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  • Rafael Wolf : La Prophétie Des Cendres. Le jour d'après.

    Rafael Wolf, la prophétie des cendres, bsn pressLa maison d'éditions romande BSN Press célèbre sa dixième année d'existence avec des publications qui ont toujours flirté avec le "mauvais genre" à l'exemple de Léman Noir (BSN Press 2012) une anthologie réunissant, sous la direction de Marius Daniel Popescu, des nouvelles noires d'auteurs romands dont certains ne s'étaient jamais essayés au genre. Un premier succès qui a laissé la place à d'autres romans qui ont marqué la brève histoire de la littérature noire romande à l'instar de Nicolas Verdan obtenant le prix du polar romand avec La Coach (BSN Press 2019). A la tête de cette maison d'éditions, il y a Giuseppe Merrone qui se caractérise par la haute exigence des textes qu'il publie et dont un bon nombre, comme ceux d'Antonio Albanese, se situent à l'orée du polar avec Voir Venise Et Vomir (BSN Press 2016) et 1, rue de Rivoli (BSN Press 2019). Naviguant donc à la périphérie des genres, certains de ces romans sont tout de même estampillés "roman noir" ou "policier" comme En Plein Brouillard (BSN Press 2021) de Gilbert de Montmollin, Le Cri Du Lièvre de Marie Christine Horn (BSN Press 2019) ou l'ensemble des textes de Jean Chauma évoquant, sous l'angle de la fiction, son expérience dans le domaine du banditisme. L'ensemble de ces ouvrages se caractérisent par le questionnement social, ou plutôt par l'interrogation sur les dysfonctionnements d'une société que l'on peut également aborder par le biais du thriller comme le démontre Rafael Wolf, journaliste et chroniqueur de cinéma à la Radio suisse romande avec son premier roman, La Prophétie Des Cendres, qui inaugure ainsi le genre dans la collection BSN Press.

     

    Les passagers du vol Alitalia 1320 reliant Bologne à Rome sont tous sortis indemne du crash qui a eu lieu à proximité de la capitale italienne. Certains d'entre eux parlent d'un miracle en faisant mention d'un homme qui s'est avancé dans l'allée centrale de l'avion, les bras en croix, ceci peu avant le moment de l'impact. Pour eux, il ne fait nul doute que c'est lui qui a redressé l'avion au dernier moment. Nouveau Messie pour les uns, manipulateur ou charlatan pour les autres, cet homme sans passé et sans identité déchaîne rapidement les passions à travers le monde. Journaliste d'investigation pour le compte de la Télévision suisse romande, Thomas Guardi se rend en Italie accompagné de sa camerawoman Lucie Keller pour élaborer un reportage sur les origines de ce personnage mystérieux. Mais en retraçant le passé de cet individu charismatique qui conquiert les foules, le journaliste va mettre à jour d'étranges éléments qui vont ébranler toutes ses convictions.

     

