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  • Jean-Christophe Tixier : La Ligne. Ceux d'ici et ceux d'ailleurs.

    Capture.PNGIl est assurément un passionné de littérature noire au point d'avoir fondé, il y a de cela plus de quinze ans, une association dédiée au "mauvais genre" qui s'est lancée dans l'aventure d'un festival de littérature noire et policière. Jean-Christophe Tixier préside ainsi une équipe de bénévoles enthousiastes qui célèbrent le polar chaque année, au début mois d'octobre du côté de Pau avec Un Aller-Retour Dans Le Noir qui fait la part belle au polar de qualité sans rien concéder à l'esprit populaire du genre. On notera que certaines rencontres avec les auteurs se déroulent dans un funiculaire, le temps d'un aller-retour qui donne son nom au festival. Il faut également souligner une programmation riche et variée avec des auteurs reconnus, mais également des romanciers émergeants s'inscrivant dans une dimension internationale ce qui n'est pas si fréquent parmi la multitude de festivals existants en France. On ne saurait donc  trop recommander cette manifestation qui défend une littérature noire similaire à celle qui est mise en avant dans ce blog. Mais Jean-Christophe Tixier se distingue également comme écrivain avec une œuvre foisonnante comprenant notamment de nombreux polars pour la jeunesse avec la fameuse série 10 minutes (éditions Syros) couronnée d'une multitude de prix et qui rencontre un grand succès. On retiendra également ses deux romans noirs se déroulant dans les régions reculées de la campagne française que ce soit dans les Cévennes avec Les Mal-Aimés (Albin-Michel 2019) ou dans l'Aveyron avec Effacer Les Hommes (Albin Michel 2021). Avec La Ligne, nouveau roman de l'auteur, on reste dans le contexte du milieu rural, tandis que la localisation devient incertaine comme pour mieux transposer cette universalité villageoise dont cette étrange ligne blanche, qui donne son titre au roman, devient le marqueur commun divisant les communautés au gré d'un récit dystopique qui vire au cauchemar.

     

    Au petit matin, encadré de deux militaires, il trace cette ligne au sol qui sépare le village en deux. Un geste dicté par les institutions étatiques qui ont décrété cette partition dans tout le pays. Puis ce sont des coups de feu qui résonnent sans pour autant réveiller les habitants qui découvrent ce marquage déconcertant. Mais pour eux la ligne n'aura aucun impact puisqu'ils ont toujours vécu en harmonie et qu'elle ne saurait donc diviser une communauté soudée. Pourtant cet événement devient le sujet de toutes les conversations et suscite l'inquiétude dans un climat qui devient de plus en plus délétère ce d'autant plus avec l'arrivée d'un représentant du gouvernement chargé de la bonne application des directives. Plus qu'une simple division du territoire, la ligne devient un sujet clivant avec des discussions qui dégénèrent rapidement en empoignades musclées. S'ensuit une disparition, puis un mort. L'observation implacable d'une société basculant peu à peu dans une logique de haine.

     

    La Ligne apparait dans un bref prologue où l'on découvre ce traceur effectuant son labeur aux premières lueurs de l'aube, sous l'escorte de deux soldats incarnations d'un gouvernement autoritaire qui a décrété cette division sur l'ensemble du territoire. On n'en saura guère plus sur l'origine de cette partition étatique qui frappe le pays, parce que Jean-Christophe Tixier ne s'attarde absolument pas sur les aspects du processus amenant le pouvoir politique à prendre une telle décision en évitant ainsi toute lourdeur en terme d'explications. Ainsi, cette dématérialisation de l'autorité ne fait que renforcer l'impact saisissant de cette marque de séparation qui va affecter l'ensemble de la collectivité locale dont Jean-Christophe Tixier va décortiquer les rouages relationnels au gré d'une intrigue dramatique brillamment construite permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages aux caractères fort bien étudiés.  Avec des chapitres prenant le nom des principaux protagonistes, on perçoit les rivalités entre la famille Wesner qui fait figure d'autochtone du village et le clan Polora s'apparentant à des étrangers qui se sont péniblement intégrés au sein de la communauté. On observe ainsi les ressentiments et les rancœurs, mais également les aspirations des différents personnages qui vont se heurter à la réalité que La Ligne leur impose de manière brutale. C'est donc autour de cette déclinaison de personnalités que l'auteur bâtit, de manière adroite et subtile, le drame qui va forcément survenir autour de cette fragmentation des positions entre les adhérents au principe de sécession et les opposants à ce clivage odieux. De cette manière, La Ligne incarne tous les désaccords sous-jacents qui apparaissent peu à peu au fil des jours qui passent en alimentant des conflits prenant une tournure de plus en plus dramatique. Tout cela nous permet d’appréhender, sous la forme d’une allégorie sidérante, les thèmes de l’exclusion et de la dissension que Jean-Christophe Tixier empoigne avec une belle conviction au gré d’un texte d’une puissante noirceur qui nous interpelle jusqu’à l’ultime phrase d’un récit au style à la fois sobre et éclatant de maîtrise.

      

    Jean-Christophe Tixier : La Ligne. Editions Albin Michel 2023.

    A lire en écoutant : Toujours Sur La Ligne Blanche d'Alain Bashung. Album : Live Tour '85. 1994 Barclay.