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  • Katherena Vermette : Les Femmes Du North End. No Man's Land.

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    Service de presse

     

    J'ai découvert la collection Terres d'Amérique aux éditions Albin Michel par le biais de Joseph Boyden et de son premier roman intitulé Le Chemin Des Âmes (Albin Michel 2002) qui fut pour moi l'une des révélations majeures des voix amérindiennes émergeant de la littérature nord-américaine et plus particulièrement du Canada. La particularité de cette prestigieuse collection auréolée de nombreux prix dont plusieurs Pulitzer et dirigée depuis sa création par Francis Geffard c'est de donner la place à de nombreux auteurs issus des minorités qu'elles soient afro-américaines ou amérindiennes afin de nous offrir une vision pluraliste de l'Amérique du Nord avec des textes remarquables intrinsèquement tournés vers l'humain et la place qu'il occupe dans une société minée par les discriminations. De discrimination, il est justement question dans Les Femmes Du North End, premier roman de Katherena Vermette qui s'est illustrée auparavant dans les domaines de la littérature pour la jeunesse ainsi que de la poésie dont on retrouve quelques résurgences dans un texte évoquant la vie au quotidien d'une famille amérindiennes vivant dans un quartier défavorisé du North End à Winnipeg et dont on perçoit la vision intergénérationnelle par l'entremise des femmes qui la compose.

     

    Alors qu'elle allaite son enfant en pleine nuit, Stella devient la témoin involontaire d'un viol qu'elle distingue depuis sa fenêtre. Bouleversée, la jeune mère appelle la police qui émet quelques doutes quant à la nature de l'agression ce d'autant plus que victime et agresseurs ont disparu avant l'arrivée de la patrouille. Il ne reste plus qu'une trace de sang écarlate sur la neige fraîche, unique indice de la violence d'un acte qui va ébranler les membres de la communauté amérindienne de North End, un secteur délabré de Winnipeg où sévissent les gangs. Pour retracer les événements conduisant à cette tragédie, il faudra entendre les voix de neuf femmes et d'un homme qui témoignent du mal de vivre de la population autochtone, de leurs échecs mais également de leurs espoirs au travers d'un dénouement à la fois poignant et lumineux.

     

    Le cadre du roman Les Femmes Du North End a la particularité de se dérouler en milieu urbain, tandis que les réserves sont évoquées comme un endroit où les hommes partent pour s'éloigner du fracas de la ville, retrouver la voie des traditions et s'immerger au sein de leur famille restée là-bas, à l'instar de Gabe, le compagnon de Louisa. Dans une atmosphère enneigée contribuant à cette sensation de mélancolie planant sur le quartier, Katherena Vermette dresse ainsi le portrait d'une famille amérindienne du Canada où seule les femmes donnent de leur voix au travers du drame qui frappe la jeune Emily. Pour bien appréhender ce roman, il importe de se familiariser avec le schéma généalogique de cette famille qui figure au début de l'ouvrage afin de s'y retrouver dans la complexité des patronymes et des liens qui unissent les différents protagonistes, ce d'autant plus que certains d'entre eux sont affublés de surnoms ou de diminutifs qui peuvent décontenancer le lecteur. Il faudra s'affranchir de cette difficulté pour apprécier ce texte à la fois sensible, délicat et d'une beauté confondante tant les portraits des personnages sont saisissants de vérité. Débutant autour de l'agression et du viol dont Emily est victime, Katherena Vermette nous renvoie vers les traumatismes et les drames qui ont touché les différentes générations de la famille de cette jeune victime, nous donnant ainsi l'occasion de prendre en considération les difficultés qui frappent de plein fouet ces femmes autochtones. C'est dans le quotidien, presque banal, de ces différents protagonistes que la romancière aborde, par petites touches habiles, des thèmes sociaux tels que la perte d'identité culturelle, la toxicomanie et autres addictions, la discrimination institutionnalisée, l'influence des gangs ainsi que la difficulté de maintenir son couple dans le marasme des problèmes qui frappent ces femmes apparaissant plus fortes qu'il n'y paraît. Seul portrait masculin, on découvre avec Tommy les difficultés inhérentes à son statut de métis au sein de la police où il doit faire face aux réflexions douteuses de son partenaire et au racisme ordinaire de son entourage professionnel. Au-delà de cette énumération douloureuse, Katherena Vermette puise dans la puissance tellurique de ses personnages pour instiller l'espoir, ceci plus particulièrement avec le personnage lumineux de Kookom, cette grand-mère imprégnée de traditions des anciens qui répand sa résilience et sa sagesse au sein des membres de sa famille qui lui sont profondément attachés. Ni pourfendeur, ni vindicatif, Les Femmes Du North End aborde, au gré d'un texte doté d'une force subtile et nuancée, les affres d'une discrimination du quotidien que ces femmes autochtones surmontent du mieux qu'elles le peuvent, avec cet état d'esprit solidaire qu'elles vont découvrir auprès de leurs proches au gré de retrouvailles émouvantes qui vont les rapprocher davantage.

