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Auteurs M - Page 9

  • ZYGMUNT MILOSZEWSKI : LA RAGE. LA DISSOLUTION DES COEURS.

    Zigmunt Miloszewski, La Rage, Teodore szacki, violences conjugales, pologne, Fleuve noirEn l’espace de trois romans narrant les investigations du procureur Teodore Szacki, son créateur Zygmunt Miloszewski s’est attaché à dresser un portrait social de la Pologne à la fois caustique et sans concession tout en soulignant le charme mais également les travers des régions dans lesquels il a mis en scène cet enquêteur atypique au caractère revêche le rendant quelque peu antipathique. Le procureur Teodore Szacki affecté au parquet de Varsovie faisait son entrée dans Les Impliqués (Mirobole 2015) où l’on découvrait le passé peu reluisant de la Pologne communiste. Un Fond de Vérité (Mirobole 2015) nous permettait d’entrevoir toute la problématique de l’antisémitisme dans le cadre pittoresque de la ville de Sandormierz. Avec La Rage, Zygmunt Miloszewski a décidé de mettre un terme à la série en abordant la thématique des violences domestiques. On retrouve donc notre procureur désormais affecté à la ville d’Olsztyn (ville d’origine de l’épouse de l’auteur) pour une ultime enquête qui l’impliquera au-delà de ce que l’on aurait pu imaginer.

     

    Toujours en quête d’affaires sortant de l’ordinaire, Teodore Szacki ne trouve guère de satisfaction dans ses fonctions de procureur affecté au parquet de la petite ville provinciale d’Olsztyn. La situation n’est guère plus reluisante au sein de sa vie de couple perturbée par la venue de sa file Hela, une jeune adolescente au caractère aussi affirmé que celui de son père.
    De prime abord la découverte d’un squelette dans un bunker désaffecté ne présenterait pas le moindre intérêt pour Teodore Szacki. Une résurgence de la seconde guerre mondiale tout au plus. Mais les ossements présentent les particularités d’être beaucoup plus récents qu’il n’y paraît et d’appartenir à plusieurs victimes. Pour le fringuant et orgueilleux procureur c’est l’occasion rêvée pour mettre à l’épreuve ses compétences quitte à négliger ses affaires courantes et à éconduire une femme qui peine à s’exprimer pour décrire les violences psychiques que lui inflige son mari. Une absence d’écoute et d’empathie qui va virer à la tragédie et révéler des liens entre les deux affaires.
    Y aurait-il un justicier qui sévit dans la ville d’Osztyn ?

     

    La Rage, débute sur un préambule déroutant où l’auteur met en scène son procureur fétiche dans une situation dramatique qui trouvera son explication dans le long flash back composant l’ouvrage avec une enquête s’étalant sur une période située entre le 25 novembre et le 4 décembre 2013. La période suivante s’achevant au 1er janvier 2014 dépeint les conclusions de l’enquête qui feront également office d’épilogue. Comme à l’accoutumée, chacune des journées débute avec une revue de presse qui permet à l’auteur, également journaliste, de mettre en exergue la thématique qu’il aborde dans le déroulement de l’intrigue tout en situant le contexte sur le plan international, national et local.

     

    Toujours aussi bien documenté, l’auteur appréhende le phénomène des violences domestiques avec une justesse qui fait froid dans le dos. En pénétrant dans l’intimité du quotidien d’un couple on découvre tout le processus de ces brutalités psychiques se révélant bien plus insidieuses et bien plus abjectes que la force des coups qui concluent immanquablement ces relations destructrices. C’est d’autant plus dramatique lorsque la victime essaie de rapporter les faits aux autorités pour ne rencontrer que scepticisme et absence d’écoute à l’instar de cette femme tentant en vain de dépeindre les violences dont elle fait l’objet à un Teodore Szacki complètement désintéressé qui trouve le moyen d’éconduire l’épouse en invoquant l’absence de faits concrets. La scène se conclut sur cet instant poignant où l’épouse désemparée regagne le domicile conjugal en ne sachant plus vers qui se tourner pour trouver de l’aide. C’est probablement après le drame qui s’ensuit que le procureur se départira de cette morgue qu’il affiche en permanence pour dévoiler une part d’humanité que l’on peinait à entrevoir dans les opus précédents. Elle se traduit notamment dans les relations qu’il entretient avec sa fille lors de confrontations qui révèlent toute l’affection que le père porte pour cette jeune adolescente qu’il ne découvre que trop tardivement.

