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  • Lance Weller : Wilderness. La dernière marche.

    Capture d’écran 2014-02-08 à 17.28.36.pngLa beauté tragique des guerres ne doit pas l’emporter sur la bestialité sauvage des conflits qui ont jalonné l’histoire de l’homme. Mais comme des fleurs vénéneuses, il y a parfois des œuvres poignantes qui jaillissent de ces champs de bataille pour évoquer l’atrocité des combats comme c’est le cas avec Wilderness, premier roman de Lance Weller qui retrace l’un des chapitres majeurs et pourtant méconnu de la guerre de sécession.

     

    Qualifier ce premier roman de chef-d’œuvre n’aurait pas vraiment de sens tant le qualificatif a été galvaudé pour perdre finalement toute sa valeur substantielle mais il est indéniable que Wilderness possède une force littéraire peu commune qui tend vers la perfection.

     

    Vieillard solitaire, meurtri par la guerre, Abe Truman s’est réfugié durant des années dans une cabane délabrée construite  à la lisière d’une forêt sauvage qui borde l’océan, au nord ouest des Etats-Unis. Sentant la fin venir, rejeté par  cet océan qui ne veut pas de ce vieux corps brisé, Abe Truman entame avec son chien un dernier périple à travers le pays jusqu’à ce qu’il se fasse agresser par un étrange indien au regard terne et un homme au visage cruellement déchiré. Laissé pour mort, Abe Truman va poursuivre ses agresseurs afin de récupérer son chien qu’ils lui on volé. Balloté entre le présent et les souvenirs de la bataille de la Wilderness, Abe Truman avance sur les traces de son destin.

     

    Le récit oscille entre trois années. Il débute en 1965 avec les souvenirs d’une vieille femme aveugle qui tente de rassembler quelques images de Abe Truman au travers du toucher d’un crucifix en os et d’une balle. Puis l’on découvre ce même Abe Truman en 1899 qui entame son dernier périple et qui, au gré de ses pérégrinations nous entraine dans les méandres de ses souvenirs en 1864, en plein cœur de la bataille de la Wilderness.

     

    Une richesse de la langue, c’est tout d’abord ce qui frappe dans ce roman pour décrire aussi bien la puissante beauté de la nature que l’indicible horreur d’une guerre sans merci. On se laisse porter par la fluidité de longues phrases qui nous décrit la sauvagerie des combats impitoyables où les hommes semblent absorbés par une terre gorgée de chair et de sang qui ne restituera finalement qu’une masse organique composée de corps broyés par la bataille. Mais que l’on ne s’y trompe pas, il n’y a aucune magnificence de la guerre tant l’auteur parvient avec talent à nous restituer l’horreur révoltante et pourtant quotidienne auxquels sont soumis ces combattants.

     

    Outre Abe Truman, les personnages qui jalonnent le roman sont d’une belle profondeur, enracinés dans la simplicité du bon sens et l’imprescriptibilité des souvenirs douloureux ils apportent par le biais des dialogues toute leur humanité qui résonne au travers d’une nature majestueuse. Mais pourtant, dans cet univers d’homme, ce sont les femmes qui offrent toute leur majesté dans ce roman avec Jane Dao Ming Poole, vieille femme aveugle qui se souvient comme pour faire revivre Abe Truman une dernière fois. Il y a également Hypatia, jeune esclave en fuite qui a perdu son bébé et qui rôde dans la périphérie du champ de bataille ; Ellen Makers jeune femme désespérée au ventre stérile, vouée aux récrimination des siens pour avoir marié Glenn, un homme de couleur. Toutes croiseront la route du vieux soldat pour lui offrir, à chaque fois qu’il trébuche, une lueur de rédemption au détour de ce chemin aussi noir que flamboyant.

     

    Vous ne trouverez pas de belle morale ou de saine camaraderie dans ce récit. Il n’y a que l'histoire d’hommes et de femmes entraînés par leur destin respectif qu’ils ne peuvent pas vraiment maîtriser. Dépassés par la tragédie ou l’horreur de leur quotidien ils pourront révéler leur humanité au travers de la générosité qu’ils sauront offrir aux autres.

     

    Wilderness, c’est un grand premier roman d’un écrivain qui n’a plus qu’à confirmer son statut d’immense auteur.

     

    La première règle, me semble-t-il, est qu’on peut juger de la véracité d’une histoire de guerre d’après son degré d’allégeance absolue et inconditionnelle à l’obscénité et au mal.

    Tim O’Brien, A propos de courage.

     

     

    Lance Weller : Wilderness. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

    A lire en écoutant : Solitude de Herbie Hancock. Album : River – The Joni Letter. The Verve Music Group 2007.

  • LANCE WELLER : LES MARCHES DE L’AMERIQUE. PERDUS DANS LES PLAINES.

    Capture d’écran 2017-06-20 à 00.56.10.pngChester Himes obtint une certaine notoriété avec la rencontre de Marcel Duhamel, fondateur de la Série Noire tout comme James Ellroy qui entretient, aujourd’hui encore, une relation privilégiée avec François Guérif, créateur des éditions Rivages. Des auteurs qui rencontrent davantage de succès à l’étranger que dans leur pays d’origine comme c’est le cas pour Lance Weller qui nous avait ébloui avec un premier roman exceptionnel intitulé Wilderness (Gallmeister 2014) où il évoquait une des batailles méconnues de la guerre de Sécession. En faisant l’acquisition du manuscrit de son second roman, Les Marches de l’Amérique, et en le traduisant directement en français alors qu’il n’est pas encore sorti aux USA, Olivier Gallmeister prend le pari de mettre en avant un auteur qui figurera, à n’en pas douter, parmi les grands nom de la littérature nord-américaine.

     

    Au delà de la Frontière, il y a ces vastes étendues sans nom où les convois s’aventurent en quête de nouvelles terres. Sur ces territoires que les mexicains et américains se disputent on peut croiser quelques chariots qui paraissent égarés. En y regardant de plus près on peut reconnaître Tom Hawkins et Pigsmeat Spence deux amis d’enfance qui traînent derrière eux une terrifiante réputation d’hommes coriaces. Mais point d’errance ou de coups foireux pour ces deux gaillards qui ont désormais un but. Ils escortent la belle Flora, une jeune esclave mulâtre qui s’est affranchie et qui tient à retrouver son maître à qui elle doit présenter son fils. Ce dernier se tient dans le chariot, coincé dans un cercueil sans couvercle, rempli de sel pour conserver le corps. Dans un monde violent en plein devenir, ces trois cabossés de la vie poursuivent leur chemin en trimballant leur sinistre cargaison.

