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  • Franck Bouysse : Grossir le Ciel. Le silence de la terre.

    franck bouysse, grossir le ciel, la manufacture de livres, raymond depardonC’est le terroir ou la région qui imprègne parfois les pages des romans noirs d’une force peu commune où la puissance du langage immerge le lecteur dans des atmosphères aux teintes poétiques et inquiétantes.  En France, peut-être plus qu’ailleurs où la culture de la terre reste encore une des valeurs emblématiques du pays il y a toute une série d’auteurs qui abordent l’aspect rural de ces contrées pour nous offrir des ouvrages d’une rare intensité où l’émotion côtoie la tension de personnages en ruptures. Dans ce courant littéraire que l’on pourrait qualifier de rural writing, vous découvrirez Pascal Dessaint, Séverine Chevalier pour n’en citer que quelques un. Et puis il faut désormais compter sur Franck Bouysse qui nous livre un splendide roman intitulé Grossir le Ciel.

     

    Les Doges, c’est un lieu-dit rugueux et enneigé, fait de silences où quelques hommes solitaires partagent une rude existence au coeur de cette région reculée des Cévennes. Les Doges ce sont Abel et Gus, deux paysans taciturnes qui croisent la destinée de leurs exploitations au rythme de la terre et du bétail qui cimentent cette amitié bancale. Dans ce décor hivernal, il y a des coups de feu qui résonnent et qui effraient les grives, des traces de pieds nus et du sang dans la neige. Parce que Les Doges, ce sont aussi des secrets enfouis, des regrets que l’on tait et des paroles que l’on ne sait pas offrir. Remué on ne sait trop pourquoi par le décès de l’Abbé Pierre, Gus, accompagné de son fidèle chien Mars, va peut-être bien finir par découvrir ce qui se trame du côté de la ferme d’Abel.

     

    franck bouysse,grossir le ciel,la manufacture de livres,raymond depardonAvec Grossir le Ciel, Franck Bouysse restitue l’ambiance moribonde de ce monde terrien en déshérence que Raymond Depardon capta si bien tout au long de sa trilogie de Profils Paysans. D’ailleurs l’auteur rend un hommage appuyé au photographe documentariste qui semble avoir photographié la mémé de Gus. Frank Bouysse nous livre un texte évocateur d’une sobre puissance, tout en retenue à l’image de ces forçats de la terre qui hantent ces paysages silencieux des Cévennes. Dans ce monde en voie de disparition où la relève brille par son absence, il y a cette mort lente et silencieuse, presque sous-jacente qui ponctue les pensées de ces protagonistes vieillissants qui ne savent plus que faire de cette terre si précieuse que les anciens leur ont confiés. Au détour de chacune des  pages, on peut percevoir l’odeur forte du bétail, de l’humus et du fourrage, le parfum glacé de la neige et les effluves acides de la peur et des regrets. Gus et Abel sont des hommes en fin de course, broyés par le rythme inusable des saisons qui s’enchaînent. Mais outre le fait de dépeindre un univers avec une belle justesse, Franck Bouysse, installe au fil du récit une tension qui s’accentue de pages en pages sans que l’on ne puisse deviner où tout cela va nous mener. Un final onirique plonge définitivement le lecteur dans ces paysages de neige et de roches parsemés de forêts tout aussi silencieuses que les protagonistes qui parcourent l’histoire.

     

    Outre le contenu, on appréciera le soin qu'a apporté la maison d'édition pour illustrer la maquette du livre avec cette photo qui sublime l'atmosphère désuète de ce monde rural à l'agonie.

     

    Dans ce roman terrien, Grossir le Ciel c’est un titre évocateur qui trouvera toute sa signification dans les dernières lignes d’un texte puissant et poignant tout à la fois que vous n’oublierez pas de sitôt. Franck Bouysse : retenez bien ce nom !

     

    (Photo : Raymond Depardon : Paul Argaud, le paysan regardant la retransmission de la cérémonie d'enterrement de l'Abbé Pierre)

     

    Franck Bouysse : Grossir le Ciel. Editions la Manufacture de Livres 2014.

    A lire en écoutant : Into My Arms : Nick Cave & The Bad Seeds – Album : Best of. Mute Records 1998.

     

  • Patrick K Dewdney : Crocs. Après nous, le déluge !

    Service de presse.

     

    Capture d’écran 2015-06-08 à 00.19.33.pngCyril Herry et Pierre Fourniaud. Retenez bien ces deux noms car ces éditeurs possèdent le rare talent de concentrer dans leur nouvelle collection Territori, issue des éditions Ecorce et de la Manufacture de Livres, une palette d’auteurs exceptionnels comme Séverine Chevalier avec Clouer l’Ouest, ou Frank Bouysse avec Grossir le Ciel. Désormais il faut également compter avec Crocs de Patrick K Dewdney. Bien plus qu’un simple courant de type Nature Writing, Territori s’inscrit dans une volonté de mettre en lumière un artisanat de l’écriture finement ciselée d’où émane des textes d’une singulière puissance.

     

    Il n’est plus qu’une ombre titubante que la forêt absorbe peu à peu. Il n’est plus qu’un animal traqué que les hommes poursuivent sans relâche. Mais rien n’arrêtera sa marche incertaine. Il tracera son chemin au travers des ronciers, des tourbières et des arrêtes rocheuses. Hirsute, il s’imprègnera de la nature et du souvenir des Anciens avec pour seul compagnon de misère, ce cabot famélique. En lisière de cette civilisation désormais honnie il avancera. Sa pioche sur l’épaule, il avancera vers le Mur. Droit dans le Mur.

     

    Crocs est indubitablement un roman noir que l’auteur a enveloppé d’une tonalité poétique peu commune en puisant, entre autre, dans la richesse d’une langue maîtrisée à la perfection. Des accents pastoraux pour un récit qui se déroule dans une succession de paysages sauvages du Limousin déclinés sur une scène unique de fuite dont ne connaît ni les raisons, ni les buts, hormis celui d’atteindre, par tous les moyens, ce Mur hostile. On découvrira en alternance à cette fuite, quelques réflexions du personnage et quelques souvenirs lointains le poussant à s’immerger corps et âme au cœur d’une nature hostile qui se révèle être son ultime alliée. Puis dans les cinq dernières pages s’illustrera la tragédie poignante révélant les vains desseins de cet homme mystérieux. Car l’autre particularité du roman réside dans le fait que l’auteur ne s’embarrasse pas de détails concernant l’identité du fuyard. Il le débarrasse de tout ce qui fait de lui un homme dit civilisé. Libéré de ces oripeaux humains, notre fugitif s’imprègne d’un mysticisme acétique. Cela prend parfois des tournures bibliques à l’instar de son corps déchiré par les épines, de l’hostie animale ou du but final qu’il s’est assigné. Outre l’aspect divin, l’homme prend conscience, au fur et à mesure de l’échappée, de son animalité qui donne son titre au roman.  

