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  • ALIBI, Le magazine du polar ouvert sur le monde.

    alibimag,alibi,victor del arbol,k,claude mesplède,eric halphen,magazine polarIl fallait oser lancer un magazine, qui plus est spécialisé dans le polar et le roman noir, en ces temps de crise éditorial où bon nombre de quotidiens et de revues se recentrent vers les supports numériques à l’instar de Newsweek. On peut se méfier de ce type presse spécialisée accessible bien souvent aux seuls aficionados du genre et qui se révèle particulièrement hermétique aux non-initiés. C’est bien évidemment loin d’être le cas du magbook Alibi, un trimestrielle somptueux dont l’ambition principale est de faire découvrir le polar au plus grand nombre.

     

    A chaque numéro, une thématique majeure du polar ou du roman noir est traitée avec des reportages évoquant des faits réels en lien avec le sujet. Vous aurez également le plaisir de lire des interviews de grands auteurs du polar, mais vous découvrirez également des écrivains méconnus.

     

    alibimag,alibi,victor del arbol,k,claude mesplède,eric halphen,magazine polarDans ce dernier numéro, l’équipe rédactionnelle aborde le sujet délicat des erreurs judiciaires avec des analyses et des chroniques évoquant l’histoire de ces hommes broyés par la machine judiciaire. A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage Plaintes, Ian Rankin se confie dans une longue interview sur son travail d’écrivain. Vous apprendrez ainsi que l’auteur n’en a visiblement pas fini avec son personnage fétiche, l’inspecteur John Rebus, que vous retrouverez prochainement. Victor del Arbol policier-écrivain dont j’ai évoqué son dernier roman ici nous livre une nouvelle poignante évoquant le quotidien tragique des policiers en uniforme d’un commissariat de Barcelone avec en toile de fond le sujet délicat de l’homophobie au sein d’un corps de police.

     

    Une enquête sur les bébés volés d’Espagne, un reportage photos sur une prison de la République Démocratique du Congo et la découverte d’Istanbul au travers du prisme de l’écrivain britannique Jason Goodwin complète cette magnifique revue. Vous patrouillerez avec un véritable flic dans les rues de Los Angeles et vous découvrirez le Cold Case de la police française qui se consacre aux affaires non résolues. Quand on vous dit que le polar vous fait voyager !

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    Des grands chroniqueurs du polar comme Claude Mesplède, Eric Halphen et bien d’autres complètent l’équipe rédactionnelle de cette revue qui fait également la part belle à la critique des derniers romans, films et séries que l’on peut découvrir sur nos écrans ou dans nos libraires.

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    L’ensemble est ponctué d’illustrations et de photos magnifiques déclinées sur un papier épais fort agréable au toucher. Une belle couverture cartonnée complète cet écrin d’une élégance presque désuète.

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    Un peu plus d’un an d’existence pour Alibi qui aussi bien dans la forme que dans le contenu diverge de ces revues « vite lues – vite jetées » et dont les volumes sont destinés à être soigneusement rangés sur les rayons de vos bibliothèques afin d’être régulièrement compulsés. Longue vie à ce fabuleux magbook du polar !

     

    ALIBI. Magazine trimestriel. Aboya Editions. www.alibimag.com.

    A lire en écoutant : Final de Miles Davis. Album : Ascenseur pour l’échafaud. Fontana 1957.

  • Patrick K Dewdney : Crocs. Après nous, le déluge !

    Service de presse.

     

    Capture d’écran 2015-06-08 à 00.19.33.pngCyril Herry et Pierre Fourniaud. Retenez bien ces deux noms car ces éditeurs possèdent le rare talent de concentrer dans leur nouvelle collection Territori, issue des éditions Ecorce et de la Manufacture de Livres, une palette d’auteurs exceptionnels comme Séverine Chevalier avec Clouer l’Ouest, ou Frank Bouysse avec Grossir le Ciel. Désormais il faut également compter avec Crocs de Patrick K Dewdney. Bien plus qu’un simple courant de type Nature Writing, Territori s’inscrit dans une volonté de mettre en lumière un artisanat de l’écriture finement ciselée d’où émane des textes d’une singulière puissance.

     

    Il n’est plus qu’une ombre titubante que la forêt absorbe peu à peu. Il n’est plus qu’un animal traqué que les hommes poursuivent sans relâche. Mais rien n’arrêtera sa marche incertaine. Il tracera son chemin au travers des ronciers, des tourbières et des arrêtes rocheuses. Hirsute, il s’imprègnera de la nature et du souvenir des Anciens avec pour seul compagnon de misère, ce cabot famélique. En lisière de cette civilisation désormais honnie il avancera. Sa pioche sur l’épaule, il avancera vers le Mur. Droit dans le Mur.

     

    Crocs est indubitablement un roman noir que l’auteur a enveloppé d’une tonalité poétique peu commune en puisant, entre autre, dans la richesse d’une langue maîtrisée à la perfection. Des accents pastoraux pour un récit qui se déroule dans une succession de paysages sauvages du Limousin déclinés sur une scène unique de fuite dont ne connaît ni les raisons, ni les buts, hormis celui d’atteindre, par tous les moyens, ce Mur hostile. On découvrira en alternance à cette fuite, quelques réflexions du personnage et quelques souvenirs lointains le poussant à s’immerger corps et âme au cœur d’une nature hostile qui se révèle être son ultime alliée. Puis dans les cinq dernières pages s’illustrera la tragédie poignante révélant les vains desseins de cet homme mystérieux. Car l’autre particularité du roman réside dans le fait que l’auteur ne s’embarrasse pas de détails concernant l’identité du fuyard. Il le débarrasse de tout ce qui fait de lui un homme dit civilisé. Libéré de ces oripeaux humains, notre fugitif s’imprègne d’un mysticisme acétique. Cela prend parfois des tournures bibliques à l’instar de son corps déchiré par les épines, de l’hostie animale ou du but final qu’il s’est assigné. Outre l’aspect divin, l’homme prend conscience, au fur et à mesure de l’échappée, de son animalité qui donne son titre au roman.  