     

    Une fois encore, Lance Weller s’empare d’un pan de l’histoire de son pays pour démystifier cette conquête de l’Ouest avec une puissance destructrice en ramenant le contexte historique à hauteur d’homme. Les Marches de l’Amérique aborde la colonisation de ces terres sans nom que se disputent les milices et armées de deux pays en plein développement tandis que colons et autres aventuriers errent dans ce no man's land en quête de quelques fortunes plus qu’aléatoires. En toile de fond on distingue toute la barbarie de cette conquête avec des milices cruelles qui traquent les indiens pour les massacrer afin de percevoir une solde qui se calcule au nombre de scalps récoltés. On y perçoit la misère d’une vie précaire, incertaine qui bascule soudainement dans une violence exacerbée par la peur et le doute. On y croise quelques personnages historiques comme le sinistre James Kirker, mercenaire, traqueur d’indiens et grand chasseur de scalps qui décima avec sa milice des populations entières de villages mexicains. Dans les méandres de ce contexte chaotique, où la cruauté et la sauvagerie semblent presque quotidiennes, le lecteur est rapidement subjugué par ce texte qui conjugue forces et émotions en nous distillant une fresque épique à couper le souffle.

     

    Mais au-delà de la férocité d’une époque cruelle, Lance Weller lance quelques bouées d’humanité que l’on décèle notamment au travers du parcours de Tom Hawkins, de Pigsmeat Spence et de la jeune Flora dont les destinées vont se percuter à Independance, une ville-champignon de toile et de bois qui se dessine dans la boue. En quête d’une vie pleine de sens, les trois compères s’accrochent les uns aux autres pour surmonter les stigmates d’un passé bien trop lourd à porter tout seul. La rédemption, la quiétude et autres objectifs parfois insensés vont porter cette femme et ces deux hommes d’un bout à l’autre d’un pays étrange où les frontières se font et se défont au gré de victoires et de défaites d'une guerre qui les indiffèrent complètement mais qui va pourtant les rattraper.

     

    Du sang, de la boue et un peu de poussière après la bataille, au terme d’un roman aussi intense que flamboyant, Les Marches de l’Amérique laissera le lecteur en bord de piste tout pantelant tout en confirmant l’immense talent d’un auteur qui subjugue. Car l’air de rien, Lance Weller est un écrivain d’une rare puissance qui nous envoûte sans ménagement.

     

    Dans le cadre d’une tournée en Europe, vous pourrez rencontrer Lance Weller à Genève où il dédicacera son livre à la Librairie du Boulevard, le mercredi 21 juin 2017 à 18h00.

     

     

    Lance Weller : Les Marches de l’Amérique (American Marchlands). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

    A lire en écoutant : Undiscovered First de Feist. Album : Metals. Cherrytree Records 2011.

  • LANCE WELLER : LE CERCUEIL DE JOB. LES FRACAS DE LA LIBERTE.

    lance Weller, le cercueil de job, éditions gallmeisterPour bien débuter l'année, autant chroniquer l'un des ouvrages marquants de l'année 2021 en évoquant l'étonnant parcours littéraire d'un romancier américain davantage reconnu dans nos contrées francophones que dans son pays d'origine. On découvrait Lance Weller avec Wilderness (Gallmeisters 2014) dont le titre fait référence à l'une des batailles de la Guerre de Sécession qui se déroula dans la forêt de la Wilderness en Virginie. Un roman à la beauté sauvage et flamboyante qui caractérise l'écriture d'un romancier exceptionnel nous entraînant dans les réminiscences d'une période chaotique et fracassante de l'histoire américaine. Notons qu'il s'agit-là de l'unique roman publié aux Etats-Unis et saluons le sublime travail de traduction de François Happe qui parvient à restituer toute la quintessence des textes exigeants de l'auteur. Second romand de Lance Weller, Les Marches De l'Amérique (Gallmeister 2017) s'attaquait à un autre contexte historique du pays en retraçant les péripéties de la conquête de l'Ouest qu'il démystifie par l'entremise d'un récit âpre et brutal où l'on prend la pleine mesure de toute la barbarie d'une colonisation qui se traduit notamment dans sa plus pure sauvagerie avec la traque et le massacre du peuple amérindien par les milices et armées de deux pays se disputant férocement les terres à conquérir. Avec de tels ouvrages, c'est peu dire que l'on s'impatientait, après quatre ans d'attente, de retrouver Lance Weller qui nous revient avec Le Cercueil De Job, un roman somptueux se concentrant une nouvelle fois sur les affres de la Guerre de Sécession en se focalisant  autour des batailles de Shiloh et de Fort Pillow.

     

    Les deux joues marquées au fer rouge, un trou en forme d'étoile percé dans l'une de ses dents, Bell Hood porte les stigmates de l'esclavage. Elle a néanmoins fuit la plantation de Locust Hall pour suivre l'étoile du Cercueil de Job qui lui permettra de gagner le Nord afin de trouver  cette liberté tant convoitée. Mais en pleine Guerre de Sécession, il lui faut traverser l'état du Tennessee, déchiré par le conflit, en évitant chasseurs d'esclaves et autres belligérants des deux armées qui arpentent les routes de la région. 
    Jeremiah Hoke ne sait pas trop bien comment il a atterri dans les rangs confédérés dont il ne partage pas vraiment les convictions. Mais au terme de la bataille de Shiloh, sérieusement mutilé, il abandonne les rangs de l'armée afin d'entamer une vie d'errance chaotique. Au rythme des rencontres et des scènes terribles dont il est témoin, son parcours prend la forme d'une rédemption pour tous les crimes qu'il a commis autrefois.
    Deux individus que tout oppose, projetés dans le fracas d'une guerre fratricide, qui s'avéreront liés par une tragédie commune qu'ils ne peuvent oublier.

