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marto pariente

  • Marto Pariente : Balanegra. Bonneteau.

    marto pariente,balanegra,série noireOn dit de lui qu'il a officié au sein de la Guardia Civil durant 22 ans et qu'il vit avec sa femme et ses enfants du côté d'Alovera, petite localité tranquille de Guadalajara, une province de l'Espagne qui devient d'ailleurs le cadre de La Sagesse De L'Idiot, son premier roman traduit en français par le romancier Sébastien Rutès. Mais si l'on examine, quelque peu son parcours, on découvrira que Marto Pariente a publié en 2015 son premier roman intitulé Una Bala Para Riley qui n'a encore jamais été traduit en français tout comme Las Horas Crueles qui paraît en 2023 dans sa langue d'origine en prenant également pour cadre la région de Guadalajara et en s'inscrivant davantage dans un registre d'enquête policière que de roman noir. Et quand bien même La Sagesse De L'Idiot a été encensé, à juste titre, par les lecteurs et la critique, tout en étant couronné de quelques prix prestigieux de la littérature noire, on ne trouvera guère d'entretiens du romancier qui reste assez discret. Il faudra s'armer de son traducteur Google et écumer les sites espagnols où l'on apprendra qu'il apprécie Dashiell Hammett ainsi que Jim Thompson dont on retrouve certains éléments de noirceur dans ces textes ainsi que James Ellroy qui d'un certaine façon l'aurait poussé à se lancer dans l'écriture. En tant que lecteur, Marto Pariente semble davantage porté vers cette littérature âpre incarnée par le roman noir plutôt que vers le thriller et met en avant, sur les réseaux sociaux, des textes de Daniel Ray Pollock et de John R. Lansdale possédant ce sens aigu de l’intrigue, tout comme lui. Mais s’il suffisait de lire de bons  livres pour faire de vous un romancier accompli, cela se saurait et il faut bien évidemment saluer ce sens de la narration qui s'inscrit dans une espèce de boucle où évoluent les différents protagonistes avant d'entrer dans une collision pleine de fureur et d'éclats d'une violence burlesque qui vous bousculent et que l'on retrouve plus particulièrement dans Balenegra, nouveau roman de Marto Pariente qui nous plonge encore une fois dans cet univers de truands décalés et cruels.  

     

    marto pariente,balanegra,série noireEn se rendant à l'enterrement de son frère, dans la localité perdue de Balanegra, Coveiro a hérité de sa fonction de fossoyeur qu'il a endossé avec un certain fatalisme pour s'occuper de son neveu Marco, un jeune garçon autiste, désormais orphelin, qui connaît par coeur chacune des inscriptions des pierres tombales du cimetière. Tout pourrait aller pour le mieux pour ce vieil homme usé qui aspire à une certaine tranquillité mais qui voit sa routine bousculée avec l'enlèvement de Marco dont il est témoin, ceci au lendemain de l'enterrement d'un homme politique accusé de pédophilie et dont le décès, lors d'une reconstitution judiciaire, apparaît pour le moins étrange. Pour faire la lumière sur cette succession d'événements surprenants, le vieux fossoyeur n'a pas d'autre choix que de fourbir les armes et de retrouver ses anciens réflexes de tueur à gage afin de secouer les truands et même les flics qui s'en sont pris à son neveu. Et autant dire que ça va saigner méchamment dans les chaumières, car Coveiro ne fait preuve d'aucune indulgence vis-vis des adversaires qui croisent son chemin, ceci pour leur plus grand malheur.

