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  • François Médéline : Tuer Jupiter. Mort d’une Icône.

    Capture d’écran 2018-09-30 à 22.49.48.pngDestinés à attiser la curiosité du lecteur, les bandeaux ornant les livres de la rentrée littéraire sont désormais légions et peuvent également faire office d’avertissement comme c’est la cas pour Tuer Jupiter, le nouveau roman de François Médéline mettant en scène la mort du président Macron, victime d’un obscur complot impliquant les grands dirigeants de l’ordre mondial. Un drôle de nouveau monde. La fiction politique de la rentrée, le message est clair tout comme cet avant-propos de l’éditeur réitérant le fait qu’il s’agit avant tout d’une création littéraire et non d’un pamphlet ou autre critique politique s’inscrivant dans les récents scandales émaillant cette nouvelle présidence. C’est d’ailleurs mal connaître l’auteur que de le taxer d’opportuniste comme j’ai pu le voir dans quelques retours de lecture où l’on s’étonnait également de la brièveté d’un récit ne faisant que survoler le sujet. Il faut dire que ces quelques détracteurs s’attendaient, avec une fiction politique, à un texte conséquent à l’image des deux romans précédents de l’auteur, La Politique Du Tumulte (La Manufacture de Livres 2012) et Les Rêves De Guerre (La Manufacture de Livres 2014). Mais c’est à nouveau mal connaître François Médéline que de s’attendre à ce qu’il se plie aux exigences des codes pour satisfaire son lectorat  en préférant nous livrer un texte à la fois vif et aérien offrant, au gré d’un périple à rebours du temps, quelques épisodes originaux et parfois audacieux de l’assassinat annoncé d’une figure politique élevée au rang d’icône.

     

    #RIPEM. Les hashtags rendant hommage au président Emmanuel Macron fleurissent sur la toile du réseau social. C’est donc le dimanche 2 décembre 2018 que l’on assiste à l’ensevelissement du jeune président de la République lâchement empoisonné  dans ce qui apparaît comme un attentat revendiqué par Daesch. Cérémonie au Panthéon conduite par Brigitte Macron, discours vibrant de Gérard Collomb, les hommages sont à la fois dignes et poignants. Mais à la remontée du temps on découvre les arcanes d’un complot où barbouzes et autres groupuscules inquiétants façonnent l’identité de cet Olivier Barnerie, alias Abdelkader Al-Faransi, un ancien néonazi devenu salafiste convaincu. Etrange parcours. Mais entre manipulations et compromissions, les dirigeants des grandes nations sont prêts à tout pour dissimuler leurs obscurs desseins, quitte à sacrifier Jupiter sur l’autel de son nouveau monde.

     

    Tuer Jupiter, il y a bien évidemment, dans ce titre, comme un goût de folie et de provocation, qui correspond d’ailleurs bien à l’état d’esprit de son auteur qui nous entraîne, au gré d’une narration à rebours endiablée, aux origines d’un complot sinistre mettant en scène les turpitudes des grands hommes de pouvoir à l’image de Trump ou de Poutine, mais également de ceux qui font partie de l’entourage du président Macron. En connaisseur avisé du monde politique pour lequel il a travaillé, François Médéline restitue, avec une insolente aisance, toute la mécanique, parfois retorse, des arcanes d’un pouvoir suprême autour duquel gravite une kyrielle d’individus prêt à en découdre pour en obtenir quelques miettes. Dans une espèce de mécanique de la désacralisation, le lecteur va assister à la panthéonisation du chef d’état défunt puis à l’embaumement du corps d’Emmanuel Macron pour finir avec quelques instants d’intimité entre Bibi et Manu qui font écho à ceux de la famille Trump ou de l’entourage de Poutine. Des échanges qui pourraient prêter à sourire, s’il n’y avait pas ce sentiment d’assister à une grande kermesse mondiale dirigée par quelques personnages aux comportements parfois complètement infantiles avec ce sentiment que l’on se joue de tout et particulièrement de la vie des autres qui n’a plus du tout la même valeur dans ces hautes sphères du pouvoir.

     

    Outre la folie et l’outrance, François Médéline prend soin d’instaurer tout au long de l’intrigue un sentiment de confusion dans le réalisme de sa fiction qui se traduit dès les premières pages avec cette série de tweets émanant de vrais ou de faux profils de personnalités commentant la mort du président français. Ainsi l’on serait prêt à rire du commentaire de Brigitte Macron lorsque l’on s’aperçoit que l’on a été tout simplement dupé par l’auteur qui met ainsi en exergue notre propre crédulité. Car avec Tuer Jupiter il est également question de manipulations médiatiques avec cette sarabande de manchettes de journaux, de commentaires Facebook, de blogs et autres moyens de communication qui mettent en lumière cet univers 2.0 dans lequel tout le monde peut s’immiscer pour mieux se perdre dans le chaos de cette hyper communication excessive.

