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Auteurs B - Page 7

  • LOUISE ANNE BOUCHARD : NORA. LA DISPARUE.

    Capture d’écran 2018-02-16 à 16.28.35.pngC’est officiel, La Scène du Crime du salon du livre à Genève passe à la trappe et très honnêtement que pouvait-on attendre d’autre de la part d’organisateurs qui mettent en avant des auteurs citant comme références les films de James Bond ou les ouvrages de Camilla Läckberg, limitant ainsi fortement les propos qu’ils pourraient tenir durant une animation littéraire dédiée aux romans policiers, ceci d’autant plus que leurs interventions se rapportent de manière quasiment exclusive à leurs écrits. On cantonnera donc ces stars du polar romand à ce qu’ils savent faire de mieux, à savoir vendre, dédicacer et surtout se taire pour notre plus grand plaisir. Et tant pis pour les écrivains qui n’entreraient pas dans cette catégorie ou qui ne seraient pas adeptes de cette fameuse écriture formatée, faisandée de petites phrases courtes mal rédigées que les médias affectionnent et encensent avec un enthousiasme consternant. Isolés, quand ils ne sont pas tout bonnement ignorés, ces auteurs souhaitant évoquer autre chose que les thrillers à la mode seront priés d’aller voir ailleurs. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas que Nora de Louise Anne Bouchard, un troublant polar se rapportant à la disparition d’une jeune fille donnant son titre au roman, ne fasse l’objet que d’une maigre couverture médiatique régionale. On considérera ce silence des critiques comme un signe de bon augure pour cet unique polar romand publié en ce début d’année et qu’il faut d’ores et déjà compter parmi les excellents ouvrages de la littérature noire helvétique, capable de capter l’atmosphère du pays, ceci d’autant plus qu’il se déroule à Lucerne, au cœur même des contrées alémaniques, où cette auteure canado-suisse séjourna plusieurs années.

     

    La jeune journaliste Helen Weber déambule dans la moiteur de son studio avant d’arpenter les rues tranquilles de la ville de Lucerne, en quête d’un scoop qui devrait confirmer son engagement au sein du Luzerner Press. Mais dans la torpeur de cette nuit estivale, il est difficile de dégotter un sujet pertinent à même de contenter son rédacteur en chef qui devient de plus en plus pressant. Il suffit pourtant d’une transaction qui tourne mal pour qu’elle s’intéresse à la mort de Paul Mutter, un escroc minable dont tout le monde se moque. Dans sa quête du meurtrier, Helen Weber va croiser la route de Jackson, un flic zurichois démis de ses fonctions qui demeure l’une des rares personnes à s’intéresser aux circonstances du décès de celui qui fut son ami. S’ensuit une enquête étrange qui va conduire ce duo bancal dans l’entourage des von Pfyffer, une famille de notables dont le patriarche reste encore marqué par le souvenir de la disparition tragique de son unique enfant. Une jeune fille qui se prénommait Nora.

     

    Avec ce bref roman d’à peine 150 pages, on est tout d’abord surpris par l’équilibre d’un texte dense, fourmillant de détails, contenu dans de courts chapitres cinglants qui rythment cette intrigue déroutante avec cette sensation tenace de traverser la fulgurance d’un songe qui s’enliserait dans la langueur de cette chaleur estivale. Car tout est flou, imprécis dans ce récit prenant pour cadre une ville de Lucerne plutôt déroutante où le meurtre de Paul Mutter résonne comme un lointain écho, ou plutôt comme un prétexte pour découvrir de singuliers personnages arpentant les rues de cette cité alémanique à mille lieues des clichés usuels. Ainsi, que ce soit l’ombre inquiétante du Pilate qui masque l’horizon ou les messages funestes des fresques qui ornent la voûte du fameux Kapellbrücke, l’ensemble du décor distille une ambiance déplaisante pour nourrir la sensation de malaise qui pèse sur l’ensemble du récit.