     

    Dans Crocs, vous vous immergerez dans les profondeurs troubles d’une nature magnifiée par un torrent de phrases et de mots qui donnent toutes leurs saveurs à ce roman sauvage qui pose les questions que personne ne souhaite formuler et auxquels personne n’ose répondre. D’ailleurs, dans cette errance forestière, l’homme a cessé depuis longtemps de s’interroger en laissant tout derrière lui, hormis cette pioche qu’il porte comme un fardeau. Il ne lui reste que cette fragile certitude d’avancer jusqu’au Mur accompagné des souvenirs enfouis de ce peuple oublié dont les reliques hantent la forêt.

     

    Patrick K Dewdney dresse le constat amer et pessimiste d’une civilisation disparue qui fait écho à notre monde en voie de désintégration dont la spirale sans issue contraindrait  des hommes lucides aux actes les plus extrêmes afin de s’extraire du système. En contrepartie, il nous offre un texte fait de sensations et de ressentis où le lecteur perçoit le goût de l’eau impétueuse, la douceur de la mousse spongieuse et les effluves des écorces chauffées par le soleil. Un récit tout en vigueur et en douceur à l’image de ces bois sauvages dont on ne ressort pas indemne.

     

    Lorsque l’on découvre Crocs, on capte immédiatement le talent d’un auteur qui maîtrise les jeux de l’écriture en façonnant des phrases toutes plus belles les unes que les autres. Il serait vraiment dommage de passer à côté d’un tel roman.

     

    Patrick K Dewdney : Crocs. La Manufacture de Livres - Editions Ecorce/Collection Territori 2015.

    A lire en écoutant : White Rabbit de Jeffeson Airplane. Album : The Best of Jefferson Airplane. Sony BMG Music Entertainment 2007.

  • PATRICK K. DEWDNEY : ECUME. LES FORCATS DE L’OCEAN.

    Capture d’écran 2017-12-30 à 23.03.37.pngLa collection Territori prend le large au propre comme au figuré puisqu’après avoir arpenté quelques zones rurales reculées du pays, son directeur Cyril Herry nous propose Ecume, un nouveau texte de Patrick K. Dewdney dont l’intrigue se déroule dans un contexte maritime, plus précisément au large des côtes de l’océan Atlantique en partageant les affres de deux marins pêcheurs naviguant au bord de l’abîme. Côtoyant des auteurs comme Frank Bouysse, Séverine Chevalier, Antonin Varenne, Eric Maneval et Laurence Bieberfled, entre autres, on avait découvert Patrick K. Dewdney avec Crocs, un texte d’une éblouissante noirceur où le verbe forme une terrible alliance avec une intrigue propre aux romans noirs magnifiés par une prose racée pleine de colère et de révolte.

     

    La Princesse est devenue Gueuse car le fier navire d’autrefois n’est plus qu’un vieux rafiot qui sillonne les flots en quête de pêches incertaines que l’océan épuisé ne livre plus qu’au compte-gouttes et au terme de terribles efforts. A son bord, le père et le fils s’échinent à la tâche et entre silence et colère, ces deux âmes essorées par les vicissitudes d’un monde qui s’écroule, nourrissent la démence de l’un et la rancœur de l’autre au gré de campagnes de pêche toujours plus éprouvantes. Et si le poisson ne suffit plus à subvenir aux maigres besoins de cet équipage bancal, il restera toujours la possibilité de faire passer quelques réfugiés dont la contribution perçue permettra de remplir les cuves et de pallier un ordinaire misérable. Mais bien au delà de l’écume se désagrégeant dans les flots tourmentés, ce sont les certitudes des hommes qui disparaissent au large des côtes.

     

    Ecume se situe sur la fracture d’un univers en déclin oscillant entre la révolte du désespoir et la résignation du point de non retour dont l’incarnation tragique prend forme avec la dualité de ce père et de ce fils entretenant leur animosité dans un mutisme hostile qui ne fait que raviver les tensions au large de ces côtes qui n’ont plus de nom. Dans ce monde désincarné, il ne reste plus que cette étendue d’eau impitoyable et la colère sourde de ces deux hommes dont l’auteur dissèque la personnalité à la lumière de leurs introspections respectives. Ainsi la lente agonie de l’océan s’assortit à l’amertume de la dissolution des rapports humains dont la conjonction s’achève sous la forme d’un inéluctable naufrage. Un mélange malsain qui s’incarne dans cette écume dont on suit le sillage implacable jusqu’au drame irrémédiable.

     

    La précision du mot, l’élégance de la phrase sont au service d’une langue à la fois éclatante et imagée permettant au lecteur de s’immerger au cœur de cette ambiance chaotique où la fureur des tempêtes se conjugue à la difficulté d’un métier dont chacune des erreurs commises se paie au prix fort. La dureté de la tâche, l’odeur des embruns, l’atmosphère perdue de ces contrée maritimes, tout cela, Patrick K. Dewdney parvient à le restituer par l’entremise d’un texte dense aux entournures à la fois lyriques et poétiques dont le fragile équilibre révèle toute la maîtrise d’un auteur inspiré.

