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Rechercher : l’accident de chasse

  • Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi. Le souffle du crash.

    Capture d’écran 2018-02-04 à 15.24.27.pngComme je vous l’avais promis en ce début d’année, il m’importait de me tourner davantage vers la littérature noire asiatique afin de me laisser surprendre par les nouvelles perspectives d’un genre particulier que les auteurs de ces contrées lointaines abordent avec un regard bien différent de celui que peut nous offrir nos romanciers occidentaux. Ainsi, le monde de l’entreprise a fait l’objet, dans nos régions francophones, de nombreux romans noirs pointant disfonctionnements managériaux et autres disparités sociales tandis qu’au Japon, Ikeido Jun aborde le thème en empruntant des éléments narratifs propres aux thrillers et aux récits d’aventure avec un roman intitulé La Fusée De Shitamachi qui nous entraîne dans le sillage d’une PME nippone de pointe de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo, devant faire face à une concurrence aussi féroce qu’impitoyable.

     

    Ingénieur de renom Tsukuda Kôhei a participé à l’élaboration du moteur d’une fusée dont le lancement s’est révélé être un fiasco. Contraint de démissionner, il a repris la petite entreprise familiale de machine-outil qu’il a transformée en usine de pointe, spécialisée dans les composants de moteurs de haute précision. Mais diriger une PME d’excellence telle que la Tsukuda Seisakusho n’est pas une sinécure. Une entreprise qui annule brutalement son carnet de commande tandis qu’une autre l’attaque pour des questions de brevet et ce sont les investisseurs qui vous lâchent. Il faut donc faire face à l’adversité et Tsukuda Kôhei qui n’a jamais renoncé à ses rêves de succès dans le domaine de l’aérospatial, se lance dans la conception d’un modèle de valves destinées à équiper la fusée d’une grande compagnie industrielle ne pouvant supporter de dépendre d’une entreprise aussi insignifiante que la Tsukuda Seisakusho. Dans un contexte de rivalité extrême, nombreux seront les obstacles et trahisons en tout genre pour mettre à mal le projet de cet entrepreneur audacieux.

     

    Premier roman traduit en français pour cet auteur qui a commis une vingtaine d’ouvrages dont plusieurs polars, Ikeido Jun est un romancier à succès dans son pays d’origine ce qui explique sans doute cette écriture très classique, répondant aux standards du best-seller international. Il n’empêche, l’efficacité du texte ne saurait être remise en question lorsque l’on constate que des sujets à priori arides comme le financement des entreprises, les dépôts de brevets ou les processus de fonctionnement d’un moteur de haute précision deviennent les éléments centraux d’une intrigue riche en tensions narratives qui se mettent en place dans un climat de compétitivité exacerbée par les dissensions internes et les rivalités entre modestes PME et grandes compagnies. Emprunt d’une certaine forme de théâtralité, La Fusée De Shimatachi décrypte les multiples services composant une entreprise japonaise que l’on découvre par l’entremise de Tsukuda Kôhei, un ingénieur devenu patron qui se concentre davantage sur les concepts d’une technologie de pointe que sur les aspects stratégiques et financiers de ses affaires. Le lecteur fait ainsi la connaissance d’un entrepreneur dont les rêves de conquête dans le domaine de l’aérospatial deviennent les enjeux d’un récit où les défît entrepreneuriaux font l‘objet de trahisons en tout genre, d’embûches financières et technologiques pouvant faire capoter le projet à tout instant. Les rêves de l’entrepreneur face à la réalité du marché, la petite PME devant lutter contre les desseins d’une grande compagnie, l’employé réticent se ralliant finalement au projet, l’auteur s’appuie sur des schémas narratifs manichéens assez convenus pour alimenter les différents ressorts d’une intrigue qui n’en demeure pas moins passionnante.

     

    Même s’il n’a pas pour vocation de dénoncer les dysfonctionnements du monde de l‘entreprise nippone, La Fusée De Shitamachi permet d’appréhender un univers hiérarchisé, codifié à l’extrême, où le collectif ne laisse aucune place à l’individualisme. Et bien au-delà du maintien de l’emploi ou des questions salariales, c’est la fierté de la réussite des projets de l’entreprise qui importe avant tout, ceci au prix de tous les sacrifices. Ainsi les lecteurs attentifs pourront s’interroger sur les rythmes de travail effrénés de ces « salaryman » consacrant la majeure partie de leur temps au labeur quant ils ne se retrouvent pas, le soir venu, dans des izakaya, ces bars japonais où se déroulent les nomikai, « réunions pour boire », permettant de discuter encore du travail entre collègues et qui deviennent un véritable phénomène de société avec cette image de salariés ivres morts, titubants dans les rues ou affalés sur les sièges des métros. Egalement à charge, c’est le monde de la finance comme les banques mais également les société d’investissement et leurs rapports ambivalents à l’entreprise qu’Ikeido Jun, ancien employé bancaire, se charge de disséquer au gré d’une histoire entremêlant son expérience professionnelle à la fiction d’un récit riche en péripétie où l’innovation des technologies de pointe se heurte à l’absence de vision et au manque d’audace des financiers.

     

    Dépaysant, autant dans sa forme que du point de vue exotique, La Fusée De Shitamachi, est un pur roman populaire, mettant en scène l’aventure palpitante d’un entrepreneur audacieux et innovant confronté aux aléas des financements et de la concurrence tout en disséquant, avec une acuité redoutable, les différentes strates hiérarchiques qui compose un univers du travail où employés et cadres se dévouent corps et âmes et surtout, sans compter leur temps, au bon fonctionnement de l’entreprise. Surprenant et édifiant.

     

    Ikeido Jun : La Fusée De Shitamachi (Shitamachi Rocket). Traduit du japonais par Patrick Honnoré. Books Editions 2012.

    A lire en écoutant : Come Close (feat. Common) de Indigo Jam Unit. Album : re : common from Indigo Jam Unit. Rambling Records 2009.

     

     

  • CORINNE JAQUET : LE PENDU DE LA TREILLE. PASSE SIMPLE.