     

    Dans Crocs, vous vous immergerez dans les profondeurs troubles d’une nature magnifiée par un torrent de phrases et de mots qui donnent toutes leurs saveurs à ce roman sauvage qui pose les questions que personne ne souhaite formuler et auxquels personne n’ose répondre. D’ailleurs, dans cette errance forestière, l’homme a cessé depuis longtemps de s’interroger en laissant tout derrière lui, hormis cette pioche qu’il porte comme un fardeau. Il ne lui reste que cette fragile certitude d’avancer jusqu’au Mur accompagné des souvenirs enfouis de ce peuple oublié dont les reliques hantent la forêt.

     

    Patrick K Dewdney dresse le constat amer et pessimiste d’une civilisation disparue qui fait écho à notre monde en voie de désintégration dont la spirale sans issue contraindrait  des hommes lucides aux actes les plus extrêmes afin de s’extraire du système. En contrepartie, il nous offre un texte fait de sensations et de ressentis où le lecteur perçoit le goût de l’eau impétueuse, la douceur de la mousse spongieuse et les effluves des écorces chauffées par le soleil. Un récit tout en vigueur et en douceur à l’image de ces bois sauvages dont on ne ressort pas indemne.

     

    Lorsque l’on découvre Crocs, on capte immédiatement le talent d’un auteur qui maîtrise les jeux de l’écriture en façonnant des phrases toutes plus belles les unes que les autres. Il serait vraiment dommage de passer à côté d’un tel roman.

     

    Patrick K Dewdney : Crocs. La Manufacture de Livres - Editions Ecorce/Collection Territori 2015.

    A lire en écoutant : White Rabbit de Jeffeson Airplane. Album : The Best of Jefferson Airplane. Sony BMG Music Entertainment 2007.

  • MISE AU POINT 2023 : TOUJOURS PLUS LOIN.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 22.17.08.pngComme je l'ai mentionné dans la dernière chronique de l'année 2022, le site a migré vers une autre plateforme puisque la Tribune de Genève a décidé de fermer son forum consacré aux blogs. Le blog "Mon Roman ? Noir et bien serré !" est donc désormais consultable à l'adresse suivante :


    www.monromannoiretbienserre.com

    Pour le dire franchement cette migration n'a pas été aussi aisée que cela et je regrette que les liens du blog précédent ne puissent pas rediriger le lecteur vers le blog actuel. Ce sont là les aléas de l'informatique que je maîtrise difficilement. Néanmoins, toutes les chroniques précédentes ont été rapatriées et vous retrouverez dans la colonne de droite, divers liens vous redirigeant vers ces chroniques en fonction des différents classements que ce soit par ordre alphabétique d'auteurs, par pays ou par thèmes. A quelques détails près, le blog en lui-même n'a pas changé et reste dépourvu de publicité, ce qui demeure d'ailleurs un critère essentiel pour moi. 

     


    Capture d’écran 2023-01-06 à 19.45.30.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 19.45.10.pngPuisque j'ai évoqué les thèmes, l'année 2022 a vu l'apparition des récits avec deux ouvrages importants que sont la vie extraordinaire du Lieutenant Versiga et la corruption au sein de la police de Baltimore évoquée par Justin Fenton dans La Ville Nous Appartient qui a fait l'objet d'une adaptation pour HBO. Nul doute que je prendrai le temps d'étoffer ce thème avec d'autres récits hallucinants qui dépassent parfois la fiction. 

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.08.17.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.07.33.pngMais pour en revenir aux romans noirs et aux polars, l'année 2022 a débuté sur les chapeaux de roue avec Le Carré des Indigents de Hugue Pagan qui a fait son grand retour sur la scène de la littérature noire. En Suisse, on saluera également le retour de Jean-Jacques Busino qui signe un grand roman noir avec Le Ciel Se Couvre.

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.11.44.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.15.46.pngDans le registre des excellents ouvrages qu'il faut avoir lu, il faut citer Le Blues Des Phalènes de Valentine Ihmof ainsi que Le Dernier Jour Des Fauves de Jérôme Leroy et bien évidemment le roman extraordinaire de Séverine Chevalier qui nous a ébloui, une fois encore, avec Jeannette Et Le Crocodile.Capture d’écran 2023-01-06 à 21.14.02.png 

     

     

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.22.21.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.24.10.pngAux Etat-Unis, il faut saluer David Joy avec Nos Vies En Flammes ainsi que l'extraordinaire roman de Richard Krawiec, Les Paralysés. Dans le registre des séries, il faut signaler des valeurs sûres comme les enquêtes du commissaire Soneri qui revient avec La Main De Dieu, tout comme les investigations de la procureure Chastity Riley officiant toujours à Hambourg dans Béton Rouge. Autre série importante que celle d'Abir Mukherjee et de son capitaine Sam Wyndham que l'on retrouve dans Avec La Permission De Gandhi.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.29.58.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.27.14.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.30.57.png

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.35.42.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.37.26.pngL'un des grand événements de l'année fut la clôture de la trilogie japonaise de David Peace qui nous a ébloui avec Tokyo Revisitée. Dans un registre similaire on aura également apprécié La Cour Des Mirages de Benjamin Dierstein qui achève de manière magistrale sa trilogie hallucinante sur la police parisienne.

     

     

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.41.10.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.42.56.png
    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.46.00.pngColin Niel a fait son retour avec Darwyne, un roman au lisière du fantastique se déroulant en Guyane. On a également apprécié Le Tableau Du Peintre Juif de Benoît Severac ainsi que Les Corps Solides de Joseph Incardona. De nouvelles séries prometteuses semblent avoir vu le jour avec cette année 2022 à l'instar de
    Madame Mohr A Disparu de Maryla Szymiczkowa, Le Château De Carte de Miguel Szymanski ainsi que Les Gens Des Collines de Chris Offutt.