     

    Implacable observateur d’un monde qui s’étiole, Patrick K. Dewdney construit une intrigue solide dont la dramatique logique met en exergue les désastres écologiques d’un océan mourant sur lequel marins désespérés et migrants désemparés se côtoient au rythme des marées immuables. Emulsion de fureur et d’abattement, Ecume est un terrible roman noir où l’espoir se niche pourtant sur un frêle esquif ballotté au gré du vent et des courants. Tumultueux et éclatant.

     

    Patrick K. Dewdney : Ecume. La Manufacture de livres/collection Territori 2017.

    A lire en écoutant : La Mémoire Et La Mer de Léo Ferré. Album : Amour Anarchie. Barclay Records 1970

  • Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Quelques instants sur Terre.

    Capture d’écran 2019-06-10 à 22.17.23.pngA bien y réfléchir, bien peu d'auteurs belges se sont lancés dans la littérature de genre, notamment le roman noir, même si l'on trouve tout de même quelques romanciers emblématiques comme Simenon et Jean Ray dont on peut apprécier l'œuvre prolifique avec des personnages marquants comme Jules Maigret et Harry Dickson. Ne bénéficiant pas d'une telle notoriété, Patrick Delperdange n'en est pas moins un scénariste de bande dessinée et un romancier qui compte à son actif de nombreux ouvrages publiés, notamment dans le domaine du roman noir, où il s'est fait remarquer récemment en publiant Si Tous Les Dieux Nous Abandonnent (Série Noire 2016) dont l'intrigue se déroulait dans un contexte rural. En suivant Aurélien Masson qui crée la collection Equinox aux éditions les Arènes et avec un titre aux consonances tout aussi mystiques, Patrick Delperdange revient avec L'Eternité N'est Pas Pour Nous, un nouveau récit prenant également pour cadre un environnement campagnard théâtre d'un enchaînement de faits divers qui vont impacter toute une galerie de personnages complètement paumés, quand ils ne sont pas tout simplement déjantés.

     

    A Valmont,  sur la route menant à la carrière, il n’y a guère que les ouvriers qui s’offrent les services de Lila qui officie dans son combi aménagé. Aussi lorsqu’elle aperçoit le jeune Julien Saint-André accompagné de sa bande, elle se doute bien que cela finira mal avec ces petits crétins embourgeoisés dont elle parviendra tout de même à se débarrasser. Mais les jeunes gens avinés ne comptent par en rester là et décident se venger en enlevant Cassandre, la fille de Lila. Au même moment, Sam et Danny traversent la région en quête d’un abri de fortune. Les deux vagabonds en fuite tentent de se faire discrets, mais semblent pousuivis par le mauvais sort et quelques individus bien décidés à rendre justice eux-mêmes en se débarrassant des traîne-savates dans leur genre. Que ce soit les bêtes ou les bas instincts, tous deux sortent des bois pour bousculer les destinées de ces âmes frêles et tourmentées que l’on appelle les hommes.

     

    Il n’y a rien de flamboyant dans l’univers de Patrick Delperdange. On y croise une somme de petites gens aux destins étriqués évoluant dans un environnement rural complètement paumé où quelques éclats d’une violence presque anodine bousculent soudainement un quotidien sordide qui devient le déclencheur d’une spirale d’égarements et de fureur incontrôlable. Et pourtant au détour d’événements parfois brutaux, au gré d’une cavalcade de destinées qui s’entrechoquent on perçoit quelques petites lueurs d’humanité perçant l’épaisse noirceur d’une intrigue poisseuse entraînant, bien malgré eux, l’ensemble de personnages ambivalents dans une succession d’événements qu’ils ne sont plus en mesure de maîtriser. Rancœur, impuissance frustration et colère c’est cet ensemble de sentiments qui animent ces protagonistes ballottés par les incidents se succédant à un rythme effréné en mettant en exergue tous les reliquats d’une inconscience trouble et malsaine qui va jaillir au grand jour à mesure que les événements s’enchaînent dans un désordre emprunt de désarrois et de chaos. Ainsi on ne  saura pas trop bien ce qu’il va advenir de Lila, cette prostituée désemparée à la recherche de sa fille Cassandre ou de Danny, un jeune homme simple d’esprit, soudainement imprégné d’un délire mystique, et de son compagnon d’infortune, Sam, un vieux manchot complètement dépassé. Une galerie de perdants qui deviennent parfois victimes ou bourreaux en fonction des péripéties et des coups du sort auxquels ils sont confrontés.

     

    Avec une écriture âpre et directe, assaisonnée de quelques touches lyriques qui ne donnent que plus de noirceur à un texte saisissant et expéditif, Patrick Delperdange nous entraîne donc dans l’incertitude d’un récit chaotique où les destinées s’entrechoquent violemment afin de mieux secouer le lecteur dérouté par cette masse de désarrois et de douleurs parfois sordides que revêtent chacun des personnages.

     

    Roman sombre et sans concession, L’Eternité N’Est Pas Pour Nous décline, sur l’espace de quelques jours, toute une série de rouages à la fois absurdes et violents constituant l’ensemble d’un engrenage infernal prêt à broyer toute une galerie d’individus désemparés se débattant dans les méandre d’un piège inextricable qui ne semble jamais vouloir s’arrêter.

     

    Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Editions Les Arènes/Equinox 2019.

    A lire en écoutant : River Of Pain de Thunder. Album : Please Remain Seated ; The Others. 2019 Thunder

     

  • Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Couleur sépia.