    Capture d’écran 2018-01-14 à 15.14.12.pngTout comme Jean-Jacques Busino, Corinne Jaquet fait figure, en Suisse, de précurseur dans le domaine de la littérature noire, à une époque où le polar ne suscitait que bien peu d’intérêt auprès d’un milieu littéraire romand se refusant à frayer avec le mauvais genre. Ce fut la France avec Rivages/noir qui édita les romans noirs de Busino tandis que la maison d’édition belge Luce Wilquin publiait les romans policiers de Corinne Jaquet. Historienne, journaliste spécialisée dans les chroniques judiciaires, cette auteure genevoise choisissait de concilier ses deux passions par le prisme d’une série de polars prenant pour thème les différents quartiers de Genève à l’instar de Léo Malet et ses arrondissements de Paris. Ainsi, au gré de faits divers ancrés dans l’histoire et les milieux sociaux-culturels des quartiers de Genève, l’aventure débutait en 1997 avec la parution d’un premier opus intitulé Le Pendu De La Treille mettant en scène la journaliste Alix Beauchamps et le commissaire Simon et que l’on trouve dans toutes les librairies romandes puisque l’ouvrage a fait l’objet, en 2017, d’une réédition dans La Collection Du Chien Jaune célébrant ainsi les vingt ans de la naissance de cet emblématique duo d’enquêteurs genevois.

     

    Georges Bertin crée une double surprise en étant élu au gouvernement genevois et, au lendemain de son élection, en étant retrouvé mort, pendu à un marronnier de la promenade de la Treille, à deux pas de l’exécutif où il devait siéger. En charge de cette délicate enquête, le commissaire Simon doit trouver le mobile de ce crime odieux. Une vengeance de l’opposition frustrée par cet échec surprenant, une punition d’une des anciennes conquêtes de ce séducteur ou doit-on explorer dans la jeunesse tumultueuse de ce politicien sulfureux ? La médiatisation de l’événement rend les investigations difficiles car les journalistes sont sur la brèche pour obtenir quelques éléments croustillants afin d’alimenter leurs articles. Jeune et ambitieuse, la chroniqueuse judiciaire Alix Beauchamp n’est pas en reste pour percer les secrets et les travers d’une bourgeoise calviniste peu encline aux confidences. Derrière les honorables façades patriciennes des rues de la vieille ville, les rancœurs sont parfois meurtrières.

     

    A une époque où les polars ne faisaient pas l’objet de pavés de plus de 600 pages, ce qui frappe avec Le Pendu De La Treille, c’est la brièveté d’un récit concentrant une intrigue policière à la fois classique et efficace, agrémentée de cette atmosphère délicieusement surannée d’une cité de Calvin dont on se plait à se remémorer quelques lieux emblématiques aujourd’hui disparus tandis que d’autres demeurent toujours d’actualité à l’instar du café Papon ou du Consulat où se déroulent de nombreuses scènes du roman. Avec une économie et une précision redoutable dans l’usage des mots, le texte est ponctué de brefs chapitres conciliant l’aspect historique du quartier de la vieille ville où se situe l’ensemble d’un récit tout en mettant en exergue les coulisses du pouvoir ainsi que les rouages du monde politique genevois. On appréhende ainsi la vie d’un quartier bourgeois recelant quelques éléments d’histoires méconnus comme ses affrontements entre jeunes issus des mouvances fascistes et anarchistes.

     

    Du fait de ses connaissances du milieu de la justice et du monde policier en tant que chroniqueuse judiciaire,Corinne Jaquet nous entraîne dans les méandres d’une enquête réaliste permettant de comprendre les interactions entre les différentes institutions étatiques, mais également de découvrir la complexité des liens régissant la police et la presse. Bien évidemment avec Alix Beauchamps, c’est un peu de l’auteure qui s’est glissée dans cette jeune journaliste intrépide, sensible, dotée d’un caractère fort et pouvant parfois se montrer maladroite mais toujours déterminée à faire la lumière sur les affaires dont elle doit chroniquer les faits. En ce qui concerne le commissaire Simon, l’homme est un individu taciturne parfois colérique qui sort des archétypes du personnage torturé pour emprunter des caractéristiques plus classiques pouvant rappeler un certain Jules Maigret, se révélant tout de même beaucoup plus dynamique, à l’image du récit. Car tout va très vite dans Le Pendu De La Treille avec un dénouement quelque peu abrupt qui aurait mérité un épilogue permettant de mieux saisir l’impact de l’affaire sur les deux personnages principaux qui vont apprendre à se découvrir au fil des enquêtes à venir.

     

    Malgré un meurtre peu commun, Corinne Jaquet ne s’attarde jamais sur les aspects racoleurs du crime pour s’intéresser aux dimensions psychologiques de protagonistes parfois atypiques qui donnent leurs tonalités au quartier visité et dont on aime à découvrir les lourds secrets au travers d’interactions maîtrisées et de dialogues pertinents. Un concentré de polar sur fond d’Histoire genevoise.

     

    Corinne Jaquet : Le Pendu De La Treille. La Collection Du Chien Jaune 2017.

    A lire en écoutant : Expedition Impossible de Hooverphonic. Album : With Orchestra. 2012 Sony Music Entertainment Belgium.

  • Nicolas Verdan : La Coach. La chronique de Stéphanie Berg.

    NICOLAS VERDAN, LA COACH, EDITIONS BSN PRESSLa Coach est un roman noir comme on les aime. Un de ceux qui, nous prenant par les émotions, nous replacent au coeur de la réalité en nous questionnant sur nos responsabilités. Un de ceux qui racontent une histoire qui nous ressemble.

     

     

    Coraline veut la peau d’Esposito. Il est son client, sa cible, sa proie. Il est surtout celui qu’elle tient pour responsable du suicide de son frère suite à une restructuration massive de SwissPost. Incarnation parfaite de sa profession de coach par sa détermination froide et inébranlable, elle traverse la Suisse de train en train mue par un seul objectif. Elle ne vit que pour sa vengeance. La Coach est donc l’histoire d’une femme qui souffre et qui trouve un exutoire dans son sens personnel de la justice. Il est aussi le roman d’un homme qui souffre et qui voit en cette femme un espoir de remède à son supplice.