     

    Sur le plan de l’intrigue, Zygmunt Miloszewski entretient un suspense haletant notamment en ce qui concerne l’exécution des victimes avec un processus qui s’avère aussi ingénieux que terrifiant, ceci d’autant plus que le procureur sera directement visé par les noirs desseins d’un curieux tueur déterminé. Il règne donc tout au long du récit une ambiance pesante et inquiétante sur fond de morosité hivernal qui déteint sur l’ensemble des personnages évoluant dans cette ville provinciale d’Olsztyn que l’auteur dépeint avec une certaine sévérité teintée d’une pointe d’humour grinçant en fustigeant les conditions déplorables de circulation. Beaucoup moins drôle sont les conditions d’une enquête rendue difficile par l’incompatibilité des systèmes informatiques des différents services de l’état qui rendent impossible le moindre recoupement visant à faciliter les recherches du procureur. On assistera donc à un duel impitoyable où les meurtres sont destinés à mettre en lumière toute l’incurie d’un processus judiciaire déficient tout en ébranlant les certitudes et la rigueur de l’homme de loi dépassé par des événements qui l’engagent sur un plan très personnel. Un mise en abîme édifiante qui se terminera d’une manière un peu trop abrupte pour être suffisamment crédible eu égard aux trésors d’ingéniosité dont auront fait preuve les adversaires du procureur Szacki pour déjouer ses investigations.

     

    Toujours aussi pertinent avec les phénomènes sociétaux qu’il aborde par l’entremise d’une intrigue éprouvée, Zygmunt Miloszewski achève avec La Rage un cycle passionnant prenant pour cadre la Pologne contemporaine qu’il décortique avec une acuité déconcertante.

     

    Zygmunt Miloszewski : La Rage (Gniew). Editions Fleuve Noir 2016. Traduit du polonais par Kamil Barbarski.

    A lire en écoutant : All the Love de Kate Bush. Album : The Dreaming. EMI Records 1982.

  • Eric Maneval : Inflammation. Vers un autre monde.

    Capture d’écran 2017-01-02 à 06.23.59.pngQualifié de culte, bon nombre de lecteurs auront été indéniablement marqués par Retour à la Nuit, second roman d’Eric Maneval paru en 2009 aux éditions Ecorces dirigées par Cyril Herry (son premier roman intitulé Eaux paru en 2000 est désormais introuvable) puis réédité en 2015 à la Manufacture de Livres pour la collection Territori. Il faut dire que l’auteur s’était emparé des codes du thriller pour bâtir un roman à la fois étrange et épuré où de nombreuses questions soulevées demeuraient sans réponses, nécessitant un surcroît d’interprétation de la part du lecteur, pouvant générer un sentiment de frustration. Marque de fabrique de l’écrivain, celui-ci s’inscrit dans le même registre avec Inflammation, thriller inquiétant s’engouffrant sur la voie de l’ésotérisme en s’inspirant des événements tragiques de la secte de l’Ordre du Temple Solaire.

     

    La fureur de l’orage ne saurait retenir Liz. Elle prend la voiture et disparaît dans le crépuscule, sous la pluie battante. Folie passagère ou acte désespéré ? Son mari Jean est complètement dépassé et ne peut comprendre les raisons qui ont poussé sa femme à prendre ainsi la fuite. Et le message téléphonique où Liz, en pleurs, demande pardon, ne fait qu’amplifier son désarroi. Jean est désormais seul avec leurs deux enfants et des questions auxquelles il va falloir trouver des réponses. Et à mesure qu’il cherche, des éléments inquiétants se mettent en place dans une logique inquiétante qui dépasse tout entendement.