    Capture d’écran 2020-07-14 à 19.10.58.pngCe qu'il y a de réjouissant en évoquant le parcours de Cyril Herry c'est de voir l'influence de son environnement, de ses passions et de ses rencontres avec des auteurs autrefois méconnus qu'il a croisé alors qu'il dirigeait sa petite maison d'éditions Ecorce et la collection Territori de la Manufacture de Livre. Centré sur la région du Limousin où il vit, l'éditeur publiait les récits de Franck Bouysse et d'Antonin Varenne que l'on ne présente plus, ainsi que ceux de Patrick K Dewney (Crocs, Manufacture de livres 2016) et Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Manufacture de livres 2015) que je vous recommande de découvrir si cela n'est pas déjà fait. Mais à force de parcourir les forêts et de bâtir des cabanes, il fallait bien un jour que Cyril Herry se lance dans l'écriture d'un roman, ce qu'il fit en 2018 en publiant Scalp (Seuil/Cadre Noir 2018) où il est justement question de forêts et de campements avec un récit lumineux qui prend tout de même quelques entournures noires comme on les apprécie dans ce contexte rural. De ruralité, il est encore question avec Nos Secrets Jamais qui fait la part belle à une autre passion de l'auteur, la photographie qui devient le point central d'un texte nous entrainant dans les méandres d'un petit village perdu dans la campagne qui recèle de bien trop lourds secrets.

     

    Elona connait bien cette vieille maison familiale qu'elle a dessinée tant de fois lorsqu'elle était enfant. Pourtant elle n'y a jamais mis les pieds jusqu'à ce jour où elle se découvre héritière de la demeure que sa grand-mère maternelle, qu'elle pensait disparue depuis bien longtemps, vient de lui léguer. La jeune femme s'installe donc dans cette vieille bâtisse qui ploie sous les secrets et dont le silence est troublé par quelques craquements, manifestations de vieux fantômes erratiques qui semblent prêts à livrer tous leurs secrets. Et c'est au travers des photographies de ses ancêtres qu'elle découvre dans les pièces de la maison, qu'Elona met à jour un drame familial tout en essayant de recueillir les témoignages de villageois plutôt méfiants et mutiques qui ne souhaitent pas évoquer les vieilles histoires d'autrefois.

     

    C'est avant tout dans l'écriture en tant que telle que l'on apprécie les romans de Cyril Herry, avec cette précision d'orfèvre qui nous offre un texte à la fois intense et marquant se focalisant sur cet ancien café abandonné devenant le point névralgique d'une intrigue délicate prenant la forme d'un labyrinthe à l'image du bâtiment recelant couloirs et pièce secrètes dans lesquels évolue Elona cette héroïne atypique qui s'imprègne de l'atmosphère des lieux. L'autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de la photographie, avec cette jeune femme qui a embrassé la profession tout comme l'un de ses aïeuls qui a laissé un nombre conséquent de clichés devenant les pièces d'un puzzle complexe dans lequel on évolue sans trop savoir où tout cela va bien nous mener. Il émane donc de l'ensemble une sensation de huis-clos assez inquiétant agrémenté d'une impression d'étrangeté avec les ancêtres d'Elona qui imprègnent cet endroit silencieux. Des ascendants qui semblent influencer le comportement d'une jeune héroïne plutôt solide mais révélant tout de même quelques fragilités au fil de l'intrigue à l'exemple de sa propension à consommer de l'alcool avec excès.

     

    Dans cette exploration du passé, Elona va s'interroger sur le comportement de sa mère qui n'a jamais voulu revenir dans son village natal et qui s'est suicidée en se tirant une balle dans la tête, mais également sur d'autres membres de sa famille comme sa grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Mais outre l'exploration de la maison familiale, c'est en interrogeant les habitants du village qu'elle trouvera des réponses dans l'ensemble de mystères qui entourent les membres de sa famille. C'est l'occasion pour l'auteur de nous offrir une galerie de personnages mutiques comme Emilien ce vieux paysan renfrogné qui observe le comportement de sa nouvelle jeune voisine, ou John, un vieillard étrange, passionné de western, qui en sait plus long qu'il ne veut bien le dire sur les drames qui ont marqué le village, particulièrement durant la seconde guerre mondiale et bien évidemment Annie, la patronne de l'unique bar du village, possédant une télé étrange bloquée sur une chaîne musicale diffusant des clips des années 80.

     

    Oscillant entre le huis-clos d'une maison sombre et cette évasion dans une nature foisonnante entourant le village, on apprécie avec Nos Secrets Jamais, le juste équilibre d'un récit subtil, intelligemment mené nous conduisant vers la découverte de drames qui ont marqué cette famille qu'Elona apprend à connaître afin de s'émanciper d'un passé qui semble l'avoir marquée plus qu'elle ne saurait l'admettre.  Tout en délicatesse et en puissance, un récit envoûtant.

     

     

    Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Editions du Seuil/Cadre Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Nuits Blanches de Daran & Les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.

  • ANTONIN VARENNE : BATTUES. QUASIMODO ET JULIETTE.

    antonin varenne, battues, La manufacture de livres, éditons écorces, territoriiLa collection Territori, dirigée par Cyril Herry, s’est toujours distinguée en nous livrant de somptueux romans noirs célébrant le monde rural français tout en découvrant des auteurs dont les textes travaillés, ciselés, aux styles si particuliers ont séduit bon nombre de lecteurs à l’instar de Grossir le Ciel, Plateau de Frank Bouysse, Crocs de Patrick K Dewdney ou Clouer l’Ouest de Severine Chevalier. Avec Battues, Antonin Varenne se démarque de ses camarades d’écriture en nous livrant un roman pourvu d’une intrigue complexe et d’une mise en scène ambitieuse sur fond d’affrontement entre deux familles de notables.