     

    Quand la parution d’un roman résonne autant avec l’actualité, nous sommes obligés de nous poser des questions. Hasard ou inspiration prémonitoire ? Nicolas Verdan n’est pas plus visionnaire que vous et moi. Mais son double regard de journaliste et romancier lui permet de sonder notre pays de l’intérieur et rendre en mots la rage sourde des acteurs du drame qui s’y joue. Il nous rappelle qu’au-delà des scandales politiques et des désastres économiques, ce sont des tragédies humaines qui forment le canevas d’une nation, que les faillites naissent d’abord dans les tripes d’individus dépassés par un système qui leur est hostile. Que nous sommes tous partie de ce système. Et in fine tous impactés.

     

    Il n’est pas de drame sociétal sans souffrance individuelle. Les heures difficiles que vit La Poste suisse aujourd’hui ne sont pas les préoccupations des seuls dirigeants, employés et journalistes. La colère de Coraline répond à la violence que de trop nombreuses familles subissent au quotidien, transposable à d’autres entreprises, d’autres pays.

     

    Nicolas Verdan nous captive avant tout avec un récit de vengeance personnelle, certes, mais il nous offre une réflexion avertie sur un quotidien qu’il sait placer dans des décors si familiers que nous accompagnons Coraline les yeux fermés dans son tourbillon funèbre.

     

    Stéphanie Berg, libraire, responsable de la littérature noire à Payot Lausanne.

     

    Nicolas Verdan : La Coach. Editions BSN Press 2018.

    À lire en écoutant : Hélène et le sang de Bérurier Noir. Album : Concerto pour détraqués. Bondage records 1985.

     

    Dédicaces de Nicolas Verdan :

    • Dédicace-Vernissage, Payot Genève Rive Gauche, 8 mars 2018, 17h30-19h (avec Joseph Incardona).
    • Dédicace, Payot Lausanne, 9 mars 2018, 16h30-18h (avec Joseph Incardona).
    • Dédicace, Librairie La Fontaine (Vevey), 15 mars 2018, 17h-19h (avec Joseph Incardona).
    • Rencontre, Salon du livre et de la presse de Genève, Place suisse, 28 avril 2018, 16h-17h (avec Virgile Elias Gehrig).

     

  • JOSEPH WAMBAUGH : SOLEILS NOIRS. FLICS DE RUE.

    Capture d’écran 2017-09-13 à 18.32.17.pngLorsque les policiers se lancent dans l’écriture pour partager les aléas de leur profession, c’est bien souvent par le biais d’une main-courante romancée qu’ils restituent les vicissitudes d’un quotidien qui laisse entrevoir la pénibilité d’un métier résolument tourné vers l’humain avec tout ce que cela implique en matière de détresse sociale souvent insoupçonnée. Une compilation tragi-comique d’anecdotes qui nous permettent d’appréhender un univers plutôt sombre dans lequel évolue des agents en uniforme proche de la rupture à force de se confronter à une misère sociale bouleversante. On pense par exemple à Kent Anderson avec Chiens De La Nuit qui nous entraîne dans un quartier défavorisé de Portland où il a exercé comme patrouilleur durant plusieurs années. Dans un contexte similaire il convient également de s’intéresser à James Wambaugh qui a été officier de police durant 14 ans au sein du LAPD avant d'écrire des scénarios et des romans dont Soleils Noirs, publié en 1983, qui présente la particularité de concilier cette fameuse main-courante de policiers uniformés avec une enquête policière qui sort résolument de l’ordinaire.

    A Los Angeles en 1981, les flics de la Rampart Division ont pris l’habitude de se réunir tous les soirs dans un bar obscur du quartier qu’ils ont baptisé La Maison des Souffrances et qui est devenu une annexe du commissariat. Une sorte d’exutoire dantesque où l’on picole sec tout en se remémorant, dans une atmosphère débridée, les interventions de la journée. Mais les lendemains de cuite sont difficiles et il faut retourner patrouiller en parcourant les rues du secteur pour régler des affaires plus sordides les unes que les autres tout en tabassant les petits délinquants les plus récalcitrants. Mais parfois on peut tomber sur une affaire qui sort de l’ordinaire comme cette prostituée camée que l’on a balancé du toit d'un hôtel sordide. Qu’a-t-elle à voir avec ce vieux détective privé que l’on a retrouvé mort dans un motel ? C’est le sergent Mario Villalobos qui est en charge de l’enquête. Il pourra compter sur une belle équipe de bras cassé dont Le Tchèque, le plus gros, le plus grand et le plus mauvais des flics du LAPD.

    Voici le portrait acide d’une bande de policiers dégénérés qui se sont parfaitement adaptés au contexte d’un quartier misérable qu’ils parcourent à longueur de journée en se coltinant toute la misère du monde qu’ils doivent absorber du mieux qu’ils peuvent. Alors bien sûr Joseph Wambaugh évoque la corruption, les petites combines foireuses et les tabassages en règle pour des flics en rupture soignant leur mal de vivre à coup de cuites carabinées. Le tableau n’est donc guère flatteur et serait même plutôt sombre s’il n’y avait pas cet humour grinçant qui traverse le roman d’un bout à l’autre. L’auteur nous transporte ainsi dans un univers à la MASH version police avec une intrigue habile et surprenante à la fois puisqu’elle intègre des scientifiques en lisse pour le prix Nobel et des espions russes. Et il faut toute l’habilité de James Wambaugh pour faire en sorte que tous ces éléments tiennent la route dans un récit d’une étonnante cohérence.