     

     

    Il serait injuste de dire que les romans de Marto Pariente sont de « bons petits polars » comme on a pu le lire ici ou là en parlant de La Sagesse De L’Idiot ou de Balanegra qui confirme pourtant le talent de Marto Pariente qui s’ingénie à mettre en place des mécaniques narratives extrêmement bien façonnées qui s’inscrivent dans un registre de violence sombre au réalisme cinglant. Ainsi émerge dans Balanegra, l’image du tueur vieillissant reprenant du service, bien éloigné pourtant de cette efficacité redoutable qui entoure ce genre d’individus déterrant régulièrement un équipement composé d’armes sophistiquées. Il n’en sera rien avec Coveiro qui n’a pour seule arme qu’un fusil de chasse à double canon qu’il va scier afin qu’il soit moins encombrant en lui permettant de faire face à toute une escouade de truands bien déjantés à l’exemple de Double Mickey, fils instable de Rubí de Miguel, une matriarche qui dirige son entreprise agroalimentaire de viande comme une officine mafieuse tout en s’affichant avec un porcelet tenu en laisse, où figure la mention « I love bacon » tatoué sur le flanc de l’animal. On voit bien que le profil des protagonistes du roman demeurent bien marqués, en saluant le fait que Marto Pariente joue habilement avec les clichés qui se rapportent à chacun d’entre eux pour nous entraîner dans le corps d’une intrigue dynamique imprégnée d’éclat sanglants qui ne manquent pas de saveur. Ainsi, même s’il s’inscrit dans une démarche de rédemption, Coveiro n’apparaît pas comme un homme particulièrement attachant, surtout lorsqu’il emploie des moyens de torture aussi simples qu’efficaces pour faire parler les adversaires détenteurs d’informations lui permettant de localiser son neveu. On appréciera d’ailleurs le fait que Marto Pariente reste dans une dynamique très sobre pour tout ce qui a trait aux rapports qu’entretient le vieux tueur fatigué avec son neveu autiste sans trop basculer dans une dimension émotionnelle larmoyante. C’est peut-être là que réside le talent du romancier qui fait en sorte de coller à son intrigue avec une écriture sèche et percutante, sans la moindre once de fioriture inutile. Et puis il y a cette inventivité  tonitruante qui donne lieu à des scènes savoureuses ou à des analepses improbables nous permettant de découvrir les parcours respectifs de chacun des protagonistes du roman qui resteront gravés dans la mémoire, tout en intégrant des événements réels qui ont secoué l’Espagne à l’instar de l’incendie de la tour Windsor à Madrid. Tout cet ensemble, à l’apparence faussement disparate, va prendre corps autour de l’enterrement de León de Miguel, un politicien sulfureux, dont on va découvrir tous les moyens mis en œuvre afin de ne pas ternir sa réputation en dépit d’actes  pédophiles meurtriers. Ainsi, aussi bref que saisissant, Balanegra se révèle être un roman noir à l’efficacité redoutable qui bouscule tous les clichés propre au tueur à gage vieillissant, dans un florilège de scènes déroutantes, parfois brutales, qui ne manqueront pas de vous secouer avec ce côté burlesque qui prête à sourire jaune dans ce contexte de noirceur sans concession.

     

    Marto Pariente : Balanegra (Hierro Viejo). Editions Série Noire 2025. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutès.

    A lire en écoutant : Touch de Noiseworks. Album : Touch. 1988 Sony Music Productions Pty. Ltd. 

  • MARTO PARIENTE : LA SAGESSE DE L'IDIOT. CASSE TOUS RISQUES.

    marto pariente,la sagesse de l’idiot,série noireFranchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.

     