     

    Nora nécessitera une lecture attentive pour appréhender les détails qui se nichent au cœur d’un texte se dispensant d’explications ou de précisions superflues. Ce sont, par exemple, quelques éléments anodins comme les télégrammes ou le crépitement des télescripteurs qui font que l’on se rend subitement compte que le roman se déroule au début des années 90, durant la période des scènes ouvertes de la drogues qui fleurissaient dans les cantons suisses alémaniques, notamment au Letten à Zürich. Sans qu’elle l’évoque ouvertement, Louise Anne Bouchard installe ces éléments dramatiques dans le cours de l’intrigue où l’on distingue les silhouettes des toxicomanes qui hantent les bords de la Reuss. C’est également avec la mort de l’épouse de Jackson Clark, cet ex-flic zurichois, que l’on peut prendre la mesure du phénomène qui touchait toutes les couches de la population. Mais loin d’être des moteurs essentiels, tous ces éléments épars ne servent qu’à contextualiser une époque trouble et ambivalente à l’image de cette intrigue déroutante.

     

    Avec Helen Weber, étrange héroïne déjantée qui dissimule ses traits sous une multitude de perruques différentes, avec un thème se rapportant à la disparition de cette mystérieuse Nora on pense aux romans de Boileau-Narcejac ou à l’ambiguïté des personnages de Marc Behm avec tout de même beaucoup plus de mesure, caractéristique toute helvétique. Il n’empêche, par petites touches subtiles, Louise Anne Bouchard décline toute une série de portraits équivoques avec le savoir-faire d’une écriture éclairée, saupoudrée d’une ironie parfois mordante. L’intrigue tourne donc autour de tous ces protagonistes aux personnalités fortes et ambivalentes, qui dissimulent leurs fêlures dans un ensemble de non-dits les vouant immanquablement à leur perte avec la surprise d’une scène finale quelque peu alambiquée mais qui trouve finalement parfaitement sa place dans ce polar aux tonalités résolument décalées.

     

    Nora constitue donc une excellente surprise pour un récit parfaitement orchestré dans sa brièveté et dans son ambiance trouble où l’émotion et les souvenirs de l’auteure affleurent à chacune des pages de ce roman policier singulier. Une belle découverte helvétique.

     

    Louise Anne Bouchard : Nora. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Laura interprété par Eric Dolphy. Album : Eric Dolphy in Europe vol 2. Original Jazz Classics 1990.

  • S. G. Browne : Héros Secondaires. Effets primaires.

    Capture d’écran 2017-12-24 à 14.33.07.pngOutre des voyages dans quelques contrées atypiques comme la Roumanie avec Spada de Bogdan Teodorescu (Agullo 2016), l’Allemagne et la Pologne avec 188 Mètres Sous Berlin de Magdalana Parys (Agullo 2017) ou l’Irak avec Bagdad, La Grande Evasion ! de Saad Z. Hossein(Agullo 2017) les éditions Agullo ont toujours eu la particularité de nous offrir des textes originaux remettant en cause le cadre sociétal normé au sein duquel évolue une population. Une définition au sens large de la politique au milieu de laquelle l’individu doit se positionner en fonction de son rapport avec la cité et des règles qui la régissent. Quelle que soit la thématique abordée, l’ensemble des auteurs intégrant cette jeune maison d’édition se caractérisent également par leur ton irrévérencieux et leur regard très incisif qu’ils adoptent en nous proposant des récits se déclinant sur un registre résolument décalés. Ainsi, à propos de la surconsommation de médicaments et des essais cliniques orchestrés par des grands groupes pharmaceutiques, S. G. Browne nous propose, avec Héros Secondaires, une vision grinçante du phénomène, teintée d’un humour à la fois acide et pertinent pour un récit satyrique empruntant les bases de la littérature fantastique en mettant en scène une bande de losers se découvrant quelques pouvoirs paranormaux.