     

    Pouvoir et communication avec pour corollaire cette manipulation de tous les instants, on retrouve, au fil d’un texte aux accents « ellroyiens », toute la mécanique précise de la préparation d’un attentat avec quelques scènes saisissantes comme cette agression dantesque à Aubervilliers qui devient le point central du roman où tout bascule entre le projet et la mise en place du complot en faisant implicitement référence au fameux braquage de Underworld USA.Et puis, comme une espèce de mise en abîme, il y a cette scène étrange se déroulant sur un catamaran où le manipulateur instaure un climat de confiance et de dépendance avec sa victime tandis que François Médéline achève son roman sur voilier au large de l’Atlantique. Paradoxalement, c’est dans l’isolement d’un navire voguant au milieu de l’océan, bien loin de toute cette hyper connectivité que l’on fustige, que le vieux barbouze peut mettre en place des liens forts avec celui qui deviendra l’auteur de l’attentat.

     

    Mise en exergue des egos démesurés de dirigeants infantiles,Tuer Jupiter devient effectivement la rare, voire la seule fiction politique de cette rentrée littéraire où l’audace et la pertinence d’une intrigue fulgurante remplit pleinement toutes ses promesses en livrant aux lecteurs une vision à la fois piquante et intelligente des arcanes du pouvoir.

     

    François Médéline : Tuer Jupiter. La Manufacture de livres 2018.

    A lire en écoutant : Aux Armes Et Caetera de Serge Gainsbourg. Album : Aux Armes Et Caetera. Universal 1979.

     

  • FREDERIC PAULIN : LA GUERRE EST UNE RUSE. FRENCH UNDERWORLD.

    éditions agullo, la guerre est une ruse, frédéric paulinOn recense près de six cent ouvrages publiés qui se bousculent sur les présentoirs des librairies, à l’occasion de la rentrée littéraire où la logique de diversité cède peu à peu le pas à un constat plutôt effrayant où l’on s’aperçoit que le livre est en train de tuer le livre. Difficile, dans un tel contexte, qu’un ouvrage puisse émerger ou que l’on soit capable de le désigner comme étant le grand roman de cette rentrée à moins d’avoir lu l’ensemble des livres parus. Pourtant il convient d’affirmer haut et fort que La Guerre Est Une Ruse de Frédéric Paulin figure justement parmi les romans qui vont compter dans ce paysage littéraire encombré et qu’il faut impérativement découvrir ce récit remarquable qui couvre la période trouble des événements méconnus de la guerre civile d’Algérie des années 90 jusqu’au terrible attentat du RER à la station Saint-Michel. Première partie d’une trilogie annoncée, les éditions Agullo ne se sont pas trompées en accueillant dans leur collection leur premier roman français intégrant, avec une rare intelligence, une intrigue prenante où les faits historiques s’enchevêtrent à la fiction permettant d’appréhender avec une belle clairvoyance les contours d’une situation géopolitique complexe mais ô combien passionnante.

     

    En 1992, l’Algérie entre dans une phase sanglante de répression avec l’armée prenant le contrôle du pays en interrompant le processus législatif qui voit la victoire des partis islamistes. Ce sont désormais quelques généraux, les «janvieristes», qui tiennent les rênes du pouvoir. Dans ce contexte de guerre civile, Tedj Benlazar, agent du DGSE, observe les rapports troubles et les liens étranges qui s’opèrent entre le DRS, puissant Département du Renseignement et de la Sécurité et les combattants du Groupe Islamique Armé. Manipulations, infiltrations, tous les moyens sont bons pour ces militaires s’accrochant au pouvoir afin de faire en sorte d’obtenir le soutien de la France pour poursuivre leur combat acharné contre les groupuscules terroristes, quitte à exporter le conflit du côté de l’ancienne métropole. Localisation d’un camp de concentration, évasion massive d’un pénitencier et autres rafles féroces dans la casbah, Tedj amasse les preuves et les renseignements sans parvenir à convaincre sa hiérarchie. Il y a pourtant urgence, car des hommes déterminés comme Khaled Kelkal sont prêts à déverser leur haine et leur folie destructrice dans les rues de Paris.

