Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Carlos zanon

  • CARLOS ZANON : J’AI ETE JOHNNY THUNDERS. PERDRE ET MOURIR.

    carlos canon,j'ai été johnny thunders,asphalte éditionsIl y a parfois comme ça, au détour d’un livre, une espèce de charme indéfinissable où un auteur parvient à concilier au cœur d’un roman résolument noir, une petite musique poétique quelque peu décalée donnant à l’ensemble une allure décadente empreinte d’une sombre nostalgie. Une ville de Barcelone décatie sur fond de musique rock abrupte et cinglante, Carlos Zanon signe avec J’ai été Johnny Thunders un grand roman fiévreux.

     

    Retour à la case départ pour Francis lorsqu’il débarque dans le quartier de Barcelone où il a grandit, en laissant derrière lui ses rêves de gloire et son double maléfique, Mr Frankie. Il est désormais un musicien déchu, complètement paumé qui n’est jamais parvenu à percer vraiment dans le monde cruel du rock. Il a pourtant joué avec des légendes comme Johnny Thunders, mais tout cela désormais n’est plus qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, la cinquantaine bedonnante, Francis, complètement fauché, retourne vivre chez son père. Il aspire à trouver un job pour rembourser ses dettes, payer la pension qu’il doit à son ex femme afin de renouer avec ses enfants. Mais le retour dans le droit chemin peut s’avérer être un parcours tortueux où les réminiscences du passé deviennent des obstacles insurmontables.

     

    En guise d’introduction, Carlos Zanon nous immerge immédiatement dans l’univers chaotique d’un rock’n roll noir et cruel avec la rencontre de Johnny Thunders et de Mr Frankie qui scellera son destin ou plutôt son absence de destinée. Puis comme Francis, on ressort du club, complètement lessivé et dépassé par la violence d’un spectacle dramatique où les idoles se brûlent les ailes dans la lumière des projecteurs d’une gloire factice et dans l’ombre malsaine de la dope et de l’alcool. Le réveil est brutal et sans concession ainsi que la rédemption qui ne devient plus qu’une illusion supplémentaire pour continuer à avancer, tituber vers un dénouement aussi noir et cruel que ce concert rock qui a vu naître et mourir un Mr Frankie tragiquement immortel.

     

    On découvre tout au long du texte une espèce d’amertume vénéneuse et poisseuse que l’auteur distille sur un rythme cinglant et nerveux en nous projetant dans les périphéries d’une ville de Barcelone désenchantée, bien éloignée des circuits touristiques, où Francis (et son double maudit, Mr Frankie) promène ses désillusions et ses échecs. Il n’y a rien de schizophrénique dans ce personnage s’alimentant de ses rêves perdus du passé et de ses projets étriqués du présent. Mr Frankie a été le guitariste qui a accompagné Johnny Thunders lors d’un concert épique où la légende n’était déjà plus qu’une ombre déchue en quête d’une prochaine dose. Francis est le looser fauché qui souhaite trouver un job stable afin de pouvoir renouer avec ses enfants. Lors de ce retour aux sources, au domicile d’un père honnis, Francis va devoir affronter les fantômes qu’il laissé derrière lui avec une déclinaison d’âmes brisées qui tentent de survivre comme elles peuvent dans un pays ravagé par la crise économique.

     

    Outre Francis, on rencontre une déclinaison de personnages poignants à l’image de la jeune Marisol refusant de renoncer à ses rêves et s’abandonnant à toutes sortes de compromissions abjectes qui la brisent à petit feu. C’est le message que Carlos Zanon décline tout au long de ce roman puissant où une jeunesse en quête d’ambitions se heurte au marasme d’une société sans illusion. Et pour les plus âgés, il ne reste que la chute permanente et l’échec patent qui se décline dans un quotidien morose et sans lendemain, représenté par le père de Francis, petit homme infâme qui fera brutalement rejaillir l’ensemble de sa médiocrité et de ses frustrations sur son entourage. Pourtant, l’auteur n’a pas pour ambition de dénoncer quoique ce soit dans son roman. Carlos Zanon dépeint sans aucun misérabilisme et sans aucune pudeur cette vie de petites gens au détour d’un texte rugueux qui n’épargne personne. Une mise en scène s’installe lentement, de manière éclatée, par l’entremise des différents protagonistes animant le livre pour nous acheminer vers un final tragique d’une cruelle violence sordide.