     

    Analgésiques, antidépresseurs et autres substances chimiques, Llyod Prescott croque les médicaments comme des bonbons. C’est son métier : Cobaye humain. Il est rémunéré au gré des essais cliniques qu’on lui propose par l’entremise des petites annonces et du réseau qu’il s’est constitué avec sa bande de potes qui, comme lui, gravite dans les circuits des laboratoires pharmaceutiques et des établissements hospitaliers, à la recherche de tests rémunérateurs. Une équipe de braves loosers sympathiques, vivotant du mieux qu’ils peuvent dans l’anonymat des rues new-yorkaises. Mais à force d’ingérer quelques cocktails médicamenteux il fallait bien que les effets secondaires apparaissent. Llyod est le premier à déceler une capacité hors-norme à endormir les gens lorsqu’il baille. Mais bien vite ses camarades se découvrent, tout comme lui, quelques super-pouvoirs atypiques. On assiste ainsi à l’apparition d’une ligue de justicier qui déferle sur la cité. Ils ont pour nom Dr L’Enfant-Do, Capitaine Vomito, Spasmo Boy, Eczéman et Super Gros-Tas. Tous sont bien décidés à protéger la population des caïds et petites frappes en tout genre. Mais pourront-ils faire face à Mr Black Out et Illusion Man qui utilisent leurs facultés paranormales à des fins peu louables ?

     

    Pour une comédie douce amère saupoudrée de quelques traits d’un humour sarcastique, S. G. Browne ne s’éloigne pourtant jamais de la thématique centrale de son roman en mettant en lumière avec une redoutable acuité tous les excès d’une industrie pharmaceutique peu scrupuleuse agissant avec la complicité des gouvernements pour mettre sur le marché des médicaments dont les effets secondaires se révèlent bien pire que le mal initial dont souffre le patient. Un processus infernal où la surmédication obéit à une redoutable logique commerciale de rentabilité comme on peut le constater avec Llyod Prescott qui, pour se remettre de toutes ses aventures, doit absorber toute une série de médicaments censés, avant tout, annihiler leurs effets secondaires respectifs. Héros Secondaires est donc un récit à charge qui met en exergue toute l’absurdité d’une économie médicale davantage préoccupée par le rendement que par un raisonnement thérapeutique bénéfique et cohérent.

     

    Au travers du roman on peut également déceler une allégorie sur ce que sera l’homme de demain que l’ont prédit augmenté voire même immortel, avec ce groupe de losers touchants et attachants que l’auteur décline tout au long d’une intrigue à la fois originale et surprenante qui recèle quelques rebondissements imprévisibles. Perdu dans l’immensité d’une mégapole comme New York et dotés de pouvoirs extraordinaires, il s’agit donc pour Llyod Prescott et ses congénères de trouver leur place au sein de l’anonymat d’une grande cité et de faire face à leurs responsabilités sans qu’ils ne soient d’ailleurs capables de les appréhender. Avec ce récit qui emprunte les standards du fantastique propre aux ouvrages de DC Comics ou de Marvel, S. G. Browne évoque également les sujets de la solitude, du rejet et de la frustration notamment par le prisme de ses deux « super-vilains » que sont Illusion Man et Mr Black Out et dont les motifs méprisables ne font finalement que faire rejaillir leur profonde aversion pour ce monde injuste qui les entoure. Car dans un contexte économique laborieux, l’ensemble des protagonistes se situent à la marge de la précarité en révélant ainsi toute la fragilité d’une classe moyenne à la lisière du seuil de pauvreté et dont la situation peut basculer à tout instant. Ainsi, mêmes nantis de leurs pouvoirs extraordinaires si atypiques Llyod Prescott et ses camarades n’en demeurent pas moins profondément humains avec leurs failles mais également leurs vertus qu’ils mettent au service des autres, plus particulièrement pour les plus démunis qu’eux. Outre les personnages, c’est cette ville de New-York que l’on découvrira au ras du sol, bien éloignée des visions de la skyline auquel nous sommes accoutumés, en arpentant quelques quartiers méconnus de la Grosse Pomme, tout aussi chaleureux que leurs habitants.

     

    Récit enjoué, dynamique, plein de mordant et de générosité Héros Secondaires aborde le sujet grave des dérives pharmaceutiques sans se prendre au sérieux tout en instillant dans l’esprit du lecteur une regard plus nuancé et peut-être plus avisé vis à vis des ordonnances médicales et surtout des longues listes d’effets secondaires des médicaments que nous consommons. Incisif et pertinent.