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.47.59.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.50.07.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.51.15.png

     

    Capture d’écran 2023-01-06 à 21.57.25.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 21.59.02.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 22.23.02.pngIl faut également citer quelques pépites comme Traquenoir de Ed Lacy, Eugenia de Riku Onda, Duchess de Chris Whitaker ainsi que Et Nous, Au Bord Du Monde de Nathalie Sauvagnac. Pour conclure cette rétrospective, on signalera quelques auteurs helvétiques prometteurs comme Lucien Vuille avec son premier roman La Grande Maison ainsi que l'apparition de Nicolas Verdan au sein d'une maison d'éditions française qui a eu la bonne idée de rééditer Le Mur Grec que l'ensemble des pays francophones pourra ainsi découvrir.

    Capture d’écran 2023-01-06 à 22.01.58.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 22.02.54.pngCapture d’écran 2023-01-06 à 23.03.44.png

     

    En guise de perspective 2023, il me faut évoquer les salons dédiés à la littérature noire comme Quai du Polar pour lequel je serai présent, tout comme Toulouse Polar du Sud. Il semble qu'en Suisse on puisse voir pour cette année le retour de Lausan'noir, même si la nouvelle n'est pas confirmée. Il me faut également découvrir le FIRN (Festival Internationale du Roman Noir à Frontignan) ainsi que le fameux Aller et Retour dans le Noir qui se déroule à Pau. Dans un domaine plus généraliste j'espère pouvoir également me rendre à Libri Mondi en Corse pour un festival somptueux qui sort résolument de l'ordinaire. J'espère vous y croiser pour entamer de belles discussions notamment sur le thème de la littérature noire

     

    Il ne me reste qu'à vous remercier pour votre fidélité et à vous souhaiter une très bonne année 2023, riche en belles découvertes littéraires.

     

    A lire en écoutant : There’d Better Be A Mirrorball de Arctic Monkeys. Album : The Car. 2022 Domino Recording Co Ltd.

  • 10 autrices incontournables du polar.

    Capture d’écran 2022-08-14 à 14.45.45.png

    C'est à l'initiative de Fondu Au Noir et de sa rédactrice Caroline De Benedetti que j'ai dressé cette liste des dix romancières incontournables du polar s'inspirant de la sélection d'autrices incontournables de la SF chez Nevertwhere. C'est peu dire que les romancières sont peu mises en avant, ceci dans tous les domaines de la littérature et je dois bien avouer que je ne suis pas en reste en ce qui concerne ce manque de visibilité. Dans cette liste, je ne sais pas si l'on pourrait définir ces romancières comme incontournables. Elles n'en demeurent pas moins marquantes en ce qui me concerne puisqu'il n'a pas été nécessaire d'une grande réflexion pour établir cette sélection. Il y manque Sandrine Colette, Elsa Marpeau et Sophie Loubière dont je n'ai pas encore lu les romans et que je me réjouis de découvrir tant on m'en a fait l'éloge. Il y manque Patricia Highsmith et Agatha Christie et Joyce Carol Oates, monuments de la littérature noire qui ont été citées par d'autres participants, tout comme Simone Buchholz, et Emily Saint John Mandell. Il en manque certainement bien d’autres. Au final figure sur cette sélection dix romancières qui ont fait l'objet d'une chronique sur ce blog, ce qui a limité le choix et c'est bien peu de le dire. 

     

    Noelle Renaude

    Un seul ouvrage à son actif, mais Les Abattus est un roman noir qui sort vraiment de l'ordinaire avec cette chronique sombre du quotidien d'un homme dont on ignore l'identité. 

     

     

    Séverine Chevalier

    Clouer L'Ouest demeure pour moi l'un des meilleurs romans noirs que j'aie jamais lu. Tout y est parfait que ce soit l'écriture et le contenu de l'intrigue qui vous marque à tout jamais.

     

    Valentine Imhof

    Le Blues Des Phalènes a le même impact que l'explosion qui a balayé la ville de Halifax en Nouvelle Ecosse et qu'elle dépeint dans cette fresque dantesque de l'Amérique des années 30.

     

    Louise Anne Bouchard

    Si les romancières sont peu mise en avant, que dire des autrices helvétiques. Il faut lire Ecce Homo qui conjugue la noirceur avec la beauté d'une écriture ciselée qui me fait penser aux textes de Patricia Highsmith. 

     

    Marie-Christine Horn

    Une autre romancière suisse qui met en scène d'excellentes intrigues policières prenant pour cadre avec Dans L'Etang De Feu Et De Souffre, le canton rural de Fribourg en mettant un léger accent sur les particularismes helvétiques sans pour autant abuser du côté ethnique. 

     

    Dorothy B. Hugues

    Contemporaine de Chandler et Hammett, elle n'a rien à leur envier avec le magnifique Un Homme Dans La Brume se déroulant dans le Los Angeles de l'après-guerre.

     

    Attica Locke

    Romancière afro-américaine qui met en scène un rangers du Texas noir qui enquête sur les crimes raciaux dans Bluebird, Bluebird.

     

    Kris Nelscott

    Pseudonyme de Kristine Kathryn Rusch qui met en scène un détective privé afro-américain évoluant dans le contexte historique de l'Amérique des années soixante. Une série policière injustement sous-estimée débutant avec La Route De Tous Les Dangers.

     

    Michèle Pedinielli

    Boccanera inaugure une série policière d'exception mettant en scène Ghjulia Boccanera détective privée fort en gueule officiant à Nice. La gouaille méridionale, l'intrigue sur fond social, tout y est décliné parfaitement.

     

    Shirley Jackson

    On voit en elle une romancière spécialisée dans le fantastique ou l'horreur gothique mais La Loterie et les nouvelles qui suivent sont assurément une quintessence méconnue de la littérature noire.

     

    A lire en écoutant : Underwater Love de Smocke City. Album : Flying Away. 1997 Sony Music Entertainment UK Limited. 

     

  • Mise au point 2017. Polar suisse : Je ne vous aime pas non plus.

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresBilans, retrospectives et projets à venir, voici également venu le temps des classements afin d’aborder sereinement la nouvelle année 2018. Parce qu'il est toujours bien trop difficile de choisir parmi tous les ouvrages que j'ai chroniqués durant l'année, j'ai renoncé depuis longtemps à me soumettre à l'exercice. Et en ce qui concerne les statistiques, Mon Roman ? Noir et Bien Serré ! est un blog littéraire qui n’a jamais eu pour vocation de délivrer des bilans comptables permettant d’affirmer sa propre importance au sein de l’immensité de cette toile numérique. Ainsi, n’utilisant aucun outil d’analyse numérique et ne consultant jamais les données émises par les réseaux sociaux, je suis bien incapable de vous fournir le nombre de visiteurs ou autres éléments « pertinents » quant à la consultation des différentes recensions dont j’ignore la quantité pour l’année 2017. Mais après bientôt 7 ans d’activité à passer en revue la littérature noire, il importe de souligner que la motivation, même si elle n’est pas quantifiable, demeure toujours intacte.