     

    Le Cercueil De Job s'articule donc autour de deux trajectoires, celle d'une esclave en quête de liberté et celle d'un soldat confédéré mutilé cherchant à se racheter de ses erreurs passées avec en toile de fond cette Guerre De Sécession sévissant notamment dans l'Etat du Tennessee et dont les points d'orgue furent la fameuse bataille de Shiloh et celle plus méconnue de Fort Pillow, théâtre du massacre de prisonniers confédérés dont de nombreux soldats noirs qui n'étaient pas considérés comme tels par l'adversaire. Dans ce contexte historique chaotique, nimbé d'une effroyable violence, Lance Weller se focalise sur le regard de cet homme et de cette femme qui vont traverser les méandres de cette période trouble au gré des rencontres qui vont bouleverser leurs destinées respectives. On adopte ainsi avec Bell Hood, le point de vue des esclaves en découvrant toutes les exactions dont ils sont victimes à l'instar de Dexter son compagnon d'infortune qui a été émasculé par ses maîtres ou de January June capturé par un chasseur d'esclaves mais qui croise Henry Liddell, un photographe arpentant les champs de bataille, qui le rachète afin de l'émanciper. On perçoit ainsi toute l'incertitude de ces individus ballotés au rythme des événements dont ils n'ont aucune maîtrise, mais qui s'acharnent à trouver la voie qui leur permettra d'obtenir cette liberté qu'ils convoitent avec tant d'espoir. Autre trajectoire, autre point de vue avec Jeremiah Hoke nous permettant de nous immerger notamment au coeur de la bataille de Shiloh en distinguant toute l'horreur et la cruauté d'une guerre qui n'épargne personne et que Lance Weller restitue avec une charge émotionnelle intense. Au terme de cette bataille, le lecteur suivra les pérégrinations de ce soldat mutilé tentant de refaire sa vie au gré de ses errances et de percevoir ainsi toute l'ambiguïté de certains soldats de l'Union qui traquent les esclaves en fuite afin de les enrôler de force au sein de l'armée, à l'instar du colonel Cleon et de sa horde de soldats dépenaillés s'adonnant à quelques trafic douteux.

     

    Avec Le Cercueil De Job on appréciera à nouveau cette écriture ample et généreuse caractérisant un auteur qui parvient à restituer au coeur de cette atmosphère chaotique, toute la rigueur d'un contexte historique savamment maîtrisé se déclinant à la hauteur de l'humble point de vue de ces deux protagonistes à la fois touchants et attachants dont on ignore ce qui peut bien les lier et qui devient l'un des enjeux de ce roman flamboyant où leur rencontre mettra en perspective toute l'incertitude de la liberté et de la rédemption qui se diluent dans le fracas de la guerre.

     


    Lance Weller : Le Cercueil De Job (Job's Coffin). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Happe.

    A lire en écoutant : You Will Be My Ain True Love de Alisson Kraus (feat. Sting). Album : A Hundred Miles Or More: A Collection. 2007 Rounder Records.

  • JOE WILKINS : CES MONTAGNES A JAMAIS. SI LOIN ET POURTANT SI PROCHE.

     Capture d’écran 2020-07-22 à 12.21.38.pngIl est bien possible que Gallmeister ait couvert, avec l’ensemble de ses publications, la totalité des états américains. Mais la particularité de cette maison d’édition emblématique c’est de donner la voix, par le prisme de ce courant littéraire qu’est le « nature writing », à des auteurs méconnus aspirant à mettre en valeur la région dans laquelle ils vivent. On découvre ainsi les parcs naturels du Colorado avec Edward Abbey ou les forêts du nord de la Californie avec Gabriel Tallent ou les grandes régions de l’Ouest et plus particulièrement du Montana avec James Crumley. Il est également possible de remonter le temps et de s’attarder sur les grands épopées de ce pays qui semble toujours baigner dans la violence avec en point de mire la conquête de l’ouest  qu’évoquent Bruce Holbert, Glendon Swarthout et Lance Weller qui s’est focalisé sur les affres de la guerre de Sécession et plus particulièrement sur la bataille de la Wilderness. Les éditions Gallmeister ont même réussi le tour de force de faire en sorte que ses auteurs soient davantage reconnus en France que dans leur pays d’origine à l’instar de Benjamin Whitmer et de Lance Weller dont le second ouvrage, Les Marches De l’Amérique (Gallmeister 2011) n’a été publié qu’en France. Poète, devenu romancier, Joe Wilkins, natif des Bulls Mountain dans le Montana qu’il met en lumière dans son premier roman intitulé Ces Montagnes A Jamais, fait partie de ces nouvelles voix et de ce courant particulier où le «nature writing» côtoie certains codes de la littérature noire pour mettre en scène une intrigue tournant autour de ces miliciens bien décidés à s’émanciper des carcans que leur impose un gouvernement et des autorités qu’ils ne reconnaissent plus.

     

    Pour les miliciens du Montana, Verl Newman est une espèce de légende qui a su tenir tête au gouvernement en tuant un garde-chasse venu lui demander des comptes au sujet d’un loup qu’il a abattu. Pour Gillian, Verl Newman n’est qu’un assassin qui a exécuté froidement son mari qui ne faisait que son travail. Pour son fils Wendell, il n’est plus qu’un fantôme qui a disparu dans les montagnes du Montana et dont le souvenir le hante toujours, même s’il a choisi de ne pas prendre parti pour ces milices séparatistes qui l’indiffère. Vivant modestement en travaillant au sein d’un ranch, Wendell voit débarquer dans sa vie le jeune Rowdy, fils d’une cousine incarcérée pour trafic de méthamphétamine, dont on lui confie la garde. Prenant ses responsabilité à bras le corps, Wendell va s’attacher à ce gamin de 7 ans, mutique et sensible qu’il prend sous son aile, comme s’il s’agissait de son fils. Assistante du principal de l’école dans laquelle est inscrit Rowdy, Gillian va également s'attacher  à cet enfant particulier qu’elle se doit de protéger de tous mauvais traitements. Confusions, mauvaises interprétations, c’est sur une série que quiproquos que se dessinent les drames à venir sur fond d’une première chasse légale du loup qui devient le moteur d’une violence que Wendell est bien décidé à repousser afin de ne pas reproduire la trajectoire qui a consumé son père.