     

    Inflammation est un récit assez court, doté d’une écriture aussi sèche qu’efficace se concentrant sur l’essentiel tout en captant cette atmosphère d’angoisse et de tension inhérente au genre. La brièveté du roman permet ainsi au lecteur de suivre, quasiment d’une traite, les pérégrinations de Jean, ce père de famille complètement perdu découvrant la part d’ombre des nombreuses personnes composant son entourage, dont son épouse Liz. La première partie de l’ouvrage dépeint la quête de cet homme assommé par la souffrance liée au doute quant au devenir de sa femme disparue. La seconde partie s’emploie à donner des éléments de réponse sur fond de complot pharmaceutique couplé à une dimension spirituelle et ésotérique qui vire à la tragédie. Un épilogue équivoque, comme une espèce de mise en abîme, achèvera de laisser le lecteur avec cet étrange sentiment de perplexité et cette curieuse sensation d’être passé à côté du récit. Certains s’en contenteront pour considérer comme normal qu’en adoptant le seul point de vue de Jean on ne puisse obtenir qu’une vison fragmentaire et lacunaire des événements. Finalement la frustration réside dans le choix de l’auteur qui s’est focalisé sur le personnage le moins intéressant du récit ce qui explique, par exemple, que l’on ne puisse déceler les motivations des différents protagonistes intervenant dans le cours de l’histoire. Au final on peut se demander où l’auteur a-t-il voulu en venir avec ce roman ?

     

    On décèle bien sûr quelques thématiques liées à la désillusion et à la déliquescence du cercle familiale mais cela reste bien maigre par rapport à la somme de sujets abordés, surtout dans la seconde partie du récit. On pourrait également évoquer cet éternel antagonisme entre la science et la spiritualité avec une dimension horrifique en lien avec la découverte d’une mystérieuse molécule engendrant de monstrueuses mutations comme un châtiment divin dépassant les hommes de science. Mais au gré des débats, parfois animés, sur les réseaux sociaux entre les différents blogueurs et lecteurs qui ont affiché leurs divergences, Eric Maneval est intervenu en constatant que la plupart des personnes ayant lu le livre semblaient être passées à côté d’une dimension importante du livre ce qui l’a poussé à communiquer par le biais d’une interview accordée au blog du Polar de Velda que vous retrouverez ici et dont voici un extrait.

     

    Je vais tâcher de répondre sans dévoiler trop de choses. Effectivement, la scène finale peut et doit renvoyer à l’affaire de l’OTS (Ordre du Temple solaire). Dans les diverses critiques, peu de gens ont fait le rapprochement, cette affaire a dû disparaître de la mémoire collective  (il se pourrait qu’elle ressurgisse car certaines pistes, plus ou moins crédibles,  font le lien avec le meurtre de Mme Marchal (affaire Omar Raddad)). Bref, soit le lecteur connaît cette histoire et il fait le rapprochement, soit il ne la connaît pas.

     

    Communiquer sur un livre ou en expliquer certaines références n’augure rien de bon quant aux qualités contextuelles de l’ouvrage et l’on ne saurait imputer aux lecteurs une méconnaissance des événements ou un quelconque oubli de faits réels. Il incombe à l’auteur de faire en sorte que les références soient suffisamment perceptibles afin d’appréhender sereinement le contexte évoqué. Mais par égard aux survivants ainsi qu’aux proches des victimes des massacres de l’OTS, Eric Maneval n’a pas souhaité effectuer cette démarche et s’est même distancé de ces drames. Dès lors on peine à comprendre le raisonnement de l’écrivain car loin d’en constituer l’essentiel de la trame, les allusions à cette affaire apparaissent comme diffuses, presque anecdotiques même si l’on en décèle tout de même quelques une au gré de l’histoire, à l’instar du fameux transit qu’évoque un des protagonistes du roman :

    C’est sympa, merci, mais moi aussi je vais partir. Je vais disparaître pour mieux renaître, ailleurs. (Page147).