     

    Cette désinvolture quant à la fréquentation et aux statistiques du blog, je la dois probablement au fait qu’en étant hébergé sur le site du journal de la Tribune de Genève je bénéficie d’une certaine visibilité qui ne cessera de m’étonner lorsque l’on m’aborde parfois dans les librairies que je fréquente pour commenter quelques critiques ou évoquer quelques ouvrages. J’en profite pour remercier la rédaction du journal et notamment Jean-François Mabut, qui prend la peine de publier régulièrement dans la version papier quelques extraits de mes chroniques.

     

    Puisque l’on est à l’heure des remerciements, il convient de citer quelques passeurs de livres, passionnés qui m’ont permis de faire de belles découvertes tout au long de ces années. Giuseppe Merrone (BSN Press), Pierre Fourniaud (La Manufacture de Livres) et Sebastien Wespiser (Agullo éditions) pour les éditeurs indépendants qui font un travail extraordinaire dans le domaine de l’édition. Dans la catégorie des libraires il me faut parler de Stéphanie Berg et Mohamed Benabed de Payot Lausanne et de toute l’équipe de la librairie du Boulevard à Genève en rappelant que vous pouvez également commander vos livres sur leurs sites respectifs tout en bénéficiant de leurs conseils avisés. Une prestation qui n’a pas de prix. Il faut également mentionner quelques sites et quelques blogs que j’ai toujours appréciés à l’instar de Fondu au Noir, Le Vent Sombre, 813 Le Blog, Encore du Noir, Bob Polar, Le Blog du Polar de Velda, The Killer Inside Me, Evadez-moi (un nouveau blog) et Mœurs Noires qui entame une retrospective sur l’œuvre de William McIlvanney. Des blogs dont la liberté de ton et l’esprit critique font figure de références au sein de la littérature noire.

     


    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresEn Suisse romande, l’année 2017 aura été marquée par l’hommage fait à Joseph Incardona récipiendaire de la première édition du prix du polar romand pour son livre Chaleur (Finitude 2016), incarnation du roman noir que j’apprécie et que je défends. Un événement qu’il convient de souligner dans le cadre d’une actualité littéraire romande qui s’est davantage focalisée sur deux auteurs de polars romands dont l’œuvre laisse franchement à désirer comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer à de multiples reprises. Critiques non constructives, jalousie, aigreur, règlements de compte, manque de respect de l’écrivain sacralisé et bien évidemment des lecteurs, j’aurai tout entendu au sujet de ces chroniques qui ont suscité bien des commentaires. Rien d’anormal dans l’ensemble de ces arguments que les écrivains des livres en question ont émis tout comme quelques blogueurs et lecteurs fanatiques ne supportant pas que l’on égratigne leurs idoles. Outre les cris d’orfraie de circonstance, ces chroniques m’ont valu quelques mesquineries et mises à l’écart qui ne m’ont pas échappé en me donnant ainsi une idée du niveau du débat que l’on peut avoir dans un milieu littéraire où l’on cultive l’entre-soi. Mais tout cela n’a pas grande importance, c'est même plutôt de bonne guerre et pour reprendre une réplique d'un réalisateur français s’adressant à ses détracteurs, il faut savoir que « si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.»

     

    polar suisse,séverine chevalier,les mauvaises,bsn press,agullo éditions,la manufacture de livresPour l’année 2018, le blog va donc poursuivre son petit bonhomme de chemin dans la même tonalité en me réjouissant d’ores et déjà à l’idée de retrouver Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Territori 2014) avec un nouveau roman intitulé Les Mauvaises qui va être publié dans le courant du mois de février 2018 par la Manufacture de Livres, dans la collection Territori et que l’on annonce déjà comme étant un chef-d’œuvre (ce n’est pas moi que le dis). Les nouveautés seront donc bien évidemment à l’ordre du jour, mais je tiens à pousuivre et achever les chroniques concernant les séries de l’inspecteur Sutter et du détective privé Smokey Dalton. Et puis je vais également continuer à explorer cette littérature asiatique qui ne cesse de me surprendre en m’entraînant bien au-delà des genres convenus de la littérature noire.

     

    Il ne me reste qu’à vous souhaiter de passer une très bonne année 2018 avec de belles lectures à venir et à vous remercier pour votre fidélité.

     

    A lire en écoutant : Il Faut Tourner La Page de Claude Nougaro. Album : Nougayork. WEA 1987.

  • DIX POLARS MARQUANTS !

    A l’heure des bilans de fin d’année, il est toujours de bon aloi de livrer une liste des meilleurs romans de l’année qui susciteront moult discussions stériles qui n’apporteront finalement pas grand-chose à l’édifice, particulièrement lorsque l’on constate que parmi les ouvrages sélectionnés il y a de nombreuses rééditions comme Jim Thompson ou Harry Crews. De plus, n’étant pas collé à l’actualité littéraire, je ne saurais vous livrer une liste pertinente des nombreux ouvrages qui sortent chaque année. Par contre, je me livre à ce petit exercice que l’on m’a proposé il y a de cela quelques semaines et qui consiste à lister dix livres qui vous ont marqué pour une raison ou une autre. Pour l’occasion, j’ai modifié la règle en énumérant dix polars.

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.26.24.png

    Lune sanglante de James Ellroy

    Editions Rivages/noir 1984

    C’est avec ce livre que j’ai découvert l’univers d’Ellroy qui n’avait pas encore acquis la notoriété qu’il a aujourd’hui. Un livre dantesque qui sortait vraiment de l’ordinaire à l’époque avec ce personnage atypique du sergent Llyod Hopkins. Un verbe cru, une ballade sanglante dans l’enfer urbain de Los Angeles. Pour moi cela restera le meilleur Ellroy car il est encore emprunt de la spontanéité d'un génie débutant.

     

     


    Capture d’écran 2014-01-14 à 19.20.47.pngDouble assassinat dans la rue Morgue de Edgard Alan Poe

    Editions de la Pleiade 1932

    Avec le Chevalier Auguste Dupin, voici le premier détective privé que j’ai découvert, bien avant le fameux Sherlock Holmes. Un personnage atypique pour une histoire qui l’est tout autant. Si Holmes se repose essentiellement sur ses facultés d’observation, Dupin lui se fie à son esprit d’analyse pour résoudre ses enquêtes. Ambiance sombre et étrange au cœur de Paris.