     

    Il s’agit d’un roman choral où Joe Wilkins met en avant les points de vue de Wendell Newman et de Gillian Houlton deux personnages que tout oppose suite au meurtre du mari de Gillian froidement exécuté par le père de Wendell. Destiné à ne jamais se rencontrer, l'auteur met subtilement en scène ce jeune enfant autiste qui devient le lien qui va réunir ces deux antagonistes sur fond de préjugés et d’incompréhensions mutuels. C’est l’occasion de découvrir cette région grandiose des Bulls Mountain que l’auteur dépeint avec une belle justesse et une certaine forme de lyrisme, jamais outrancier, en nous immergeant dans cette somptueuse atmosphère de nature sauvage où l’on perçoit les enjeux qui vont opposer les différents protagonistes du roman avec l’exploitation excessive des territoires par des habitants en opposition avec les nouvelles normes écologistes imposées par le gouvernement. Joe Wilkins nous présente donc ces fameuses milices armées, mais également toute une galerie d'individus qui se distancient résolument des autorités cherchant à leur imposer des normes qui vont à l'encontre de leurs modes de vie et qui les poussent même à la ruine ou à la faillite. On s'éloigne donc des caricatures de personnages frustres et débiles pour découvrir des hommes et des femmes aux abois, complètement désespérés qui vont se radicaliser afin de lutter contre des instances étatiques qu'ils ne comprennent plus. Dans cette dichotomie extrêmement bien mise en lumière, Joe Wilkins met en scène avec brio les préjugés qui animent l'ensemble de ses personnages qui vont les conduire jusqu'au drame dont les rouages vont se mettre en place avec une lenteur impitoyable nous conduisant vers une époustouflante confrontation sur fond de sacrifice ultime qui plongera le lecteur dans le désarroi, avec ce vague espoir d'une réconciliation entre des individus que tout oppose, ce qui est loin d'être une certitude. Jalonnant le roman, il y a également ces extraits du journal de Verl qui, au-delà de l'acte abject qu'il a commis, va fusionner avec cette nature qui l'entoure tout en déclamant son amour pour sa femme et son fils Wendell. Un journal qui devient le testament ultime d'un homme qui n'a jamais été capable de montrer son affection vis à vis de sa famille et qui a préféré emprunter la voie de la violence.

     

    Intrigue émouvante que Joe Wilkins décline subtilement au gré des point de vue de personnages attachants, Ces Montagne A Jamais est un premier roman tout simplement magistral.

     

     

    Joe Wilkins : Ces Montagnes A Jamais (Fall Back Down When Die). Editions Gallmeister 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski.

     

    A lire en écoutant : Wayfaring Stranger de Hayde Bluegrass Orchestra. Single : Wayfaring Stranger. 2017 Hayde Bluegrass Orchestra.

  • PIERGIORGIO PULIXI : L'ILE DES AMES. SACRIFICES HUMAINS.

    Capture d’écran 2021-09-30 à 00.33.53.pngExclusivement consacrée aux publications en provenance d'Amérique du Nord et plus particulièrement des Etat-Unis, la maison d'éditions Gallmeister s'est lancées en 2021 à l'assaut du monde en modifiant sa stratégie éditoriale pour nous offrir des textes en provenance d'Australie, d'Amérique du Sud, des fjords norvégiens, des contrées allemandes et italiennes. Connaissant le degré d'exigence d'un éditeur qui nous a permis de découvrir des auteurs désormais emblématiques tels que David Vann, Benjamin Whitmer et Lance Weller, pour n'en citer que quelques uns, on ne peut que se réjouir d'une telle nouvelle nous permettant d'aborder de nouveaux horizons littéraires. Sélections de qualité conjuguées à la perfection des traductions, on retrouve dans L'Ile Des Ames de Piergiorgio Pulixi, ce qui a fait la réputation Gallmeister avec cette notion de nature writing nous entrainant au coeur des paysages luxuriants d'une Sardaigne ensorcelante. S'il s'agit du premier roman traduit en français, Piergiorgio Pulixi n'a rien d'un novice dans le domaine de la littérature noire, puisque cet ancien libraire, originaire de Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne, compte à son actif plus d'une dizaine d'ouvrages aux accents de polars ou romans noirs. Outre les paysages fascinants, L'Ile Des Ames, couronné du prix Scerbanenco, prestigieuse récompense de la littérature noire italienne, nous invite à découvrir les aspects de la culture nuralgique par le prisme d'une série de meurtres rituels prenant l'allure de sacrifices humains.

     

    Rien ne va plus en Sardaigne, et plus particulièrement sur le site nuralgique de Sirimagus où l'on découvre le corps sans vie d'une jeune femme qui semble avoir fait l'objet de rites sacrificiels. Sur les lieux, l'inspecteur chef Barrali craint qu'il ne s'agisse d'une nouvelle victime d'un criminel sévissant en toute impunité, ceci depuis plusieurs décennies. Proche de la retraite, gravement atteint dans sa santé et désespéré de constater que toutes ses investigations n'ont abouties à rien, il confie ses vieux dossiers à sa collègue Mara Rais qui a été mutée à l'unité des crimes non élucidés. Loin d'être une promotion, il s'agit plutôt de la mise au placard d'une policière forte en gueule qui a fait preuve d'insubordination vis-à-vis d'un supérieur au comportement déplacé. Reléguée dans la salle des archives de la questure de Cagliari, l'inspectrice en chef Mara Rais se voit adjoindre l'appui de l'inspectrice Eva Croce, une collègue transférée de Milan pour d'obscures raisons paraissant avoir affecté son état psychique. Méfiantes, les deux policières vont apprendre à se connaître au fil d'une enquête révélant de terribles atrocités qui vont ébranler leurs convictions. Elles vont ainsi mettre à jour les horribles traditions ancestrales qui semblent toujours d'actualité au sein d'une grande famille de paysans régnant en maître au cœur des montagnes de Barbagia.