     

    Ou le modus operandi de mise à feu pour la tragédie finale qui rappelle les événements de 1994 qui se sont déroulés notamment sur les communes de Salvan et de Cheiry et qui ont marqué toute la région de Suisse romande :

    Il appuie sur une touche de son téléphone et déclenche le système de mise à feu. (Page 175).

     

    Toutefois ces quelques éléments épars ne sauraient constituer une thématique sur les sectes, ceci d’autant plus que l’auteur a curieusement renoncé à en mentionner ne serait-ce que le mot. Il dépeint une communauté dirigée par un individu portant un titre ecclésiastique ce qui achève de brouiller les pistes, expliquant ainsi le fait que peu de personnes aient fait consciemment le rapprochement. Et on revient au même problème lié à l’aveuglement d’un personnage principal peu captivant dont on suit en permanence le point du vue, ce qui nous prive logiquement de toutes les dimensions inhérentes à l’endoctrinement ou au basculement vers une folie mystique.

     

    En définitive, les explications de l’auteur ne font que souligner les carences d’un roman qui, bien que brillamment écrit, passe complètement à côté de son sujet. Avec Inflammation il faudra se laisser porter par le récit sans en comprendre le sens. Mais y en a-t-il seulement un ?

     

    Eric Maneval : Inflammation. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2016.

    A lire en écoutant : The Chamber of 32 Doors de Genesis. Album : The Lamb Lies Down on Broadway. Virgin Records Ltd 1974.

  • ANDREE A. MICHAUD : BONDREE. PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS.

    andrée a. michaud, bondrée, rivages noir,Bien souvent, c’est par l’entremise de traductions que l’on faisait la connaissance d’auteurs surprenants tels James Ellroy ou David Peace pour ne citer que ceux parmi les plus connus du catalogue Rivages. Néanmoins c’est avec un texte original aussi bien dans sa forme que dans sa langue, au propre comme au figuré, que l’on va découvrir Bondrée de la romancière québécoise Andrée A. Michaud qui nous entraîne dans l’épaisseur d’une forêt envoûtante située entre le Maine et le Québec où les jeunes filles trouvent la mort d’une manière aussi inquiétante que mystérieuse.

     

    A l’été 1967 l’exposition universelle bat son plein à Montréal tandis que quelques familles séjournent dans une poignée de chalets bâtis sur les rives de Boundary Pond. Bondrée, c’est dans cet endroit encore sauvage que vivait autrefois un trappeur solitaire retrouvé mort, pendu dans sa cabane. Il n’en reste plus qu’une légende lointaine effacée par les rires enjoués de Zaza Mulligan et Sissy Morgan, deux jeunes filles aussi belles qu’insolentes qui entonnent le dernier tube à la mode des Beatles, Lucy in the sky with diamonds. Mais les rires et les chants cessent brutalement. Zaza Mulligan est retrouvée morte, la jambe arrachée par un antique piège à ours. On pourrait croire à un accident lorsque quelques jours plus tard, c’est au tour de Sissy Morgan de trouver la mort dans des circonstances similaires. Un tueur sévit dans les bois de Bondrée et ravive les craintes des familles désemparées. La légende du trappeur maudit, Peter Landry, n’est pas prête de s’estomper.