     

    J’ai été Johnny Thunders restitue donc ces quelques instants de gloire pour toute une somme de vies bousillées sur l’autel d’un rock tonitruant et impavide. De petites combines foireuses, en coups tordus le conte musical brutal devient un roman noir féroce qui laboure les cœurs et les âmes.

     

     

    Carlos Zanon : J’ai été Johnny Thunders. Editions Asphalte 2016. Traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton.

     

    A lire en écoutant : Spanish Stroll de Mink DeVille. Album : Cabretta. 1977, 2001 Capitol USA.

     

     

  • Carlos Zanón : Taxi. Nuits d’errance.

    Carlos Zanón, taxi, éditions asphalteParfois, on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de frustration lorsqu’un livre que l’on apprécie ne trouve pas son public et l’on se retrouve même à regretter que l’ouvrage n’ait pas fait l’objet d’un écho plus conséquent auprès des chroniqueurs qui semblent avoir boudé le roman. Pourtant après le succès critique de J’ai Été Johnny Thunder qualifié, à juste titre, de roman culte, Carlos Zanón ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a fait preuve d’audace en nous proposant de suivre avec Taxi, les pérégrinations de José que tout le monde surnomme Sandino, chauffeur de taxi insomniaque et volage, cherchant à fuir toutes formes de confrontation. Et si l’esprit de la légende maudite du rock’n roll du précédent ouvrage a disparu des thèmes principaux, on en trouve quelques réminiscences, notamment au rythme des chapitres qui portent le nom des 36 titres composant Sandinista!, le triple album emblématique des Clash donnant son surnom au personnage principal. Une somme d’errances et d’incertitudes dans la mélancolie des rues de Barcelone compose ce portrait d’un monde désenchanté qui prend parfois l’allure d’une odyssée aussi burlesque qu’hallucinante.

     

    Sandino connaît déjà la tournure de la discussion qu’il va avoir avec sa femme Lola. « Il faut qu’on parle » lui a-t-elle dit. Ne souhaitant pas évoquer ses trop nombreuses incartades, préférant fuir à tout prix l’issue fatidique, il entame donc, au volant de son taxi, une errance de sept jours et six nuits dans les rues de Barcelone. Tous les prétextes sont bons pour retarder l’échéance. Il faut dire que les histoires s’enchaînent avec un défilé de clients qui se confient à lui pour l’entraîner, parfois à son corps défendant, dans de drôles d’aventures. Et si cela ne suffisait pas, il y a ses collègues dont il faut se soucier comme Ahmed s’inquiétant pour son petit frère Emad qui a bien changé depuis qu’il fréquente un entourage d’individus douteux ou Sofia qui s’est bien gardée de restituer tout le contenu d’un sac oublié dans son taxi, en se retrouvant ainsi embringuée dans une sombre histoire de trafic de stupéfiants avec des propriétaires désireux de récupérer l’intégralité de leurs biens. Sans relâche, les événements se succèdent en entraînant Sandino dans une espèce de fuite en avant qui risque de lui porter de bien plus graves préjudices que la confrontation qu’il doit avoir avec Lola.

     

    Insomniaque, irresponsable et emprunt d’une certaine forme de spleen l’empêchant de prendre la pleine mesure de ses actes, on suit cette lente déliquescence d’un individu qui ne trouve plus aucun sens dans sa vie au point de vouloir la fuir ou d’endosser quelques éléments épars de celles de son entourage, ennuis y compris, afin de recouvrer l’espoir d’un changement radical lui permettant de se dérober à ses responsabilités et de s’engouffrer dans une perspective de rêves et de désirs inassouvis. Il émane donc du texte une sensation de torpeur et de lenteur, bien loin des rythmes trépidants auxquels le lecteur est habitué, permettant à Carlos Zanón de décliner en détail tous les aspects de la vie de Sandino pour mettre en scène un récit d’une profonde humanité où l’on découvre toute une kyrielle de protagonistes s’entrecroisant dans une succession de rencontres insolites, de virées improbables et de quelques confrontations d’une violence aussi surprenante qu’épique comme cet impressionnant règlement de compte  entre Sandino et Hector, un ancien flic véreux devenu tenancier d’un rade où le taxi à ses habitudes. 