     

    L'Ile Des Ames prend la forme d'un thriller aux accents ethnologiques nous permettant d'appréhender les contours d'une terre chargée de traditions séculaires que Piergiorgio Pulixi dépeint avec une précision d'orfèvre au travers d'une écriture ciselée et minutieuse. Avec le souci du détail permettant de capter le climat d'une Sardaigne somptueuse, le lecteur va suivre deux histoires parallèles que sont l'enquête de deux policières que tout oppose et le parcours d'un chef de clan d'une grande famille de paysans régnant sans partage sur une région de l'arrière-pays sarde. Décliné ainsi, on pourrait avoir l'impression d'aborder une structure narrative dont de nombreux auteurs ont abusé, si ce n'est que Piergiorgio Pulixi s'emploie à leurrer le lecteur en déjouant systématiquement les codes du genre pour nous entraîner dans le sillage d'une intrigue bien plus surprenante qu'il n'y paraît. Calme et posé, c'est ainsi que l'on pourrait qualifier ce thriller soigné qui nous permet de parcourir l'intégralité d'une île aux charmes variés, à l'instar de cette ville de Cagliari dont on parcours l'entrelacs de ruelles séduisantes ou de cette arrière-pays mystérieux que l'on découvre par l'entremise de Sebastianu Ladu, un paysan au caractère fort, dirigeant son clan d'une main de fer en les soumettant aux rites de traditions séculaires inquiétantes. Piergiorgio Pulixi nous entraîne également sur les grands sites archéologiques de l'île pour nous faire découvrir la culture nuralgique autour d'une série de crimes qui prendraient la forme de sacrifices humains. C'est par l'entremise de ces meurtres que l'on va découvrir les portraits remarquables de Mara Rais, autochtone au caractère bien trempé, secondée de Mara Croce, une citadine venue tout droit de Milan pour fuir un passé devenu trop pesant. Bien éloigné des clichés on ne manquera pas d'apprécier l'étude de caractère bien fouillée de ces deux policières atypiques tout comme l'on sera saisi par le portrait touchant de Moreno Barrali, cet inspecteur vieillissant, luttant contre la maladie, tout en essayant d'apporter son expertise pour l'élucidation de meurtres qui n'ont cesse de l'obséder. 

     

    Récit vertigineux célébrant une Sardaigne à la fois envoûtante et inquiétante, L'Ile Des Ames nous entraîne dans le sillage d'une enquête terrifiante qui s'inscrit dans les méandres de coutumes aux aspects fascinants et mystérieux à l'image de cette île magnifiée par un auteur prometteur.

     

    Piergiorgio Pulixi : L'Ile Des Ames (L'Isola Delle Anime). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'italien par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : Jala de Andhira. Album : Nakitirando. 2011 Ala Bianca Group.

  • Mise au point 2022 : Toujours d'attaque.

    eau rouge.jpgCapture d’écran 2022-01-06 à 18.51.58.pngAu terme de l'année, on découvre dans certaines revues, les classements des dix meilleurs ouvrages publiés durant cette période qui se focalisent sur le nombre d'exemplaires vendus avec, au bout du compte, les sempiternelles têtes de gondole trustant la scène littéraire. Il en va de même pour la littérature noire avec des listes égrenants les best-sellers annuels d'auteurs puisant leur succès dans cet exercice comptable vertigineux et parmi lesquels figure Franck Thilliez qui nous revient avec un préquel de la série Sharko, intitulé sobrement 1991 et que j'ai eu l'occasion Capture d’écran 2022-01-06 à 18.49.21.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 18.50.27.pngde lire avec un sentiment de consternation qui ne m'a pas quitté tout au long d'une lecture que j'aurai l'occasion d'évoquer dans une chronique prochaine. Mais pour en revenir à ces classements, loin d'être décourageants ceux-ci donnent davantage de sens aux démarches des multiples blogs et revues littéraires spécialisés dans le domaine du polar en proposant des ouvrages sortant des sentiers battus afin de vous inciter à farfouiller dans les rayons de vos librairies préférées. Pour vous orienter dans le choix de vos lectures je ne saurais trop vous recommander de consulter quelques sites comme Encore Du Noir de Yan Lespoux, The Killer Inside Me du journaliste Christophe Laurent qui publie de Capture d’écran 2022-01-06 à 18.51.20.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.04.03.pngnombreux articles consacrés au genre dans Corse Matin, Evadez-moi de Lau Lo, Actu Du Noir de Jean-Marc Laherrère, Passion Polar de Bruno Le Provost, Le Polar De Velda de Catherine Dô-Duc et Fondu Au Noir de Caroline Benedetti et Emeric Cloche pour n'en citer que quelques uns. Vous pouvez également vous abonnez à quelques magazines tels que 813 ou L'Indic qui vous permettront d'affiner vos choix et de découvrir des articles passionnant consacrés à la littérature noire.

     

    Capture d’écran 2022-01-06 à 19.04.40.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.05.52.pngDurant une année pourtant riche en publications, le blog a connu une certaine léthargie avec à peine plus d'une trentaine d'ouvrages chroniqués, ce qui n'a rien de mirobolant. Contraintes professionnelles et priorités familiales expliquent ce manque de productivité qui a tout de même connu un certain sursaut durant les derniers mois. Une année pourtant riche en surprises avec le retour de quelques ténors de la littératures noire mais également la découverte de primo romanciers talentueux à l'instar de Yan Lespoux qui nous a éblouis avec Presqu'îles son recueil de nouvelles préfacé Capture d’écran 2022-01-06 à 19.06.22.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.06.44.pngpar Hervé Le Corre dont on a apprécié le dernier ouvrage intitulé Traverser La Nuit. Il faut également évoquer Rosine Une Criminelle Ordinaire, premier roman de Sandrine Cohen. Même s'il n'est pas un débutant, on aura également été époustouflé par L'Eau Rouge, de Jurica Pavičić, avec un premier ouvrage croate traduit en français. Belle surprise également en lisant Les Femmes N'Ont Pas D'Histoire d'Amy Jo Burns, une romancière talentueuse. Il faut également souligner le retour d'Adrien McKinty avec Ne Me Cherche Pas Demain, troisième  opus des enquêtes de l'inspecteur Sean Duffy. Autre retour très attendu que celui de Lance Weller qui nous a bluffé avec Le Cercueil De Job, un roman époustouflant tout comme Deacon King Kong de James McBride et le détonnant True Story de Kate Reed Petty. 