     

    Loin d’être une néophyte, Andrée A. Michaud est l’auteure de dix romans, expliquant, du moins en partie, les singulières qualités d’un ouvrage comme Bondrée, qui dépasse les clivages des codes et des genres littéraires. Et au terme d’un tel récit, on pourrait être en droit de s’interroger sur les raisons qui ont fait que son œuvre ait mis tant d’années pour franchir cette vaste étendue de l’océan avant de parvenir enfin dans nos contrées francophones. Un mystère supplémentaire du monde de l’édition que l’on ne comprend pas plus que le faible engouement médiatique qu’a suscité la parution de ce roman que l’on peut qualifier d’exceptionnel.

     

    Malgré un résumé pouvant le présenter comme tel, Bondrée se situe au-delà des canons d’un thriller aux phrases lapidaires, ponctués de ressorts narratifs dédiés au suspense. Andrée A. Michaud restitue avant tout les souvenirs d’un lieu d’enfance qu’elle a fréquenté et au travers duquel elle introduit le crime au sein d’une petite communauté sans histoire. Avec quelques références musicales dont un extrait de l’album des Beatles, Sgt. Peppers Lonely Hearts Club Band, quelques allusions aux actualités de l’époque, c’est surtout par le biais de la structure familiale et notamment de la place qui est faite aux femmes et aux jeunes filles que l’on se retrouve propulsé durant cette période estivale de l’année 1967 où se noue le drame qui bouleversera l’ensemble des protagonistes. Jeunes écervelées, complètement désinhibées, Zaza Mulligan et Sissy Morgan incarnent avant tout le basculement d’une société en pleine mutation en projetant l’insolence et l’insouciance de la jeunesse au regard concupiscent des hommes et à la désapprobation latente des femmes. Les deux jeunes filles suscitent ainsi envies, jalousies, commérages et convoitises avant de réintégrer le giron communautaire en endossant le dramatique statut de victime. C’est sur ce basculement de l’époque et cette tragédie de l’instant que se décline toute l’intrigue de Bondrée sur fond d’une légende où la résurgence des pièges du trappeur Peter Landry amplifie l’atmosphère étrange et inquiétante de cette forêt crépusculaire où rôde un mystérieux tueur.

     

    Si le récit est emprunt d’un certain classicisme, c’est avec une écriture déroutante qu’Andrée A. Michaud envoûte le lecteur pour l’entraîner dans un texte dense où la langue oscille entre les expressions anglaises et québécoises pour incarner la voix des différents protagonistes d’un roman, paradoxalement dépourvu de la moindre ligne de dialogue. C’est probablement tout le talent de l’auteur capable de se distinguer avec une écriture extrêmement élaborée qui subjugue autant dans les phases descriptives que dans les passages introspectifs où la beauté des phrases conjuguée à la puissance des mots achèvera de nous étourdir dans ce contexte d’étrangeté et de d’angoisse saupoudré d’une douce mélancolie.

     

    Il y a donc cette voix envoûtante qui survole l’ensemble des protagonistes pour s’immiscer dans l’intimité des familles et explorer les multiples événements se déroulant dans les bois. Mais Bondrée se construit également autour des points de vue d’Andrée Duchamp, une jeune fille de douze ans et du détective Michaud à qui échoit une enquête difficile. Une alternance entre la vision d’une jeune fille qui observe son entourage avec cette innocence de l’enfance qui est sur le point de se désagréger tandis que le policier désabusé tente de surmonter l’échec d’une investigation présentant quelques similitudes avec la mort des deux jeunes filles. Néanmoins l’auteure se garde bien de s’aventurer sur les archétypes de la rédemption ou d’une convergence de hasards « salutaires » pour évoquer la douleur de la perte et la fin d’une certaine innocence liée aussi bien au terme d’une jeunesse heureuse que d’une époque désormais révolue. Car comme la malheureuse légende du trappeur éconduit, Peter Landry, l’ensemble de la communauté se désagrège dans le silence de la forêt en ne laissant plus qu’une poignée de souvenirs amers car le drame est passé par là, gravant en lettres de sang ses impitoyables stigmates.

