thèmes qu’elle aborde avec beaucoup de finesse au travers de la belle énergie de cette figure héroïque d’une femme forte mais désemparée devant surmonter les obstacles de la disparition suspecte de son amant, Marie-Christine Horn nous offre, avec La Piqûre, un excellent polar dynamique conciliant la veine populaire du genre tout en abordant les multiples disfonctionnements sociétaux pouvant pousser l’individu à la commission d’un crime. Dans le paysage de la littérature noire helvétique il faut compter sur Marie-Christine Horn.

     

    Marie-Christine Horn : La Piqûre. Editions L’Âge d’Homme 2017.

    A lire en écoutant : O Caminho de Bebel Gilberto. Album : Bebel Gilberto. Crammed Disc 2004.