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  • GLENDON SWARTHOUT : LE TIREUR. LA DERNIERE DANSE.

    glendon swarthout, le tireur, gallmeister, totem, westernOn ne peut que saluer une maison d'édition qui ose sortir des sentiers battus en publiant des romans d'un genre particulièrement déconsidéré dans les milieux littéraires tel que le western ou le roman de guerre. Avec la collection Totem, la maison Gallmeister a osé miser sur des écrivains américains méconnus qui mériteraient pourtant d'avantage de visibilité que la pâle actualité que nous infligent les chroniqueurs avec ce "coup d'édition" narrant les secrets d'alcôve élyséens qui n'est finalement que le triste reflet d'une rentrée littéraire toujours plus inconséquente quant au rythme des parutions qui s'annihilent les unes les autres dans une cavalcade toujours plus frénétique et  trépidante.

     

    Pour fuir ce diktat culturel, je vous propose de découvrir cette nouvelle traduction intégrale d'un ouvrage de Glendon Swarthout publié en 1975, intitulé Le Tireur que le réalisateur Don Siegel porta à l'écran en 1976 sous le titre Le Dernier des Géant  avec John Wayne dans sa dernière apparition au cinéma. Autant le dire tout de suite le film, bien qu'excellent, ne parvient pas à restituer toute la noirceur et le cynisme émanant de ce récit funèbre.

     

    En 1901, John Bernard Books, vacillant sur son cheval, débarque à El Paso avec une réputation de tueur légendaire. Seul survivant d'une lignée de pistoleros redoutables, Books va découvrir qu'il est atteint d'un cancer incurable et qu'il ne lui reste que quelques semaines à vivre. En apprenant cela, une cohorte de vautours va se rassembler afin de profiter des ultimes instants de ce dernier monument de l'Ouest sauvage. Et au milieu de cette danse crépusculaire de charognards avides,  John Bernard Books va organiser le dernier coup d'éclat qui clôturera son parcours légendaire.

     

    On a souvent qualifié Impitoyable, le chef d'œuvre de Clint Eastwood, comme étant un western crépusculaire. Ce qualificatif conviendrait pourtant davantage au roman de Glendon Swarthout qui nous relate l'agonie d'une époque révolue au travers des derniers soubresauts  d'un homme en fin de parcours. Considéré comme un spécialiste du genre, l'auteur parvient, de manière originale, à nous restituer cette période charnière par le biais de quelques articles  que le personnage principal découvre dans son journal. Nouvelles internationales, faits divers et encarts publicitaires, c’est toute cette série d’articles ponctuant le récit qui restituent la perspective des changements sociétaux qui s’amorcent désormais à travers tout le pays. Et puis il y a ce compte-rendu du décès de la Reine Victoria qui deviendra le moteur du récit car c’est par le biais de cet article que John Bernard Book trouvera l’inspiration nécessaire afin  de prendre toutes les dispositions pour mettre en scène sa disparition prochaine.

     

    Comme les barillets des Remington 44 qu’utilise John Bernard Book, Le Tireur se subdivise en six chapitres très courts qui permettent de faire ressortir toute la quintessence d’un texte qui va vraiment vers l’essentiel et qui entraine rapidement le lecteur dans cette abîme mortelle qui se concluera de manière abrupte par un duel dantesque qui restera un modèle du genre avec la violence des scènes d’action, la pertinence des dialogues et l’introspection du personnage principal qui se marient dans un équilibre parfait.

     

    C’est également par l’entremise de la série de portraits que dresse l’auteur tout au long du roman que le lecteur peut se demander ce qui change vraiment d’une époque à l’autre car si le progrès apporte son lot de confort  et de commodité, la sauvagerie des personnages aux caractères veules et cyniques semble demeurer immuable. Avec ces hommes et ces femmes qui se pressent autour du personnage principal, on assiste donc au dépeçage d’un homme agonisant qui n’est que l’illustration d’un capitalisme forcené où tout s’achète et tout se vend en allant même jusqu’à brader la réputation d’une légende.

     

    Une légende qui meurt, un jeune homme qui renaît, c’est sur le dur constat impitoyable d’un héritage tragique que se concluera le roman au travers d’une passation dévoyée qui ne laissera aucun espoir quant à l’avenir de l’homme.

