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raymond chandler

  • Raymond Chandler : La Dame Dans Le Lac. Entre deux eaux.

    Capture.PNG« Je vis une vague de cheveux blonds qui, pendant un bref instant, se déroula dans l'eau, s'allongea avec une lenteur calculée, puis s'enroula de nouveau sur elle-même. La chose roula sur elle-même encore une fois ; un bras vint écorcher la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main boursouflée qui était celle d'un fantôme. "

    Traduction de Michèle et Boris Vian en 1948.

     

    "Je vis une vague de cheveux blond foncé se raidir dans l'eau et demeurer immobile un bref instant, avec un effet comme calculé, puis tourbillonner à nouveau en un enchevêtrement. La chose roula une fois de plus et un bras écorcha la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main enflée qui était une main de monstre. "

    Traduction de Nicolas Richard en 2023.

     

    Il semble que ce soit François Guérif, alors directeur de la collection Rivages/Noir, qui se préoccupe en tout premier lieu de la qualité des traductions en offrant de nouvelles versions françaises notamment en ce qui concerne des auteurs anglo-saxons tels que Jim Thompson et Donald Westlake. Du côté de chez Gallmeister, Jacques Mailhos nous propose désormais une autre lecture en français des romans de James Crumley tandis que chez Gallimard, le célèbre romancier Dashiel Hammett bénéficie d'une nouvelle traduction intégrale à l'occasion de la parution de son œuvre intégrant la collection Quarto. Dans cette même collection, on trouve également la totalité des romans de Raymond Chandler en notant que les enquêtes de Philippe Marlowe font l'objet d’une traduction révisée par Cyril Laumonier à l'exception des versions de Michèle et Boris Vian, suscitant ainsi une certaine frustration. Car sans remettre en cause l'apport essentiel de ces deux traducteurs qui ont grandement contribué à l’essor de la littérature noire nord-américaine en France, il est difficile de comprendre cette espèce de sacralisation du travail du couple Vian que l'on serait incapable de remettre en question, ceci au détriment de récits emblématiques du roman policier que sont Le Grand Sommeil et La Dame Du Lac qui méritaient un nouvel éclairage en matière de traduction. C’est désormais chose faite avec la Série Noire qui inaugure sa collection Classique en sollicitant deux traducteurs chevronnés afin de retranscrire, d’une manière plus rigoureuse, l’essence des textes d’origine de ces deux polars hard-boiled légendaires. Avec de nombreux ouvrages traduits depuis 1990, dont ceux de Harry Crews, de James Crumley, de Hunter S Thompson et de Richard Powers, pour n’en citer que quelques-uns, le romancier et traducteur Nicolas Richard n’a rien d’un amateur dans le domaine et s’est donc attelé à nous offrir ce que l’on peut désormais considérer comme la voix française de Raymond Chandler en ce qui concerne La Dame Du Lac, titre auquel il a restitué le « in » de la version originale (The Lady In The Lake) en devenant ainsi La Dame Dans Le Lac.

     

    Derace Kingsley, directeur d’une grosse entreprise de parfumerie à Los Angeles, ne se fait plus beaucoup d’illusion au sujet de Crystal, son épouse volage, qui a disparu de la circulation. Tout de même inquiet, il engage le détective privé Philip Marlowe afin de la retrouver. Pour débuter ses recherches, l’enquêteur charismatique se rend à Puma Point, dernier point de chute de la disparue qui séjournait dans sa résidence secondaire du bord du lac. Une fois sur place, Philip Marlowe va à la rencontre de Bill Chess, homme à tout faire et gardien du chalet Kingsley, noyant son chagrin dans la bouteille depuis que sa femme a mis les voiles en laissant un message laconique en guise d’adieu. Après avoir fouillé les lieux en vain, les deux hommes se promènent au bord du lac lorsqu'ils distinguent une forme étrange flottant entre deux eaux, à proximité de ce qui apparaît comme la structure d'un ponton immergé. Se pourrait-il qu’il s’agisse d'un cadavre ?

     

    La Dame Dans Le Lac. Si l'on ne peut reprocher l'exactitude de la traduction, il est pourtant difficile d'assimiler ce nouveau titre, sans doute lié à l'affect de l'ancienne version française à laquelle on a pu s'attacher et qui résonnait d'une manière particulière avec la découverte de ce corps décomposé aux allures surnaturelles partiellement immergé dans le lac. On remarquera d'ailleurs, en comparant les deux traductions figurant en préambule de cette chronique, que l'on passe d'une main ressemblant à un fantôme pour passer à celle d'un monstre, en rendant justice au mot "freak" que mentionnait Chandler dans son texte. C'est d'ailleurs cette rigueur, cette précision ainsi qu'un grand travail de réflexion pour restituer l'essence du texte original que l'on va retrouver tout au long de cette nouvelle version française. Quatrième roman mettant en scène Philip Marlowe et publié en 1943, quelques mois après l'attaque de Pearl Arbor dont on devine les stigmates avec la présence de soldats aux abords d'un barrage ainsi que la réquisition du caoutchouc ornant les trottoirs de la ville, La Dame Dans Le Lac a la particularité de se dérouler, en grande partie, à l'extérieur de Los Angeles en entraînant le détective privé du côté de Bay City (ville fictive correspondant à l'agglomération de Santa Monica) ainsi qu'à Puma Point, petite localité de montagne que Raymond Chandler situe dans les hauteurs de San Bernardino. On y croise d'ailleurs le fameux shérif Patton qui se révèle beaucoup moins lourdaud qu'il n'y paraît en balayant ainsi cette image de péquenot propre à l'archétype de tels personnages ainsi que la journaliste locale Birdie Keppel travaillant également comme esthéticienne et dont on apprécie la vivacité d'esprit. Et puis, dans une succession de faux-semblants, on distingue les personnalités évanescentes de Muriel Chess et de Crystal Kingsley bouleversant avec une redoutable efficacité les codes de la femme fatale tout en se confrontant à la brutalité du lieutenant-détective Degarmo dont le rôle ambigu ne fait qu'accentuer le caractère inquiétant du personnage. Tout comme certains de ses romans précédents, La Dame Dans Le Lac est un assemblage de plusieurs nouvelles, parues notamment dans le fameux magazine Black Mask, dont l'enchevêtrement d'intrigues se révèle tout de même beaucoup moins complexe que Le Grand Sommeil et dont on appréciera le rythme ainsi que la pluralité des lieux que l'on parcourt au gré du récit demeurant, sur beaucoup d'aspects, d'une surprenante modernité. Tout cela, Nicolas Richard nous le restitue en français avec une remarquable perfection pour mettre en exergue la classe et l'humour caractérisant le mythique détective privé, cette vivacité dans les dialogues, désormais dépourvus de ce jargon démodé et de cette gouaille antédiluvienne, ainsi que ce soin apporté aux descriptions et phases de réflexions très fréquemment détaillées et parfois imprégnées de nuances poétiques, véritables cartes maitresses de l'élégance du style inimitable de Raymond Chandler qui demeure l'une des plus grandes figures de la littérature noire et à qui l'on rend tout son éclat avec cette magistrale traduction.