     

    Le Plateau des Millevaches, R. une agglomération déclinante sur laquelle les clans des Courbiers et des Massenet règnent comme des despotes. Les exploitations forestières appartiennent aux premiers tandis que les seconds dirigent les domaines agricoles de la région. On travaille pour les Courbier ou pour les Messenet et on se tait, car derrière les rivalités, il existe également les petites accointances indispensables pour se répartir, au mieux, le territoire. Mais vingt ans après l’accident, neuf jours après la découverte du premier cadavre et douze heures après la fusillade, Michèle Massenet raconte son retour dans cette ville honnie. Revenue pour son père malade, elle voulait surtout revoir Rémi le garde-forestier défiguré qui semble être au cœur de ces intrigues. Une histoire d’amour qui résonne comme une malédiction.

     

    Avec Battues, Antonin Varenne fait une démonstration éclatante de son sens de l’intrigue et de son art de la mise en scène pour nous livrer un roman noir dont certains échos résonnent comme un lointain western rural à l’image de Haut-Fer de José Giovanni, se déroulant également dans le contexte des exploitations forestières. Battues est un récit éclaté où la temporalité des principaux événements passés et à venir s’inscrit au gré des titres de chaque chapitre, accroissant ainsi la tension narrative d’une histoire qui n’en manquait pas. L’auteur dévoile également des parties de son intrigue par l’entremise d’interrogatoires menés par le commandant de gendarmerie Vanberten, témoin presque impuissant des règlements de compte qui se trament dans la région. Tout comme les titres des chapitres qui rythment le récit, ces interrogatoires font état de faits dont le lecteur n’a pas encore pris connaissance, renforçant ainsi la puissance de cette théâtralité narrative.

     

    S’il y a une myriade de personnages, l’auteur se focalise sur Michèle, la fille rebelle de la famille Massenet, et sur Rémi le garde-forestier autour duquel tourne toutes les intrigues. Un personnage atypique, dont les stigmates d’un accident agricole ravage toute une partie de son visage en le contraignant à faire un usage immodéré de codéine destinée à soulager les douleurs toujours présentes. L’homme à la recherche de Philippe, un collègue de l’Office National des Forêts mystérieusement disparu, va mettre à jour les arrangements douteux entre les deux grands propriétaires terriens de la région. De rixes brutales en tentatives de meurtre, Rémi est la proie de règlements de compte violents que la compagnie de gendarmerie ne semble pas être en mesure de pouvoir juguler.

     

    Antonin Varenne met ainsi en exergue ces exploitations forestières et cette agriculture intensive qui s’inscrivent dans une logique de profit au détriment du respect des ressources naturelles que dénoncent tant bien que mal des groupuscules écologistes, ceci parfois au péril de leur vie, comme on le découvrira au détour du roman. Autour de ces luttes féroces, l’auteur met également en scène le quotidien des habitants d’une ville qui se désagrège en ponctuant son récit de petites anecdotes mettant en lumière toute la vicissitude de cette communauté.

     

    Le roman est donc intense et extrêmement dense avec cette kyrielle d’intervenants et d’événements ponctuant un récit tout en maîtrise. Cela est peut-être dû à cette écriture simple, sans fioriture, au style rapide et direct qui permet au lecteur de se concentrer sur le corps du récit tout en s’immergeant dans cette terre sauvage que l‘auteur expose avec une passion dénuée d’excès. Les paysages, la flore et surtout la faune servent ainsi ce roman haletant à l’instar de cette battue, donnant le titre à l’ouvrage et devenant surtout l’un des points d’orgue d’un récit où se décline la beauté farouche d’une violence savamment maîtrisée.

     

    Oui, maîtrise est bien le mot idéal permettant de définir ce roman puissant. Battues, un roman à lire sans retenue.

     

    Antonin Varenne : Battues. La Manufacture des Livres/Editions Ecorce Territori 2015.

    A lire en écoutant : Retourne Chez Elle d’Ariane Moffat. Album : Le Cœur Dans la Tête. Les Disques Audiogrammes 2005.

  • Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Dernier retranchement.

    jean-bernard pour, Ma Zad, gallimard, série noireRien ne saurait empêcher la venue de ce phénomène saisonnier, pas même les dérèglements climatiques, où l’on observe durant cette période printanière l’apparition des magazines hors-série consacrés à la littérature noire. On saluera l’effort même si l’actualité du polar ne s’arrête pas à cette période de l’année dont on pourra évaluer toute son ampleur annuelle avec des revues spécialisées dans le domaine, comme l’Indic ou 813 qui vous épargneront les sempiternelles réflexions sur un genre qu’il faudrait considérer à part entière dans le monde littéraire. C’est par le biais de ces publications que vous découvrirez tout au long de l’année des nouveautés qui ne bénéficient pas toujours d’un éclairage médiatique aussi important qu’elles seraient en droit de mériter, mais également des personnalités qui ont contribuées, bien avant son avènement, au rayonnement du roman policier à l’instar d’une figure comme Jean-Bernard Pouy créateur, avec Serge Quadrupanni et Patrick Raynal, de la série Le Poulpe qui a la particularité d’être rédigée pour chaque épisode par un auteur différent. Mais outre ce personnage emblématique du polar français, Jean-Bernard Pouy, conteur hors-pair, est l’auteur d’une cinquantaine de romans et d’un nombre incalculable de nouvelles et d’essais qui revient sur le devant de la scène avec Ma ZAD, un roman noir qui colle à l’actualité du moment dans le contexte de l’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes et des évacuations qui s’ensuivent.