     

    Perspicacité et efficacité, à n’en pas douter le lecteur se retrouve rapidement embarqué dans ce contexte historique intense où l’on découvre cette décennie noire de guerre civile qui ensanglanta l’Algérie au début des années 90. En débutant son récit par la localisation d’un « camp de sûreté » à Aïn M’guel, une région désolée subsaharienne où la France effectua des essais nucléaires sans prendre la moindre précaution vis à vis des habitants victimes, aujourd’hui encore, des effets radioactifs dévastateurs, l’auteur parvient en quelques chapitres à saisir aussi bien les effets pernicieux de la colonisation que les exactions des autorités algériennes tenant à tout prix à éviter que le pays ne devienne un république islamique. Partant de ce principe, tous les moyens sont bons pour y parvenir. Tortures, infiltrations, manipulations et déportations massives, dans un climat de violence institutionnalisée, Frédéric Paulin dresse un panorama sans concession et absolument captivant des officines qui contribuèrent à maintenir au pouvoir une clique de militaires détenant une légitimité imparable en se proclamant « sauveurs de l’Algérie ».

     

    Parce qu’il parvient à concilier un souffle romanesque dans une dimension historique où les personnages fictifs côtoient les acteurs réels qui ont joué des rôles importants durant cette période meurtrière à l’instar de Khaled Kelkal ou du général Toufik ; parce qu’il parvient également à mettre en scène des faits tangibles, mais méconnus, qui ont marqué l’actualité algérienne à l’exemple de ces 1'200 prisonniers qui se sont évadés du pénitencier de Tazoult, Frédéric Paulin entraîne le lecteur dans le tumulte de cette guerre civile en mettant en perspective l’attentisme des autorités françaises soucieuses de préserver leurs intérêts économiques sans trop vouloir s’impliquer dans cette lutte armée qui pourrait ressurgir sur leur territoire. Et c’est bien évidemment tout ce basculement du conflit d’un pays à l’autre que l’auteur décrit avec une précision minutieuse tout au long de cette fresque dantesque qui prend l’allure d’un réquisitoire sévère ne versant pourtant jamais dans la diatribe vaine et inutile.

     

    Avec un texte précis dont l’énergie folle nous rappelle les meilleurs romans d’Ellroy, Frédéric Paulin, en conteur hors pair, parvient à saisir, avec une acuité déconcertante, toute la densité d’une situation géopolitique complexe sans pour autant perdre le lecteur dans la multiplicité des intentions parfois contradictoires des diverses factions rivales. C’est en partie dû au fait que l’on suit, avec constance, les pérégrinations de Tedj Benlazar, cet agent du DGSE qui devient le témoin de ces circonvolutions historiques d’une époque trouble en bénéficiant de l’aide et du regard avisé de son mentor vieillissant, le commandant  Bellevue, vieux briscard des renseignements français. Plongé au cœur de l’action, le personnage de Tedj Benlazar ramène constamment le lecteur vers une dimension plus humaine des terribles événements qui ponctuent cette intrigue au souffle à la fois dense et épique. Et pour compléter ce regard plus terre à terre, on appréciera également, dans le registre des personnages fictifs, ces portraits de femmes que l’on croise au cours du récit en apportant toute une palette d’émotions salutaires permettant d’entrevoir tout l’aspect tragique des victimes collatérales à l’instar de Gh’zala fille de la Casbah ou de Fadoul, la maîtresse de Bellevue. Bien plus que des faire-valoir, ces femmes de caractère contrent les velléités des bourreaux tout en faisant face à leur destin en incarnant une certaine forme de résistance qui prendra probablement plus d’importance dans la suite de cette trilogie annoncée.

     

    Vision saisissante d’une guerre civile à la fois méconnue et monstrueuse basculant imperceptiblement sur la thématique anxiogène du terrorisme frappant les nations occidentales La Guerre Est Une Ruse est un roman essentiel nous permettant de poser un regard lucide sur ce personnage du terroriste que l’on aurait tendance à nous présenter comme un monstre sorti de nulle part à l’image de ce que l’on a pu faire avec le phénomène des sérial killers. Exactions, radicalisations et manipulations, ce constat clairvoyant n’en est pas moins effrayant car Frédéric Paulin place l’humain au cœur du récit avec tout ce qu’il y a de plus terrible pour qu’il puisse parvenir à ses fins, quitte à employer la ruse comme moyen ultime. Un roman époustouflant qui laisse présager une suite dont la force d’impact ne manquera pas de heurter le lecteur de plein fouet.