     

     

    Raymond Chandler : La Dame Dans Le Lac (The Lady In The Lake). Editions Gallimard/Collection Série Noire Classique 2023. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard.

    A lire en écoutant : Blues de Franz Waxman. Album : Crime In The Streets. 1956 UMG Recording, Inc.

     

  • Raymond Chandler : La Dame du Lac ou la magie d'un verre de Four Roses

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    « Je vis une vague de cheveux blonds qui, pendant un bref instant, se déroula dans l'eau, s'allongea avec une lenteur calculée, puis s'enroula de nouveau sur elle-même. La chose roula sur elle-même encore une fois ; un bras vint écorcher la surface de l'eau et ce bras se terminait par une main boursouflée qui était celle d'un fantôme. "

     

    Pour le whisky, rien ne vaut un de ces excellents écossais avec ce goût tourbeux si caractéristique, mais en matière de bourbon, j'ai une forte inclination pour le Four Roses avec ces notes caramélisées que Philip Marlowe affectionnait particulièrement tout en le consommant avec modération. Lorsque j'achève « La Dame du Lac » de Raymond Chandler, je m'en sers toujours un verre avec deux glaçons et je me repasse les images de cette formidable intrigue.

     

    Philip Marlowe, le détective le plus charismatique de tous les temps est engagé par Derace Kingley qui le charge de retrouver sa femme Crystal qui semble avoir disparue de leur résidence secondaire du bord du lac à Puma Point. En se rendant sur les lieux, Philip Marlowe fera connaissance du voisin des Kingsley, Bill Chess dont la femme semble également avoir quitté les lieux depuis un mois. En se promenant autour du lac, ils apercevront une forme étrange flottant entre deux eaux. Un cadavre ?

     

    D'aucun diront que ce n'est pas le roman le plus abouti de la série du détective privé Philip Marlowe. En ce qui me concerne, c'est tout simplement le meilleur parce que ce fut l'un des premiers roman noir que j'ai lu. Alors forcément, l'affect neutralise l'impartialité du choix. Et puis l'ambiance y est un peu particulière avec ce périple dans les montagnes californiennes où l'on peut sentir l'odeur de l'écorce des pins qui chauffent sous le soleil et où l'on croise une foule de personnages charismatiques, dont Patton, le vieux sherif de Puma Point qui sous ces aspects de beauf patenté se révèle être bien plus roublard qu'il n'y paraît.

     

    Raymond Chandler a écrit ce roman en 1943 et tout au long de l'histoire on trouve des références à la guerre qui semble pourtant si lointaine. Contrairement aux autres récits, l'action se situe pour la plupart du temps hors de Los Angeles avec des lieux fictifs comme Bay City (nom repris pour la série Starsky et Hutch) et les montagnes de Puma Point.

     

    La Dame du Lac : un classique du genre qui n'a pas pris une ride. Tout en fluidité dans ses descriptions avec des dialogues teintés d'un humour tout en finesse, c'est un livre qui se lit d'une traite et c'est peut-être à cela que l'on reconnaît le talent voir le génie d'un écrivain. Issu de l'école Black Mask, Raymond Chandler tout comme Dashiel Hammett ont appris à faire vibrer le lecteur à l'entournure de chaque changement de page car il faut se rappeler que leurs écrits étaient destinés à un lectorat populaire qui ne cherchait rien d'autre qu'à se distraire en frissonnant un peu. On notera que l'ouvrage a été traduit par Boris Vian qui adorait particulièrement la littérature américaine harboiled.

     

    On ne peut qu'apprécier le style si particulier de Raymond Chandler qui a créé ce personnage mytique du détective désabusé au grand cœur, qui sait rester cool dans toutes les circonstances et qui promène sa classe au milieu d'une cohorte de femmes fatales, d'individus patibulaires et de flics un brin ripoux. Un personnage de rêve qui s'évapore comme les dernières gouttes de whisky au fond d'un verre.

     

    Raymond Chandler : La Dame du Lac. Edition Gallimard/Folio policier. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michèle et Boris Vian.

    A lire en écoutant : Trouble Man de Marvin Gay.