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free queens

  • Marin Ledun : Free Queens. Produit d’appel.

    free queens,éditions gallimard,série noire,marin ledunOn entame déjà la rentrée littéraire qui emporte tout sur son passage avec une déferlante d’ouvrages alléchants nous incitant à oublier toutes les nouveautés publiées depuis le début de l’année. Il en va ainsi de la littérature avec une offre foisonnante, quelque peu restreinte cette fois-ci avec la crise du papier, seul élément positif que l’on trouvera dans cette hausse prohibitive des prix touchant l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Mais avant d’aborder cette nouvelle période littéraire, il importe de revenir sur certains ouvrages marquant de l’année à l’instar de Free Queens de Marin Ledun qui a d’ailleurs fait l’objet d’une kyrielle de retours élogieux pour ce roman noir abordant le thème de l’exploitation des femmes au sein d’une grand groupe brassicole international qui s’en servent comme d’un outil promotionnel pour écouler leurs produits. Auteur d’une vingtaine de récits,  Marin Ledun s’est intéressé aux dérives entrepreneuriales, après en avoir fait les frais au sein de France Telecom, dont il a évoqué les agissements et plus particulièrement les mécanismes de cette souffrance au travail, conduisant parfois au suicide, dans Les Visages Écrasés (Seuil 2011) où une médecin du travail d’une plate-forme téléphonique mettait à jour la stratégie malsaine d’une hiérarchie cherchant à évincer ses employés au gré d’injonctions paradoxales meurtrières. Dans un registre similaire, ce sont les pratiques amorales des fabricants de cigarettes que Marin Ledun a décortiqué dans le vertigineux Leur Âme Au Diable (Série Noire 2020) dénonçant un lobbyisme acharné aux allures mafieuses. S’inscrivant dans ce que l’on pourrait désormais considérer un triptyque des déliquescences du monde des grandes entreprises, Free Queens fait référence, sans d'ailleurs jamais la nommer, à la controverse qui a agité la multinationale Heineken ayant formé des milliers de prostituées afin de booster ses ventes au Nigeria et que le journaliste Olivier Van Beemen a mis en évidence dans son ouvrage Heineken en Afrique (Rue de l'échiquier 2019).

     

    Journaliste au quotidien Le Monde, Serena Monnier est témoin des agissements violents de souteneurs s'en prenant à une jeune jeune prostituée nigériane dont elle recueille le témoignage avant de se rendre à Lagos pour enquêter sur la traite des femmes. Au sein de cette ville tentaculaire, elle est guidée par les militantes de Free Queens, une association luttant pour le droit des femmes. Elle va ainsi prendre conscience de l'ampleur des agissements criminels de réseaux prospérant grâce à la prostitution permettant notamment à des multinationales sans scrupule d'utiliser cette main-d'oeuvre à des fin commerciales.
    A Kaduna, dans le nord du Nigeria, le sergent Oni Goje, affecté à la Fédéral Road Safety, sait bien que les autorités ne feront pas grand chose pour élucider le meurtre de deux jeunes femmes qu'il a découvert dans une décharge. Aussi reprend-il l'enquête à son compte pour tenter de rendre justice à deux victimes dont personne ne se soucie. 
    Deux enquêtes parallèles qui vont mener le policier et la journaliste dans le sillage de Peter Dicksen, directeur général marketing de MB Nigeria Inc, s’ingéniant à mettre en avant la bière First en pouvant notamment compter sur l'appui des flics corrompus de la Special Anti-Robbery Squad encadrant toute une cohorte d'hôtesses portant les couleurs rouge et or de la marque.    

     

    Serena Monnier, Favour Egbe, Jasmine Doom, Esther Lekwot, Treasure Jones sont indéniablement les reines de ce récit s'employant à dénoncer les affres de la prostitution au Nigéria ainsi que les ramification qui en découlent sous le regard "bienveillant" des autorités couvrant les activités des entreprises implantées dans le pays, profitant ainsi de ces femmes vulnérables qu'il exploitent afin de mettre en avant leurs produits et plus particulièrement la bière objet de grande consommation en Afrique. On salue ainsi le travail minutieux de Marin Ledun mettant en avant le travail de ces ONG à l'instar de Free Queens luttant pour défendre les droits des femmes au sein d'une contrée où l'on accepte que le mari puisse frapper son épouse tandis que la charge de la preuve repose sur la victime en cas de viol. Ce n'est ni plus ni moins que l'exploitation, la privatisation des corps pour un dessein purement commercial que l'auteur met en scène au travers du témoignage de ces militantes, mais également des victimes que son personnage central de journaliste compile afin de dénoncer une dérive insoutenable et d'une ampleur sans égal. Sans jamais avoir à la supporter, on devine l'impressionnante documentation que Marin Ledun a digéré pour restituer le foisonnement de détails nous permettant de nous immerger dans l'atmosphère âpre des villes de Lagos et de Kadura, tandis que le COVID s'abat sur ce pays déjà frappé par les épidémies du SIDA et du choléra. Il en résulte un climat oppressant ponctué des exactions de Peter Dicksen et de ses comparses de la Spécial Anti-Robbery Squad dont on découvre les agissements au travers de l'enquête du sergent Oni Goje mettant en exergue la violence institutionnalisée de cette unité policière qui a vraiment existé avant d'être démantelée suite au soulèvement d'une partie de la population nigérienne dénonçant ses exactions sous l'emblème #EndSARS. On le voit l'intrigue oscille brillamment entre réalisme et fiction en mettant en avant le courage de ces femmes unies prêtent à risquer leur vie pour défendre les droits et les intérêts des plus démunies d'entre elles. Et même si l'espoir est palpable, Marin Ledun nous ramène à la réalité cruelle des choses avec un épilogue sans ambiguïté où l'on retrouve les héroïnes de Free Queens rejoignant une manifestation #EndSARSnow au péage de Lekki, autre fait réel d'une fiction imprégnée en permanence d'un réalisme sans fard.

     

    Marin Ledun : Free Queens. Éditions Gallimard/Série Noire 2023.

    A lire en écoutant : Look and Laugh de Fela Kuti. Album : Teacher Don't Teach Me Nonsense. 2009 FAK Ltd under license tou Kalakuta Sunrise / Knitting Factory Records.