     

    Imprégné d’une multitude de références littéraires, musicales et cinématographiques, Taxi est un récit glissant parfois vers une dimension chargée de poésie nous permettant d’appréhender tout ce petit monde gravitant dans les différents quartiers de Barcelone avec un texte tout en maîtrise mettant en exergue la difficulté et la complexité des rapport sociaux qui régissent l’ensemble des protagonistes. Il en résulte un sentiment de chaos, parfois de maladresse et surtout d’incompréhension qui donnent lieu à des situations insolites pouvant prendre une tournure parfois cocasse comme le remplissage d’une urne funéraire ou plus inquiétante comme cette allusion du jeune Emad évoquant quelques amis devant passer au Bataclan. On se surprend donc à rire ou à tressaillir de surprise au gré d’un roman très dense où l’amour et ses désillusions, l’amitié et ses trahisons ponctuent cette errance confuse qui laisse poindre une lueur d’espoir à l’image de quelques scènes poétiques mettant en lumière une ville de Barcelone bien éloignée des clichés touristiques.

     

    Surprenant périple aux entournures mélancoliques et oniriques, Taxi est un roman noir tourmenté qui traduit l’incertitude et la fragilité d’un monde dont on distingue toute la complexité au travers du regard trouble d’un homme dont l’esprit, embrumé par une succession de nuits sans sommeil, lui fait perdre tout sens de la mesure. Un récit chaotique et flamboyant.

     

    Carlos Zanon : Taxi (Taxi). Asphalte éditions 2018. Traduit de l’espagnol par Olivier Hamilton.

    A lire en écoutant : Tourmento de Mon Laferte. Album : Mon Laferte, Vol. 1. 2015 Universal Music Mexico, S.A. de C.V.

     

  • TOULOUSE POLAR DU SUD : 10 ANS D’EXISTENCE.

    TOULOUSE POLAR DU SUDPour celles et ceux qui ont l’habitude de suivre ce blog, vous savez que je ne fréquente que très rarement les festivals consacrés à la littérature noire à l’exception de Lausan’noir et d’une incursion exceptionnelle l’année dernière au Quai du Polar à Lyon. Pourtant je dois avouer que Toulouse Polar du Sud est un festival qui a toujours attiré mon attention au vu de la qualité impressionnante de sa programmation et des nombreuses tables rondes permettant de découvrir des grands auteurs du polar. Ainsi, à l’occasion des dix ans d’existence du festival, ce ne sont pas moins de 65 écrivains qui seront présents du côté du quartier populaire du Mirail, dans le périmètre de la librairie de la Renaissance où sévissent des libraires fondus de littératures policières en tout genre qui peuvent compter sur l’appui de nombreux bénévoles de l’association Toulouse Polar du Sud.

     

    Pour vous donner l’eau à la bouche, si comme moi, vous faites le déplacement du côté de la Ville Rose vous aurez l’occasion de rencontrer Joe Lansdale (USA) dont la présence en France est exceptionnelle. Vous retrouverez également Benjamin Whitmer (USA), R J Ellory (UK), Zygmunt Miloszewski (Pologne), Valerio Varesi (Italie), Wojciech Chmielarz (Pologne), Antonin Varenne (France), Carlos Zanon (Espagne), Pascal Dessaint (France), Eric Plamondon (Québec), Benoit Séverac (France), Thomas H Cook (USA), José Muñoz (Espagne) qui a réalisé la superbe affiche du festival. Il ne s’agit là que d’un extrait d’une longue liste dont vous découvrirez l’intégralité ICI.

     

    Un programme riche, agrémenté de tables rondes et de rencontres animées par des intervenants passionnés comme Yan Lespoux du blog Encore du Noir, Jean-Marc Laherrère qui tient le site de Actu du Noir et Caroline de Benedetti, une des chroniqueuses de Fondu au Noir.

     

    Le Festival est également ponctué de plusieurs prix dont le fameux Violeta Negra qui récompense un polar écrit dans une langue du sud et le nouveau prix des chroniqueurs dont vous pouvez découvrir les trois finalistes ICI.

    TOULOUSE POLAR DU SUD

    Et pour celles et ceux qui voudraient concilier tourisme et polar, on ne peut que leur recommander de participer au rallye où l’enquête policière permet de découvrir le riche patrimoine de la ville de Toulouse.

     

    Au plaisir donc de vous retrouver du côté de Toulouse pour un festival riche en événements et en rencontres conviviales autour de la littérature noire que l’on célébrera avec passion.

    TOULOUSE POLAR DU SUD

     

    TOULOUSE POLAR DU SUD : 10èmeFESTIVAL INTERNATIONAL DES LITTERATURES POLICIERES. 12, 13 ET 14 OCTOBRE 2018.