     

    Retenez bien le nom d’Andrée A. Michaud qui va figurer parmi les voix qui comptent, bien au-delà du genre littéraire noir car Bondrée s’installe définitivement dans la catégorie des livres marquants.

     

    Andrée A. Michaud : Bondrée. Editions Rivages/Noir 2016.

    A lire en écoutant : I Burn For You de Sting. Album : Bring on the Night. A&M Records 1986.

  • Quentin Mouron : Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke. L’Age de l’Héroïne. L’exégèse du néant.

    Capture d’écran 2016-08-03 à 12.25.14.pngLa nouvelle édition de L’Histoire de la Littérature en Suisse Romande publiée sous la direction de Roger Francillon contient désormais un chapitre consacré au polar romand, ceci grâce à l’expertise avisée de Giuseppe Merrone. Puis s’il faut s’éloigner de nos régions et s’ouvrir au monde, je ne saurais que trop conseiller Le Dictionnaire des Littératures Policières, rédigé sous le contrôle expert de Claude Mesplède permettant ainsi de se familiariser avec un genre littéraire extrêmement vaste qui ne supporte guère les assertions généralistes de Quentin Mouron, jeune auteur suisse romand inspiré, faisant état d’une absence de style due, entre autre, à la piètre qualité des traductions. Mais qu’à cela ne tienne, avec Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke et L’Age de l’Héroïne, ce romancier prometteur et ambitieux aspire à relever le niveau avec deux polars narrant les tribulations d’un jeune dandy désenchanté, féru d’ouvrages anciens et exerçant la profession de détective privé.

     

    A Watertown, obscure banlieue de Boston, on découvre, dans son pick-up, le corps mutilé d’un retraité sans histoire. En charge de l’enquête, le shérif McCarthy va tout mettre en œuvre pour découvrir l’auteur de ce meurtre odieux. Il croisera sur son chemin Franck, un jeune détective dandy qui entretient son spleen à grands coups de lignes de cocaïne. Un jeune homme désabusé, un shérif en proie aux doutes existentiels, les deux hommes vont mener leurs investigation en parallèle. Il faut dire que les démarches de Frank manquent parfois d’une certaine ligne déontologique.

     

    A n’en pas douter, Quentin Mouron tient son pari en nous livrant un texte au style aussi affirmé qu’enflammé. Les phrases sont belles, ciselées avec soin et régulièrement agrémentées du mot précis, parfois un brin désuet donnant à l’ensemble cette belle sensation de maîtrise linguistique. Pourtant le verbe soyeux, la phrase racée ne sauraient masquer longuement cette indigence de taille qu’est l’absence totale d’intrigue que l’on perçoit très rapidement au fur et à mesure de la progression d’un roman dissonant et décousu. Car Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke débute véritablement comme un roman policier avec un crime à résoudre par un duo d’enquêteurs menant leurs diverses investigations. Mais loin de vouloir exploser les codes du genre, Quentin Mouron s’en désintéresse totalement pour se lancer dans une diatribe sociale extrêmement convenue, virant parfois à la farce, comme cette confrontation entre Franck et le célèbre auteur de polars James Ellsor. C’est d’ailleurs probablement au travers du portrait peu flatteur de ce romancier grossier, aux manières frustres, que l’on perçoit toute la considération que l’auteur porte pour le genre policier. Dès lors, on pourrait estimer que Quentin Mouron s’oriente vers le roman noir, type social. Mais il n’en est rien car les thématiques exposées n’entrent aucunement dans une logique visant à alimenter le crime ou l’intrigue d’une histoire échevelée. Ainsi le lecteur est rapidement désorienté comme livré aux réflexions d’un auteur qui ne parvient plus à se dissimuler derrière ses personnages, donnant cette impression confuse de faire face à un être protéiforme qui endosserait les différentes personnalités de protagonistes totalement désincarnés. L’art et la critique, l’obsolescence programmée d’une vie morose et le clivage social des différentes castes composant une société seront autant de thèmes évoqués dans une série d’analyses sociétales aussi pompeuses que prétentieuses.