     

    Ca ne va pas fort pour Camille Destroit, responsable des achats du rayon frais d’un grand supermarché, qui a trop fricoté avec les zadistes occupant le site de Zavenghem où se situe la ferme héritée de ses parents. Lors de l’évacuation de la ZAD, ce quadragénaire, plutôt rangé, est interpellé par les forces de l’ordre pour être placé en garde à vue. Et comme si cela ne suffisait, pas, Camille constate, à sa sortie de détention, que sa grange où il sotckait du matériel, destiné aux activistes a été incendiée, que son employeur l’a licencié et que sa copine l’a quitté. Pour couronner le tout, il est agressé par une équipe de crânes rasés n’appréciant guère son engagement. Blessé, le moral en berne, Camille peut compter sur les sympathisants qui logent chez lui. Parmi eux, Claire, une fille superbe qui le persuade peu à peu de reprendre la lutte et de faire face aux Valter, initiateurs du projet industriel de Zavenghem. Mais les intérêts de Claire sont-ils bien similaires aux convictions de Camille ?

     

    Roman libertaire à l’image de son auteur, Ma ZAD prend l’apparence d’un récit foutraque, émaillé de traits d’humour, où les digressions en tout genre côtoient quelques répliques saillantes et jeux de mots plus ou moins foireux, finissant même par devenir parfois un peu agaçants. Emprunt d’une grande culture au sens populaire du terme, Jean-Bernard Pouy peut intégrer dans son texte des références telles que Philipe K Dick, Manet, les Rolling Stone, et même de Daniel de Roulet, puisqu'une partie l’intrigue, dont quelques péripéties se déroulent d’ailleurs en Suisse, s’inspire du parcours de l’écrivain genevois, responsable de l’incendie d’un chalet inhabité, appartenant à un magnat de la presse allemand, et dont il a révélé les circonstances dans un roman intitulé Un Dimanche A La Montagne (Buchet-Castel 2006). Voici donc un bel inventaire à la Prévert auquel l’auteur rend également hommage.  Mais il ne faut pas s’y tromper, car au-delà de cette apparence chaotique, Jean-Bernard Pouy possède un solide sens de la narration nous permettant de suivre, au gré d’un texte vif et acéré, la fuite en avant de Camille, un homme aveuglé par une sourde colère qu’alimente une femme qui va se révéler fatale, mais également un environnement qui se disloque peu à peu sous les coups de boutoir d’une société de plus en plus avide. Mais loin d’être pompeux ou moraliste, Ma ZAD se révèle être un pur roman noir qui emprunte les codes classiques du genre pour le transposer à la périphérie du thème qu’il aborde, car acculé, dans ses derniers retranchements, la ZAD de Camille Destroit va s’incarner dans sa personnalité et ses convictions qu’il tente de préserver à tout prix.

     

    Magnifique roman déjanté et fulgurant, à la fois grave et joyeux, Ma ZAD nous offre, sans jamais se prendre trop au sérieux, une vision aiguisée et pertinente d’une société alternative que les gaz lacrymogènes ne sauraient faire disparaître.

     

    Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Editions Galimard/Serie Noire 2018.

    A lire en écoutant : One Way Or Another de Blondie. Album : Parallel Lines. Capitol Records 1978.

  • CYRIL HERRY : SCALP. TU SERAS UN HOMME, MON FILS.

    cyril herry, scalp, cadre noir, éditions du Seuil

    Pour les personnes qui prennent le temps de suivre ce blog, ce dont je les remercie au passage, vous aurez remarqué qu’il y a quelques personnalités du monde de l’édition qui reviennent régulièrement sur les devants de la scène à l’instar de Cyril Herry qui créa la maison d’éditions Ecorce, puis fut directeur de la collection Territori à la Manufacture des Livres, en relayant ainsi quelques textes magnifiques comme ceux d’Antonin Varenne, de Patrick K Dewdney ou de Séverine Chevalier pour ne citer que quelques uns de ces auteurs qui ont inititié un courant au sein de la littérature noire francophone en délaissant les paysages urbains pour s’implanter sur d’autres territoires plus reculés. Avec une exigence du texte et un sens de l’intrigue, Cyril Herry a sans nul doute distillé, au travers du récit des autres, quelques éléments de son univers que ce photographe émérite nous livre également au gré des clichés qu’il publie sur les réseaux sociaux. Cabanes et bivouacs élaborés, paysages forestiers, carcasses de voitures échouées on ne sait trop comment dans la nature, après l’édition et la photographie, c’est désormais par le prisme de sa propre écriture que Cyril Herry nous invite à retrouver cet environnement insolite, qu’il parcourt quotidiennement, avec un roman intitulé Scalp, narrant le parcours initiatique d’un jeune garçon en quête de son père.

     

    Depuis un satellite, l’Etang des Froids à Layenne n’est qu’une infime pièce cadastrale d’un immense puzzle terrestre. Pour Teresa, il s'agit de l’endroit où Alex s’est retiré du monde afin de vivre en pleine forêt en installant une yourte au bord de l’étang. Pour Hans, leur fils de neuf ans, c’est un lieu étrange et mystérieux où vit ce père qu’il n’a jamais connu. Ces retrouvailles sont l’occasion pour la mère et le fils de laisser derrière eux cette communauté disloquée où les pères de substitution ont joué leur rôle un temps seulement et où la mort et la trahison ont eu raison du fragile équilibre qui y régnait. Mais une fois arrivé au campement, nulle trace d’Alex. Teresa veut repartir mais Hans est bien décidé à rencontrer son père en dépit des ombres qui se dissimulent derrière les frondaisons et des coups de fusil qui résonnent dans les alentours. Parce que pour les autochtones, l’Etang des Froids, est un lieu où les étrangers quels qu’ils soient, n’ont pas leur place, particulièrement lorsqu’il s’agit d’originaux comme Alex.