    Sans concession, sans jugement et surtout sans justification, Joseph Wambaugh parvient à capter avec beaucoup de justesse les personnages ainsi que l'ambiance particulière qui règne au sein de cette brigade de Los Angeles. Mais au-delà des excès et des frasques de ces policiers hauts en couleur, l'auteur s'emploie à dépeindre leur quotidien qui est loin d'être une sinécure avec son lot de réquisitions rocambolesques, parfois démentes qui virent souvent au tragique. Ainsi, par le biais d'une écriture toute en retenue, mais extrêmement précise qui s'abstient de tout sentimentalisme, on perçoit d'ailleurs tout l'attachement et l'affection que l'auteur porte pour ceux dont il a partagé l'expérience durant tant d'années. Avec un texte qui reste encore très actuel, Joseph Wambaugh s'attache également à rendre hommage aux femmes qui ont embrassé une carrière dans les forces de l'ordre en s'arrêtant sur deux fortes personnalités féminines qui se révèlent toutes aussi efficientes, si ce n'est plus, que leurs collègues masculins tout en subissant leurs réflexions oiseuses voir misogynes.

    Bien plus lumineux que son titre ne le laisse paraître, Soleils Noirs est un roman qui concentre noirceur et éclats de rire dans le cours d’un récit dynamique fichtrement bien écrit.

     

    Joseph Wambaugh : Soleils Noirs (The Delta Star). Editions Archipoche 2016. Traduit de l’anglais par Jacques Martinache.

    A lire en écoutant : Riot Van de Arctic Monkeys. Album : Whatever People Say I Am, That's What I'm Not. Domino Records 2016

     

  • FRANCK BOUYSSE : GLAISE. AU COEUR DE LA TERRE.

    frank bouysse, Il y a toujours ce moment déconcertant où l’on se demande par quel bout appréhender cette fameuse rentrée littéraire qui convoque tous les lecteurs sur une période donnée, comme s’il y avait un instant idéal pour se lancer dans la découverte d’une production qui doit se caler sur l’agenda des grands prix de littérature. Dans cette déferlante de parutions qui s’étouffent les unes les autres et disparaissent dans l’anonymat du nombre on peut éprouver un sentiment de dépassement à l’image de cet enfant perdu devant un coffre rempli de jouets neufs. Quel roman faut-il choisir ? Une phase de perplexité qui ne dure guère longtemps puisqu’il y a toujours quelques ouvrages qui émergent comme Glaise de Franck Bouysse qui, entre le succès d’un roman tout en retenue comme Grossir Le Ciel (La Manufacture de Livres 2014) et les débordements d’une écriture trop dense que l’on décelait avec Plateau (La Manufacture de Livres 2015), suscitait une grande attente, teintée de curiosité avec cette nouvelle parution.

    Comme partout ailleurs, dans cette région reculée du Cantal, les hommes sont partis à la guerre. Celle que l’on dit la dernière. Et Joseph, tout juste quinze ans doit s’occuper de la ferme avec sa mère Mathilde et sa grand-mère. La tâche est rude, mais ils peuvent compter sur Léonard, un vieux paysan du coin qui fait également office de confident tout en étant capable de tenir la dragée haute à Valette, un voisin pas commode qui a été reformé à cause de cette fichue main atrophiée. L’homme règne sur son exploitation avec sa femme Irène et nourrit son amertume et sa fureur à coup de petits verres d’eau de vie en attendant le retour de leur fils. Et pour rajouter à son humiliation voilà qu’il doit héberger la femme de son frère, Hélène une citadine qui vient se réfugier au domaine avec sa fille Anna, une belle adolescente prête à faire chavirer les cœurs quitte à bouleverser l’équilibre précaire qui règne sur ces montagnes.

    Alors bien sûr, on pourrait reprocher à Franck Bouysse de ne pas prendre trop de risque et de ne pas vouloir sortir de sa zone de confort en nous proposant, pour la troisième fois, un roman noir se déroulant dans ce milieu rural qu’il affectionne. On pourrait également déplorer le fait que le personnage du vieux paysan taciturne revient continuellement dans le cours de ses récits et que des protagonistes tels que Gus dans Grossir Le Ciel, Virgile dans Plateau ou Léonard que l’on découvre dans ce nouvel opus, ne présentent guère de dissemblances les uns par rapport aux autres. Mais il faut bien admettre que toutes ces réticences ne pèsent pas bien lourd face à un texte puissant, racé et équilibré qui nous entraîne sur le parcours initiatique de Joseph, un jeune garçon, contraint, par la force des choses, à grandir trop vite. C’est donc autour de cet adolescent que se construit, au rythme lent des saisons qui passent, une intrigue chargée de tensions mais également d’émotions parfois poignantes avec, en toile de fond, cette guerre que l’on devine et qui, même si elle résonne dans le lointain, est encore capable de dévaster les cœurs meurtris ou d’alimenter la folie de celles et ceux qui sont restés à l’arrière.

    Glaise c’est bien évidemment le matériau qu’utilise Joseph pour ses sculptures, mais c’est également cette terre nourricière qui cimente l’ensemble des personnages à l’instar de cette grand-mère conservant dans son coffret les précieux titres de propriété du domaine. Un bien inestimable donc qui alimente les convoitises et les rancœurs jusqu’au drame qui se bâtit peu à peu sur fond de haine et de jalousie ravivées par la relation qui se noue entre Joseph et la belle Anna qui va bousculer le fragile équilibre régulant les relations entre les différents protagonistes. Glaise c’est également cette boue gorgée de sang qui colle aux vêtements de ces soldats disparaissant dans cette terre meuble qui les absorbe parce que c’est finalement cette guerre lointaine qui aura le dernier mot d’ailleurs gravé sur la stèle froide d’un monument aux morts qui conclut d’une manière cruelle et abrupte un récit se révélant bien plus surprenant qu’il n’y paraît.

    Comme à l’accoutumée, Franck Bouysse parvient à magnifier le cadre dans lequel se déroule le roman avec une dentelle délicate de phrases et de mots qui lui permettent de dépeindre un décor à la fois âpre et somptueux qui évolue au fil des saisons même s’il faut parfois compulser, pour le citadin que je suis, un ouvrage de botanique pour visualiser les différentes espèces d’arbres et de plantes qui sont évoquées. Etroitement liés aux décors qui les entourent, les personnages empruntent toutes les caractéristiques de cette nature sauvage qui les imprègne en se traduisant notamment par l’entremise de dialogues ciselés qui vont toujours à l’essentiel dans cet univers où la parole est comptée. Ainsi au travers d’un texte somptueux on perçoit cette belle et subtile alchimie qui allie la magnificence d’une nature au service d’une belle intrigue et de personnages magnifiques qui font de Glaise un roman tout simplement admirable.