     

    Frédéric Paulin : La Guerre Est Une Ruse. Editions Agullo 2018.

    A lire en écoutant : Rock El Casbah de Rachid Taha. Album : Tékitoi. Barclay 2004.

     

  • Louise Anne Bouchard : Tiercé Dans L’Ordre. La malédiction des gagnants.

     

    louise anne bouchard, tiercé dans l'ordre, bsn press, collection uppercutLa présente chronique prend une toute autre tournure à l'occasion du dernier ouvrage de Louise Anne Bouchard, Tiercé dans l'ordre, publié dans la collection Uppercut des éditions BSN Press dont j'ai eu l'occasion de vous parler à maintes reprises. Plutôt que de vous faire un retour de lecture, je vais me contenter de reproduire la préface que j'ai rédigé pour évoquer l'oeuvre de cette romancière en me permettant ainsi d'exprimer toute l'admiration et l'intérêt que je lui porte, ceci depuis plusieurs années, et plus particulièrement pour ce Tiercé dans l'ordre, une nouvelle à la fois subtile et délicate dont la mise en abîme reflète une belle maîtrise de la littérature noire.

     

    Préface*

    La brièveté n’enlève rien à la force d’un texte, bien au contraire, comme le démontre Louise Anne Bouchard avec ce cinglant Tiercé dans l’ordre, où se juxtaposent deux univers sans pitié, celui du sport équestre et celui de la course d’endurance. Photographe et romancière, Louise Anne Bouchard possède une capacité singulière à conserver la spontanéité et l’authenticité des hommes et des femmes sur sa pellicule ou des personnages dont elle peuple ses fictions. Dans celle-ci, les figures esquissées (un microroman exige qu’on aille vite), aux nuances troubles, à la limite de la fêlure, de la rupture, évoluent dans le monde très particulier de la course hippique. Le dépassement de soi est ici de mise, avec un rapport au corps aussi violent qu’inquiétant. C’est ainsi que l’on glisse, presque imperceptiblement, vers un espace propre à la littérature noire, dans un contexte où le crime demeure à la périphérie de l’intrigue, à l’affût des parcours de vie qui détonnent.

     

    Avec Tiercé dans l’ordre, la course ne tarde pas à être lancée pour passer en revue les favoris comme Anna qui, à moins de seize ans, est déjà pétrie de certitudes sur son avenir de jockey, ou comme Thomas, trader trentenaire accro aux gains mais aussi à « l’entraînement extrême », qui enchaîne les marathons pour mieux échapper au poids de son quotidien. Une rencontre improbable entre ces deux êtres fait croître le malaise dans les rapports étranges qu’ils entretiennent alors que tout les sépare. Et puis il y en a d’autres, comme cette outsider que devient Iris, l’épouse de Thomas, ou comme la journa- liste Maggie endossant un rôle d’arbitre ambigu, témoin de cet amour qui ne l’est pas moins. La compétition peut donc commencer, et l’on se doute que la course sera semée d’embûches, truffée de coups fourrés et que ni les gagnants ni les perdants ne se feront de cadeau.

     

    Tout l’enjeu de chacun des protagonistes se décline sur fond d’ambitions assumées, de pulsions érotiques, de conflits larvés et d’obscures désillusions. Grâce à son écriture toute en nuances, émaillée de sous-entendus, parfois terriblement mordante, Louise Anne Bouchard conjugue avec brio les affres du sport dont les aléas polarisent les antagonismes sociaux entre les divers protagonistes. L’auteure montre une habileté saisissante à dresser des convergences et des parallèles, parfois non sans cynisme, entre la dureté du milieu équestre, la fragilité des rapports amoureux et la rancœur des rêves déchus, afin de souligner l’ambivalence de ses personnages, susceptibles de vaciller à tout instant en fonction de l’enthousiasme des victoires à digérer ou de la déception des défaites à encaisser. Il n’y a que deux options : faire partie de ceux qui foncent bille en tête quoi qu’il arrive ou de ceux qui restent en rade, avec la rage au ventre.

     

    L’obsession d’Anna, la désinvolture de Thomas, l’ambiguïté d’Iris et les désillusions de Maggie, tous sont à même de trébucher. Mais seront-ils capables de se relever et de figurer dans le tiercé gagnant ? Les paris sont ouverts...

     

    Louise Anne Bouchard : Tiercé Dans L’Ordre. Editions BSN Press. Collection Uppercut 2018.