    Forum de la Renaissance

    Ligne A – Station Basso Cambo.

  • KIMBERLY GARZA : LES DERNIERES KARANKAWAS. LES RACINES.

    IMG_2471.jpegIl y a une certaine force de caractère qui émane des textes de la maison d’éditions Asphalte nous embarquant principalement vers des contrée méconnues comme les pays d’Amérique du Sud où l’on a rencontré l’auteur chilien Boris Quercia qui nous a entraîné dans le sillage du déjanté inspecteur Quinones Santiago ainsi que le brésilien Edyr Augusto nous permettant de découvrir la part sombre de la ville de Belem et de la région environnante. On y a croisé également l’Argentin Ricardo Romero et sa verve à la fois sombre et poétique que l’on découvrait avec l’envoûtant et insolite roman Je Suis L’Hiver (Asphalte 2020).  Mais l’Espagne avec Carlos Zanon et son iconique J’ai Été Johnny Thunder (Asphalte 2016) et la France avec Timothée Demeillers et son époustouflant Jusqu’à La Bête (Asphalte 2017) ne sont pas en reste au gré de récits oscillant sur les limites du genre noir pour explorer d’autres registres que ce soit les quartiers populaires de Barcelone pour l’un et les entrailles d’un abattoir pour l’autre. La noirceur chez Asphalte se décline également avec des recueils de nouvelles d’auteurs emblématiques du genre qui se rassemblent autour de leurs villes respectives pour narrer les revers de la médaille et qui comptent désormais une vingtaine d’agglomérations dont Paris bien sûr, mais également Marseille, Bruxelles, Londres, New Delhi et tout dernièrement Toulouse pour n’en citer que quelques unes. Les incursions aux Etats-Unis sont moins fréquentes, aussi se réjouit-on de la découverte de Kimberly Garza une primo-romancière native de Galveston au Texas qui en dépeint, avec Les Dernières Karankawas, l’histoire tragique en lien avec les ouragans qui ont ravagé le Golfe du Mexique, tout en se focalisant sur le quartier des travailleurs du Fish Village rassemblant les communautés originaires du Mexique, des Philippines et du Vietnam qui font vivre cette localité touristique.

     

    A Galveston les touristes se rendent sur le Pleasure Pier ou dans le quartier historique de Strand sans jamais s'aventurer du côté du Fish Village abritant une main-d'oeuvre de condition modeste officiant dans le domaine de la pêche, de la santé, de la restauration et des transports. Carly Castillo y a toujours vécu, élevée par sa grand-mère affirmant qu'elles descendent des Karankawas, peuple autochtone de l'île qui a désormais disparu, victime des génocides de la conquête des colons. Mais Carly sait très bien que son père était originaire du Mexique et que sa mère venait des Philippines. Ce qu'elle ignore, c'est la raison qui a poussé ses parents à l'abandonner lorsqu'elle était enfant. C'est peut-être cette absence de racine qui la pousse parfois à vouloir quitter l'île en dépit de son poste d'infirmière et surtout contre l'avis de son petit ami Jess, excellent joueur de baseball promis à un carrière professionnel qui s'intéresse depuis toujours à l'histoire tumultueuse de la région et qui ne se verrait pas vivre ailleurs qu'à cet endroit qu'il affectionne. Partir ou rester, c’est la question qui taraude l’entourage de Carly avec ce sentiment de déracinement qui plane sur leur existence. 