     

    L’alchimie d’un rayon de soleil de faux printemps changea le nickel des Remingtons en argent. Gillom Rogers avançait la tête haute, les épaules droites, bien plus grand à ses yeux, en proie à des sensations jusqu’alors inconnues. Il tenait un revolver encore chaud dans la main, sentait la morsure de la fumée dans ses narines et le goût de la mort sur sa langue. Le cœur haut dans sa gorge, le danger derrière lui – et puis la sueur soudaine et le néant, et la sensation douce et fraîche d’être né.

     

    Le Tireur

    Glendon Swarthout

     

    Glendon Swarthout : Le Tireur. Editions Gallmeister, collection Totem 2012. Traduit de l'anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Wild Horses des Rolling Stones. Album : Sticky Finger. Virgins Record – Rolling Stones 1971.

  • Glendon Swarthout : Homesman. Vers un monde meilleur.

    Capture d’écran 2014-11-26 à 00.10.29.pngSurprenant et poignant, ce sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour dépeindre Homesman, ultime roman de Glendon Swarthout qui s’est éteint en 1992, soit quatre ans après la publication de l’ouvrage. Après avoir publié le Tireur dans une nouvelle traduction intégrale, les éditions Gallmeister font à nouveau appel à Laura Derajinski, traductrice émérite, pour nous livrer ce roman en français, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Beaucoup de lâcheté et un coup du sort désigne Mary Bee Cuddy, un ancienne institutrice esseulée, pour rapatrier les quatre femmes qui, au sortir d’un impitoyable hiver qui a ravagé les Grandes Plaines, ont perdu la raison. Il faut dire qu’au milieu du XIXème siècle, la vie des colons est extrêmement dure sur cette partie de la Frontière qui n’épargnent ni les bêtes ni les hommes. La seule solution consiste donc à ramener ces femmes vers l’est afin que leur famille puisse les prendre en charge. Avec un étrange chariot aménagé pour transporter ces âmes meurtries, Marie Bee Cuddy va traverser le Territoire pour rallier le fleuve Missouri qui borde la partie civilisée des USA. Pour échapper à la pendaison, Briggs, odieux personnage voleur de concession, sera contraint, bon gré mal gré, d’escorter cet étrange convoi.

     

    Il est probable que les lecteurs resteront très longtemps marqués par le souvenir de ces quelques pages où l’auteur décrit le tragique quotidien de ces quatre familles de colons qui tentent d’exploiter une terre vierge que l’on morcelle en concession sans nom. Ce sont les loups affamés qui rôdent autour des frêles maisons de terre, la maladie qui ravage les troupeaux, les enfants qui meurent et des grossesses non désirées qui laminent le cœur de ces femmes courageuses qui ne peuvent en supporter d’avantage. Isolées, repliées sur elles-mêmes, Line, Hedda, Arabella et Gro perdent peu à peu la raison pour sombrer dans une folie muette, entrecoupée parfois de violents éclats meurtriers. Dépassés, démunis, leurs veules maris n’hésiteront pas bien longtemps à se séparer de leurs conjointes devenues désormais bien trop encombrantes.

     

    Le reste du roman tourne bien évidemment autour des deux protagonistes principaux que sont Mary Bee Cuddy et Briggs qui vont tout au long du voyage, tenter de s’apprivoiser tout en contenant les débordements de leurs quatre passagères. Mais l’on aurait tord de s’attendre à un récit convenu où deux personnages antinomiques trouvent enfin le moyen de s’entendre pour faire face aux défis qui se présentent à eux. Glendon Swarthout n’hésite pas à briser les règles pour mieux surprendre le lecteur et l’entraîner dans les tourments d’une histoire qui n’a rien de conventionnelle.

     

    De longues scènes contemplatives très visuelles sont entrecoupées de rebondissements dynamiques qui en font un roman à l’équilibre presque parfait, hormis quelques longueurs que l’on peut déplorer en fin de récit. Dans une contrée sauvage, les protagonistes du convoi maudit trouvent leur place dans une nature hostile mais respectueuse. Mais plus ils se rapprochent de la civilisation, plus ils se heurtent à l’hostilité des hommes qui ne trouvent rien d’autre à faire que de les repousser et les rejeter. En finalité le monde civilisé s’avérera bien plus cruel que le monde du Territoire et c’est peut-être l’un des grands messages que l’auteur tente de faire passer au travers des pages de ce roman.