     

    Capture d’écran 2016-08-03 à 12.27.24.pngAvec cet étrange enquêteur dandy, on pense bien évidemment au chevalier Dupin, personnage récurrent des contes d’Edgar Allan Poe lui-même natif de Boston, ville dans laquelle se déroule une partie du récit de Quentin Mouron. Force est de constater qu’il s’agit de références bien trop pesantes, mettant davantage en exergue cette indigence narrative à laquelle le lecteur est confronté. On se tournera dès lors vers le second opus de Quentin Mouron, L’Age de l’Héroïne où l’on retrouve pour la seconde fois notre détective privé atypique.

     

    Brad Medley a du souci à se faire. Il n’a jamais récupéré la drogue livrée par les mexicains. Un manque à gagner considérable qui risque de plomber sa petite entreprise et de le conduire rapidement du côté du cimetière. Il charge donc Franck de récupérer la marchandise qui aurait disparue lors d’un échange dans la région de Tonopah, un trou paumé du Nevada. Il y rencontrera Léah, un jeune serveuse farouche qui officie au Jenny’s Dinners, un routier miteux où viennent échoir quelques âmes brisées. Une rencontre qui ravive l’intérêt de Franck pour le genre humain. Mais il y a la cargaison d’héroïne qu’il faut retrouver rapidement.

     

    Dans L’Age de l’Héroïne, on retrouve immédiatement la qualité d’écriture de Quentin Mouron. Les phrases sont plus courtes, plus incisives, mais le style est puissant et flamboyant. Néanmoins, L’auteur renonce toujours à cette envie de nous raconter une histoire et se contente du service minimum avec une intrigue archi convenue. On a la sensation de lire des chutes de plusieurs textes inachevés que l’on aurait rassemblés tant bien que mal pour fournir un roman bancal. C’est d’autant plus regrettable que l’ouvrage n’est pas exempt de quelques belles scènes originales à l’instar de la rencontre entre Franck et une libraire allemande, spécialisée dans les livres anciens et dont le funeste destin laissait présager quelques bons moments de lecture. Puis sans crier gare, de Berlin, on se retrouve dans ce trou perdu du Nevada pour passer en revue quelques personnages stéréotypés qui ne présentent aucun intérêt à l’exception de Léah, cette jeune serveuse mystérieuse. Malgré ce beau personnage qui aurait mérité davantage de développement, le récit s’enlise dans une tragique banalité qui, rapidement, ne présente plus aucun intérêt hormis peut-être ce constat cruel que le polar n’est pas à la portée de tous les écrivains, aussi talentueux soient-ils.

     

    Un style allié à une absence d’intrigue. Avec les deux romans de Quentin Mouron le lecteur aura la désagréable sensation d’avoir fait l’acquisition de deux belles boîtes savamment travaillées ne contenant que du vide. Tout ça pour ça. Dommage.

     

    Quentin Mouron :

    Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke. Editions La Grande Ourse 2015.

     

    L’Age de l’Héroïne. Editions La Grande Ourse 2016.

     

    A lire en écoutant : Wild Is The Wind interprété par Nina Simone. Album : The Best Of Nina Simone. 1969 UMG Recording Inc.

    L'Histoire de la Littérature en Suisse Romande. Nouvelle édition publiée sous la direction de Roger Francilion. Editions Zoé 2015.

    Claude Mesplède : Dictionnaire des Littératures Policières. Editions Joseph K. 2008.