     

    Franck Bouysse : Glaise. Editions La Manufactures de Livres 2017.

    A lire en écoutant : Branle – La péronelle de Malicorne. Album : Mariage Anglais. Hexagone 1975.

  • James Crumley : Fausse Piste. Sur les traces de la voie lactée.

    Capture d’écran 2017-02-18 à 00.51.39.pngUne nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d’illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l’œuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d’une traduction plus contemporaine, il s’agit de découvrir ou redécouvrir l’une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l’un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

     

    A Meriwether dans le Colorado c’en est fini des flagrants délits d’adultère pour le détective privé Milo Milodragovitch qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l’on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu’à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l’enquête va se révéler plus chaotique qu’il n’y paraît.

     

    Une écriture généreuse, sincère, dotée d’un humour vachard, c’est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d’une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au final d’une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l’âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l’ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s’imbiber généreusement d’alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s’investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s’avèrent bien plus originales qu’on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l’époque aux USA. Une période confuse où l’on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d’arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s’imbiber quotidiennement et méthodiquement d’alcool. Libéralisation des mœurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l’auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

     

    Parce qu’il ne faut pas s’y tromper, Fausse Piste, comme d’ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d’une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l’objet de l’intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l’agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l’atmosphère du roman avec une belle justesse.

     

    James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d’une violence crue et d’une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d’une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu’ils dissimulent sous une somme d’excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovitch, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu’il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d’une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

     

    Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l’une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s’inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovitch pour l’une et C.W. Sughrue pour l’autre, détective également mythique que l’on retrouve dans Le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n’est que le début d’une œuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.

     

    James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.

  • Joe Meno : Le Blues De La Harpie. Solder sa dette.

    Capture d’écran 2017-03-07 à 17.20.25.pngLorsque deux anciens taulards, en quête de rédemption, entrent en scène, on peut être quasiment certain qu’une référence à Johnny Cash ne sera jamais bien loin à l’instar de Joe Meno qui lui rend hommage dans Le Blues De La Harpie une des dernières découvertes de la maison d’édition Agullo. Et puisqu’il s’agit d’une sombre histoire d’amour où la tragédie s’immisce au détour de chacune des rues de cette petite bourgade du Midwest il conviendra d’écouter I Walk On The Line, une des plus belles déclarations d’amour correspondant parfaitement à l’état d’esprit de ce récit poignant dans lequel on décèle quelques tonalités rappelant les romans de John Steinbeck.

     

    Au volant de sa voiture, Luce Lemay prend la fuite après le minable braquage d’un magasin de spiritueux. Dans le crépuscule, il fonce sur la Harpie Road et ne voit pas cette femme qui traverse la route avec son landau qu’il renverse. Le bébé qui s’y trouvait décède sur le coup. Après trois ans de prison, Luce est de retour à La Harpie où l’attend Junior Breen qui vient de purger une peine de 25 ans. Même si leurs nuits sont peuplées de cauchemars, nos deux compères tentent de jouer profil bas en travaillant dans une station service afin de rester dans le droit chemin. Mais quand Luce tombe éperdument amoureux de la belle Charlène, les passions se déchaînent avec une cohorte de ressentiments exacerbés par la découverte du passé criminel de Junior. Au-delà de l’atrocité du crime, a-t-on droit à une seconde chance ?

     

    C’est au travers d’un texte sobre, aux phrases courtes dépouillées de toutes fioritures que Joe Mendo aborde avec efficacité les thèmes de la réinsertion et de la rédemption en accompagnant le destin de Luce Lemay et de Junior Breen, ce duo d’anciens prisonniers aspirant à une vie normale qui rappelle forcément la paire de trimardeurs que formait Lenny et Georges dans Des Souris et des Hommes. Paradoxalement, Luce fait preuve de davatange de naïveté que Junior, ce colosse ravagé par la culpabilité d’une crime odieux, en estimant avoir payé sa dette à la société et pouvoir ainsi refaire sa vie dans sa ville natale, lieu de la tragédie qui l’a envoyé en prison. Il s’enferme ainsi dans cette certitude du bon droit retrouvé, même si le remord le cueille régulièrement au cœur de la nuit où il distille ses cauchemards dans cette sinistre pension de famille tenue par une vieille folle qui n’a pas supporté la perte de son mari qui s’est suicidé après avoir assassiné l’amant de cette épouse volage. Junior Breen, lui ne souhaite que se plonger dans l’anonymat de cette petite petite ville provinciale en espérant pouvoir surmonter la douleur d’une faute qu’il ne pourra sans doute jamais oublier. Tout comme Luce, c’est également durant la nuit que le poids de la faute s’instille dans l’inconscience de ses pensées qui l’empêchent de trouver le sommeil. Le quotidien de ces deux personnage est fait d’instants joyeux et de phases plus sombres alors qu’ils travaillent dans une station service tenue par un ancien prisonnier qui les a pris sous son aile.

     

    Outre le remord et la rédemption, il est beacoup question d’amour dans Le Blues de La Harpie avec cette relation passionnelle entre Luce Lemay et la belle Charlène, la jeune serveuse du diners de la ville mais également avec ces petits poèmes sybillins que Junior affiche sur le panneau de promotion de la station service et qui sont peut-être adressé à la mystérieuse jeune femme sur la photographie qu’il conserve précieusement :

     

    « Méga promo sur tous les pneus d’occasion

    clairs et ronds comme des yeux envoutés

    où coule l’amour telle la sève. »

     

    On le voit, Joe Meno distille tout au long de ce roman une atmosphère étrange et décalée qui prend parfois des tournures poétiques, quelquefois comiques, mais qui tendent résolument vers un climat inquiétant et sinistre à l’image de cet enterrement de la tante de Charlène dont le corps exposé sur son lit de mort abrite toute une cohorte de petits animaux qui y ont trouvé refuge. C’est sur cette configuration originale que l’auteur nous entraîne dans une spirale où la violence devient de plus en plus pregnante pour trouver son paroxysme dans une confrontation presque surréaliste avec les citoyens hostiles d’une ville qui paraît de plus en plus insolite. Dissimulés derrière les phares des véhicules qui pourchassent Luce et Junior, les silhouettes deviennent presque surnaturelles pour former une entité désincarnée qui semble vouée à leur perte.