     

    Parce qu’il fait la part belle aux femmes, on a qualifié Homesman de western féministe ce qui n’est pas vraiment adéquat car bien trop souvent le personnage de Mary Bee Cuddy se fait rabaisser par l’odieux Brigg auquel l’auteur semble vouloir lui accorder le dernier mot. Mais bien évidemment, dans un genre littéraire machiste à l’extrême, Homesman peut apparaître comme le roman qui tente de promouvoir, parfois de manière maladroite, le rôle essentiel des femmes dans la conquête de l’Ouest.

     

    Homesman a été récemment adapté au cinéma. Le film réalisé par Tommy Lee Jones qui interprète le rôle de Brigg, suit très (peut-être trop) fidèlement la trame du récit. C’est Hillary Swank qui lui donne la réplique en endossant le rôle de Mary Bee Cuddy dans une brillante interprétation pleine de sensibilité. Mais on appréciera surtout la sobriété du jeu des trois actrices qui campent les trois femmes de colon gagnées par la folie. Elles donnent ainsi toute l'intensité à ce film bien maîtrisé qui fait honneur au très bon roman de Glendon Swarthout.

     

    Glendon Swarthout : Homesman. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Into the Unknown de Blackhord.  Album : A Thin Line. ABC Music/Universal 2013.

  • JOE WILKINS : CES MONTAGNES A JAMAIS. SI LOIN ET POURTANT SI PROCHE.

     Capture d’écran 2020-07-22 à 12.21.38.pngIl est bien possible que Gallmeister ait couvert, avec l’ensemble de ses publications, la totalité des états américains. Mais la particularité de cette maison d’édition emblématique c’est de donner la voix, par le prisme de ce courant littéraire qu’est le « nature writing », à des auteurs méconnus aspirant à mettre en valeur la région dans laquelle ils vivent. On découvre ainsi les parcs naturels du Colorado avec Edward Abbey ou les forêts du nord de la Californie avec Gabriel Tallent ou les grandes régions de l’Ouest et plus particulièrement du Montana avec James Crumley. Il est également possible de remonter le temps et de s’attarder sur les grands épopées de ce pays qui semble toujours baigner dans la violence avec en point de mire la conquête de l’ouest  qu’évoquent Bruce Holbert, Glendon Swarthout et Lance Weller qui s’est focalisé sur les affres de la guerre de Sécession et plus particulièrement sur la bataille de la Wilderness. Les éditions Gallmeister ont même réussi le tour de force de faire en sorte que ses auteurs soient davantage reconnus en France que dans leur pays d’origine à l’instar de Benjamin Whitmer et de Lance Weller dont le second ouvrage, Les Marches De l’Amérique (Gallmeister 2011) n’a été publié qu’en France. Poète, devenu romancier, Joe Wilkins, natif des Bulls Mountain dans le Montana qu’il met en lumière dans son premier roman intitulé Ces Montagnes A Jamais, fait partie de ces nouvelles voix et de ce courant particulier où le «nature writing» côtoie certains codes de la littérature noire pour mettre en scène une intrigue tournant autour de ces miliciens bien décidés à s’émanciper des carcans que leur impose un gouvernement et des autorités qu’ils ne reconnaissent plus.

     

    Pour les miliciens du Montana, Verl Newman est une espèce de légende qui a su tenir tête au gouvernement en tuant un garde-chasse venu lui demander des comptes au sujet d’un loup qu’il a abattu. Pour Gillian, Verl Newman n’est qu’un assassin qui a exécuté froidement son mari qui ne faisait que son travail. Pour son fils Wendell, il n’est plus qu’un fantôme qui a disparu dans les montagnes du Montana et dont le souvenir le hante toujours, même s’il a choisi de ne pas prendre parti pour ces milices séparatistes qui l’indiffère. Vivant modestement en travaillant au sein d’un ranch, Wendell voit débarquer dans sa vie le jeune Rowdy, fils d’une cousine incarcérée pour trafic de méthamphétamine, dont on lui confie la garde. Prenant ses responsabilité à bras le corps, Wendell va s’attacher à ce gamin de 7 ans, mutique et sensible qu’il prend sous son aile, comme s’il s’agissait de son fils. Assistante du principal de l’école dans laquelle est inscrit Rowdy, Gillian va également s'attacher  à cet enfant particulier qu’elle se doit de protéger de tous mauvais traitements. Confusions, mauvaises interprétations, c’est sur une série que quiproquos que se dessinent les drames à venir sur fond d’une première chasse légale du loup qui devient le moteur d’une violence que Wendell est bien décidé à repousser afin de ne pas reproduire la trajectoire qui a consumé son père.