     

    S. G. Browne : Héros Secondaires. Editions Agullo 2017. Traduit de l’anglais par Morgane Saysana.

    A lire en écoutant : Walk On The Wild Side de Lou Reed. Album : Transformer. RCA Records 1972.

  • FRANCK BOUYSSE : GLAISE. AU COEUR DE LA TERRE.

    frank bouysse, Il y a toujours ce moment déconcertant où l’on se demande par quel bout appréhender cette fameuse rentrée littéraire qui convoque tous les lecteurs sur une période donnée, comme s’il y avait un instant idéal pour se lancer dans la découverte d’une production qui doit se caler sur l’agenda des grands prix de littérature. Dans cette déferlante de parutions qui s’étouffent les unes les autres et disparaissent dans l’anonymat du nombre on peut éprouver un sentiment de dépassement à l’image de cet enfant perdu devant un coffre rempli de jouets neufs. Quel roman faut-il choisir ? Une phase de perplexité qui ne dure guère longtemps puisqu’il y a toujours quelques ouvrages qui émergent comme Glaise de Franck Bouysse qui, entre le succès d’un roman tout en retenue comme Grossir Le Ciel (La Manufacture de Livres 2014) et les débordements d’une écriture trop dense que l’on décelait avec Plateau (La Manufacture de Livres 2015), suscitait une grande attente, teintée de curiosité avec cette nouvelle parution.

    Comme partout ailleurs, dans cette région reculée du Cantal, les hommes sont partis à la guerre. Celle que l’on dit la dernière. Et Joseph, tout juste quinze ans doit s’occuper de la ferme avec sa mère Mathilde et sa grand-mère. La tâche est rude, mais ils peuvent compter sur Léonard, un vieux paysan du coin qui fait également office de confident tout en étant capable de tenir la dragée haute à Valette, un voisin pas commode qui a été reformé à cause de cette fichue main atrophiée. L’homme règne sur son exploitation avec sa femme Irène et nourrit son amertume et sa fureur à coup de petits verres d’eau de vie en attendant le retour de leur fils. Et pour rajouter à son humiliation voilà qu’il doit héberger la femme de son frère, Hélène une citadine qui vient se réfugier au domaine avec sa fille Anna, une belle adolescente prête à faire chavirer les cœurs quitte à bouleverser l’équilibre précaire qui règne sur ces montagnes.

    Alors bien sûr, on pourrait reprocher à Franck Bouysse de ne pas prendre trop de risque et de ne pas vouloir sortir de sa zone de confort en nous proposant, pour la troisième fois, un roman noir se déroulant dans ce milieu rural qu’il affectionne. On pourrait également déplorer le fait que le personnage du vieux paysan taciturne revient continuellement dans le cours de ses récits et que des protagonistes tels que Gus dans Grossir Le Ciel, Virgile dans Plateau ou Léonard que l’on découvre dans ce nouvel opus, ne présentent guère de dissemblances les uns par rapport aux autres. Mais il faut bien admettre que toutes ces réticences ne pèsent pas bien lourd face à un texte puissant, racé et équilibré qui nous entraîne sur le parcours initiatique de Joseph, un jeune garçon, contraint, par la force des choses, à grandir trop vite. C’est donc autour de cet adolescent que se construit, au rythme lent des saisons qui passent, une intrigue chargée de tensions mais également d’émotions parfois poignantes avec, en toile de fond, cette guerre que l’on devine et qui, même si elle résonne dans le lointain, est encore capable de dévaster les cœurs meurtris ou d’alimenter la folie de celles et ceux qui sont restés à l’arrière.