     

    Avec des personnage baroques et émouvants Le Blues de La Harpie est peuplé d’individus dont la fuite en avant éperdue devient presque onirique pour saisir le lecteur à la lisière du désespoir et de la folie. L’étrangeté poétique d’un roman qui résonne furieusement dans les confins de la noirceur. A lire sans détour.

     

    Joe Meno : Le Blues De La Harpie (How The Hula Girl Sings). Editions Agullo 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Morgane Saysana.

    A lire en écoutant : I Walk The Line de Johnny Cash. Album : At Saint Quentin (Live). Columbia 1968.

  • Simone Buchholz : Nuit Bleue. Poudre de cristal.

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    Service de presse.

    Dans nos contrées francophones, je crois que l'on sous-estime beaucoup trop l'importance de la littérature noire en provenance des pays germanophones que l'on désigne sous le nom de Krimi (Krimalroman) et qui reste un genre extrêmement populaire que ce soit bien évidemment en Allemagne et en Autriche mais également en Suisse-allemande où seul Sunil Man, romancier zurichois, a bénéficié d'une traduction en français avec son détective Vijay Kumar qui se débat entre ses origines indiennes et sa nationalité helvétique. En France, on constate le même phénomène où les traductions restent dans le domaine de l'anecdotique. Mais pour en savoir plus sur le sujet du Krimi, il est possible de consulter le site Fondu au noir qui consacre tout un chapitre aux chroniques des polars en provenance de ces contrées germanophones ainsi qu'une exposition dédiée au thème. Si l'on observe d'ailleurs l'affiche consacrée à cette exposition, on découvrira qu'il s'agit du Davidwache, célèbre poste de police se situant à Hambourg. bleu nuit,éditions de l'atalanta,collection fusion,krimi,chastity rileyUne sacrée "coïncidence" lorsque l'on pense que Caroline de Benedetti et Emeric Cloche, composant une partie de l'équipe Fondu Au Noir, dirigent la nouvelle collection Fusion de la maison d'éditions L'Atalante qui est consacrée au polar en nous proposant en guise d'inauguration, Nuit Bleue, un roman de Simone Buchholz mettant en scène la procureure Chastity Riley officiant justement à Hambourg et plus particulièrement dans le quartier populaire de Sankt Pauli. Davantage orientée vers les genres de la SF et de la Fantaisy, la maison d'éditions renouvelle donc l'expérience du roman policier en succédant ainsi à Insomniaque et ferrovière qui était en sommeil depuis 2016.

     

    Trouvant le réconfort dans les bars de son quartier de Sankt Pauli à Hambourg, la procureure Chastity Riley partage ses déboires avec Carla, Rocco, Klatsche, Faller et Calabretta, ses amis de toujours, qui ne seront pas de trop pour l'aider à affronter ce monde du crime extrêmement glauque. Après avoir dénoncé son supérieur hiérarchique corrompu, on aurait pu s'attendre à ce qu'elle obtienne une promotion, mais dans la ville portuaire de Hambourg, les choses se passent autrement. Désormais reléguée dans un placard, la tempétueuse magistrate est affectée à la protection des victimes. Femme de caractère, elle préfère donc arpenter les rues de la ville et fréquenter ses partenaires policiers plutôt que ses collègues juristes, ceci d'autant plus qu'elle doit se rendre à l'hôpital pour traiter l'étrange dossier d'un inconnu laissé pour mort qui refuse de collaborer avec la police. A grand renfort de bières, de cigarettes et de currywurst, Chastity Riley va en apprendre plus sur cet étrange individu qui va l'entrainer sur la piste d'un truand albanais souhaitant inonder la ville avec de nouvelles drogues de synthèse particulièrement nocives. 

     

    En Allemagne, Simone Buchholz fait partie des grands noms de la littérature noire avec sa série de dix polars mettant en scène l'atypique procureure Chastity Riley officiant à Hambourg et vivant au coeur du quartier chaud de la cité où elle croise bon nombre de ses amis dont Faller, un vieux flic bourru et Klatsche, amant occasionnel de la magistrate et ancien délinquant qui s'est reconverti comme patron du Blaue Nacht où elle a ses habitudes en éclusant un nombre conséquent de bières avant de se rendre au stade pour soutenir son équipe favorite, le FC Sankt Pauli. Sixième roman de la série, Nuit Bleue marque le changement de maison d'éditions pour intégrer la prestigieuse Suhrkamp Verlag qui correspond à un éditeur tel que Gallimard, et dont la lecture pourra se révéler quelque peu déstabilisante avec une forme d'écriture à la fois audacieuse et originale à l'instar de ces rétrospectives de 1982 jusqu'à nos jours où l'on découvre par petites touches, par petites notes, les parcours des différents protagonistes du récit et même, sur la fin, le point de vue des truands sur qui Chastity Riley enquête. Loin d'être conventionnelle, l'intrigue s'articule donc autour de cette mystérieuse victime mutique que la magistrate doit apprivoiser afin de découvrir les raison qui l'ont conduite à l'hôpital pour s'orienter ensuite vers un trafic de drogue s'opérant entre la Tchéquie et Hambourg qui nous donne à voir un autre visage de l'Allemagne réunifiée. Ne s'embarrassant pas de détails superflus, ne s'accrochant pas au réalisme d'une enquête débridée, Simone Buchholz va donc à l'essentiel en captant brillamment le caractère de ses personnages mais en déclinant également une superbe ambiance à la fois glauque et attachante de sa ville de Hambourg qu'elle sait dépeindre avec la force de métaphores bien élaborées qui nous éloigne de la carte postale touristique pour nous livrer les recoins méconnus de la ville des autochtones dont le fameux port où se déroule la confrontation finale et le stade du quartier où l'on assiste à l'épilogue d'un récit fulgurant (le mot n'est pas galvaudé, bien au contraire). 