     


    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.33.50.pngCapture d’écran 2022-01-07 à 18.34.12.pngIl faut également saluer la nouvelle collection Fusion au sein de la maison d'éditions de l'Atalante qui a publié deux ouvrages détonnants que sont Nuit Bleue De Simone Buchholz et Clark d'Anouk Langaney. Et puis il y a toujours cet intérêt pour la littérature noire japonaise qu'il faut souligner avec le retour de Tetsuya Honda qui nous propose avec Invisible Est La Pluie, une troisième enquête de la lieutenante Reiko Himekawa, une valeur sûre des éditions Akatombo. Valeurs sûres également avec Agullo et le retour du commissaire Soneri dans La Maison Du Commandant de Valerio Soneri, celui du Kub dans Les Ombres de Wojciech Chmielarz et surtout le dernier roman de Frédéric Paulin qui aura marqué les esprits avec La Nuit Tombée Sur Nos Ames

     

    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.34.56.pngCapture d’écran 2022-01-07 à 18.35.38.pngToujours en retard dans mes lectures, j'ai eu le plaisir de découvrir les romans de Michèle Pedinielli avec Boccanera et Après Les Chiens mettant en scène la dynamique détective privée Ghjulia Boccanera surnommée Diou, officiant du côté de Nice. Pour être à jour il me faudra évoquer La Patience De L'Immortel dans une prochaine chronique. 

     

    Du côté de la Suisse, je ne peux que vous recommander de lire La Prophétie Des Cendres de Rafael Wolf et Dans L'Etang De Feu Et De Souffre de Marie-Christine Horn, tous deux publiés chez BSN Press, une valeur sûre en matière de littérature noire helvétique.

     

    Capture d’écran 2022-01-07 à 18.36.47.pngCapture d’écran 2022-01-06 à 19.05.30.pngPour terminer, il ne me reste qu'à évoquer le plaisir que j'ai eu à retourner à Lyon à l'occasion du Quai du Polar ainsi qu'à Toulouse pour le festival des littératures policières Toulouse Polar du Sud qui m'ont permis de retrouver quelques amis et connaissances de ce petit microcosme de la littérature noire qui permet également de faire de nouvelles rencontres lors de soirées mémorables. Pour 2022, outre les deux événements précités, je souhaite également me rendre du côté de Pau à l'occasion du festival Un Aller Et Retour Dans le Noir ainsi que du côté de la Corse à l'occasion de Libri Mondi avec des programmations extraordinaires qui correspondent à mes attentes et intérêts et que je vous recommande de fréquenter si vous en avez l'occasion. 

     


    A lire en écoutant : Across The 110th Street de Bobby Womack. Album : Across The 110th Street. 2008 MGM Music.

  • Kent Wascom : Le Sang Des Cieux. Empire de poussière.

    kent wascom, le sang de cieux, christian bourgeois éditeur           Depuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.

     

  • Le polar suisse n'existe pas.

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.45.10.pngChroniques du noir

    Chronique publiée pour le journal littéraire Le Persil, numéro spécial polar romand.

     

    Flic, amateur de polars. C’est ainsi que l’on me désigne lorsque l’on évoque les chroniques du noir que je rédige, depuis plus de cinq ans, pour un blog dont la thématique est dévolue aux romans noirs et aux polars. J’ignore si cette formulation est empreinte d’une certaine condescendance, d’une forme de mépris ou si elle ne sert qu’à déterminer tout simplement, de manière factuelle, ce que je suis, à savoir policier depuis 26 ans et passionné du genre littéraire depuis toujours. Au regard de mon métier et de mon intérêt pour ce type de romans, on me demande fréquemment si j’ai embrassé la carrière de policier en fonction des polars que j’ai lus ou si l’un d’entre eux aurait pu influencer mon orientation professionnelle. Je dois avouer que la corrélation entre ces deux activités est extrêmement tenue et, pour être tout à fait clair, je ne suis pas devenu policier parce que je lisais ce type de romans, tout comme je ne me suis pas intéressé aux polars par rapport au choix de mon métier. Finalement, si j’aime le noir, ce n’est pas pour prolonger une quelconque succession de sensations que la profession me prodigue quotidiennement, mais parce qu’il autopsie plus qu’aucune autre littérature ne saurait le faire toute l’abondance des malaises d’une société au travers de l’histoire ou plus précisément du roman d’un crime.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.49.15.pngC’est très souvent par le biais du genre littéraire noir que l’auteur s’emploie à décortiquer un modèle social pour mettre en exergue les carences, les non-dits et les fragilités d’un milieu ou d’un environnement bouleversé par le fait divers qui s’incarne dans le sursaut de fureur, de révolte ou de désespoir d’un individu ou d’un groupe transgressant des normes et des valeurs dans lesquels ils ne se reconnaissent plus. En cela, de nombreux textes émanant du roman noir prennent une forme de revendication lorsqu’ils évoquent par exemple la fermeture d’une usine dans Aux Animaux la Guerre (Actes Sud, 2016) de Nicolas Mathieu ou la pollution d’une friche industrielle dans Le Dernier Jour d’un Homme (Rivages, 2010) de Pascal Dessaint, quand ce n’est pas le modèle suédois dans son entier qui est examiné sous toutes ses coutures par Maj Sjöwall et Per Walhöö où le couple d’auteurs met en scène les enquêtes du commissaire Martin Beck dans l’édition intégrale du Roman d’un crime en dix volumes (Rivages 2008-2010).

     

    Particulièrement en Suisse romande, l’origine d’un blog consacré au noir réside dans la volonté de partager ces lectures, des romans moins formatés, dont les médias traditionnels ne parlent que très peu et qui peinent parfois à trouver leur place sur les étals des librairies. Car contrairement à ce que l’on prétend, le lecteur ne trouve pas forcément le livre qu’il souhaite. Dans sa quête, il doit tout d’abord franchir les murailles du même roman ornant les entrées des chaînes de librairie, contourner les ouvrages en tête de gondoles campés devant les tables de présentoir et faire fi du matraquage médiatique consacré aux mêmes auteurs de best-sellers. Une orientation forcée que l’on retrouve également dans le paysage numérique du livre. Au fil des années, force est de constater qu’un blog dédié aux romans noirs et aux polars, loin de compléter l’offre journalistique, devient un substitut à une déficience et un silence médiatique assourdissant, particulièrement en ce qui concerne un genre qui reste, aujourd’hui encore, bien trop décrié. Et ce ne sont pas les romans calibrés pour le plus grand nombre qui vont contribuer à réhabiliter le noir aux yeux d’une intelligentsia intellectuelle qui affiche à la fois sa méconnaissance et son mépris pour ce type de littérature.