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.34.18.pngTokyo année zéro de David Peace

    Editions Rivages/noir 2010

    Après sa tétralogie se déroulant dans sa région natale du Yorkshire, David Peace quitte l’Angleterre pour le Japon. Premier roman d’une trilogie annoncée, Tokyo année zéro confine au chef-d’œuvre avec la chronique de ce fait divers sordide se déroulant au lendemain de la capitulation d’un pays dévasté par la guerre. La folie et le génie au détour de chaque phrase.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.35.27.pngRoseanna de Per Wahlöö et Maj Sojwall

    Editions Rivages/noir 2008

    Bien avant la déferlante de polars nordiques voici le premier opus du Roman d’un Crime. Une splendide déconstruction du modèle social de la Suède par l’entremise de l’inspecteur Martin Beck et de son équipe. Pour mieux vous en parler, voici une chronique du Vent Sombre qui résume parfaitement l’esprit de cette solide série de chefs-d’œuvre.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.36.55.pngNon ce  pays n’est pas pour le vieil homme de Cormac MacCarthy

    Editions de l'Olivier 2006

    Une belle écriture aussi sèche que le désert qui sert de décor à cette histoire âpre et violente ponctuée des très belles réflexions de ce shérif qui ne comprend plus le monde qui l’entoure. Souvent imité jamais égalé.

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.38.28.pngLe nom de la rose d’Umberto Eco

    Editions Grasset 1990

    Après la lecture de ce roman vous laisserez tomber la kyrielle de polars soi-disant historiques. Aucun ne lui arrive à la cheville et ce n’est pas les romans de Dan Brown, fort distrayant au demeurant qui changeront la donne. Sur le fond d'un Moyen Age troublé, vous allez découvrir l’enquête épique du moine franciscain Guillaume de Baskerville.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.40.16.pngLa dame du lac de Raymond Chandler

    Editions Roman Noir 1972

    Comme pour Ellroy, beaucoup me diront que ce n’est pas le meilleur roman de Chandler. Je l’apprécie énormément pour son atmosphère qui se déroule en dehors de la cité des anges. C’est avec cet ouvrage que j’ai découvert « l’école » Black Mask.

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.41.52.pngPike de Benjamin Whitmer

    Editions Gallmeister 2012

    Roman récent (2012) au style percutant. C’est un coup de cœur. Un plaisir de suivre ce malfrat vieillissant qui ne cherche même pas la rédemption dans cette ville déclinante des USA. Un récit brut, sans fioriture.

     

     

     

     

    Capture d’écran 2014-01-14 à 18.43.15.pngGriffu de Tardi & Manchette

    Editions Le Square 1978

    J’avais lu cette bd l’année de sa parution, en 1978, dans une revue dont j’ai oublié le nom. La rencontre d’un grand romancier du néo polar et d’une star de la BD pour une collaboration unique qui a donné cette histoire novatrice pour l’époque. Le trait sombre de Tardi au service de la noirceur de l’univers de Manchette : La fusion de deux talents.

     

     

     

    Parc Gorki de Martin Cruz SmithCapture d’écran 2014-01-14 à 18.45.18.png

    Editions Robert Laffont 1981

    Lorsque ce roman est paru en 1981, le mur était bien présent et je ne connaissais rien de l’URSS hormis ce qui m'en était conté dans les romans de Soljénitsyne. Au niveau du polar c’était le néant absolu jusqu’à l’apparition d’Arkady Renko, inspecteur de la milice soviétique. Outre le contexte, l’originalité de ce roman réside dans le mobile qui pousse le meurtrier à assassiner trois personnes dans un parc public.

     

     

     

    Une liste effectuée en dix minutes qui ne saurait être exhaustive. Je vous laisse le plaisir de vous livrer à cet exercice qui vous entrainera dans la résurgence de vos souvenirs que vous pourrez déposer, si le coeur vous en dit, dans vos commentaires.

     

    Meilleurs voeux pour l'année 2014 !

     

    A lire en écoutant : La mémoire et la mer de Léo Ferré. Album : Amour et Anarchie. Barclay-Universal 1970.

  • Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Couleur sépia.

    Capture d’écran 2020-07-14 à 19.10.58.pngCe qu'il y a de réjouissant en évoquant le parcours de Cyril Herry c'est de voir l'influence de son environnement, de ses passions et de ses rencontres avec des auteurs autrefois méconnus qu'il a croisé alors qu'il dirigeait sa petite maison d'éditions Ecorce et la collection Territori de la Manufacture de Livre. Centré sur la région du Limousin où il vit, l'éditeur publiait les récits de Franck Bouysse et d'Antonin Varenne que l'on ne présente plus, ainsi que ceux de Patrick K Dewney (Crocs, Manufacture de livres 2016) et Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Manufacture de livres 2015) que je vous recommande de découvrir si cela n'est pas déjà fait. Mais à force de parcourir les forêts et de bâtir des cabanes, il fallait bien un jour que Cyril Herry se lance dans l'écriture d'un roman, ce qu'il fit en 2018 en publiant Scalp (Seuil/Cadre Noir 2018) où il est justement question de forêts et de campements avec un récit lumineux qui prend tout de même quelques entournures noires comme on les apprécie dans ce contexte rural. De ruralité, il est encore question avec Nos Secrets Jamais qui fait la part belle à une autre passion de l'auteur, la photographie qui devient le point central d'un texte nous entrainant dans les méandres d'un petit village perdu dans la campagne qui recèle de bien trop lourds secrets.

     

    Elona connait bien cette vieille maison familiale qu'elle a dessinée tant de fois lorsqu'elle était enfant. Pourtant elle n'y a jamais mis les pieds jusqu'à ce jour où elle se découvre héritière de la demeure que sa grand-mère maternelle, qu'elle pensait disparue depuis bien longtemps, vient de lui léguer. La jeune femme s'installe donc dans cette vieille bâtisse qui ploie sous les secrets et dont le silence est troublé par quelques craquements, manifestations de vieux fantômes erratiques qui semblent prêts à livrer tous leurs secrets. Et c'est au travers des photographies de ses ancêtres qu'elle découvre dans les pièces de la maison, qu'Elona met à jour un drame familial tout en essayant de recueillir les témoignages de villageois plutôt méfiants et mutiques qui ne souhaitent pas évoquer les vieilles histoires d'autrefois.