     

    Avec Nuit Bleue on appréciera donc cette nouvelle voix détonante et originale de Simone Buchholz qui est parvenue à créer une héroïne à la fois atypique et complexe qui officie dans la non moins détonante ville de Hambourg que l'on prend plaisir à parcourir en compagnie de la cohorte de personnages attachants qui accompagnent la procureure Chastity Riley. Une belle découverte.

     

     

    Simone Buchholz : Nuit Bleue (Blaue Nacht). Editions L'Atalante, collection Fusion 2021. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Loreleï de Nina Hagen. Album : Angstlost. CBS Records 1983.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LES OMBRES. ABUS DE POUVOIR.

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    Service de presse.

    A l'évocation des cycles de romans policiers, j'ai beaucoup de peine à dire que les ouvrages peuvent se lire indépendamment les uns des autres même si cela peut être effectivement le cas à l'exemple des livres de Valério Varesi narrant les enquêtes du commissaire Soneri se déroulant dans la région de Parme et de la plaine du Pô. Néanmoins, en lisant les romans dans l'ordre, on découvre l'évolution d'un personnage complexe ainsi que ses rapports avec la cité où il vit qui s'impriment dans le passé et plus particulièrement dans son enfance avec les liens qu'il entretenait avec son père. Avec ces éléments, on prend ainsi la mesure de son positionnement dans le cours des investigations qu'il mène et parfois de la frustration qu'il éprouve lorsqu'il se heurte à un adversaire insaisissable tel que la mafia qui gangrène la ville. Lire dans le désordre une série policière devient d'ailleurs un exercice de plus en plus difficile puisque l'on constate que de nombreux romanciers élaborent parfois, sur l'ensemble des différents volumes, une arche narrative dont il sera difficile de saisir les contours si l'on ne respecte par l'ordre chronologique des parutions à l'exemple de la série emblématique de l'auteur polonais Wojciech Chmielarz mettant en scène l'inspecteur Jakub Morkta, surnommé Le Kub. Dans ce cycle, l'auteur prend la peine d'intégrer le cadre familial de son personnage central ainsi que celui de son acolyte l'inspecteur Darius Kochan en mettant en lumière l'inquiétant processus des violences domestiques qui semble frapper durement la société polonaise. L'autre aspect de l'arche narrative du cycle réside dans la confrontation récurrente entre le Kub et le truand Borzestowski qui trouve sa conclusion dans Les Ombres, dernier volet de la série.

     

    Rien ne va plus pour l'inspecteur Darius Kochan, un mari violent qui a été mis au placard en traitant de vieilles affaires criminelles qui sont restées irrésolues. Comme si cela ne suffisait pas, il est désormais soupçonné d'avoir abattu la femme d'un gangster disparu depuis des années ainsi que sa fille. Il faut dire que l'on a retrouvé son arme de service sur les lieux du crime et que sa fuite fait office d'aveux. Acculé, le fugitif va demander de l'aide à son ancien partenaire, Jakub Mortka dit Le Kub qui croit en son innocence et décide de faire la lumière sur cette étrange affaire. De son côté La Sèche, adjointe du Kub, a mis la main sur la vidéo d'un viol collectif mettant en cause des politiciens de haut rang. Persuadée que cette affaire va être étouffée par sa hiérarchie, elle décide de mener ses investigations seule. Mais les difficultés s'enchainent et la policière décide de se confier au Kub qui va rapidement constater que les deux affaires sont liées avec l'implication de Borzestowski, son ennemi de toujours, qui règne sans partage sur la pègre de Varsovie.

     

    Dans Les Ombres, le récit débute là où s'achevait l'intrigue du roman précédent, La Cité Des Rêves, en révélant notamment le contenu d'une mystérieuse clé USB où est stockée une vidéo compromettante qui implique d'importants dignitaires du gouvernement s'adonnant à un viol collectif sur un jeune prostitué. C'est l'occasion pour La Sèche d'enquêter sur les arcanes du monde politique et de découvrir l'ampleur du trafic d'influence incarné autour du personnage de Wiesek qui fraie avec les politiciens véreux, mais également avec les flics corrompus et bien évidemment avec les truands représentés par l'inquiétant Borzestowski. Un monde opaque que Wojciech Chmielarz dépeint à la perfection par le prisme des investigations d'une tempétueuse enquêtrice au caractère bien trempé qui détonne au milieu des portraits de femmes battues, phénomène social que l'auteur s'emploie à dénoncer, tant le problème semble être latent dans son pays. L'autre aspect de l'intrigue tourne autour de l'exécution de trois truands, une vieille affaire que Darius Kochan avait remis au goût du jour en découvrant leurs corps enterrés dans un coin reculé de la campagne polonaise. Reprenant l'enquête à son compte, Le Kub va rapidement découvrir que son vieil ennemi Borzestowski est impliqué dans cette triple exécution qui a fait de lui le caïd de la pègre de Varsovie. Deux enquêtes parallèles que Wojciech Chmielarz met en scène au gré d'une narration maîtrisée et qui vont trouver des liens surprenants pour s'achever au détour d'une scène finale dantesque se déroulant dans les entrailles d'un ancien bunker truffé de souterrains. On oscille donc entre l'intrigue sociale dénonçant les dérives d'une société polonaise en plein essor et le récit d'action captivant qui va nous amener son lot de révélations, ceci jusqu'aux dernières pages du roman en clôturant brillamment une série de polars passionnants qui font un état des lieux sans concession de la Pologne.

     

    Avec Les Ombres, Wojciech Chmielarz signe donc l'achèvement d'une série de romans policiers brillants dont l'arche narrative trouve une conclusion détonante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs les plus blasés. A lire sans modération.

     

    Wojciech Chmielarz : Les Ombres (Cienie). Editions Agullo 2021. Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Fiolkowe Pole de Sobel, Piotrek Lewandowski. Single. 2021 DEF JAM Recordings Poland.