     

    La constitution d’un blog chroniquant romans noirs et intrigues policières m’a permis de découvrir tout un monde de l’édition que je ne connaissais que très peu et de côtoyer d’autres blogueurs amateurs du genre policier à l’instar de sites comme Encore du Noir, Le Vent Sombre ou Le Blog du Polar de Velda qui mettent en évidence la diversité des très nombreuses parutions qu’ils valorisent dans la rigueur d’articles de qualité. Car, pour se démarquer de la kyrielle de blogs littéraires, il est indispensable de s’imposer quelques principes éditoriaux permettant de susciter un certain intérêt auprès des lecteurs en quête de découvertes. C’est ainsi qu’au-delà de leurs démarches littéraires, je me distancie des auteurs, ne cherchant pas à compiler ou à collectionner autographes et autres selfies que je pourrais récolter dans les salons et festivals que je ne fréquente d’ailleurs que très rarement. Il en va de même pour les maisons d’édition qui me sollicitent pour effectuer du service presse, démarche que je refuse régulièrement, estimant que pour promouvoir le livre, il m’apparaît comme essentiel d’en faire l’acquisition avec ses propres deniers, bénéficiant ainsi d’une certaine indépendance critique et d’une absence de contrainte dans le choix de mes lectures. Fort de cette autonomie, je ne cherche finalement ni à plaire ni à déplaire à l’ensemble des acteurs composant le paysage littéraire du polar et du roman noir car, aussi positif ou négatif qu’il soit, il importe de développer un argumentaire étayé pour rédiger une critique forcément empreinte d’une dose de subjectivité en rapport au lecteur que je suis, m’appropriant le livre au travers de mes propres perceptions. Il faut avouer que les déceptions restent plutôt anecdotiques, car l’expérience et la constellation de contacts constitués au cours de toutes ces années permettent de détecter plus aisément les ouvrages suscitant l’enthousiasme.

     

    Capture d’écran 2016-11-17 à 23.54.00.pngFestivals, salons du livre, numéros hors-série, depuis quelque temps, on assiste à l’émergence du noir à laquelle les grands noms de l’édition du polar ont contribué depuis tant d’années à l’instar de Rivages/Noir qui, aujourd’hui encore, reste l’une des références emblématiques du genre. David Peace, James Ellroy ou Hervé Le Corre sont les quelques auteurs qui conjuguent qualités narratives avec un style éprouvé qui a marqué et marquera encore toute une génération de lecteurs. Dans un registre plus confidentiel, on appréciera la ligne éditoriale de la maison d’édition Gallmeister qui s’oriente vers les auteurs nord-américains comme Lance Weller avec Wilderness (2013), Benjamin Whitmer avec Pike (2015) et la redécouverte de toute l’œuvre de James Crumley dont la nouvelle traduction de Fausse Piste (2016) illustrée par Chabouté. Nombreux sont ces auteurs américains qui ont d’ailleurs dépassé la catégorisation des codes et des genres littéraires. Toujours plus confidentiels, il faut saluer des maisons d’édition comme La Manufacture de Livres et sa collection « Territori », permettant de mettre en évidence quelques perles noires comme Clouer l’Ouest (2014) de Séverine Chevalier, qui restera l’un des tout grand roman noir qu’il m’ait été donné de lire. On pourra citer également les éditions Asphalte contribuant à promouvoir des auteurs hispaniques tels que Carlos Zanon avec J’ai été Johnny Thunders (2016) ou Boris Quercia mettant en scène l’inspecteur Quiñones dans Les Rues de Santiago (2014) et Tant de Chiens (2015). Et il ne s’agit là que d’un petit florilège d’auteurs bousculant les idées reçues d’un genre qui n’a plus rien à prouver.

     

    Le polar suisse, par contre, n’existe pas. Il s’inscrit malheureusement dans une dimension régionale dont les rares exceptions comme Martin Suter, Sunil Man et quelques autres ne font que confirmer ce triste constat. Dans un contexte de marché, on oppose le krimi alémanique au polar romand en arguant le fait qu’il ne s’agit pas du même public, renonçant ainsi, au sein d’une nation multilingue, à faire les frais d’une traduction. Un manque d’audace et d’ambition que l’on retrouve d’ailleurs dans la méconnaissance crasse du milieu littéraire romand en ce qui concerne le noir. Ainsi l’émergence du polar en suisse romande s’inscrit-elle dans le sillage des modèles de best-seller à l’exemple de Vargas, Läckberg et Musso, qui deviennent les références des écrivains romands se lançant parfois maladroitement dans le genre noir. Certes, on peut écrire un roman noir ou un polar sans en avoir lu, cela reste même préférable plutôt que de succomber aux influences des auteurs les plus visibles et de s’égarer dans la sempiternelle course au succès qui s’incarne avec l’affichage sur les réseaux sociaux du nombre d’exemplaires vendus ou de son classement dans les grandes chaînes de librairies. Plaire au plus grand nombre, parfois au détriment de l’histoire, semble être le credo de ces écrivains en quête de consécration.

     

    En dépit de ce tableau funeste, il faudra s’intéresser aux nombreux acteurs participant à cette émergence du polar suisse romand qui parviennent à mettre en avant toutes les qualités narratives d’un genre en pleine effervescence auquel le collectif Léman Noir (2012), mené par Marius Daniel Popescu, a largement contribué avec ce recueil de nouvelles noires édité par BSN Press, maison dirigée par Giuseppe Merrone. Ce passionné du polar propose régulièrement des textes d’auteurs consacrés du noir, Jean Chauma ou Joseph Incardona, mais également de belles découvertes : Le Parc (2015) d’Olivier Chapuis, par exemple, est un véritable travail d’orfèvre made in Switzerland.

     

    Il faudra examiner la belle collection de polars originaux, rassemblés au sein des Furieux Sauvages, maison d’édition créée par Valérie Solano, qui s’ingénie à mettre en exergue une autre Suisse que celle que l’on dépeint habituellement. Il faudra également s’attarder sur l’œuvre de Daniel Abimi mettant en scène les pérégrinations du journaliste Michel Rod et de son comparse l’inspecteur Mariani, dont les enquêtes sont parues chez Bernard Campiche, et qui incarne idéalement l’esprit du roman noir troublant la douce quiétude qui prévaut sur les rivages du lac Léman.