    La Prophétie Des Cendres peut sans nul doute être qualifier de thriller à l'atmosphère sombre et lourde, abordant avec une certaine réussite les thématiques de la spiritualité et de la foi, dans un monde trouble et difficile qui n'est pas sans rappeler une certaine réalité, notamment avec un épisode d'une épidémie sévissant en Inde. Dans de telles conditions Rafael Wolf aborde la question de l'être supérieur qui sauverait l'humanité et de la frénésie ou du scepticisme qu'un tel personnage susciterait au sein des différentes communautés religieuses mais également vis à vis d'une société en quête d'espoir et, pourquoi pas, de miracles mais qui peut montrer une certaine défiance à l'égard d'un tel individu. En quête de réponses, le récit s'articule autour de l'enquête du journaliste d'investigation Thomas Guardi qui va tenter de déterrer le passé de ce nouveau Messie, Paolo Monti, qui suscite la polémique. Thomas Guardi, un nom qui ne s'invente pas par rapport aux thèmes abordés, incarne cette ambivalence sociale avec la part du journaliste en quête de vérité et d'éléments concrets et la part du père d'une petite fille gravement malade à qui il ne reste plus que l'espoir du miracle. Entre la Suisse et l'Italie, on appréciera ce parcours initiatique dans la région de Rome puis du Frioul avec quelques épisodes inquiétants et très réussis que ce soit au sein d'un hôpital psychiatrique particulièrement délabré à l'atmosphère dantesque ou au coeur de ce hameau isolé situé non loin du massif de Montasch, à proximité de la frontière autrichienne. En parallèle à cette enquête on suit le parcours de ce Messie à travers le monde que Rafael Wolf évoque avec beaucoup de sobriété ce qui contribue à un certain réalisme ce d'autant plus qu'il fait quelques références à Padre Pio, ce prêtre italien porteur de stigmates suscitant la polémique qui fut canonisé par l'église catholique. Dans un autre domaine, Rafael Wolf fait également référence à Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, qui est considéré comme l'un des pères de la propagande politique. Deux sujets que l'auteur distille tout au long d'un récit extrêmement sobre et ramassé qui se dispense de longues explications démonstratives et ennuyeuses. Bien sûr en respectant les codes du thriller, on n'échappera pas au récurrent héros détenteur d'un lourd passé qu'il a enterré, sans toutefois que Rafael Wolf ne s'appesantisse sur de lourds secrets qu'il distillerait tout au long de son récit pour nous les dévoiler au terme de l'intrigue. Il en résulte ainsi un roman à la structure narrative extrêmement bien conçue, ceci du début jusqu'à une terrible fin empreinte d'une certaine forme de pessimisme qui n'est pas déplaisante.


    Rafael Wolf, nous livre ainsi avec La Prophétie Des Cendres, un thriller plutôt atypique et très rythmé dont la réussite réside notamment dans cette sobriété d'un texte soigné évoquant avec intelligence des thèmes extrêmement sensibles sur fond d'un monde qui tend à s'éteindre. 

     

    Rafael Wolf : La Prophétie Des Cendres. Editions BSN Press 2021.

    A lire en écoutant : Show de Beth Gibbons & Rustin Man. Album : Out of Season. 2002 Go Beat Ltd.

  • LUIS SEPULVEDA : LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR. DERNIERE FRONTIERE.

    luis sepulveda, le vieil homme qui lisait des romans d'amour, éditions metailiéIl y a de cela quarante ans, une éditrice se focalisait sur les publications lusitaniennes, italiennes et hispanophones, en se concentrant plus particulièrement sur les romanciers en provenance d'Amérique du sud. Enoncé ainsi, cela apparaît, de nos jours, dans un monde globalisé, comme une évidence, mais en 1979, Anne-Marie Métailié prenait des paris audacieux qui sont désormais l’une des particularités de cette maison d’éditions indépendante qui a pris pour nom le patronyme de sa fondatrice. Dans le domaine de la littérature noire, les éditions Métailié nous proposent des auteurs emblématiques comme l’islandais Arnaldur Indridason et son commissaire Erlendur Sveinsson, ou le cubain Leonardo Padura et son détective privé Mario Condé pour n’en citer que quelques uns. Mais comme plus d’un million de lecteurs, c’est avec Le Vieux Qui Lisait des Romans D’Amour, du romancier chilien Luis Sepúlveda que j’ai découvert cette maison d’éditions en 1992, avec ce premier roman d’un auteur dénonçant déjà les dérives d’un monde soi-disant civilisé qui n’est plus capable de respecter son environnement.

     

    A El Idilio, petit bled perdu de l’Equateur, niché dans les eaux du Nangaritza, les habitants attendent le dentiste comme le Messie débarquant du Sucre, un vieux cargo rouillé, ravitaillant les localités de la région. Antonio José Bolivar Proaño, vieil homme solitaire qui a vécu avec les indiens Shuars durant de nombreuses années, guette la venue du praticien pour une toute autre raison. Connaissant sa passion pour les romans d’amour, le dentiste lui en fournit régulièrement quelques exemplaires. Mais il n’est plus question de lecture, lorsque l’on découvre le cadavre d’un chercheur d’or. On accuse immédiatement les indiens Shuars d’être les auteurs du forfait. Mais fin connaisseur de la forêt amazonienne qu’il respecte, Antonio comprend rapidement qu’il s’agit d’une panthère qui marque son territoire. A contrecœur, le vieil homme va donc devoir abandonner ses chers romans d'amour pour traquer cet animal qui décime la population des aventuriers rôdant dans la forêt. Une chasse qui prend l’allure d’un duel douloureux.