    A lire en écoutant : Jockey Full Of Bourbon de Tom Waits. Album : Rain Dogs. Island Records 1985.

     *Préface reproduite avec l'aimable autorisation de Giuseppe Merrone.

     

  • NICOLAS FEUZ : LE MIROIR DES ÂMES. CHERCHER L’ERREUR.

    Capture d’écran 2018-09-02 à 19.29.15.pngService de presse.

    Ce retour de lecture dévoile des éléments importants de l’intrigue.

     

    C’est avec un tweet ironique que Frank Thilliez s’est érigé en défenseur de la littérature dite populaire en haranguant ses fans afin qu’ils s’en prennent à la journaliste de Telerama qui a osé évoquer son dernier roman avec tant de dédain. Il n’est pas le seul à utiliser un tel stratagème et si l’on peut juger le procédé minable, à l’image de ses écrits d’ailleurs, il se révèle pourtant extrêmement efficace puisque l’on a pu lire toute une kyrielle de messages hostiles émanant d’une horde d’aficionados fort remontés à l’encontre du magazine et de la journaliste. Pour Joël Dicker, l’explication est simple, lorsque l’on s’en prend à ses romans. Le critique, par essence, n’aime pas le succès. Et Nicolas Feuz va même plus loin en expliquant qu’il s’agit purement et simplement d’un phénomène de jalousie. Le dénominateur commun entre ces trois auteurs, c’est de déplacer le débat sur un autre curseur pour faire en sorte que l’on ne se focalise pas trop sur leurs textes révélant des carences que ce soit au niveau d’une écriture limitée et insipide mais également au niveau des failles d’une intrigue bancale. De cette manière, il n’est donc question que d’élitisme, de mépris et de jalousie. De plus, ces hommes de lettre opposent bien souvent à leurs détracteurs les chiffres de vente, les classements et désormais le nombre de rencontres avec leur public à l’instar de Nicolas Feuz affichant fièrement ses soixante-quatre séances de dédicaces dans toute la Suisse romande à l’occasion de la double sortie de Horrora Boréalis, que Le Livre de Poche a réédité en remaniant un texte qui conserve tout de même toutes ses incohérences (marque de fabrique de l’auteur), et de son nouveau roman Le Miroir Des Âmes qui est édité par Slatkine & Cie. Une sortie retentissante sur fond de Carmina Burana. Il n’en fallait pas moins pour l’annonce d’un tel événement. Nous voilà prévenus.

     

    A Neuchâtel, une bombe a dévasté la place des Halles en faisant des dizaines de morts. Qui est le commanditaire ? Qui était visé ? Le procureur Jemsen n’en a pas la moindre idée lui qui figure parmi les survivants et qui tente vainement de rassembler ses souvenirs. Mais c’est peine perdue car toute une partie de sa mémoire s’est volatilisée dans le fracas de l’explosion. Il va devoir compter sur l’assistance de sa greffière car la police à fort à faire, ceci d’autant plus qu’un serial killer que l’on surnomme Le Vénitien, sévit dans la région. Et que vient donc faire Alba Dervishaj, cette mystérieuse prostituée albanaise qui semble très bien connaître le procureur Jemsen ? Sur fond d’assassinats sanglants, de complots d’état et de trafics d’êtres humains, le magistrat va mettre à jour les éléments troublants d’une enquête qui risque bien d’être la dernière de sa carrière.

     

    Outre le fait d’avoir enfin trouvé un éditeur, Nicolas Feuz a pour ambition de s’extirper de sa région et de s’attaquer au marché francophone. Et il faut bien admettre qu’il a démarré très fort avec ce portrait de six pages rédigé par Elise Lépine pour la revue Sang Froid. Spécialiste du polar, Elise Lépine fait partie de l’équipe de François Angelier qui anime sur France Culture, l’émission Mauvais Genre que je vous recommande. De plus, elle collabore, entre autre, à la revue 813 qui fait partie des références dans le domaine des magazines consacrés à la littérature noire que Nicolas Feuz serait bien inspiré de parcourir afin de cesser de nous livrer comme références Le Club Des Cinq et Le Vol Des Cigognes de Jean-Christophe Grangé qu’il cite dans chacun de ses entretiens. Mais pour revenir au portrait de Nicolas Feuz, nous allons découvrir que ce procureur travaille très bien et tient à jour tous ses dossiers (quelqu’un en douterait-il ?), qu’il a un physique avenant et un parcours littéraire atypique dans le monde de l’auto édition. On apprend également qu’entre sa vie de couple et la littérature, Nicolas Feuz a choisi. Tant pis pour la littérature. Mais au terme de la lecture, je n’ai pas eu l’impression que la journaliste avait lu l’œuvre de Nicolas Feuz. Cela doit être pourtant le cas, puisque sur le bandeau ornant Horrora Borealis, Elise Lépine affirme qu’il s’agit de « la nouvelle grande plume du thriller francophone ». Adoubé, encensé, voici une belle consécration qui ne manquera pas d’attirer de très nombreux lecteurs.