     

    C'est avant tout dans l'écriture en tant que telle que l'on apprécie les romans de Cyril Herry, avec cette précision d'orfèvre qui nous offre un texte à la fois intense et marquant se focalisant sur cet ancien café abandonné devenant le point névralgique d'une intrigue délicate prenant la forme d'un labyrinthe à l'image du bâtiment recelant couloirs et pièce secrètes dans lesquels évolue Elona cette héroïne atypique qui s'imprègne de l'atmosphère des lieux. L'autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de la photographie, avec cette jeune femme qui a embrassé la profession tout comme l'un de ses aïeuls qui a laissé un nombre conséquent de clichés devenant les pièces d'un puzzle complexe dans lequel on évolue sans trop savoir où tout cela va bien nous mener. Il émane donc de l'ensemble une sensation de huis-clos assez inquiétant agrémenté d'une impression d'étrangeté avec les ancêtres d'Elona qui imprègnent cet endroit silencieux. Des ascendants qui semblent influencer le comportement d'une jeune héroïne plutôt solide mais révélant tout de même quelques fragilités au fil de l'intrigue à l'exemple de sa propension à consommer de l'alcool avec excès.

     

    Dans cette exploration du passé, Elona va s'interroger sur le comportement de sa mère qui n'a jamais voulu revenir dans son village natal et qui s'est suicidée en se tirant une balle dans la tête, mais également sur d'autres membres de sa famille comme sa grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Mais outre l'exploration de la maison familiale, c'est en interrogeant les habitants du village qu'elle trouvera des réponses dans l'ensemble de mystères qui entourent les membres de sa famille. C'est l'occasion pour l'auteur de nous offrir une galerie de personnages mutiques comme Emilien ce vieux paysan renfrogné qui observe le comportement de sa nouvelle jeune voisine, ou John, un vieillard étrange, passionné de western, qui en sait plus long qu'il ne veut bien le dire sur les drames qui ont marqué le village, particulièrement durant la seconde guerre mondiale et bien évidemment Annie, la patronne de l'unique bar du village, possédant une télé étrange bloquée sur une chaîne musicale diffusant des clips des années 80.

     

    Oscillant entre le huis-clos d'une maison sombre et cette évasion dans une nature foisonnante entourant le village, on apprécie avec Nos Secrets Jamais, le juste équilibre d'un récit subtil, intelligemment mené nous conduisant vers la découverte de drames qui ont marqué cette famille qu'Elona apprend à connaître afin de s'émanciper d'un passé qui semble l'avoir marquée plus qu'elle ne saurait l'admettre.  Tout en délicatesse et en puissance, un récit envoûtant.

     

     

    Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Editions du Seuil/Cadre Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Nuits Blanches de Daran & Les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.

  • Quentin Mouron : Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke. L’Age de l’Héroïne. L’exégèse du néant.

    Capture d’écran 2016-08-03 à 12.25.14.pngLa nouvelle édition de L’Histoire de la Littérature en Suisse Romande publiée sous la direction de Roger Francillon contient désormais un chapitre consacré au polar romand, ceci grâce à l’expertise avisée de Giuseppe Merrone. Puis s’il faut s’éloigner de nos régions et s’ouvrir au monde, je ne saurais que trop conseiller Le Dictionnaire des Littératures Policières, rédigé sous le contrôle expert de Claude Mesplède permettant ainsi de se familiariser avec un genre littéraire extrêmement vaste qui ne supporte guère les assertions généralistes de Quentin Mouron, jeune auteur suisse romand inspiré, faisant état d’une absence de style due, entre autre, à la piètre qualité des traductions. Mais qu’à cela ne tienne, avec Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke et L’Age de l’Héroïne, ce romancier prometteur et ambitieux aspire à relever le niveau avec deux polars narrant les tribulations d’un jeune dandy désenchanté, féru d’ouvrages anciens et exerçant la profession de détective privé.

     

    A Watertown, obscure banlieue de Boston, on découvre, dans son pick-up, le corps mutilé d’un retraité sans histoire. En charge de l’enquête, le shérif McCarthy va tout mettre en œuvre pour découvrir l’auteur de ce meurtre odieux. Il croisera sur son chemin Franck, un jeune détective dandy qui entretient son spleen à grands coups de lignes de cocaïne. Un jeune homme désabusé, un shérif en proie aux doutes existentiels, les deux hommes vont mener leurs investigation en parallèle. Il faut dire que les démarches de Frank manquent parfois d’une certaine ligne déontologique.

     

    A n’en pas douter, Quentin Mouron tient son pari en nous livrant un texte au style aussi affirmé qu’enflammé. Les phrases sont belles, ciselées avec soin et régulièrement agrémentées du mot précis, parfois un brin désuet donnant à l’ensemble cette belle sensation de maîtrise linguistique. Pourtant le verbe soyeux, la phrase racée ne sauraient masquer longuement cette indigence de taille qu’est l’absence totale d’intrigue que l’on perçoit très rapidement au fur et à mesure de la progression d’un roman dissonant et décousu. Car Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke débute véritablement comme un roman policier avec un crime à résoudre par un duo d’enquêteurs menant leurs diverses investigations. Mais loin de vouloir exploser les codes du genre, Quentin Mouron s’en désintéresse totalement pour se lancer dans une diatribe sociale extrêmement convenue, virant parfois à la farce, comme cette confrontation entre Franck et le célèbre auteur de polars James Ellsor. C’est d’ailleurs probablement au travers du portrait peu flatteur de ce romancier grossier, aux manières frustres, que l’on perçoit toute la considération que l’auteur porte pour le genre policier. Dès lors, on pourrait estimer que Quentin Mouron s’oriente vers le roman noir, type social. Mais il n’en est rien car les thématiques exposées n’entrent aucunement dans une logique visant à alimenter le crime ou l’intrigue d’une histoire échevelée. Ainsi le lecteur est rapidement désorienté comme livré aux réflexions d’un auteur qui ne parvient plus à se dissimuler derrière ses personnages, donnant cette impression confuse de faire face à un être protéiforme qui endosserait les différentes personnalités de protagonistes totalement désincarnés. L’art et la critique, l’obsolescence programmée d’une vie morose et le clivage social des différentes castes composant une société seront autant de thèmes évoqués dans une série d’analyses sociétales aussi pompeuses que prétentieuses.

     

    Capture d’écran 2016-08-03 à 12.27.24.pngAvec cet étrange enquêteur dandy, on pense bien évidemment au chevalier Dupin, personnage récurrent des contes d’Edgar Allan Poe lui-même natif de Boston, ville dans laquelle se déroule une partie du récit de Quentin Mouron. Force est de constater qu’il s’agit de références bien trop pesantes, mettant davantage en exergue cette indigence narrative à laquelle le lecteur est confronté. On se tournera dès lors vers le second opus de Quentin Mouron, L’Age de l’Héroïne où l’on retrouve pour la seconde fois notre détective privé atypique.