    On ne sait pas trop comment Toni Trinidad est parvenu à obtenir son diplôme de flic, lui qui s'évanouit à la vue de la moindre goutte de sang. Toujours est-il qu'il est devenu l'unique policier municipal du village d'Asturias et que sa principale activité consiste à surveiller la circulation lorsque les enfants sortent de l'école en fin d'après-midi. Une vie faite de routine, idéale pour cet homme qui passe pour l'imbécile de service et qui ne porte jamais d'arme. Mais Toni doit faire face à bien des difficultés avec la mort un peu étrange de son ami Triste que l'on a retrouvé pendu à un arbre tandis que sa sœur Vega, unique propriétaire d'une casse automobile depuis la disparition de son mari, doit faire face aux velléités de l'Apiculteur, un trafiquant de drogue brutal et sans pitié à qui elle a dérobé une cargaison de came en croyant que c'était du fric. En voulant savoir ce qu'il est vraiment arrivé à son ami et vouloir protéger sa sœur, Toni se retrouve embringué dans des histoires de règlements de compte entre trafiquants déjantés, tueurs à gage impitoyables et promoteurs immobiliers douteux qui vont croiser sa route pour son plus grand regret mais également pour leur plus grand malheur. 

     

    Egalement auteur de romans noirs, dont certains publiés au sein de la collection La Noire des éditions Gallimard, on doit saluer la traduction de Sébastien Rutés ayant parfaitement saisi l'essence d'un texte comme La Sagesse De L'Idiot pour nous en restituer toute la quintessence, propre au genre, dans sa version française. Mais il faut également relever le véritable talent de Marto Pariente à construire une intrigue au rythme explosif pour mettre en scène toute une galaxie des personnages truculents dont les actes vont s'entrechoquer au détour d'une succession de confrontations dont certaines vont virer à la pantalonnade vacharde, ceci pour notre plus grand plaisir sadique. Néanmoins, il convient de souligner, que La Sagesse De L'Idiot va bien au-delà d'une simple bouffonnerie puisque l'auteur prend également la peine de soulever quelques aspérités du contexte sociale dans lequel évolue l'ensemble des protagonistes. Ainsi, de la région de Guadalajara, située au centre de l'Espagne, on découvre les accointances entre les banques et les milieux de l'immobilier pour faire davantage de profit tandis que certains propriétaires terriens touchent des subsides grâce à des plantations qu'ils laisseront pourrir sur pieds en s'épargnant ainsi les frais et les efforts d'une récolte qui ne leur rapporterait rien. Tout cela, on le perçoit par le biais du regard de Toni Trinidad, ce flic municipal que l'on prend volontiers pour un imbécile alors qu'il se révèle un peu plus perspicace qu'il n'y paraît, même s'il fait preuve parfois d'une maladresse crasse qui va avoir un impact sur l'ensemble de son entourage et des individus qu'il croise sur son chemin. C'est bien évidemment cette dynamique que l'on apprécie et que Marto Pariente met en scène de manière habile en nous permettant de saisir l'ensemble des rapports qui régissent les interactions entre cette succession de bûcherons reconvertis en exécutant des basses œuvres, de trafiquants au bord de la faillite, de promoteurs véreux et d'un tueur à la foi immodérée et dont découvre certains aspects au gré d'un épilogue savoureux révélant tout un lot d'éléments surprenants que l'on ne voit pas venir. Et puis pour en revenir à Toni Trinidad, on appréciera toute l'affection qu'il éprouve pour sa sœur Vega, quelque peu portée sur la bouteille, nous entraînant sur un registre un peu plus émouvant, donnant encore plus de relief à l'ensemble du récit, tandis que l'on plonge dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les épreuves auxquels ils ont dû faire face, sources de traumatismes indélébiles. Ainsi, au gré d'un texte affuté comme la lame tranchante d'un cran d'arrêt, l'émotion se conjugue avec l'humour et cette férocité parfois cruel dans un mélange parfait qui font de La Sagesse De L'Idiot un récit détonant nous permettant d'affirmer que Marto Pariente devient une des voix originales du roman noir espagnol qu'il convient de découvrir toutes affaires cessantes.  

     

    Marto Pariente : La Sagesse De L'Idiot (La Cordura Del Idiota). Editions Gallimard/Série Noire 2024. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutés.

    A lire en écoutant : Hijo De La Luna de Mecano. Album : Entre el Cielo y el Suelo. 2005 BMG Rights Management and Administration (Spain) S.L.U.