    Glaise c’est bien évidemment le matériau qu’utilise Joseph pour ses sculptures, mais c’est également cette terre nourricière qui cimente l’ensemble des personnages à l’instar de cette grand-mère conservant dans son coffret les précieux titres de propriété du domaine. Un bien inestimable donc qui alimente les convoitises et les rancœurs jusqu’au drame qui se bâtit peu à peu sur fond de haine et de jalousie ravivées par la relation qui se noue entre Joseph et la belle Anna qui va bousculer le fragile équilibre régulant les relations entre les différents protagonistes. Glaise c’est également cette boue gorgée de sang qui colle aux vêtements de ces soldats disparaissant dans cette terre meuble qui les absorbe parce que c’est finalement cette guerre lointaine qui aura le dernier mot d’ailleurs gravé sur la stèle froide d’un monument aux morts qui conclut d’une manière cruelle et abrupte un récit se révélant bien plus surprenant qu’il n’y paraît.

    Comme à l’accoutumée, Franck Bouysse parvient à magnifier le cadre dans lequel se déroule le roman avec une dentelle délicate de phrases et de mots qui lui permettent de dépeindre un décor à la fois âpre et somptueux qui évolue au fil des saisons même s’il faut parfois compulser, pour le citadin que je suis, un ouvrage de botanique pour visualiser les différentes espèces d’arbres et de plantes qui sont évoquées. Etroitement liés aux décors qui les entourent, les personnages empruntent toutes les caractéristiques de cette nature sauvage qui les imprègne en se traduisant notamment par l’entremise de dialogues ciselés qui vont toujours à l’essentiel dans cet univers où la parole est comptée. Ainsi au travers d’un texte somptueux on perçoit cette belle et subtile alchimie qui allie la magnificence d’une nature au service d’une belle intrigue et de personnages magnifiques qui font de Glaise un roman tout simplement admirable.

     

    Franck Bouysse : Glaise. Editions La Manufactures de Livres 2017.

    A lire en écoutant : Branle – La péronelle de Malicorne. Album : Mariage Anglais. Hexagone 1975.

  • LAURENCE BIBERFELD : SOUS LA NEIGE, NOS PAS. A TEMPS PERDU.

    Capture d’écran 2017-05-14 à 22.55.25.pngOn imagine volontiers l’homme arpentant les forêts de la région d’Aubusson en quête de l’emplacement idéal pour bâtir une solide cabane. Une fois construite, autour d’un feu qui crépite, Cyril Herry peut y convier ses amis ou prendre simplement le temps de parcourir un manuscrit qui vient de lui parvenir et dont il publiera peut-être la teneur au sein de sa collection Territori qu’il a patiemment constituée depuis plusieurs années. La maison d’édition prend le nom de ces territoires méconnus ou oubliés qu’il nous fait découvrir par l’entremise d’auteurs partageant cette même passion pour un contexte rural, voire sauvage évoqué sous l’angle d’une thématique noire. Nouvelle venue chez Territori, Laurence Biberfeld n’est pas une néophyte en matière d’écriture puisqu’elle a déjà publié de nombreux polars se déroulant dans un cadre champêtre tout comme son dernier ouvrage Sous La Neige, Nos Pas où l’auteur nous convie sur les rudes terres d’un plateau perdu au nord de la Lozère.

     

    Esther a quitté Paris avec sa fille Juliette pour occuper un poste d’institutrice sur le plateau de la Margeride en Lozère. Le climat y est aussi rude que la terre et ses quelques habitants qui peuplent la région. Pourtant autour des nouveaux venus, les villageois deviennent comme une seconde famille afin de favoriser l’intégration de cette institutrice dynamique. Mais quelques reliquats de la vie citadine d’Esther refont surface à l’instar de Vanessa, une ancienne colocataire qui débarque avec une valise bourrée d’héroïne et deux dealers à ses trousses. Face à la menace, les habitants vont se révéler de farouches protecteurs et dans un paysage figé par l’hiver, la neige efface les pas et étouffe les cris.