     

    Il s’agit d’un roman choral où Joe Wilkins met en avant les points de vue de Wendell Newman et de Gillian Houlton deux personnages que tout oppose suite au meurtre du mari de Gillian froidement exécuté par le père de Wendell. Destiné à ne jamais se rencontrer, l'auteur met subtilement en scène ce jeune enfant autiste qui devient le lien qui va réunir ces deux antagonistes sur fond de préjugés et d’incompréhensions mutuels. C’est l’occasion de découvrir cette région grandiose des Bulls Mountain que l’auteur dépeint avec une belle justesse et une certaine forme de lyrisme, jamais outrancier, en nous immergeant dans cette somptueuse atmosphère de nature sauvage où l’on perçoit les enjeux qui vont opposer les différents protagonistes du roman avec l’exploitation excessive des territoires par des habitants en opposition avec les nouvelles normes écologistes imposées par le gouvernement. Joe Wilkins nous présente donc ces fameuses milices armées, mais également toute une galerie d'individus qui se distancient résolument des autorités cherchant à leur imposer des normes qui vont à l'encontre de leurs modes de vie et qui les poussent même à la ruine ou à la faillite. On s'éloigne donc des caricatures de personnages frustres et débiles pour découvrir des hommes et des femmes aux abois, complètement désespérés qui vont se radicaliser afin de lutter contre des instances étatiques qu'ils ne comprennent plus. Dans cette dichotomie extrêmement bien mise en lumière, Joe Wilkins met en scène avec brio les préjugés qui animent l'ensemble de ses personnages qui vont les conduire jusqu'au drame dont les rouages vont se mettre en place avec une lenteur impitoyable nous conduisant vers une époustouflante confrontation sur fond de sacrifice ultime qui plongera le lecteur dans le désarroi, avec ce vague espoir d'une réconciliation entre des individus que tout oppose, ce qui est loin d'être une certitude. Jalonnant le roman, il y a également ces extraits du journal de Verl qui, au-delà de l'acte abject qu'il a commis, va fusionner avec cette nature qui l'entoure tout en déclamant son amour pour sa femme et son fils Wendell. Un journal qui devient le testament ultime d'un homme qui n'a jamais été capable de montrer son affection vis à vis de sa famille et qui a préféré emprunter la voie de la violence.

     

    Intrigue émouvante que Joe Wilkins décline subtilement au gré des point de vue de personnages attachants, Ces Montagne A Jamais est un premier roman tout simplement magistral.

     

     

    Joe Wilkins : Ces Montagnes A Jamais (Fall Back Down When Die). Editions Gallmeister 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski.

     

    A lire en écoutant : Wayfaring Stranger de Hayde Bluegrass Orchestra. Single : Wayfaring Stranger. 2017 Hayde Bluegrass Orchestra.

  • Kent Wascom : Le Sang Des Cieux. Empire de poussière.

    kent wascom, le sang de cieux, christian bourgeois éditeur           Depuis quelques années on observe une résurgence du western, genre littéraire populaire par excellence, dont les premiers récits de conquête et de bravoure ont contribué à l’essor du rêve américain avant que ne débarquent dans les années 70, des auteurs s’ingéniant à démystifier cette épopée sanglante en révélant un contexte historique beaucoup moins glorieux. Ainsi par le biais d’une ligne éditoriale davantage orientée sur le réalisme de cette époque, on découvre avec les éditions Gallmeister des auteurs comme Glendon Swarthout (Homesman ; Le Tireur), Bruce Holbert (Animaux Solitaires) et Lance Weller (Wilderness ; Les Marches De l’Amérique) qui participent à ce que l’on désigne désormais comme étant des western crépusculaires dépeignant avec force, la douleur d’un nouveau monde qui se bâtit dans un flot de sang et fureur. Dans ce même registre, à la fois sombre, sauvage et emprunt d’une terrible brutalité, Kent Wascom  nous livre avec Le Sang Des Cieux un texte puissant, mais passé totalement inaperçu, narrant la période trouble de la cession de la Louisiane au début du XIXème siècle, un territoire qui englobait un quart des Etats-Unis actuelle en s’étendant de la Nouvelle-Orléans jusqu’au confins des états du Montana et du Dakota du nord, sur fond de spéculation foncière et de conflits féroces avec le gouvernement espagnol.