     

    Scalp s’inspire d’une chronique judiciaire opposant les habitants d’un hameau composé de yourtes, au maire d’une commune de Haute Vienne mettant ainsi en exergue un mode de vie singulier qui ne souffrirait aucune tolérance de la part des autorités. Il y est donc question de liberté à hauteur d’homme se heurtant à cette vision cadastrale régissant et réglementant chaque parcelle de terrain que l’auteur nous permet d’appréhender, dès le premier chapitre, avec cette image satellite sur laquelle Teresa superpose le plan du cadastre en gomment ainsi toutes notions d’espace et de liberté. Sur la base de cette dichotomie, Cyril Herry nous livre un roman noir emprunt d’une tension permanente qui augmente graduellement au gré d’une intrigue distillant une climat à la fois étrange et inquiétant à l’image de cet enchevêtrement de troncs et d’épaves de voiture, décor hors norme, servant de terrain de jeu mais également de refuge pour un jeune garçon entraîné, bien malgré lui, dans un rude parcours initiatique, ponctué de violences, où la forêt, mais plus particulièrement la fureur des hommes, le transformera à tout jamais sans que l’auteur ne se détermine sur sa destinée qui demeurera à tout jamais incertaine.

     

    Comme un matrice, la forêt que dépeint Cyril Herry, devient un lieu de transition, un terrain d’aventure guère éloigné des romans de Jack London, de Mark Twain ou de James Fénimore Cooper dont les récits doivent probablement imprégner l’esprit d’un jeune garçon tel que Hans qui, par étape, mais également au gré des circonstances et des confrontations parfois violentes avec des enfants de son âge, s’émancipe peu à peu de l’emprise de sa mère qui reste le seul lien qu’il lui reste avec le monde adulte et dont il se distancie comme par défiance. Dans une alternance de points de vue, Cyril Herry décrit ainsi, avec l’efficacité d’un texte précis au travers duquel ressort la force des émotions des protagonistes, toute la complexité des rapports entre une mère et son fils qui se dissolvent peu à peu au profit de cette quête du père inconnu, mais également au gré de cette volonté d’émancipation qui se dégage de cet environnement sauvage faisant, paradoxalement, l’objet d’une convoitise insensée qui contribuera à cette perte  d’innocence d’un enfant égaré, non pas dans cette forêt symbole de liberté, mais au beau milieu de la folie d’autochtones obsédés par la propriété.

     

    Manifeste des rêves perdus d’adultes et d’enfants en quête de liberté, Scalp est un roman noir atypique et envoûtant, aux tonalités parfois poétiques, qui entraînera le lecteur dans l’environnement mystérieux de ces grandes forêts sauvages où l’indépendance des uns s’oppose à la convoitise des autres dans un déluge de violence à la fois brutale et surprenante. Tout simplement superbe.

     

    Cyril Herry : Scalp. Editions du Seuil/Cadre noir 2018.

    A lire en écoutant : North, South, East and West de The Church. Album : Starfish. 1988 Arista Records, Inc.

  • Salon du livre : Grave Panique

    grave_panique.jpg

    Bon c'est officiel, hormis Pennac pour une exposition qui semble prometteuse, pas l'ombre d'un auteur de polar au 25ème salon international du livre et de la presse. Un salon élitiste ? Un agenda qui ne convenaient pas pour les écrivains de ce genre littéraire ? Allez savoir et finalement cela importe peu. Je profiterai donc de cet événement pour parler de mon ami Patrick Delachaux qui sera présent au stand Zoé pour une série de signatures à l'occasion de la parution de son dernier ouvrage « Grave Panique ». Comme je l'ai toujours dit, le polar à un rôle éminemment social et s'il est bien un auteur qui verse dans une description sociale de la police c'est cet ancien flic genevois, devenu écrivain. Avec Grave Panique, nous nous rendons dans la banlieue parisienne, plus précisément dans le département du 9-3, pour une enquête au sein des triades chinoises.

     

    Saint-Denis, La Courneuve, Paris, la Butte Montmartre ; une rencontre entre les anciens de la banlieue rouge et la jeunesse actuelle ; une description au quotidien du travail de flic de rue qui tend à disparaître ; un hommage au monument de la police française : le 36 quai des Orfèvres ; des chinois et leur trafics ; des aînés au verbiage gouleyant et fleuri ; des instants graves, des moment drôles  pour découvrir les parcours de quatre jeunes de banlieue : Kader, Djamel, Samira et Loubna.

     

    Après Flic de quartier, Flic à Bangkok voici le nouvel opus de ce flic observateur. Un témoignage du travail des policiers au milieu des banlieues françaises. Une belle écriture dans laquelle fourmillent des personnages pittoresques et attachants. Des descriptions précises qui vous feront plonger au cœur de cet immense monstre urbain qu'est Paris et sa banlieue. Un témoignage franc et direct sur les malaises de la police, sur les problèmes de banlieue et sur le mal être d'une jeunesse laissée sur le carreau. Des dialogues enlevés et réalistes. Pas de ton moralisateur, sans haine et sans complaisance et saupoudré d'espoir, Grave Panique est une petite bombe dont le souffle vous entraînera d'une traite et sans que vous vous en rendiez compte vers la fin du récit. Une fois terminé, croyez moi, vous en redemanderez !