     

    Quitter une vie citadine pour occuper une fonction d’institutrice dans un petit village isolé, c’est une similitude parmi d’autres que l’on décèle si l’on superpose les parcours de vie de l’auteur et de son héroïne et qui confèrent à l’ensemble du récit un sentiment de vécu notamment en ce qui concerne les interactions avec les habitants de la Margeride. Ce vécu on le retrouve notamment dans un vocabulaire précis qui permet d’immerger rapidement le lecteur dans le décor intimidant de ce plateau isolé. Il y a une sorte d’éclat sauvage qui émane d’un texte très maîtrisé, même si l’on s’égare parfois aux détours de quelques phrases un peu trop alambiquées. Il n’empêche, il s’agit d’un roman à la beauté rude, parfois sauvage et emprunt d’une certaine forme de nostalgie puisque le récit s’installe sur deux époques qui se font échos à mesure des rebondissements qui émaillent une histoire se révélant bien plus surprenante qu’il n’y paraît. Mais au-delà de la splendeur des paysages qu’elle dépeint, Laure Biberfeld se sert du décor et surtout du climat, pour mettre en place des scènes de confrontations extrêmement originales dont les conséquences projetteront l’ensemble des personnages vers une inéluctable logique de violence immédiatement teintée de regrets et de remords. C’est d’ailleurs sur ces deux aspects que l’auteur s’attarde en compartimentant les secrets et les non-dits des uns et des autres tout en distillant au fil du récit des révélations singulières dont seul le lecteur aura une vue d’ensemble.

     

    Deux citadines au pays des bouseux, avec Sous La Neige, Nos Pas, nous sommes bien loin de ce cliché éculé, car l’auteur installe une dynamique particulière avec une institutrice bien moins ingénue qu’il n’y paraît et des villageois bien plus malins et surtout bien plus déterminés qu’ils ne veulent le montrer. On appréciera ainsi le portrait de Lucien, ce vieux paysan farouche qui va devenir le protecteur d’Esther et surtout de sa fille Juliette en déclenchant les hostilités afin de dissuader les trafiquants qui voudraient s’en prendre à elles. Prisonniers de leurs secrets respectifs, les protagonistes n’en demeurent pas moins liés par une amitié indéfectible qui s’avère être un des facteurs touchants de ce roman surprenant. Et ainsi, c’est sur la somme de ces secrets que l’on découvrira les trahisons des uns et des autres et tous les chagrins qu’ils auront causés avec l’espoir peut-être un peu vain pour Esther de trouver une forme de pardon et de rédemption au-delà des rêves et des souvenirs qui la taraudent.

     

    Comme un long poème noir et rugueux Sous La Neige, Nos Pas dépeint également le rude quotidien de cette communauté qui s’obstine à faire face aux difficultés d’une terre difficile et dont les aléas se répercutent sur la condition de femmes maltraitées qui souffrent en silence. Emprunt d’une âpre vérité, Sous la Neige, Nos Pas est un roman douloureux et poignant.

     

    Laurence Biberfeld : Sous La Neige, Nos Pas. Editions La Manufacture de Livres/Territori 2017.

    A lire en écoutant : Lorelei Sebasto Cha de Hubert-Félix Thiéfaine. Album : Soleil Cherche Futur. Sony BMG Music Entertainment 1982.

  • Bill Beverly: Dodgers. Au bout de la route.

    Editions Seuil, Bill Beverly, Dodgers, richard price, clockersEmployés dans des fonctions subalternes, souvent ingrates, les enfants font office de guetteurs avant de gravir les échelons de l’univers impitoyable des gangs. Des enfants soldats qui opèrent au cœur de nos cités dites civilisées en renonçant rapidement aux notions de l’enfance pour s’insinuer dans un monde d’adulte dénué de toutes valeurs morales. Avec Dodgers de Bill Beverly nous allons suivre le destin de deux jeune frères devant accomplir un périple à travers tous les Etat-Unis afin d’éliminer un adversaire acharné du gang auquel ils sont affiliés.