    Pour un premier roman aux tonalités clair-obscurs, Les Dernières Karankawas se distingue avec une narration se déclinant au gré des différents portraits de l’entourage de Carly Castillo mais également de ceux de sa grand-mère Magdalena Castillo et de son fiancé Jess Rivera permettant d’aborder les sujets de la migration, du mal du pays et bien évidemment de la quête de ses origines tout en évoquant également l’histoire de Galveston, ville pour laquelle on ressent l’attachement viscéral de la romancière et plus particulièrement à l’égard de ce quartier de Fish Village où elle a vécu. À partir de là, Carly apparaît comme le fil conducteur de ce récit où l’on croise toute une communauté d’individus ordinaires aux origines variées dont les Philippines et le Mexique ainsi que le Vietnam et qui se sont acclimatés tant bien que mal à leur environnement. Mais bien évidemment les questions restent nombreuses quant à leurs racines, ceci qu’elle que soit les générations en effectuant les démarches les plus variées à l’instar de Jess compulsant les ouvrages d’histoire pour connaître le passé de Galveston ou de Magdalena Castillo se lançant dans des invocations pour contrer l’ouragan qui va s’abattre sur la ville, en étant persuadée d’être la descendante d’un peuple amérindien disparu. Tout cela se met en place sur une variation très subtile entre le passé et le présent tout en croisant également quelques individus de passage comme Schafer, ce vétéran de la guerre d’Irak qui ne trouve de l’apaisement qu’en s’éloignant de sa famille et de sa fiancée qui ne comprennent pas la démarche. Et puis en arrière plan, il y a cet ouragan Ike qui va s’abattre sur la région où, comme pour les origines de ses protagonistes, Kimberly Garza va relater les événements à hauteur d’homme, sans grandiloquence quant à la fureur des éléments pour s’intéresser davantage à la résilience de celles et ceux qui y vivent en dépit des difficultés qu’il faut surmonter. On soulignera également l’originalité de l’épilogue qui s’inscrit dans un glossaire où l’on découvre, sur une tonalité moins académique, les spécificités de la ville de Galveston qui se conjuguent avec le devenir de certains protagonistes à l’exemple de Carly contemplant le mémorial dédié aux 8000 victimes de l’ouragan qui a ravagé la région en 1900 et qui conclut le récit avec une sensibilité poignante qui caractérise d’ailleurs l’ensemble d’un roman d’une envergure peu commune reflétant, sans emphase, le portrait d’une Amérique métissée et finalement beaucoup plus méconnue qu’il n’y paraît.

     

    Kimberly Garza : Les Dernières Karankawas (The Last Karankawas). Editions Asphalte 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marthe Picard.

     

    A lire en écoutant : Fast Car de Tracy Chapman. Album : Tracy Chapman. Music. 1988 WEA International.

  • MARTO PARIENTE : LA SAGESSE DE L'IDIOT. CASSE TOUS RISQUES.

    marto pariente,la sagesse de l’idiot,série noireFranchement, à bien y réfléchir, il faut bien admettre que mes connaissances sont plutôt lacunaires pour tout ce qui concerne la littérature noire hispanique et ses auteurs emblématiques comme Manuel Vázquez Montalbán dont je n'ai lu aucun de ses innombrables romans mettant notamment en scène le fameux détective privé Pepe Carvalho dont il faudra bien que je découvre un jour ses enquêtes entrecoupées de repas pantagruéliques. Ma première incursion dans ces contrées, je la dois à Victor Del Arbol évoquant les réminiscences de la guerre civile d'Espagne avec son premier roman, La Tristesse Du Samouraï (Actes Noirs 2012). Et puis débarque J'ai Été Johnny Thunder de Carlos Zanon que l'on peut considérer comme un roman noir culte publié chez Asphalte Editions grand pourvoyeur d'auteurs issus d'Amérique du Sud et d'Espagne bien sûr, à l'instar d'Andreu Martin et de sa fameuse Société Noire (Asphalte 2016). On peut également se remémorer Monteperdido (Actes Noirs 2017), premier polar marquant d'Augustìn Martìnez nous entrainant dans les entrelacs des rapports complexes entre les habitants d'un village niché au creux du massif des Pyrénées. Si le polar hispanique trouve sa place au sein de nos régions francophones, on constate que son essor n'a pas de comparaison avec la déferlante du polar nordique et anglo-saxon comme l'illustre parfaitement la collection Série Noire recelant une trentaine d'ouvrages d'auteurs espagnols dont La Face Nord Du Cœur (Série Noire 2021) de Dolores Redondo Meira se révélant être un préquel de la fameuse trilogie de la Vallée du Baztan, se déroulant dans la région de la Nouvelle-Orléans avec une enquêtrice espagnole sur la trace d'un tueur en série. Dans un registre totalement différent, en prenant pour cadre la province rurale de Guadalajara où il vit, on saluera l'arrivée de Marto Pariente au sein de la collection avec La Sagesse De L'Idiot, véritable souffle nouveau pour un récit explosif aux tonalités à la fois âpres et désopilantes nous rappelant, pour certains aspects, Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) de Jim Thompson.