     

    Par rapport aux précédents romans de Nicolas Feuz, Le Miroir Des Âmes présente la particularité salutaire d’être extrêmement court avec cette sensation que l'éditeur a taillé le texte à la hache donnant l'impression qu’il manque tout de même une centaine de pages. C’est ainsi que le profil des personnages paraît à peine esquissé et que le rythme de l’intrigue certes rapide, parfois effréné souffre de quelques ruptures gênantes qui nuisent à la fluidité de l’ensemble. Phrases courtes, retour à la ligne, chapitres ridiculement brefs, pas de doute nous voici confronté aux standards du thriller insipide et parfois extrêmement ennuyeux à l’exemple de cet épilogue rébarbatif où l’auteur est contraint de caser précipitamment toutes les explications confuses en lien avec l’identité des protagonistes.

     

    Au niveau des incohérences on peine à croire à cet attentat qui a secoué la ville de Neuchâtel et qui a fait des dizaines de morts mais qui ne semble aucunement perturber les forces de l’ordre et les autorités politiques qui poursuivent leurs activités comme si de rien n’était. Ainsi la hiérarchie policière ne supprime les congés de leur personnel qu’après les débordements d’un match qui a tout même lieu malgré la gravité de l’événement (p. 85) tandis que l’un des hauts dignitaires du canton quitte la ville pour se rendre à Zürich (p. 63). Et on ne parle pas de la grande fête annuelle des Vendanges tout de même maintenue dans cette ville qui ne donne tout simplement pas l’impression d’être endeuillée.  Au terme du récit, pour ce qui est de l’appréhension d’un dangereux serial killer, alors qu’ils bénéficient du gros avantage de la surprise et qu’ils pourraient interpeller l’homme à son domicile, les protagonistes préfèrent la cohue de la sortie de la salle du Grand Conseil, et ceci sans même l’appui du groupe d’intervention. Prises d’otage, série de suicides, les interpellations tournent bien évidemment à la catastrophe à l’image du récit qui prend l'allure d'un véritable naufrage.

    L’autre problème de ce page-turner, c’est qu’arrivé au terme des rebondissements et des retournements de situation, le lecteur, un tant soit peu curieux sera tout de même contraint de revenir sur quelques chapitres qui deviennent complètement fantaisistes à la lumière des explications fournies au cours de l’épilogue. Ainsi le chapitre 53 décrivant le périple de Luc Autier, enlevé puis traqué par ce serial killer surnommé Le Vénitien, est complètement surréaliste puisqu’il s’avère que Luc Autier est justement Le Vénitien Dans le même registre, on s’étonne qu’Alba Dervishaj puisse penser qu’elle s’est jetée dans les bras de son souteneur par dépit amoureux (p. 31) alors qu’il s’avère qu’elle est une policière fédérale, opérant en tant qu’agent infiltré afin de démanteler cette filière de prostitution. Aurait-elle subitement oublié sa véritable identité et le sens de sa mission ? On le voit, à force de vouloir tout nous dissimuler afin de mieux nous surprendre, Nicolas Feuz se fourvoie  dans une mise en scène alambiquée qui perd tout sens commun.

     

    Il faudrait parler de Florent Jemsen et de ses motivations qui le conduisent à conserver l’identité et la fonction de son frère. Il faudrait évoquer les providentielles falsifications de dossiers pénitentiaires et autres substitutions d’ADN effectuées par  Dan Garcia, un personnage sorti de nulle part. Mais gageons que nous obtiendrons toutes les explications à la lecture des prochaines aventures du procureur Jemsen, de sa greffière Flavie Keller et de la policière fédérale Tanja Stojkaj, reine du Krav Maga (p. 193). Une belle partie de rigolade en perspective.

     

    Nicolas Feuz : Le Miroir Des Âmes. Editions Slatkine 2018.

    A lire en écoutant : Star Treatment de Arctic Monkeys. Album Tranquility Base Hotel & Casino. 2018 Domino Recording Compagny Ltd.