     

    A Los Angeles, East, quinze ans, dirige déjà une équipe de gamins chargés de surveiller les Boîtes, petits univers interlopes de la dope, où officient dealers et toxicos déjantés. Mais leur vigilance est mise à mal, les flics débarquent et une fusillade éclate avec la mort d’une fillette au compteur. La Boîte est fermée et East doit se racheter auprès de son oncle. Il faut dire que ce dernier, dans le collimateur de la justice, est aux abois. Pour s’en sortir, il faut éliminer un juge, témoin dans une procédure impliquant les caïds du gang. Et c’est à East de s’en charger. Mais le travail est plus complexe qu’il n’y paraît car la cible se trouve dans le Wisconsin. Et puis il y a Ty pour l’accompagner, son petit frère complètement déjanté ainsi qu’un étudiant bidon et un faussaire obèse plus malin qu’il n’y paraît. Sans arme, munie de papiers bidons et d’un peu de liquide, l’équipe quitte L.A. à bord d’un monospace lambda pour traverser discrètement tout le territoire. Au fil des kilomètres qui défilent, l’ambiance devient de plus en plus tendue. Et le plan est loin de se dérouler comme prévu.

     

    Avec Dodgers de Bill Beverly, on pense immédiatement à Clockers, grand roman de Richard Price, car outre la résonance similaire dans le titre, on y retrouve le même univers de gangs impitoyables où les enfants n’en sont déjà plus et auxquels les adultes leurs attribuent des responsabilités qui scellent à tout jamais leur destinée. Il y avait Strike, le dealer amateur de trains miniatures, il y a désormais East, quinze ans, guetteur pour le compte de son oncle qui dirige toute une série de taules où viennent se défoncer une horde de toxicos. On baigne dans cette incertitude d’un destin mutilé où la mort survient à tout moment dans une équation étriquée qui ne laisse place à aucune porte de sortie. Par le biais du portrait poignant de East on perçoit, tout au long du récit, cette notion d’enfermement. Que ce soit dans l’univers de la Boîte qu’il surveille, dans ses obligations vis à vis du gang, dans la boîte en carton où il dort ou dans cet habitacle au travers duquel il entrevoit toute l’immensité d’un pays dans lequel il ne se reconnaît pas.

     

    Une fois sorti du ghetto, on s’engage dans un voyage qui n’a rien d’initiatique, puisqu’au bout de la route, la mort d’un homme est déjà programmée. Une certitude qui taraude les membres de l’équipe effectuant ce périple morbide au bout duquel personne ne sortira grandit. Pourtant la majesté des paysages touche le gamin en proie aux doutes. Mais pour contrecarrer son incertitude quant au bien-fondé de sa mission, son oncle lui a adjoint, comme une ombre mortelle et silencieuse, son petit frère Ty. Tout à l’opposé de l’aîné, Ty possède cette froide détermination d’un tueur qui ne se pose aucune question. Son univers oscille entre la virtualité violente des jeux vidéo et la réalité de la rue. De la console au pistolet, il n’y plus de frontière et plus aucune règle. Dès lors, la confrontation entre les deux frères semble inéluctable, comme une éternelle et tragique malédiction fratricide à l’image de Caïn et Abel. En arbitres instables et nerveux, les deux autre membres du groupe alimentent encore davantage cette tension narrative que l’on perçoit tout au long d’un périple jalonné de péripéties singulières et parfois brutales.

     

    Road trip funèbre, roman noir oscillant parfois sur le registre du thriller le lecteur sera déconcerté par les trames d’un récit qui se révélera plus surprenant qu’il n’y paraît. Du voyage à la fuite, de la fuite au vagabondage il n’y a qu’un pas jusqu’à l’oubli. Et l’on se prend à espérer une espèce de rédemption qui pourrait s’opérer dans la désagrégation d’un personnage touchant que l’on se surprend à apprécier. Car East perçoit dans la désincarnation de ces territoires fantomatiques qu’il a traversé, l’éventualité d’une régénération possible.

     

    Une écriture classique empreinte d’un certain lyrisme poétique marquant parfaitement les affres de personnages tourmentés et les désenchantements d’un pays où une once de ce rêve américain réside peut-être au détour des routes empruntées, dans un bled paumé de l’Ohio.

     

    Singulier, impitoyable, Dodgers est un premier roman brillant et marquant.

     

     

    Bill Beverly : Dodgers. Editions Seuil/Policier 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Samuel Todd.

    A lire en écoutant : People in Search of a Life de Marc Dorsey : Album : BO de Clockers. MCA Records 1995