     

    Brad Medley a du souci à se faire. Il n’a jamais récupéré la drogue livrée par les mexicains. Un manque à gagner considérable qui risque de plomber sa petite entreprise et de le conduire rapidement du côté du cimetière. Il charge donc Franck de récupérer la marchandise qui aurait disparue lors d’un échange dans la région de Tonopah, un trou paumé du Nevada. Il y rencontrera Léah, un jeune serveuse farouche qui officie au Jenny’s Dinners, un routier miteux où viennent échoir quelques âmes brisées. Une rencontre qui ravive l’intérêt de Franck pour le genre humain. Mais il y a la cargaison d’héroïne qu’il faut retrouver rapidement.

     

    Dans L’Age de l’Héroïne, on retrouve immédiatement la qualité d’écriture de Quentin Mouron. Les phrases sont plus courtes, plus incisives, mais le style est puissant et flamboyant. Néanmoins, L’auteur renonce toujours à cette envie de nous raconter une histoire et se contente du service minimum avec une intrigue archi convenue. On a la sensation de lire des chutes de plusieurs textes inachevés que l’on aurait rassemblés tant bien que mal pour fournir un roman bancal. C’est d’autant plus regrettable que l’ouvrage n’est pas exempt de quelques belles scènes originales à l’instar de la rencontre entre Franck et une libraire allemande, spécialisée dans les livres anciens et dont le funeste destin laissait présager quelques bons moments de lecture. Puis sans crier gare, de Berlin, on se retrouve dans ce trou perdu du Nevada pour passer en revue quelques personnages stéréotypés qui ne présentent aucun intérêt à l’exception de Léah, cette jeune serveuse mystérieuse. Malgré ce beau personnage qui aurait mérité davantage de développement, le récit s’enlise dans une tragique banalité qui, rapidement, ne présente plus aucun intérêt hormis peut-être ce constat cruel que le polar n’est pas à la portée de tous les écrivains, aussi talentueux soient-ils.

     

    Un style allié à une absence d’intrigue. Avec les deux romans de Quentin Mouron le lecteur aura la désagréable sensation d’avoir fait l’acquisition de deux belles boîtes savamment travaillées ne contenant que du vide. Tout ça pour ça. Dommage.

     

    Quentin Mouron :

    Trois Gouttes de Sang et un Nuage de Coke. Editions La Grande Ourse 2015.

     

    L’Age de l’Héroïne. Editions La Grande Ourse 2016.

     

    A lire en écoutant : Wild Is The Wind interprété par Nina Simone. Album : The Best Of Nina Simone. 1969 UMG Recording Inc.

    L'Histoire de la Littérature en Suisse Romande. Nouvelle édition publiée sous la direction de Roger Francilion. Editions Zoé 2015.

    Claude Mesplède : Dictionnaire des Littératures Policières. Editions Joseph K. 2008.

     

  • ERIC PLAMONDON : OYANA. DEPOSER LES ARMES.

    eric plamondon, oyana, quidam éditeurAvec Taqawan (Quidam éditeur 2018), Eric Plamondon a acquis une certaine notoriété dans le monde littéraire en obtenant, entre autre, de nombreuses récompenses dont celle du prix des chroniqueurs 2018 du festival Toulouse Polar du Sud alors que j’avais une préférence pour Les Mauvaises (La manufacture de livres 2018), de Séverine Chevalier qui figurait parmi les finalistes tout comme La Guerre Est Une Ruse (Agullo Noir 2018) de Frédéric Paulin. Un choix cornélien pour départager trois romans exceptionnels. En tant que jury, j’ai bien tenté d’influencer mes camarades, mais il faut bien admettre qu’il s’agissait d’une cause perdue tant le roman d’Eric Plamondon avait de quoi surprendre avec un angle narratif extrêmement original, sous forme de vignettes déclinant contes, recettes culinaires et autres extraits historiques, nous permettant d’intégrer la culture amérindienne et plus particulièrement celle des tribus mig’maq sur fond d’intrigue policière en lien avec un trafic d’êtres humains. Toujours audacieux, l’auteur québécois, résidant depuis plusieurs années dans la région de Bordeaux, s’est penché avec son dernier livre intitulé Oyana, sur la culture du Pays basque avec en toile de fond l’annonce de la dissolution de l’organisation armée indépendantiste ETA qui aura des conséquences sur le destin de l’héroïne éponyme du récit.

     

    Cela fait 23 ans qu’Oyana Etchebaster a disparu. Exilée au Mexique, sous une fausse identité, elle a rencontré et épousé Xavier Langlois, un médecin canadien, pour vivre désormais à Montréal où elle mène une vie plutôt terne et sans relief. Mais en prenant connaissance du communiqué de l’ETA annonçant sa dissolution, le passé refait surface. Et il est temps pour Oyana d’y faire face en retournant au Pays Basque qui l’a vue naître. Une quête d’identité au bout de laquelle il sera temps de tirer un trait sur les erreurs de jeunesse et assumer ses responsabilités en réparant tout le mal qui a été fait autrefois. Mais si l’ETA n’existe plus, les morts eux sont bien présents. Et peut-on s’affranchir de ceux qui ont disparus dans des circonstances terribles.

     

    Il fallait bien la sensibilité d’un auteur comme Eric Plamondon pour aborder un sujet aussi délicat que l’indépendantisme du Pays basque dont on découvre les particularismes par le biais du même procédé narratif utilisé pour Taqawan. Des origines de la pêche à la baleine aux éléments de langage originaux, en évoquant bien évidemment les actions de la lutte armée de l’ETA, l’auteur parvient en quelques pages à saisir les contours d’un peuple veillant à conserver sa culture et ses traditions. Pour faire le lien avec ces différents éléments et pour en découvrir tous les aspects, c’est en s’adressant à son mari sous une forme épistolaire qu’Oyana va dévoiler peu à peu son destin en lien avec la cause basque qui l’a conduite à un exil de près de 23 ans.