     

    Retrouvez Patrick Delachaux au stand ZOE. Le bonhomme est affable, souriant et sympathique. Un infatigable orateur qui ne fatigue jamais.

    Vendredi 29 avril à 17h00 sur le stand des éditions Zoé - Dédicaces

    Samedi 30 avril à 15h00 sur le stand des éditions Zoé - Dédicaces

    Samedi 30 avril à 16h30 sur le stand du Cercle (L1411) - Débats

    « Etude des frontières entre fiction et réalité »
Dimanche 1 mai sur le stand des éditions Zoé à 14h00 - Dédicaces

    Dimanche 1 mai à 14h30 France Loisirs - Débat

     

    Patrick Delachaux : Grave Panique. Edition Zoe 2011.

     

     

  • Cabanes/Manchette : Nada. Révolution manquée.

    Capture d’écran 2020-08-31 à 20.35.43.pngEntre les éditions originales, les réimpressions, les rééditions dans d'autres collections, les recueils et les adaptations BD, on ne compte plus le nombre d'illustrations ou photos qui ont orné les romans de Jean-Patrick Manchette. Il faut bien l'avouer beaucoup d'entre elles sont assez médiocres à l'exception des adaptations BD et plus particulièrement la couverture du dessinateur Max Cabanes pour Nada qu'il a adapté avec Doug Headline qui n'est autre que le fils de Jean-Patrick Manchette. On y voit cette femme, les yeux fermés, exhalant la fumée de la cigarette qu'elle tient entre ses doigts. Il s'agit de Veronique Cash l'une des membres d'un groupuscule d'extrême-gauche composé d'amateurs qui s'est mis en tête de kidnapper l'ambassadeur des Etats-Unis, stationné à Paris. On y perçoit ce qui fait la quintessence de l'œuvre de Manchette que sont l'élégance, la désinvolture, la séduction et le danger omniprésent qui précède les éclats de violence marquant ce récit politique d'un auteur résolument engagé à une époque où les groupuscules révolutionnaires sévissaient dans le contexte des années de plomb.

     

    On ne s'est pas encore vraiment remis des lendemains désenchantés de mai 68 et l'heure est à la lutte armée comme le décrète ces six paumés composant le groupe Nada qui ne trouvent rien de mieux que d'enlever l'ambassadeur des Etats-Unis en goguette dans une maison close de Paris. Contre toute attente, les révolutionnaires amateurs parviennent à leur fin, même si l'opération tourne au vinaigre avec une fusillade laissant plusieurs membres des forces de l'ordre sur le carreau. Désormais sur la sellette, le ministre de l'intérieur est bien décidé à neutraliser les membres du groupuscule et laisse donc carte blanche au commissaire Goémond pour faire le ménage. Un nettoyage définitif qui va virer au carnage au bout duquel il ne restera "nada".

     

    Publié en 1972, Nada s'inscrit dans le contexte particulier de la stratégie de la tension qui sévissait dans toute l'Europe et plus particulièrement en Italie et en Allemagne avec des mouvements d'extrême gauche entrés dans la clandestinité afin d'entamer une lutte armée à l'instar de la Fraction armée rouge ou des Brigade rouges. "Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique que leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à con.» fait partie de ces phrases cinglantes qui caractérisent le style de Manchette en résumant parfaitement le thème abordé dans un roman qui met en scène un groupe d’amateurs se lançant dans un projet d’enlèvement d’un diplomate américain sans que l’on ne connaisse la raison de leurs actes. On découvre ainsi six individus aux profils différents, plutôt pathétiques qui s’engouffrent dans un cycle de violence qui prend de plus en plus d’ampleur à la mesure de la réponse des institutions étatiques et des forces de police qui répliquent dans un déferlement de violence qui dépasse l’ensemble des protagonistes.

     

    Dans cette excellente adaptation du roman, il faut saluer l'énergie du trait de Cabanes qui restitue parfaitement cette période dynamique des années 70  et plus particulièrement les fusillades qui jalonnent le récit. On reste particulièrement fasciné par la prise d'assaut des forces de l'ordre qui encerclent le corps de ferme dans lequel s'est réfugié le groupe Nada. Une mise en image sublime de cette escalade de la violence qui devient incontrôlable avec la confrontation entre Véronique Cash et le commissaire Goémond qui vire à l'exécution pure et simple en nous donnant une idée de cette raison d'état qui autoriserait les pires exactions. Trench coat pour André Epaulard, gilet de berger pour Buenaventura Diaz, pantalon "patte d'éph" pour Véronique Cash, on apprécie le look des séventies des personnages ainsi que les voitures de l'époque que Cabanes restitue avec cette précision qui rend hommage aux descriptions très méticuleuses sur lesquels s'attardaient Manchette, notamment pour ce qui à trait aux véhicules et aux armes utilisés par les protagonistes du récit.

     

    Incarnation du schéma béhavioriste, cher à l'auteur, Nada est une superbe adaptation d'un récit cinglant qui s'inscrit dans l'air du temps d'une époque tragique où la violence devient l'unique échappatoire d'un groupuscule qui n'est plus en mesure de contrôler les conséquences des actes qu'ils ont déclenchés. Un album somptueux.

     

    Max Cabanes/Jean-Patrick Manchette : Nada. Dupuis/Aire Libre 2018.

    A lire en écoutant : Route 66 : Chuck Berry. Album : Blues. 2003 Geffen Records.