  • LEONARDO PADURA : VENTS DE CAREME. LE PRINTEMPS A CUBA.

    Capture d’écran 2021-02-14 à 16.08.49.pngA l'image d'un Corto Maltesse se confondant avec son créateur Hugo Pratt, on pourrait presque s'attendre à croiser Mario Conde dans une pittoresque rue de La Havane, tant Leonardo Padura est parvenu à insuffler une certaine densité dans l'univers de cet emblématique enquêteur cubain, représentatif d'une génération désenchantée perdant toutes ses illusions révolutionnaires avec l'effondrement des pays du bloc de l'est qui sont à l'origine des privations frappant durement tout l'ensemble de la population cubaine. Il n'est d'ailleurs pas anodin que le cycle des quatre saisons se déroule en 1989, année marquante de ce déclin économique dont Leonardo Padura évoque les conséquences au travers du quotidien de ses personnages sans pourtant l'aborder de manière frontale avec un arc narratif tournant autour d'une affaire de corruption affectant une partie des policiers travaillant au commissariat où est affecté Mario Conde et qui n'est donc pas sans corrélation avec le climat social d'un pays ravagé par les privations. Débutant en hiver avec Passé Parfait, on retrouve donc Mario Conde au printemps avec Vents de Carême nous permettant de faire plus ample connaissance avec un policier cultivé qui se questionne au sujet de son engagement lui qui se remémore encore sa carrière d'écrivain avortée dans sa jeunesse avec une nouvelle censurée dans le journal de son lycée. C'est d'ailleurs une nouvelle fois autour de son ancien lycée que Mario Conde va enquêter à l'occasion de la mort terrible d'une enseignante retrouvée assassinée dans son appartement donnant l'occasion à cet enquêteur nostalgique de se pencher sur les brumes de son passé.

     

    Annonciateurs d'un printemps agité, les vents de carême s'engouffrent dans les rues de La Havane depuis plusieurs jours en troublant l'esprit de ses insulaires dont le lieutenant Mario Conde tombant soudainement amoureux d'une splendide ingénieure, amatrice de jazz qui joue du saxophone à ses heures perdues. Quelque peu désoeuvré sur le plan professionnel, il se voit confier par le major Rangel, une enquête portant sur le meurtre sordide d'une professeur qui enseignait dans son ancien lycée, lui donnant ainsi l'occasion de se replonger dans la nostalgie de sa jeunesse tout en découvrant une structure en pleine décomposition où règne l'arrivisme et le trafic d'influence ainsi que toutes sortes de fraude, ceci  jusqu'à mettre à jour un trafic de drogue qui pourrait devenir le mobile du crime. Jaloux de ses talents d'enquêteur, Mario Conde doit également se confronter à un collègue irascible qui semble vouloir le provoquer. Un conflit qui pourrait remettre en cause son engagement au sein d'une corporation dans laquelle il ne se reconnaît guère.

     

    Avec une intrigue se déroulant à nouveau dans le contexte de l'ancien lycée de Mario Conde, tout comme c'était le cas pour Passé Parfait, il émane de Vents de Carême une sensation de déjà lu pour ce qui a trait notamment à cette nostalgie qui caractérise la personnalité de ce policier atypique qui ne cesse de s'interroger sur le sens de sa vie, au gré de digressions philosophiques qu'il partage avec son ami d'enfance le Flaco Carlos, en dégustant des plats mémorables concoctés par Josefina et arrosés de généreuses rasades de rhum que le Conde consomme plus que de raison. Avec ce second volume, c'est donc l'occasion pour Leonardo Padura de consolider les caractéristiques d'un personnage attachant qui au-delà de son apparence machiste, se révèle plus sensible qu'il n'y paraît comme le révèle sa relation avec Karina, une ingénieure aussi séduisante qu'émancipée, dont il tombe fou amoureux. Lors une telle relation, se déroulant en dehors du cadre de l'enquête, Leonardo Padura tend à doter son héros d'une vie sentimentale intense en lui conférant ainsi davantage d'épaisseur tout en évitant l'écueil du stéréotype de la femme fatale qui peuple les intrigues policières. 

     

    En enquêtant sur le meurtre de Lisette Núñez Delgado, une enseignante du lycée de La Víbora, Mario Conde retourne donc sur les lieux de son adolescence pour mettre à jour toute une série manipulations et d'incartades qui deviennent le reflet d'une société cubaine désemparée qui doit déjà recourir à quelques expédients pour survivre. Ainsi de victime encensée, Lisette Núñez Delgado devient l'incarnation de la fille d'édile combinarde, abusant de ses privilèges pour parvenir à ses fins ce qui la conduira à sa perte. On s'achemine ainsi sur une enquête assez classique, bien éloignée d'un ancrage social ou historique qui caractérise l'oeuvre de Leonardo Padura pour découvrir les entrelacs d'un trafic de drogue plutôt banal. On s'intéressera donc plutôt aux rapports particuliers qu'entretient Mario Conde avec la hiérarchie policière et ses collègues du commissariat dont l'animosité avec le lieutenant Fabricio qui ne supporte pas sa manière de travailler ainsi que ses relations privilégiées avec la major Rangel qui confie à son protégé les affaires sensibles. Pourtant les rapports entre Rangel et Conde se révèlent bien plus complexes et ambigus avec ce supérieur intègre qui décèle chez son subalterne un certain désappointement quant à sa carrière au sein de la police. 

     

    Ouvrage charnière du cycle des quatre saisons, Vents De Carême consolide donc les bases d'un héros peu commun et attachant qui va traverser l'oeuvre de Leonardo Padura sur l'ensemble d'une série composée de neuf romans passionnants reflétant les caractéristiques sociales de l'île de Cuba.

     

    Leonardo Padura : Vents De Carême (Vientos De Cuaresma). Editions Métailié 2004. Traduit de l'espagnol (Cuba) par François Gaudry.

    A lire en écoutant : Easy Living de George Benson. Album : The New Boss Guitar of George Benson. 1990 Fantasy, Inc.