     

    Contrainte par les événements tragiques qui ont régit sa vie, Oyana évoque donc la perte d’identité, l’exil et cette velléité de reprendre le cours de son destin en dépit de la menace qui demeure latente. Dépourvu d'intrigue policière, le récit prend donc la forme d’un roman noir avec cette héroïne qui souhaite avant tout assumer ses actes. Prémisse de cette reprise en main, il y a tout d'abord ce détour au bord du fleuve Saint-Laurent pour prendre en photo les baleines, projet de jeunesse qui n'avait jamais abouti. La vision des cétacés qui renvoie aux souvenirs d'une jeunesse perdue où Oyana, juchée sur les épaules de son père, découvrait un cachalot échoué sur la plage devient l'écho de cette perte d'innocence devant la mort d'un animal, funeste prélude d'événements terribles qui vont heurter la conscience de la jeune femme qu'elle est devenue et qui trouverait une issue dans la vengeance de la lutte armée. Sans l'ombre d'un jugement, Eric Plamondon parvient à distiller toute la vacuité d'un tel engagement qui ne débouche finalement que sur des regrets au gré d'un texte subtil emprunt d'une sensibilité qui ne manquera pas de toucher le lecteur conquis d'avance par les entournures de ce retour prenant les aspects d'une fuite en avant, s'achevant sur un épilogue incertain. 

     

    Bref récit chargé d'émotions, évoquant la quête d'une identité perdue, Oyana devient un roman noir éblouissant qui met en lumière la richesse et l'intensité d'une héroïne superbe que l'on oubliera pas de sitôt, même une fois l'ouvrage terminé. Un grand moment de lecture.

     

    Eric Plamondon : Oyana. Quidam éditeur 2019.

    A lire en écoutant : Kozmic Blues de Janis Joplin. Album : I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama ! 1969 Colombia Records/CBS Records.

  • BORIS QUERCIA : TANT DE CHIENS. ET TANT DE LARMES.

    Capture d’écran 2016-10-08 à 13.35.13.pngLes prix littéraires valent ce qu’ils valent et sont souvent sujets à caution mais peuvent parfois s’avérer positivement surprenant surtout lorsque Le Grand Prix de la Littérature Policière - Etrangère est décerné à Boris Quercia pour son roman, Tant de Chiens qui met en scène, pour la seconde fois, l’inspecteur Santiago Quiñones que l’on avait découvert dans Les Rues de Santiago, récit décoiffant s’il en est, vous arrachant les tripes avec le punch d’un texte mordant. Si le prix consacre l’auteur, il récompense également la maison d’éditions Asphalte qui met régulièrement en avant de véritables joyaux du roman noir, issus de la littérature hispanique.

     

    Fusillade et chiens féroces. Les narcotrafiquants sont déchaînés et accueillent la police sous un déluge de feu. Chiens de l’enfer ! Il faut dire qu’il la sentait mal cette descente l’inspecteur Santiago Quiñones et il n’a pas été déçu car son partenaire Jiménez et tombé sous le feu. Chiens fidèles ! Une mort d’autant plus troublante que Santiago découvre que son collègue faisait l’objet d’une enquête auprès des affaires internes suite à la mise à jour d’obscurs réseaux pédophiles. Chiens de misère ! Clairement dépassé, Santiago Quiñones tente de démêler les tenants et aboutissants de cette affaire complexe et croise ainsi le chemin de Yesenia, une amie d’enfance qui a connu la douleur de la séquestration, du viol et de la prostitution forcée. Chiens battus ! Assoiffée de vengeance, la jeune femme demande à Santiago d’abattre son bourreau de beau-père. Chiens de miséricorde !

     

    Pas de préambule avec Boris Quercia. Sur deux pages à peine, Tant de Chiens débute avec une scène de fusillade complètement barrée, dans un concentré de fureur et d’action, marque de fabrique de l’auteur qui ne s’embarrasse pas de longs descriptifs lénifiants pour installer son intrigue. Pourtant on ne saurait résumer ce roman brillant à un simple condensé d’actions et de rage car on perçoit tout au long du récit ce bel équilibre entre l’introspection d’un flic atypique et les actes qui le conduisent parfois, à son corps défendant, sur la voie obscure d’investigations bancales et maladroites. Santiago Quiñones est un flic qui sort complètement des schémas et des clichés. Il n’est ni le preux chevalier sauvant la veuve et l’orphelin, ni l’infâme flic complètement corrompu. Dans le contexte d’un pays gangrené par la corruption et la violence, il ne fait que survivre en tentant de louvoyer entre règlements et débrouillardise lui permettant de mener sa barque, sans se faire remarquer. Pourtant, il relève parfois la tête et s’immisce dans des affaires qui le dépasse rapidement et le conduise sur la voie des excès qu’il ne parvient pas à maîtriser à l’instar de sa consommation de cocaïne et de son penchant pour les femmes.

     

    Ainsi pour résoudre cette sombre affaire de pédophilie, Santiago Quiñones devra s’adjoindre les compétences de son collègue mapuche prénommé Marcelo, qui se révélera être un partenaire salutaire pour le tirer des mauvaises situations dans lesquels il se fourre régulièrement et lui permettre d’avancer de manière significative dans ses investigations. Abandonné dans une caisse de pommes déposée à l’entrée d’un commissariat, Marcelo incarne toute la douleur de ces enfants délaissés et maltraités. Autres incarnations de cette jeunesse brisée, il y a Yesenia, amie d’enfance de Santiago, qui a subi les brimades abjectes d’un beau-père libidineux mais également Romina, toutes deux victimes des réseaux pédophiles que l’auteur évoque en filigrane tout au long d’une intrigue extrêmement âpre, cruelle et poignante.

     

    Avec Tant de Chiens, on assiste également au lent délitement du couple que Santiago Quiñones formait avec Marina, belle infirmière sensuelle que l’on avait découverte dans Les Rues de Santiago. Désemparée, la jeune femme ne peut plus comprendre les tergiversations et les incartades d’un homme qui, constamment en proie au doute, refuse obstinément de s’engager dans une relation durable. Durant ces instants, Boris Quercia diffuse une atmosphère mélancolique qui déteint sur l’ensemble d’un récit qui oscille entre la férocité des scènes d’actions, la sensualité des relations amoureuses et la nostalgie des souvenirs d’enfance. Et puis, il y a également en toile de fond le décor trépident de cette capital chilienne que l’on découvre presque fortuitement par l’entremise de scènes de rues dans lesquelles notre inspecteur tourmenté déambule, en quête d’oubli et de vérité.

     

    Roman fulgurant Tant de Chiens est une alliance amère de noirceur, adoucie par la sensibilité et la pertinence de personnages remarquables que l’auteur plonge dans l’abîme d’une intrigue puissante et nerveuse.

     

    Boris Quercia : Tant de Chiens (Perro Muerto). Editions Asphalte 2015. Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi.

    A lire en écoutant : Matador de Los Fabulosos Cadillacs. Album : Obras Cumbres. Sony Music Entertainement (Argentina) SA 1998.