     

  • Germán Maggiori : Entre Hommes. Le bal des cafards.

    german maggiori, entre hommes, la dernière goutte, roman noir argentin, polar argentine, polar buenos airesAlors bien sûr qu’après avoir tourné la dernière page d’Entre Hommes de Germán Maggiori, nous serons tentés de le classer ou de le barder de références pour trouver quelque chose d’intelligent à dire au sujet de cet ovni littéraire s’affranchissant de toutes les règles. Mais ne cherchez pas Ellroy, encore moins Thompson, parce que Germán Maggiori est un auteur qui s’est émancipé de toutes espèces d’influences pour nous balancer un récit brutal mettant en scène des flics et des truands arpentant les rues chaudes de Buenos Aires, ville laminée par les crises successives et le paco, came pourrie, composée de résidus de coke, de mort aux rats et autres pesticides en tout genre.

     

    Cortez Le Tucumano est un mac pressé qui doit rapidement mettre sur pied une petite orgie pour ses commanditaires. Il ramasse deux travestis et une fille de son staff pour les amener dans un appartement où les attendent un juge, un sénateur et un banquier. Bacchanale endiablée sur festival de coke s’interrompant brutalement avec une overdose fatale pour la fille. C’est d’autant plus gênant que toute la scène a été filmée derrière une glace sans teint et que la vidéo compromettante est désormais dans la nature. Ce sont deux flics de la Division dirigée par Diana Le Boucher qui sont chargés de la retrouver. Un duo charmant que cet ancien tortionnaire et cet obsessionnel psychopathe qui vont remuer tous les égouts de la ville pour parvenir à mettre la main sur l’enregistrement compromettant. Et quand les flics sont plus cinglés que les truands, on peut se demander comment tout cela va se terminer.

     

    Livre culte, « meilleur polar argentin de tous les temps », chef-d’œuvre de la littérature argentine, vous trouverez de nombreux qualificatifs dithyrambiques pour encenser ce roman noir auquel il faut concéder une certaine tendance à la démesure en puisant sa force dans la flétrissure d’une société en pleine décomposition. Cette démesure se traduit dans la violence de scènes parfois dantesques dans lesquelles il ne faudrait pas voir seulement une simple mise en scène sensationnaliste destinée à horrifier le lecteur. Elles sont le miroir d’un quotidien brutal et âpre où l’on ne perçoit déjà plus les règles et les usages pour se focaliser dans une logique de survie sans aucun lendemain.

     

    Conte barbare, Germán Maggiori a construit son récit à coup de grenades pour suivre, de manière parfois chaotique, les parcours hallucinants de personnages hauts en couleur, tous affublés de surnoms à la fois inquiétants et pittoresques à l’instar du Monstre et du Timbré désignant les deux flics véreux opérant dans une brigade où la corruption devient le gagne-pain de tout le personnel qui la compose. C’est au travers de leurs périples que l’on distingue ce système pérenne de désagrégation qui contamine toutes les strates d’une société complètement disloquée que l’auteur dépeint avec une écriture frontale qui va droit au but. Outre les flics, on prend plaisir à suivre les péripéties de cette horde de petites frappes, de braqueurs camés et de truands paumés mettant en place leurs coups foireux avec ce besoin permanent de se détruire la tête à coup de mauvais alcools et de cames pourries. En toile de fond, on découvre également les portraits parfois poignants de ces prostituées et de ces travelos en tout genre, arpentant les trottoirs torrides et les bordels miteux de Buenos Aires en subissant les foudres de dégénérés bestiaux et brutaux avides de faire subir les pires sévices pour apaiser cette colère et cette frustration qui lamine les cœurs.

     

    Dans une atmosphère confinée, où l’odeur de la mort et de la pourriture gangrènent tout un monde déliquescent, Entre Hommes est l’incarnation du mal, de la violence et de l’horreur dans un quotidien abject où l’espoir de rédemption s’envole dans un remugle de sang et de tripes sur fond de rock tonitruant. Un livre qui foudroie.

     

    Germán Maggiori : Entre Hommes. Editions La Dernière Goutte/Fonds noirs 2016. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Nelly Guicherd.

    A lire en écoutant : La Gran Explosiòn de Los Violadores. Album : Rey O Reina. 2009 Leader Music