     

    En 1861 Angel Woolsack se tient sur le balcon de sa demeure de la Nouvelle-Orléans en observant l’effervescence d’un peuple prêt à en découdre en faisant sécession avec les états confédérés. Mais l’homme vieillissant n’a cure de ces velléités guerrières car il sait bien que cet enthousiasme ne durera pas et se désagrégera dans la fureur des combats à venir. Au crépuscule de sa vie il ne lui reste que l’écho furieux de ses souvenirs, d’une jeunesse tumultueuse où le jeune prédicateur endossera le rôle de bandit pour devenir fermier tout en menant des campagnes belliqueuses contre les espagnols. Une existence jalonnée de drames et de coups d’éclat sanglants où les fantômes de ceux qu’il a aimé et de ceux qu’il a honnis, hantent encore sa mémoire. Car dans le fracas de cette sarabande belliciste, Angel Woolsack, le vieil esclavagiste dévoyé, se souvient de chaque instant de cette vie dissolue.

     

    Les dés sont jetés et les jeux sont faits au détour de ce prologue somptueux où chacune des phrases savamment travaillées scellent les destins de celles et ceux qui ont composé l’entourage d’Angel Woolsack tout en enveloppant le lecteur dans l’étouffante épaisseur d’un linceul poisseux et sanguinolent au travers duquel on perçoit cette rage guerrière et cette ferveur religieuse qui a animé la destinée d’un personnage hors du commun. Ponctué de chapitres aux consonances bibliques, Kent Wascom nous entraîne, au terme de ce prologue crépusculaire, dans une longue analepse où la fiction côtoie les faits historiques pour mettre en scène l’effervescence d’un monde qui reste à conquérir. Car dans le fracas des armes, l’incertitude des combats à mener on observe la rude vie de ces pionniers évoluant dans un contexte à la fois sauvage et mystique. Dans un tel univers, c’est avec une certitude sans faille qu’il puise dans une foi inébranlable qu’Angel Woolsack va donc façonner son destin au gré de d’amitiés fraternelles et de trahisons parfois meurtrières en maniant aussi bien le Verbe que le sabre pour parvenir à ses fins en s’associant aux frères Kemper dont il empruntera le nom. Du Missouri où il officie comme prêcheur aux rives du Mississippi où il travaille comme batelier, du côté de Natchez où il devient bandit c’est finalement dans les aléas de la conquête de la Floride occidentale convoitée tour à tour par les espagnols et les colons américains qu’Angel Woolsack et les deux frères Kemper vont tenter de s’arroger quelques territoires au gré de négociations hasardeuses et de campagnes féroces permettant d’entrevoir la complexité des rapports régissant les différentes nations se disputant l’immensité des terres composant la Louisiane de l’époque.

     

    Mais au-delà de la férocité des enjeux et des conquêtes d’un pays en devenir, de cet impressionnant tableau d’une contrée sauvage qui se bâtit dans la douleur des sacrifices et la cruauté des exactions, Kent Wascom parvient à mettre en scène un récit épique emprunt de fureur mais également d’une terrible humanité que l’on distingue notamment au travers de cette relation amoureuse qu’entretiennent Angel Woolsack et Red Kate, jeune prostituée farouche qui devient épouse et mère d’un enfant mentalement déficient tout en assistant son mari dans sa soif de conquête.

     

    Il émerge du texte de Kent Wascom une force bouleversante, presque organique, où la cruauté et la violence côtoient la douleur des désillusions en accompagnant le lecteur au fil des pérégrinations de ce prêcheur mystique devenu marchand d’esclaves sans illusion, de cette jeune proie fragile basculant dans la défiance d’un redoutable prédateur vieillissant qui n’aura cesse de vouloir asservir le monde à sa portée. Le Sang Des Cieux devient ainsi la terrible parabole d’un monde en mutation qui broie les âmes vertueuses pour mettre en avant celles et ceux qui vont façonner l’Amérique de demain. Un premier livre, un tour de force, une véritable démonstration.

    Kent Wascom : Le Sang Des Cieux (The Blood Of Heaven). Christian Bourgeois éditeur 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chedaille.

    A lire en écoutant : Hurt interprété par Johnny Cash. Album : American IV: The Man Comes Around. American Recording Compagny 2002.