JOSEPH INCARDONA : CHALEUR. DANS LA FOURNAISE.
L’une des particularités de Joseph Incardona est de convoquer le lecteur pour des rendez-vous qui sortent toujours de l’ordinaire, que ce soit pour un huis clos à la montagne tout en tension avec 220 Volts (Fayard 2011) ou pour un séjour étrange sur une île mystérieuse avec un Aller Simple pour Nomads Island (Seuil 2014), et tout dernièrerement dans l’univers confiné d’une portion d’autoroute avec Derrière les Panneaux il y a des Hommes (Finitude 2015) qui a obtenu le Grand Prix de la Littérature Policière – Français – 2015. Chaleur, dernier opus de l’auteur, ne déroge pas à la règle en nous conviant au Championnat du Monde de Sauna qui a lieu chaque année à Heinola en Finlande.
La Finlande en été. Durant quatre jours le championnat du monde de Sauna se tient à Heinola. Parmi tous les concurrents il y a le tenant du titre, triple champion du monde. Niko Tanner, star du porno finlandais, colosse blond, incarnation de tous les excès et de toutes les dérives. Une légende acclamée.
Face à lui, Igor Azarov, son challenger, un ancien militaire russe qui s’est préparé avec toute la rigueur qui s’impose afin de détrôner son éternel rival. Il compte bien lui ravir le titre. D’ailleurs il n’a plus le choix, le temps est compté.
Dans l’arène, un sauna où la température s’élève à 110° Celsius, les concurrents s’affrontent. A celui qui tiendra le plus longtemps dans cette chaleur suffocante. Le public acclame, les juges observent. Tout est prêt, la farce peut commencer, la tragédie se met inexorablement en place.
A partir d’un fait divers évoquant la mort d’un concurrent durant ce championnat de l’absurde, Joseph Incardona construit une tragédie sur le ton d’une farce féroce permettant de mettre en scène l’opposition entre deux personnages hors norme. On découvre tout d’abord cet ancien sous-marinier russe qui débarque en Finlande avec le besoin impérieux de remporter le tournoi. Du haut de son mètre cinquante-huit, Igor Azarov trimbale son amertume et ses regrets. Les résurgences d’un passé douloureux sont contenues dans le cadre d’un entraînement rigoureux qui ressemble furieusement à un châtiment qu’il s’infligerait au quotidien. Face à ce personnage ascétique, il y a Niko Tanner, icône moderne et outrancière qui brûle la vie par les deux bouts sans se soucier du lendemain. Une fuite en avant aussi aveugle que détachée où les références vont de la star du porno au souvenir d’une peluche Ikea conférant à ce colosse immature une part de cette enfance insouciante qui semble pourtant si lointaine. Une espèce de Peter Pan égaré dans le monde de la pornographie. Des portraits à la fois poignants et grinçants au travers desquels Joseph Incardona diffuse tous les malaises d’une société qui s’obstine à tromper son ennui tout en tentant de faire abstraction de cette crainte diffuse de la perte d’une opulence menacée par la crise économique qui ronge un pays en récession.
Comparé à Chuck Palahniuk pour un récit évoluant dans le milieu du porno ou Harry Crew pour les physiques atypiques des personnages Chaleur évoque davantage la dynamique d’un ouvrage comme On Achève Bien les Chevaux de Horace McCoy avec des chapitres courts et sobres qui s’égrènent en fonction des différents niveaux de qualifications du championnat tandis qu’en toile de fond, le drame programmé s’installe peu à peu sans que l’on ne puisse vraiment imaginer le dénouement du récit. Consciente ou inconsciente on perçoit également dans la vicissitude de cette joute extravagante, la volonté morbide de s’infliger des sévices qui vont bien au-delà du raisonnable. Soif de reconnaissance ou velléité de suicide, l’auteur interroge en permanence les déterminations des différents protagonistes qui s’affrontent pour l’obtention d’un titre de gloire saugrenu, sous l’œil complaisant d’un public tonitruant en quête de sensations.
Avec cette écriture aussi intense qu’incisive Joseph Incardona nous livre un récit morbide, parfois burlesque, emprunt de solitude et de désillusion que ces gladiateurs de l’absurde vont dissoudre dans la Chaleur. Une fusion entre le roman noir et la satire. Incandescent.
Joseph Incardona : Chaleur. Editions Finitude 2017.
A lire en écoutant : Rocking Horse interprété par The Dead Weather. Album : Horehound. Third Man Records 2009.