     

    On ne sait pas trop comment Toni Trinidad est parvenu à obtenir son diplôme de flic, lui qui s'évanouit à la vue de la moindre goutte de sang. Toujours est-il qu'il est devenu l'unique policier municipal du village d'Asturias et que sa principale activité consiste à surveiller la circulation lorsque les enfants sortent de l'école en fin d'après-midi. Une vie faite de routine, idéale pour cet homme qui passe pour l'imbécile de service et qui ne porte jamais d'arme. Mais Toni doit faire face à bien des difficultés avec la mort un peu étrange de son ami Triste que l'on a retrouvé pendu à un arbre tandis que sa sœur Vega, unique propriétaire d'une casse automobile depuis la disparition de son mari, doit faire face aux velléités de l'Apiculteur, un trafiquant de drogue brutal et sans pitié à qui elle a dérobé une cargaison de came en croyant que c'était du fric. En voulant savoir ce qu'il est vraiment arrivé à son ami et vouloir protéger sa sœur, Toni se retrouve embringué dans des histoires de règlements de compte entre trafiquants déjantés, tueurs à gage impitoyables et promoteurs immobiliers douteux qui vont croiser sa route pour son plus grand regret mais également pour leur plus grand malheur. 

     

    Egalement auteur de romans noirs, dont certains publiés au sein de la collection La Noire des éditions Gallimard, on doit saluer la traduction de Sébastien Rutés ayant parfaitement saisi l'essence d'un texte comme La Sagesse De L'Idiot pour nous en restituer toute la quintessence, propre au genre, dans sa version française. Mais il faut également relever le véritable talent de Marto Pariente à construire une intrigue au rythme explosif pour mettre en scène toute une galaxie des personnages truculents dont les actes vont s'entrechoquer au détour d'une succession de confrontations dont certaines vont virer à la pantalonnade vacharde, ceci pour notre plus grand plaisir sadique. Néanmoins, il convient de souligner, que La Sagesse De L'Idiot va bien au-delà d'une simple bouffonnerie puisque l'auteur prend également la peine de soulever quelques aspérités du contexte sociale dans lequel évolue l'ensemble des protagonistes. Ainsi, de la région de Guadalajara, située au centre de l'Espagne, on découvre les accointances entre les banques et les milieux de l'immobilier pour faire davantage de profit tandis que certains propriétaires terriens touchent des subsides grâce à des plantations qu'ils laisseront pourrir sur pieds en s'épargnant ainsi les frais et les efforts d'une récolte qui ne leur rapporterait rien. Tout cela, on le perçoit par le biais du regard de Toni Trinidad, ce flic municipal que l'on prend volontiers pour un imbécile alors qu'il se révèle un peu plus perspicace qu'il n'y paraît, même s'il fait preuve parfois d'une maladresse crasse qui va avoir un impact sur l'ensemble de son entourage et des individus qu'il croise sur son chemin. C'est bien évidemment cette dynamique que l'on apprécie et que Marto Pariente met en scène de manière habile en nous permettant de saisir l'ensemble des rapports qui régissent les interactions entre cette succession de bûcherons reconvertis en exécutant des basses œuvres, de trafiquants au bord de la faillite, de promoteurs véreux et d'un tueur à la foi immodérée et dont découvre certains aspects au gré d'un épilogue savoureux révélant tout un lot d'éléments surprenants que l'on ne voit pas venir. Et puis pour en revenir à Toni Trinidad, on appréciera toute l'affection qu'il éprouve pour sa sœur Vega, quelque peu portée sur la bouteille, nous entraînant sur un registre un peu plus émouvant, donnant encore plus de relief à l'ensemble du récit, tandis que l'on plonge dans ses souvenirs d'enfance pour mettre à jour les épreuves auxquels ils ont dû faire face, sources de traumatismes indélébiles. Ainsi, au gré d'un texte affuté comme la lame tranchante d'un cran d'arrêt, l'émotion se conjugue avec l'humour et cette férocité parfois cruel dans un mélange parfait qui font de La Sagesse De L'Idiot un récit détonant nous permettant d'affirmer que Marto Pariente devient une des voix originales du roman noir espagnol qu'il convient de découvrir toutes affaires cessantes.  

     

    Marto Pariente : La Sagesse De L'Idiot (La Cordura Del Idiota). Editions Gallimard/Série Noire 2024. Traduit de l'espagnol par Sébastien Rutés.

    A lire en écoutant : Hijo De La Luna de Mecano. Album : Entre el Cielo y el Suelo. 2005 BMG Rights Management and Administration (Spain) S.L.U.