Mary Anna Barbey : Swiss Trafic. Les gentianes de Rilke.
La journaliste ou romancière qui met à jour les pires turpitudes en supplantant les services de police à l’image d’une Erica Falck a fait des ravages dans les rayonnages des librairies à un point tel que cela en devient indigeste. Lorsque je découvre ce type de personnage en résumé sur les quatrièmes de couverture, je ne peux m’empêcher de frisonner en adoptant une attitude des plus méfiantes. Si, comme moi, vous avez ce type d’a priori, il faudra vous en défaire pour découvrir l’excellent roman de Mary Anna Barbey intitulé Swiss Trafic.
En découvrant un cadavre dans la piscine de l’hôtel d’une station thermale des Alpes où elle séjourne, Delphine pensait avoit encaissé sa dose d’émotions fortes. Pourtant c’est en reprenant son travail de responsable de la rubrique du courrier du cœur d’un grand magazine national qu’elle va débuter une mystérieuse correspondance avec l’auteur d’une lettre anonyme qui lui lance un appel au secours codé dénonçant les auteurs d’un odieux trafic d’être humain. Les menaces, intimidations et cadavres vont jalonner les investigations de cette journalite atypique.
Avec Swiss Trafic, Mary Anna Barbey nous entraîne au cœur de la problématique des réfugiés en Suisse et particulièrement sur la condition tragique des femmes qui subissent les pires outrages afin d’alimenter les « clubs » et « dancing » que l’on retrouve dans les grandes villes du pays mais également dans des localités plus modestes. Même si le destin de ses personnages est poignant, l’auteur ne verse pas dans le pathos et se contente de rester dans le sillage du réalisme en expliquant avec une très grande maîtrise les mécanismes qui poussent ces femmes à entrer dans la clandestinité, devenant ainsi encore plus vulnérables.
En mettant beaucoup d’elle-même dans le portrait de Delphine, Mary Anna Barbey est parvenue à créer un personnage extrèmement attachant et intéressant qui nous amuse parfois avec son petit côté décalé. On apprécie le côté frondeur de cette femme qui reste pourtant très fragile et très sensible en amenant au travers de ses introspections une épaisseur d’âme qui tranche avec les héroïnes formatées que l’on trouve dans la plupart des romans policiers. Vaudoise, née aux Etats-Unis, Delphine est une quinquagénaire, veuve qui, par le biais de la rubrique du courrier du cœur s’intéresse particulièrement au domaine de la santé sexuelle tout comme son auteure.
L’autre intérêt du roman, réside dans l’atmosphère parfois sombre d’une Suisse qui sort de l’ordinaire et qui n’est pas sans rappeler l’œuvre fameuse de Mary Shelley, particulièrement lorsque son héroïne se rend à Rarogne pour découvrir la tombe du célèbre poète autrichien Rainer Maria Rilke. Ce sont ces instants délicieux qui donnent une belle tonalité à ce roman qui sort des sentiers battus. Il faut l’avouer, les scènes se déroulant dans le canton du Valais sont vraiment très réussies.
Hitchcock l’avait dit : « Meilleur est le méchant, meilleur est le film » et il faut admettre que c’est peut-être le point faible du roman avec cet homme d’extrême-droite qui manque d’envergure et qui arrive un peu trop tardivement dans le fil de l’intrigue pour pouvoir être développé de manière correcte. Un peu trop manichéen, le personnage manque de substance au regard des autres protagonistes du roman.
De très beaux portraits de femmes, une intrigue bien maîtrisée pleine de suspense, avec Swiss Trafic, Mary Anna Barbey va vous entraîner dans la sombre enquête d’une lumineuse et pétillante Delphine que l’on espère retrouver très prochaînement dans de nouvelles aventures qui nous permettront de découvrir les aspects peu reluisants d’une Suisse des plus surprenante.
Mary Anna Barber : Swiss Trafic. Editions des Furieux Sauvages 2013.
A lire en écoutant : Guggisberglied interprété par Stefan Eicher. Album : My Place. Barclay 1989.