     

     

    Katherena Vermette : Les Femmes Du North End (The Break). Editions Albin Michel/Collection Terres d'Amérique 2022. Traduit de l'anglais (Canada) par Hélène Fournier.

    A lire en écoutant : As The Day Goes By de Sound From The Ground & Tanya Tagaq. Album : Luminal. 2004 Waveform Records.

     

  • OLIVIER NOREK : ENTRE DEUX MONDES. REFUS D’ORDRE.

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    "J'ai toujours eu l’impression que les polars et les romans noirs étaient un peu des livres d’Histoire en avance."

    Olivier Norek

     

    Ayant entamé une carrière d’écrivain dans le domaine du polar, Olivier Norek est un lieutenant de police en disponibilité depuis quelques années et l’on peut parier qu’au vu du succès qu’il rencontre, il le restera probablement encore très longtemps. Nul doute d’ailleurs qu’il figurera parmi les célèbres auteurs populaires du roman policier ou du thriller, comme Thilliez, Chattam ou Minier auxquels il emprunte la même écriture convenue que j’ai pu parcourir avec Code 93, premier roman de la série du capitaine Victor Coste, dont j’ai abandonné la lecture après deux chapitres évoquant pour le premier, la sempiternelle scène gore d’examen médico-légal et pour le second, l’habituel réveil du flic buvant son café avant de se rendre sur les lieux d’un crime. Je suis donc passé à côté des aventures du capitaine Coste et de son équipe officiant dans le département de Seine-Saint-Denis et dont les enquêtes ont fait l’objet de trois romans assurant une notoriété grandissante pour un auteur faisant valoir des récits réalistes basés sur son expérience de policier. Néanmoins avec la parution de son dernier ouvrage intitulé Entre Deux Mondes, Olivier Norek a laissé de côté les protagonistes de la série Coste pour dépeindre la bouleversante destinée de migrants échouant dans la tristement célèbre Jungle de Calais.

     

    Ex flic, fuyant le régime syrien, Adam doit retrouver sa femme Nora et leur petite fille Maya qui ont emprunté la longue et périlleuse trajectoire méditerranéenne des migrants leur permettant d’atteindre Calais. Ainsi tous réunis, ils effectueront ensemble une ultime traversée pour rejoindre l’Angleterre. Mais une fois arrivé dans la Jungle, Adam découvre, sur cette terre dite civilisée, un univers sans foi ni loi. Et surtout nulle trace de Nora et de Maya. En quête des siens, Adam pourra-t-il compter sur l’aide de Bastien, ce jeune lieutenant de police nouvellement affecté au commissariat de Calais qui découvre cet endroit ahurissant où l’on peut tuer sans que des investigations sérieuses ne soient entreprises ? Pourra-t-il compter sur Kilani, ce jeune garçon muet qui a échoué, comme lui, dans cet enfer en faisant l’objet de la concupiscence abjecte de certains occupants du camp ?

     