     

    Emprisonné sous la dictature de Pinochet, puis exilé, Luis Sepúlveda parcourt l’Amérique du sud et passe même une année avec les indiens Shuars afin d’étudier l’impact de la colonisation sur les populations autochtones de l’Amazonie. Une expérience dont il s’inspirera pour son premier roman, Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’amour qui prend la forme d’un récit d’aventure afin de mettre en exergue tous les excès de ces hommes pillant les richesses de la forêt sans aucun respect pour la faune et la nature. De ce bref récit, il émane une sensation d’immersion totale dans un cadre déconcertant, à la lisère du monde sauvage et de la civilisation dont la limite s’incarne par le biais d’Antonio, ce vieil homme capable d’appréhender toute la beauté brute de la forêt amazonienne et toute la force de l’intensité de ces romans d’amour qu’il affectionne tant. On se régale également avec cette galerie de personnages hauts en couleur à l’instar du maire, renégat du monde civilisé, ou du docteur Loachamin, dentiste itinérant, aux pratiques plutôt frustres puisqu’il arrache les dents de sa clientèle sans anesthésie, ceci sur le quai des localités où il débarque avec son fauteuil de praticien. Luis Sepúlveda dépeint donc un univers brutal composé de chercheurs d’or et autres aventuriers d’infortune, où l'on règle ses comptes à coups de fusil ou de machette, qu'il décline sous une forme poétique qui n'est pas dénuée d'humour. Au sein de cette localité de laissés-pour-compte sans foi ni loi, Antonio José Bolivar Proaño fait figure d’original, lui qui a partagé le quotidien des indiens Shuars en séjournant des années durant au cœur de la forêt amazonienne, ceci jusqu’au décès de son épouse dont il chérit encore le souvenir. On partage ainsi les habitudes de ce vieil homme qui souhaite couler des jours tranquilles en se plongeant dans la rêverie de ces récits romantiques, bien éloignés de la dureté du monde qui l’entoure. Il se dégage ainsi une sensation diffuse de mélancolie en parcourant les ruelles pittoresques de cette localité perdue au beau milieu de la forêt, jusqu’à l’apparition de cette panthère semant la terreur parmi les habitants. Le récit prend alors une autre tournure avec cette tension diffuse qui nous accompagne tout au long d’une expédition au cœur de la forêt amazonienne afin de débusquer le fauve. Pluies diluviennes, moiteur oppressante, faune hostile, Luis Sepúlveda décline toute la beauté d’une jungle mortelle, recelant mille dangers que seul le vieil homme est en mesure de surmonter en faisant communion avec la nature. Cette tension narrative prend d’avantage d’ampleur à mesure d'une traque laissant place à un duel entre l’animal et le vieil homme qui peine à accepter l’inéluctable mise à mort qu’il considère comme une véritable trahison mais à laquelle il ne peut se dérober tout en maudissant la barbarie des hommes.

     

    Nimbé d’un suspense qui n’a rien à envier aux meilleurs thrillers, fable écologique d’une nature qu’il faut préserver, brève tragédie autour de la dualité d’un homme tourmenté, Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’Amour est surtout une puissante ode poétique et un récit d’amour bouleversant à l’égard de la beauté d’un territoire sauvage subissant l’avanie d’une société qui n’a plus considération pour sa faune et sa flore. Un véritable plaidoyer qui reste toujours d’actualité.

     

    Luis Sepúlveda : Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’Amour. Editions Métailié 2004. Traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero.

    A lire en écoutant : Sin Venganza de Julio Jamarillo. Album : Julio Jamarillo Canta Boleros 15 Temas. 2012 Producciones AR.