     

    Du noir, encore et toujours du noir, que ce soit par le biais d’un blog ou d’un autre support, vous découvrirez un autre pan fascinant de la littérature où auteurs et éditeurs romands s’inscrivent de manière magistrale dans l’autopsie d’une nation dont la noirceur ne cessera pas d’éclabousser les pages des nombreux romans à venir.

     

    LAUSAN'NOIR FESTIVAL DU POLAR : 18 & 19 NOVEMBRE.
    ESPACE ARLAUD
    Place de la Riponne 2 bis - 1005 Lausanne

    A lire en écoutant : Birdland de Patti Smith. Album : Horse. Arisa Records 1975

    Crédit photos : Isabelle Falconnier/Le Persil

     

  • LA SCENE DU CRIME DU SALON DU LIVRE A GENEVE

    Capture d’écran 2014-04-30 à 22.37.37.pngContrairement à ce que l’on pourrait penser, je ne fréquente que bien très rarement les festivals célébrant le polar où l’on croise les groupies et spécialistes du genre réunis dans une espèce de communautarisme littéraire. S’auto-congratuler sur l’ampleur du phénomène sans pour autant en faire sa promotion pour qu’il fasse partie intégrante de la littérature du XXIème siècle ne peut que desservir la "cause". En effet, il faudra bien comprendre un jour que le polar n’est définitivement pas un genre à part mais qu’il s’inscrit en première ligne dans le paysage du roman contemporain.

    Au salon du livre à Genève, on ne peut que saluer l’initiative de développer une scène du crime pour parler du polar afin de l’intégrer au cœur de ce festival littéraire. Une résolution salutaire pour autant qu’elle perdure et ne soit donc pas un événement occasionnel qui s’inscrirait dans le cadre de cette ferveur opportuniste que certains éditeurs semblent découvrir avec le polar qui servirait de moyen afin de relancer leur chiffre d’affaire morose dans un secteur en crise.

     

    Aujourd’hui tout le petit monde de l’édition se lance dans le roman policier. C’est extrêmement intéressant pour autant que l’aspect commercial ne l’emporte pas sur la passion. Publier tout et n’importe quoi ne ferait que desservir le roman noir qui reste, aujourd’hui encore, un genre bien trop souvent déconsidéré.

     

    Mais pour l’heure, retrouvons-nous durant 4 journées dans les allées du salon du livre et plus précisément sur la scène du crime pour découvrir le programme chargé et varié d’un genre qui n’a pas fini de faire parler de lui.

    La scène du crime : découvrez le programme

     

     

    Salon du livre et de la presse à Genève. Du 30 avril au 4 mai 2014.

    A lire en écoutant : France Culture de Arnaud-Fleurant Didier. Album : La Reproduction. 2009 SME (France) SAS

  • ARNALDUR INDRIDASON : LA MURAILLE DE LAVE, L’ECUEIL DE LA CUPIDITE BOREALE.

    islande,erlendur,muraille de lave,sigurdur oliDans le paysage du polar nordique, Arnaldur Indridason est sans doute l'un des fers de lance de cette littérature. Avec la Cité de Jarre, la Femme en Vert, La Voix et l'Homme du Lac, l'auteur nous a entrainé dans le sillage du mythique inspecteur Erlendur qui explorait au fil de ses enquêtes le fabuleux passé de cette Islande que l'on aurait pensé plus morne qu'il n'y paraît. Un personnage torturé que cet Erlendur qui est hanté par la perte de son frère, alors qu'ils étaient confrontés tous deux lorsqu'ils étaient enfants à une terrible tempête de montagne. Seul Erlendur a survécu. Un mariage raté, une fille toxicomane complète ce personnage solitaire et taciturne. La plupart des enquêtes démarrent souvent avec la découverte d'un squelette qui nous ramène à plusieurs dizaines d'années pour décourvrir des aspects surprenants du passé historique de l'Islande.

     

    Des histoires du passé, lestées d'une grande émotion sont la particularité des romans d'Arnaldur Indridason. La seconde particularité est de faire passer au premier plan, les équipiers de ce commissaire. Ainsi après Erlingborg, enquétrice bourrée d'empathie et fine cuisinière c'est au tour de Sigurdur Oli de mener l'enquête dans la Muraille de Lave. Il faut savoir que les faits se déroulent durant la même période où Erlingborg est au prise avec une affaire de viol  relatée dans le précédent opus de l'auteur : La Rivière Noire.

     

    Pour Sigurdur Oli, ce sera une afffaire de chantage et de mœurs qui le conduira à enquêter auprès des institutions banquaires de Reykjavik qui semblent désormais  au cœur d'un véritable tourbillon de cupidité qui frise la folie. On se retrouve donc avec un personnage qui est à l'antipode d'Erlendur. Sigurdur Oli est un pur produit de l'américanisation tourné vers l'avenir alors que son supérieur se concentre principalement sur le passé. Un enquêteur maladroit qui semble dépourvu d'une certaine humanité et qui va pourtant, au fil du récit, nous révéler ses failles et ses regrets. Avec en toile de fond une société islandaise en pleine effervescence économique, juste avant que la crise ne balaie l'île de sa tempête financière. C'est donc ces disfonctionements économiques que l'auteur s'emploie à nous décrire sans pourtant verser dans une technicité qui pourrait vite devenir laborieuse. Un roman bien ficelé également bourrée d'émotion avec le récit en parallèle d'un personnage apparut dans La Voix qui nous entrainera dans le méandres d'une vengeance sans issue. On découvrira donc les affres de la pédophilie du point de vue des victimes, mais également du point de vue des acteurs économiques qui donne un relief supplémentaire à ce roman que l'on ne saurait manquer. La Muraille de Lave c'est le mur terrifiant sur lequel la société islandaise s'est échouée, victime de la cupidité sans limite des prédateurs financiers d'un monde sans scrupule.

     

     

    Arnaldur Indridason : La Muraille de Lave. Edtions Métaillé 2012. Traduit de l'islandais par Eric Boury.

     

    A lire en écoutant : Hero (Bonus track) de Regina Spektor. Album : Begin To Hope (Sire 2006).