    En abordant un sujet aussi sensible que la jungle de Calais, on décèle dès les premières pages de l’ouvrage, un manque d’ampleur avec cette écriture standard très visuelle se dispensant de toute forme d’analyse pour surfer sur une vague émotionnelle qui ne manquera pas de saisir les lecteurs, ceci d’autant plus qu’Olivier Norek a une certaine tendance à vouloir forcer le trait en dupliquant, par exemple, quelques scènes clés de l’intrigue comme c’est le cas pour l’introduction que l’on retrouve quelques chapitres plus loin à l’identique mais désormais chargée de son contexte tragique. Une démarche narrative d’autant plus maladroite que la scène, qui se suffisait à elle-même, prend soudainement une forme racoleuse quelque peu dérangeante. Mais au-delà de ces quelques travers, le lecteur sera bien évidemment bouleversé par le sort de ces migrants sortant de cet anonymat glaçant où ces silhouettes errantes, que l’on entrevoit au gré des images de l’actualité, prennent les traits d’Adam, l’ex-flic syrien, de Kilani, le gamin muet et d’Ousmane, pilier du camp, bénéficiant d’un portrait plus nuancé suscitant un intérêt qui ne sera pourtant guère satisfait. Il en va d’ailleurs de même pour Thomas Lizion, ce journaliste calaisien par l’entremise duquel on appréhende tout le contexte du camp sans pour autant aborder les questions sensibles. Malheureusement, une fois son rôle de « présentateur » achevé, cet échotier local disparaîtra du champ de l’intrigue tout comme les thèmes délicats qui feront l’objet de quelques petites allusions sibyllines extrêmement vagues tout en se gardant bien d’offusquer qui que ce soit. Documenté et emprunt des observations qu’il a faites en se rendant sur les lieux, comme il se plait à le souligner dans ses interviews, Olivier Norek s’est attaché à dépeindre une situation dramatique sur le registre d’une intrigue policière presque ordinaire se déroulant dans un environnement extraordinaire sans vouloir se lancer dans un examen poussé du processus ou des responsabilités ayant conduit à une telle tragédie humaine, ce qui est plutôt regrettable.

     

    En parcourant les nombreux retours enthousiastes des chroniqueurs, Entre Deux Mondes devient un document pour les uns, un thriller pétri d’humanité pour les autres tout en abordant les thèmes de l’intrigue policière agrémentée de quelques péripéties propres aux romans d’espionnage. A n’en pas douter, le roman emprunte chacun de ses éléments sans pour autant aller au fond des choses en conférant à l’ensemble un sentiment d’inachevé, voire même de superficialité avec un récit partant dans tous les sens. Ainsi les investigations criminelles vont se révéler très succinctes tout en faisant l’objet de quelques manipulations narratives, parfois extrêmement artificielles, particulièrement lorsque l’auteur dissimule des éléments du parcours d’un des protagonistes, ceci dans le but de ne pas dévoiler trop tôt les indices et les mobiles des deux meurtres perpétrés dans la Jungle qui se fondent sur un somme de hasards douteux frisant l’invraisemblance. Il en va de même pour tout ce qui concerne l’infiltration du noyau islamiste, flirtant avec l’amateurisme et dont on se demande encore sa raison d’être dans le cours de ce roman à moins que l’auteur ait souhaité mettre en évidence un panel représentatif des individus fréquentant la Jungle de Calais. On aurait voulu percevoir cette même représentativité au sein des forces de l’ordre qui apparaissent sous un jour extrêmement favorable, bien éloigné des visions plus nuancées et plus critiques que nous ont proposé certains auteurs policiers comme Hugues Pagan, Joseph Wambaugh ou Kent Anderson lorsqu’ils évoquaient les aspects peu reluisants de leur profession. A l’instar du lieutenant Bastien Miller, personnage central du récit, ou du chef de groupe de la BAC Ludovic Passaro, Olivier Norek décline toute une série de flics attachants, pétris d’humanité, capables de remettre en cause les missions qu’on leur a confiées. Nous avons ainsi une bonne perception de ces flics en souffrance, ne supportant que très difficilement une situation dont il ne peuvent s'échapper puisque toutes les demandes de mutation sont systématiquement refusées. Mais qu’en est-il de ceux qui estiment leurs actions légitimes ou de ceux pour qui leur travail ne pose aucun problème de conscience ? Nous n’en saurons pas grand-chose tout comme du positionnement d’une hiérarchie policière qui demeure très en retrait. Paradoxalement, Max, ce maître-chien complètement cinglé, l’un des rares flics extrémistes, pour ne pas dire le seul, apparaît, dans ce climat de bienveillance et d’humanisme, comme une espèce de caricature dénaturant ainsi une vision de l’institution policière qui se voulait réaliste et exhaustive.

     

    Témoignage poignant d’un univers improbable, Entre Deux Mondes dépeint avec beaucoup d’émotions cette jungle de Calais aujourd’hui disparue sans que l’on ait la moindre idée des disfonctionnements qui ont conduit à de telles dérives institutionnelles. Ce n’était sans doute pas l’intention d’Olivier Norek qui parviendra à bouleverser le lecteur sans qu’il ne se pose trop de questions. Triste et émouvant. C’est déjà ça.

     

    Oliver Norek : Entre Deux Mondes. Editions Michel Lafon 2017.

    A lire en écoutant : C’est Déjà Ca d’Alain Souchon. Album : C’est Déjà Ca. Virgin 1993.